Je viens de rentrer d’une semaine à Bamako, où j’ai travaillé avec
des Maliens, des Nigériens et des Mauritaniens, sur des questions de
lutte anti-terrorisme. J’étais accompagné là-bas par une collègue belge
et un collègue espagnol.
Militaire français en opération au Mali |
Dans le petit hôtel « le Campagnard », où nous étions logés et où se
déroulaient nos réunions, la télévision, comme souvent en Afrique était
allumée toute la journée. La chaîne France 24, chaîne chargée de faire
connaître le rayonnement de la France, diffusait plusieurs fois par
jour, un petit clip d’une minute où l’on pouvait voir toute une
succession de personnes, de toutes origines ethniques, portant une
pancarte « je suis Charlie ». A la fin, ça devenait énervant, même pour
moi. Cela l’était encore plus pour mes amis africains. Depuis la
parution du dernier numéro de Charlie Hebdo, vendu à plusieurs centaines
de milliers d’exemplaires, à des collectionneurs opportunistes et à des
gens sincères, encore sous le coup de l’émotion, les Musulmans
d’Afrique noire sont de moins en moins Charlie et de plus en plus
Coulibaly.
Ils ne sont pas pour autant complices des djihadistes, dont ils
subissent tous les jours les atrocités, dans l’indifférence générale de
tous les Charlies, partis depuis en vacances de neige, mais ils n’aiment
pas que l’on se moque de leur Prophète.
Évidemment, ils ne sont pas assez développés, ni instruits, ni
tolérants, pour apprécier à leur juste valeur les subtilités de la
laïcité à la française, de la liberté d’expression et du droit au
blasphème germanopratin. Moi non plus d’ailleurs, mais c’est normal
étant donné que j’ai passé toute ma vie à essayer, comme «l’adjudant
Kronenbourg, soldat à la solde du grand capital», de défendre mon pays
et de permettre à ceux de Charlie, qui au fond, me haïssaient, de le
faire en toute liberté.
Il n’empêche que grâce à tous ces bien-pensants, les trois abrutis
qui ont assassiné les journalistes de Charlie Hebdo, puis les clients du
magasin casher de la porte de Vincennes, ont atteint leur but au-delà
de tout ce qu’ils avaient pu imaginer dans leurs petites têtes de
crapules, rattrapées par la foi.
Le chef d’état du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, doit, rappelons-le,
son élection à l’appui du Président du Haut Conseil Islamique de son
pays, l’Imam wahhabite Mahmoud Dicko. Il a, je suppose, dû être
fortement convaincu de venir à Paris le 11 janvier, pour manifester sa
solidarité au nom de ce qu’il doit à la France et à ses amis
socialistes. Il est désormais complétement discrédité. Son peuple,
depuis la parution du dernier Charlie, lui reproche sa complicité avec
les blasphémateurs.
France 24 le lui rappelle toutes les deux heures.
Le chef d’état du Niger, Mahamadou Issoufou, de la même obédience, et
en difficulté face à son opposition, mais aussi face à la menace venant
de Libye, du Mali et de Boko Haram, a également dû être convaincu par
les conseillers de l’Elysée qu’il serait bien qu’il vienne aussi défiler
à Paris. Que pourrait-il refuser à Paris dans la situation où il se
trouve ? Manque de chance, depuis la sortie de la dernière caricature du
Prophète, son peuple l’assimile aux blasphémateurs, aux Chrétiens, aux
blancs, aux occidentaux, donc aux Français. Le peuple a d’ailleurs réagi
plus violemment qu’au Mali. Les manifestations ont fait plus de dix
morts, tous musulmans. 25 églises ont été détruites, le centre culturel
français de Zinder également, ainsi que le restaurant « le Toulousain »
de Niamey. C’est dans ce petit restaurant, tenu par un Français,
qu’avaient été enlevés, par les djihadistes en janvier 2011, deux jeunes
Français retrouvés morts le lendemain par nos forces spéciales, près de
la frontière malienne. Au Niger aussi, France 24 rappelle toutes les
deux heures que nous sommes Charlie.
Et deux de chute, Messieurs les Présidents.
Dans la rue à Bamako, certains vous disent qu’ils sont Coulibaly. Il
faut dire que ce patronyme est plus courant là-bas que celui de Charlie.
Coulibaly de France, tu n’es pas mort pour rien.
Ma collègue Belge, qui s’était aventurée de l’autre côté de la rue,
devant l’Institut National de Formation Judiciaire de Bamako, où un
certain Moussa Coulibaly (encore un) avait fort bien organisé une
formation sur « les menaces terroristes pesant sur le Sahel et les
moyens d’y faire face », avec notre appui, a été prise à partie par un
septuagénaire en boubou, affichant une belle barbe blanche de notable.
Ce dernier s’est proposé à deux fois de la gifler, la prenant pour une
Française. Il déclarait avoir servi dans l’armée française, et
reprochait à notre pays de tout manipuler au Mali, et en particulier son
Président, qu’il qualifiait de marionnette. Il lui a annoncé que tout
cela finirait très mal pour nous. C’est la première fois, en 45 ans de
fréquentation de l’Afrique noire, que je constate ce type de menace,
surtout de la part d’un vieil homme qui n’avait rien d’un fou, et
s’exprimait très clairement.
Bravo Charlie.
J’ai longuement discuté avec un officier de gendarmerie Nigérien,
amoureux de la France et des philosophes français. Comme Musulman, il ne
comprenait pas que l’on puisse continuer à soutenir ceux qui avaient
humilié son prophète. Il sortait de cette affaire, très admiratif des
Américains, qui avaient refusé de montrer à la télévision la caricature
du dernier Charlie.
Merci France 24.
J’ai également longuement discuté avec un serveur de mon petit hôtel.
Il était licencié en histoire et avait passé plusieurs années en Côte
d’Ivoire, où il connaissait très bien tous les anciens petits chefs
rebelles, désormais au pouvoir. Il ne m’a pas vraiment dit ce qu’il
avait fait là-bas. Il avait renoncé à trouver un poste dans l’éducation
nationale malienne, ou dans une autre administration, car la corruption
est telle qu’il est impossible pour un pauvre gars comme lui de pouvoir
être retenu. Il a conclu son propos en disant que son seul recours
désormais était Dieu (lire Allah). D’après l’officier de gendarmerie
nigérien, cet homme est mur pour basculer.
Encore un effort Charlie.
Un officier de gendarmerie français m’a dit qu’il avait demandé aux
deux femmes qui travaillent à son domicile de venir désormais voilées,
car on leur avait lancé des cailloux pour les punir de travailler chez
lui.
Bravo la France.
J’ai aussi rencontré un officier français à la retraite, installé au
Mali depuis plus de vingt ans, marié à une Malienne, et qui m’a confié
que sa femme, musulmane, avec laquelle il avait deux enfants, chrétiens,
passait, depuis peu, beaucoup plus de temps à faire ses prières.
Continue Charlie.
Ils croient tous là-bas que nous sommes Charlie. Du coup ils sont de
plus en plus Coulibaly et en arrivent à admirer les Américains. C’est un
comble.
Bref, j’ai passé une excellente semaine.
Merci pour ce moment.
Par le général Pierre Michel Joana
(revue de presse : marechalunjour.unblog.fr – 23/02/15)*
(revue de presse : marechalunjour.unblog.fr – 23/02/15)*
Source : http://marechalunjour.unblog.fr/2015/02/23/france-afrique/
http://marechalunjour.a.m.f.unblog.fr/files/2015/02/merci-pour-ce-moment.pdf