Le silence de nos médias sur ce qui se passe aux USA s’est prolongé
pendant plusieurs jours, eux qui sont pourtant si enclins à relayer la
moindre actualité du barycentre occidental que constituent les États-Unis. Les médias ont en effet ignoré une information de taille :
une grande ville américaine, Baltimore, vit actuellement des heures de
tension extrême après le énième épisode de violence policière, à savoir
l’assassinat de Freddy Gray, un jeune homme de 25 ans pas assez blanc
pour les standards de la police d’outre-Atlantique.
Nos journaux, qui ne
pistent les violences policières qu’à l’Est, font mine de ne pas
s’apercevoir de ce qui se passe à l’Ouest, et ne mettent pas en avant
les véritables explosions de rage qu’une foule en colère a adressées aux
autorités à tous les niveaux, en réponse à cette nouvelle goutte de
sang qui a fait déborder le vase américain.
Le journal La Repubblica a, par exemple, atténué
considérablement la nouvelle en pointant sur une vidéo plutôt comique
montrant une « big Mama » énergique gifler son adolescent de fils qui
participait aux manifestations. Résultat : le lecteur n’en sait pas
plus sur le soulèvement et se noie dans la mélasse de la « nouvelle icône sociale de la révolte », sans même se rendre sur le véritable hashtag authentiquement social du moment, #BaltimoreRiots.
À
y regarder de plus près, il y a bien d’autres symboles tout aussi
puissants. Comme le fait remarquer le blogueur Zeroconsensus, les
manifestants ont pris le contrôle de la mairie, abaissant le
traditionnel drapeau américain aux couleurs rouge et bleu pour en hisser
un autre ou le noir remplace toutes les autres couleurs.
Je n’imagine même pas ce qui se serait produit dans nos médias si une scène similaire avait été filmée dans une métropole russe.
Selon une étude récente, plus de 3000 personnes ont été tuées par la police américaine depuis
mai 2013, et la tendance serait à l’augmentation de ces incidents, qui
ne sont que la pointe de l’iceberg d’un système de harcèlement
généralisé. Pour se rendre compte de son absurdité, on peut comparer ces
chiffres avec ceux du Royaume-Uni en 2013, où la police n’a pas tué une
seule personne au cours d’un quelconque affrontement par armes à feu,
et n’en a tué qu’une en 2012. The Economist a fait un rapide calcul et a établi qu’un citoyen britannique avait 100 fois moins de chances d’être
abattu par la police qu’un citoyen américain. Les données pour le reste
de l’Europe sont assez similaires. Ces statistiques terribles pour les
USA sont de surcroit inégales selon les races : en effet les
Afro-Américains représentent un peu moins de 13% de la population, mais
constituent 37% des morts « légalement justifiées. »
Et cela s’arrête pas là ! Frida Ghitis, dans un éditorial paru sur le site de CNN,
explique que le concept d’homicide « légalement justifié » cache une
totale aberration, en cela qu’aucune agence fédérale n’ose avancer le
moindre chiffre sur les homicides qui ne sont pas « légalement
justifiés. » Le FBI ne compile que les chiffres que lui envoient
volontairement à peine 750 agences sur les 17.000 en charge de faire
respecter la loi aux USA. Mais qu’en est-il des quelque 16.250 autres qui
n’envoient aucune statistique ? Les chercheurs en criminologie
analysent en détail ces disparités, et avancent des chiffres augmentés de plusieurs milliers de victimes par rapport aux statistiques « officielles ». En pratique, même le Washington Post a décrit une nouvelle et étrange forme de secret d’État : le « ne pas vouloir savoir ». D’où découle le « ne pas vouloir diffuser » une mauvaise image du pouvoir aux USA.
Voilà pourquoi, lors des violents affrontements dans les rues [de
Baltimore], on a vu autant d’Afro-américains brandir des pancartes
affichant « Am I the next ? » (Suis-je le prochain ?)
À Baltimore, les agents antiémeutes ne suffisent plus. De nombreuses
bandes – composées à la fois d’adolescents et d’adultes en colère –
lancent toutes sortes d’objets contre ces nouvelles générations de
policiers déguisés en Robocops, et refusent toute proposition tardive de
dialogue. La police utilise en abondance les gaz lacrymogènes et les
balles de caoutchouc, arrête les gens par centaines, applique le
couvre-feu (il est même interdit aux mineurs de sortir pendant la
journée), tandis que les hypermarchés et l’Université du Maryland
tiennent leurs grilles fermées.
Il ne s’agit pourtant pas d’une ville dégradée comme Detroit, ni d’un
ghetto comme La Nouvelle-Orléans, mais d’une métropole parmi les plus
prospères des États-Unis. Les biotechnologies et l’électronique
militaire disposent à Baltimore d’entreprises de pointe et de centres de
recherche d’avant-garde qui assurent un emploi et des investissements
de qualité.
Que signifie alors tout cela ? Cela montre simplement que le chaos
peut s’installer n’importe où aux États-Unis, compte tenu de l’attitude
de la police américaine, partout la même, le doigt sur la gâchette, peu
importe la ville ou l’État.
Les
autorités elles-mêmes se sont rendu compte que le maintien de l’ordre
public n’était plus possible dans les conditions actuelles. Et qu’il ne
pourrait pas être maintenu en cas d’aggravation de la crise économique,
qui fait partie de la réalité malgré la rhétorique sur la soi-disant
reprise américaine. La réponse du pouvoir en place ne se conjugue
cependant pas en « plus de démocratie », mais en « plus de technologie
», plus de « SWAT » (Special Weapons and Tactics –
NdT), plus de Robocops. Autrement dit, une police toujours plus
hostile, envahissante, militarisée, de moins en moins capable
d’intelligence « sociale », et par là, toujours plus dangereuse. Lors
des exercices militaires dénommés Jade Helm 2015 – qui se dérouleront
entre mi-juillet et mi-septembre 2015 – des militaires se mélangeront à
la population civile afin d’identifier d’éventuels ‘’groupes
hostiles’’. Comme le résume bien le site Lantidiplomatico,
cela n’a rien de rassurant : « malgré les démentis officiels de l’armée
qui exclut catégoriquement les lois martiales aux USA, il existe des
manuels opérationnels sur ce sujet, et l’un d’eux a été publié en 2006 et
utilisé à l’École de Police militaire de Fort McClellan ; il contient
les directives pour contrer d’éventuelles insurrections civiles. »
En attendant, à Baltimore, des milliers de soldats de la Garde nationale ont été envoyés, précédés de dizaines de gros 4×4 ‘’humvees’’ blindés.
Au cours des deux dernières années du mandat de l’actuel président
noir, Barack Obama, la question afro-américaine semble devoir peser de
tout son poids, en particulier avec la campagne électorale qui vient
tout juste de commencer.
La tendance générale n’est pas celle de l’installation de nouveaux
droits civils, à Baltimore pas plus que dans le reste des États-Unis. Le
système de Washington semble plutôt enclin à utiliser ce climat
d’embrasement général pour justifier de nouvelles étapes vers plus de
surveillance / contrôle / répression, dans la continuité de la ligne
politique adoptée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Les
lois PATRIOT ACT, les nouvelles lois liberticides, et le système
totalitaire de surveillance révélé par le scandale du Datagate ne
donnent finalement qu’un avant-goût de cette nouvelle stratégie de la
tension.
Traduction : Christophe pour ilFattoQuotidiano.fr
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