Selon les aveux des suspects arrêtés après l’opération, 4 cellules terroristes avaient préparé l’attaque qui a été ordonnée par Lokmane Abou Sakher, le chef de la brigade Oqba Ibn Nafaa, tué lors de l’opération menée par les forces spéciales de la Garde Nationale
à Gafsa. Chaque cellule avait une mission bien précise. Leurs membres
ignoraient l’existence des autres cellules et de leurs missions. Un mode
opératoire démontrant la nature avancée des stratégies utilisées par
les terroristes.
Les cellules au nombre de 4 sont :
- La cellule de surveillance dont la mission est de guetter les mouvements de sécuritaires chargés de surveiller les entrées de l’ARP et du musée du Bardo
- La cellule logistique chargée d’acheminer les armes et munitions ainsi que les moyens de transport
- La cellule d’exécution composée par les deux terroristes qui ont ouvert le feu sur les touristes
- La cellule de retrait chargé d’assurer la fuite des terroristes après l’opération
- La cellule de surveillance dont la mission est de guetter les mouvements de sécuritaires chargés de surveiller les entrées de l’ARP et du musée du Bardo
- La cellule logistique chargée d’acheminer les armes et munitions ainsi que les moyens de transport
- La cellule d’exécution composée par les deux terroristes qui ont ouvert le feu sur les touristes
- La cellule de retrait chargé d’assurer la fuite des terroristes après l’opération
La même source révèle qu’une niqabée, la femme du terroriste recherché Maher Gaïdi, était en contact avec les chefs de chaque cellule pour coordonner leurs opérations. Elle-même a été mise au courant du plan complet de l’attaque quelques jours seulement auparavant.
Son conjoint, le terroriste Maher Gaïdi, était selon les aveux des suspects, celui qui avait supervisé toute l’opération. Muni d’une voiture de marque Renault (Symbol noire), il avait acheminé les armes le jour de l’attaque jusqu’au musée du Bardo. Les deux exécutants, Yassine Laabidi et Jaber Khachanoui, les armes à la main, ont attendu à l’entrée du musée que l’agent de garde aille au café pour entrer et faire un carnage.
Mondher Kilani : djihadisme et classes sociales
Dans de précédents articles [1] , nous avons expliqué comment les islamistes recrutent les djihadistes (hommes et femmes pour la prostitution halal [2]). Dans ce qui suit, l’anthropologue
Mondher Kilani donne une explication complémentaire et pertinente : le
djihadisme est une affaire de classes sociales.
Cet attentat contre le musée du Bardo a
attiré l’attention sur la proportion relativement élevée de Tunisiens
engagés dans le djihadisme international. Comment expliquer cette
situation alors même que ce pays est le plus libéral de la région et que
sa révolution est la seule des «Printemps arabes» à avoir réussi? A
l’inverse, qu’en est-il de l’Arabie saoudite, dont l’idéologie
officielle est le fondamentalisme islamiste qu’elle ne cesse d’exporter,
mais où la proportion des djihadistes est moindre?
Les Saoudiens sont
généralement des idéologues ou des contributeurs financiers, ils sont
rarement en première ligne, là où le djihadiste agit en direct.
Autrement
dit, le djihadisme est aussi une affaire de classes sociales. A part
quelques «cadres», la plupart des djihadistes tunisiens constituent
plutôt la piétaille du mouvement. Leur profil social correspond aux
déclassés, aux déçus dans leur aspiration sociale, en quête d’une
identité ou d’une reconnaissance, indépendamment de leur degré
d’instruction. Les mouvements djihadistes, qui disposent de moyens
considérables, représentent un attrait non négligeable pour ces jeunes.
Ils leur offrent des ressources matérielles (salaire supérieu à 1000$ ), mais aussi une forme de
«revanche» sur la société qui les a «délaissés», «ignorés» ou
«méprisés». Ils leur proposent également l’aventure, la puissance, le
pouvoir sur la vie et sur la mort, la publicité et in fine la promesse du paradis.
L’adhésion
au djihadisme résulte de trajectoires où la détresse psychologique et
sociale est prégnante. Les problèmes sociaux – chômage, marginalisation,
précarité économique, frustration – n’ont pas disparu comme par
enchantement après la révolution. Certes, tous ces profils n’aboutissent
pas à cet engagement – beaucoup de jeunes tentent par exemple le départ
clandestin vers l’Europe pour changer de vie –, mais la rencontre de
certains d’entre eux avec l’idéologie du djihadisme s’avère décisive.
Les
activistes djihadistes ont essaimé en Tunisie dès le lendemain de la
révolution. On y a assisté à une volonté de «réislamisation» de la
société tunisienne de la part des milieux fondamentalistes, sous le
regard bienveillant ou avec la complicité active de plusieurs secteurs
du mouvement islamiste Ennahda, alors à la tête du gouvernement
provisoire. Plusieurs prédicateurs venus du Moyen-Orient, ainsi que des
prédicateurs islamistes locaux, ont allumé les esprits et semé l’idée de
la «guerre sainte» contre les «mécréants», principalement les «mauvais
musulmans».
Parallèlement, une tentative de contrôle du
corps de la société a submergé le pays: ligues pour la promotion de la
vertu et la répression du vice, imposition du jeûne du ramadan,
condamnation de l’alcool, imams salafistes à la tête des mosquées,
incendies des tombes de saints soufis, appel aux châtiments corporels,
défense du voile et de la polygamie, menaces de mort contre les artistes
et les intellectuels, attaques des locaux des syndicats, agression des
enseignants et occupation des locaux universitaires, etc.
La
galaxie salafiste-djihadiste a endoctriné des jeunes qui ignoraient
tout de cet islam hyper simplifié, mais présenté comme l’«islam des
origines». La Tunisie a été déclarée «pays de guerre» par certains
groupes djihadistes, dont le mouvement Ansar Al-Charia à l’origine de
l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis en 2012.
L’expérience
démocratique de la Tunisie gêne.
Différentes forces ne désirent pas
qu’un tel modèle réussisse. Toutes les raisons y concourent: un État et
des institutions publiques qui fonctionnent, le statut émancipé de la
femme, des expressions culturelles et artistiques diversifiées, des
mouvements sociaux larges et affirmés. Cette vigueur de la participation
citoyenne, cette puissance de l’activisme social ne se sont pas
démenties au lendemain de l’attentat. Les différentes composantes de la
société (syndicats, organisations professionnelles, partis politiques,
associations) se sont à nouveau réunies dans une coalition pour appeler
au refus de la violence et à l’approfondissement de l’expérience
démocratique. Parmi eux, nombreux les jeunes qui s’étaient engagés pour
la révolution et qui continuent, malgré tous les obstacles, à le faire
en se souciant de créativité et d’émancipation.
David Thomson : «L’État islamique a décidé de faire de la Tunisie sa cible»
INTERVIEW – Dans son dernier numéro, le magazine de l’EI en anglais
Dabiq revient sur les attentats du Bardo et interviewe le djihadiste
franco-tunisien Boubakar El Hakim. Décryptage avec le spécialiste de la
Tunisie David Thomson.
Question: Le numéro 8 de Dabiq, le magazine de l’Etat islamique en
anglais affiche en Une la mosquée de Kairouan en Tunisie. Quel est le
message?
DAVID THOMSON: L’image ne doit rien au hasard. La grande mosquée de
Kerouan, appelée Oqba Ibn Nafi du nom de son fondateur, un chef
militaire propagateur de l’islam au temps des Omeyades, est un symbole
de l’islam tunisien. Kerouan est même considérée comme la 4ème ville
sainte de l’islam par certains musulmans. Le message est clair: l’Etat
islamique a décidé de faire de la Tunisie sa cible.
Pourquoi?
L’Etat islamique reproche à la Tunisie la même chose qu’aux pays
musulmans engagés dans la transition démocratique: avoir pactisé avec le
diable- l’Occident. La Tunisie est d’autant plus vulnérable qu’elle est
le pays qui a le plus grand nombre de ressortissants djihadistes
engagés en Syrie, Irak (3000 sur place et 500 retours selon les chiffres
officiels) et en Libye (plusieurs centaines). Les djihadistes espèrent
faire dérailler ce processus de transition démocratique en semant le
chaos à la faveur duquel prendre le pouvoir. Deux moyens s’offrent à eux
pour cela: assassiner des personnalités politiques ou s’attaquer aux
touristes qui font vivre l’économie du pays.
Comme lors de l’attaque du musée du Bardo…
Dans ce numéro de Dabiq, l’Etat islamique réaffirme que c’est lui qui
a ordonné et planifié cette attaque contre les touristes du Bardo,
baptisés «croisés». Ils expliquent qu’ils ont envoyé deux tunisiens
entrainés par leur branche libyenne. Une version qui vient contredire
celle des autorités tunisiennes. Le gouvernement tunisien a en effet
préféré attribuer l’attaque du Bardo à la branche tunisienne d’AQMI
(Al-Qaïda au Maghreb), qui n’a pourtant pas commis d’attentats contre
les civils depuis 2012. Pour la Tunisie, il y a une difficulté à
reconnaitre que l’État islamique est présent sur son sol. D’une part
parce que le gouvernement vient de tuer le chef militaire de la brigade
tunisienne d’AQMI, et veut démontrer son efficacité aux lendemains des
attentats. D’autre part parce qu’il y a une réticence à reconnaitre la
présence d’un groupe djihadiste dont la stratégie est d’attaquer les intérêts occidentaux et le tourisme, un des poumons de l’économie
tunisienne.
Boubakar El Hakim a un parcours révélateur. Né en France, dans le
XIXème arrondissement parisien, il était membre de la même filière que
les frères Kouachi [3] , celle des Buttes-Chaumont. Parti en Irak en 2003
combattre les Américains, il est arrêté en Syrie et renvoyé en France où
il écope de sept ans de prison. Libéré en 2011 juste après la
révolution tunisienne, il rejoint immédiatement le groupe djihadiste
tunisien Ansar-al-Charia. Il organise trafics d’armes et camps
d’entrainement avec la Libye, depuis la Tunisie. Dans l’interview, il
affirme avoir rejoint ensuite le maquis tunisien, puis via la Libye, la
Syrie, où il joue aujourd’hui un rôle clé au sein de l’Etat islamique.
Comme le pensaient les autorités tunisiennes, il confirme avoir
participé au commando qui assassiné Chokri Belaïd et affirme avoir porté
le coup fatal à Mohamed Brahmi, deux opposants de gauche à Ben Ali
assassinés pour, dit-il, «semer le chaos» et faire dérailler le
processus démocratique.
Comment l’Etat islamique considère-t-il Ennhada, le parti islamiste tunisien issu des Frères musulmans?
Comme Fajr Libya, la coalition de milices qui a pris le pouvoir à
Tripoli, les islamistes politiques d’Ennhada sont considérés par l’Etat
islamique comme des ennemis qui méritent la peine de mort. Ils les
accusent d’être des «apostats qui ont rejoint la religion de la
démocratie». Les apostats, dans leur conception de l’islam, sont
considérés comme pires que des mécréants, car ils ont «cru puis mé-cru».
«La Charia seule doit gouverner l’Afrique», titre le magazine de
propagande. L’Afrique est-elle devenue le nouvel horizon de Daech?
En Irak et en Syrie, l’État islamique, même s’il reste fortement
ancré dans certaines grandes agglomérations, a vu sa progression stoppée
par l’intervention de la coalition. Depuis un an, l’EI développe donc
sa stratégie africaine, surtout en Libye, où des combattants de Syrie et
d’Irak ont été envoyés pour faire souche. Désormais, l’EI affiche son
ambition de «se développer et s’étendre en Afrique». Boko Haram au
Nigéria, qui leur a fait allégeance, en est l’exemple.
La Libye est devenue une zone d’émigration de substitution pour ceux
qui ne peuvent pas se rendre sur les terres historiques du califat. L’EI
plaide pour un «djihad de proximité»: si vous ne pouvez-vous rendre en
Irak ou en Syrien, rendez-vous en Libye!