Le cours donné par Vladimir Poutine en début d'année
scolaire a soudainement attiré l'attention des médias occidentaux en provoquant
une véritable hystérie de l'autre côté de l'océan.
Les médias américains ont présenté les propos du chef
de l'Etat russe, disant que celui qui sera le leader en matière d'intelligence
artificielle (IA) sera le seigneur du monde, en une image apocalyptique de
meurtres impitoyables qui seront perpétrés par «l'IA russe» sur les champs de
bataille, sans s'empêcher de se laisser aller à des fantaisies pour montrer
avec quelle efficacité travaillera alors la propagande poutinienne robotisée sur
les réseaux sociaux américains.
Elon Musk a jeté de l'huile sur le feu en citant Poutine dans le
contexte de sa campagne d'attisement de l'hystérie autour des recherches dans
le domaine de l'IA, après quoi des journalistes et des analystes ont exigé en
chœur que la menace de l'usage de l'IA par la Russie soit prise très au
sérieux.
Et un jour on assistera certainement dans le
champ médiatique à des appels à décréter des sanctions contre la Russie pour
contrer cette nouvelle menace pour la démocratie mondiale et les valeurs
libérales.
Il est à noter que les médias américains, par exemple
CNN, tentent de rassurer les lecteurs tout en les effrayant.
On parvient à créer un tel effet en combinant deux
thèses. La première: la Russie a énormément de retard sur les USA et la Chine
dans le domaine des recherches avancées sur l'IA et, par conséquent, les
élaborations russes en la matière seront «médiocres». La deuxième: l'IA russe
compensera sa «stupidité»par sa cruauté absolue et l'absence de limites
morales. A titre d'exemple positif on cite la doctrine américaine
interdisant de concevoir des armements entièrement autonomes capables de
prendre eux-mêmes des décisions sur l'usage de la force létale.
Ainsi, à titre de preuve de la mauvaise intention de
la Russie est sous-entendue l'absence de telles restrictions au ministère russe
de la Défense. En outre, CNN construit pour le lecteur une chaîne logique: la
Russie est un pays avec une population qui se réduit et une économie mourante,
et donc le «dirigeant autoritaire Poutine» s'efforcera de compenser ces
problèmes par la «cruauté dans l'exploitation des nouvelles technologies».
Entendre des admonestations sur l'usage moral des nouvelles technologies de la
part des propagandistes d'un pays qui a bombardé Hiroshima et Belgrade et qui a
utilisé l'arme chimique au Vietnam est à la fois ridicule et répugnant, mais il
faudra s'y habituer. A la liste des crimes mythiques de la Russie envers la
communauté internationale s'ajoutera bientôt la mise au point de méthodes
malsaines d'utilisation des technologies informatiques, sauf que les «hackers
russes» céderont la place aux «robots russes» dans les actualités et les
scandales diplomatiques.
Les partenaires américains sont particulièrement
préoccupés par la perspective de l'utilisation de la «propagande
robotisée»contre les USA laquelle, du point de vue des politologues et des
experts américains, a déjà prouvé son efficacité. Dans le champ médiatique
russe est passée pratiquement inaperçue la nouvelle scandaleuse sur les
audiences au congrès concernant l'influence de «bots de propagande» russes sur
la politique et l'économie américaines. Dans le cadre de ces audiences
l'experts en sécurité informatique et ex-agent du FBI Clint Watts a déclaré aux
sénateurs que les «bots» russes, malgré un niveau d'automatisation très
primitif, ont déjà réussi à influencer la perception par les Américains des
nouvelles importantes et ont même été capables d'influencer le prix des actions
des compagnies américaines en bourse.
Il n'est pas exclu que le prochain crash de Wall
Street sera expliqué par les agissements de robots russes et de la panique des
investisseurs inspirée par Moscou sur les réseaux sociaux.
Dans le contexte de l'efficacité de la propagande
robotisée russe le journaliste de CNN écrit que «les renseignements
poutiniens disposent d'une technologie IA capable de créer le flux de
propagande et de mensonge le plus efficace de toute l'histoire».
Manifestement les collègues américains sont simplement jaloux.
Le journaliste de l'agence de presse Bloomberg a
trouvé une autre raison d'envie et d'inquiétude en décrivant les recherches
militaires russes dans le secteur d'utilisation de l'IA en notant également que
l'armée russe organise déjà des expériences avec l'organisation réseaucentrique
des activités militaires en Syrie. La conclusion de cet article n'est pas
rassurante — en dépit du retard dans les technologies civiles et les
restrictions qui frappent les compagnies commerciales russes, il existe de
sérieux progrès et un grand potentiel dans le secteur militaire prioritaire en
Russie.
Dans ce contexte la Russie doit prendre très au
sérieux les initiatives d'Elon Musk qui, le mois dernier, a prôné la mise au
point d'une nouvelle convention de l'Onu interdisant les recherches dans le
domaine de l'armement robotisé. Elon Musk a déjà été rejoint par une centaine
d'activistes et d'hommes d'affaires influents représentant essentiellement les
USA et d'autres pays de l'Otan.
Il est fort probable que comme dans le cas de la
campagne pour interdire l'usage de l'énergie nucléaire en UE et au Japon nous
assistions à une tentative typique de cimenter l'avantage technologique des USA
sous un prétexte humanitaire ou environnemental. Il ne fait pas l'ombre d'un
doute que les USA, même en cas de signature d'une telle convention, ne
cesseront pas leurs recherches en la matière, tout comme il ne fait aucun doute
que la campagne hystérique d'Elon Musk sera utilisée pour exercer une pression
médiatique, politique, puis, probablement, de sanctions sur les pays qui ne
voudront pas quitter délibérément la course à la domination technologique dans
le domaine de l'IA. Même l'agence Bloomberg reconnaît que la Russie ne sera pas
la seule à s'opposer à l'idée des partisans d'interdire la conception de robots
de combat. La Chine et l'Inde n'accepteront certainement pas non plus de se
rendre à la merci des USA. Cela signifie que les futurs problèmes des pays
occidentaux, notamment des USA, seront de plus en plus expliqués par les
manigances des robots russes travaillant dans le domaine de la propagande, de
l'espionnage ou des opérations militaires.
Ce n'est pas une raison de suspendre les recherches ni
qui plus est présenter des excuses. Dans le cas présent il vaut mieux être que
paraître, et plus les lansquenets robotisés russes pour les guerres
informatiques et conventionnelles seront efficaces, mieux c'est. Et quand (et
si) sera créée une IA russe à part entière, il faudra obligatoirement y connecter
un module de bon sens de l'humour, car même une IA d'origine russe n'appréciera
pas de lire ce qu'écrivent à son sujet les journalistes et les experts
occidentaux.
Vaut-il mieux une intelligence artificielle ou une bêtise naturelle ?
Pour François Geuze, il serait presque normal de renvoyer ces deux
concepts dos à dos. Pourquoi ? Parce que l'IA n'est peut être pas aussi
intelligente que l'on croit. Mais surtout parce qu'elle sert d'alibi à
notre incapacité à imaginer des systèmes et processus qui sachent allier
performance, anticipation et altruisme.
Facile alors de dire que
la Machine saura mieux faire que nous... Facile aussi de lui rejeter la
faute de la suppression de nos emplois... Facile aussi de nous
déculpabiliser en nous présentant comme victime.
Il est grand
temps de se ressaisir, de retrouver du professionnalisme, surtout pour
ceux qui, en agissant en "suiveur", précipiteront leur propre perte
Quand l’intelligence artificielle favorise l’idiotie. Par François Gueuze
Portée
par la force des réseaux et des techniques de la communication moderne,
l’on a l’impression que l’intelligence artificielle est partout et dans
tous les esprits, et devient alternativement le saint Graal de la
performance future de nos organisation ou le pandémonium ou nous tous,
pauvres damnés de la terre, tournons autour de l’ange déchu de
l’entreprise…
L’intelligence artificielle a cela d’étonnant qu’elle est
souvent décrite comme simulant le fonctionnement de l’esprit humain
alors que dans les faits ce n’est pas le cas.
Définir l'intelligence artificielle
Nous avons tout d’abord beaucoup de difficultés à définir ce qu’est
l’intelligence (humaine). Une définition intéressante étant que
l’intelligence serait ce que l’on fait quand on ne sait pas, si l’on
retient la petite phrase de Jean Piaget dans son ouvrage "6 études de
psychologie".
Alors comment formaliser l’intelligence artificielle ?
Comment donner corps à quelque chose que l’on ne connaît pas et dont le
fonctionnement et les arcanes restent mystérieux ? C’est assez simple :
on simule …
Prenons les exemples des jeux de go ou d’échecs. Les programmes arrivent maintenant à battre les meilleurs joueurs du monde.
Sont-ils intelligents ? Non.
En dehors de ce pour quoi ils ont étés conçus, ils ne savent rien faire.
De plus, leur conception n’a pas tenté de simuler le fonctionnement de
notre intelligence. Ils abordent les problèmes de manière différente,
radicalement différente. A titre d’exemple, prenons un jeu de labyrinthe
et comparons le fonctionnement humain et le fonctionnement d’un
algorithme (1).
Voici un même labyrinthe et la manière dont un être humain et une machine abordent le problème (fig 1 et 2) :
L’être humain « voit » naturellement le chemin direct alors qu’en utilisant un algorithme tel que celui de la « main droite »
la machine suit les murs (on laisse sa main droite longer le mur en
permanence – cela marche également avec la main gauche), quitte à
prendre plus de temps. Dans le cadre de ce premier labyrinthe l’être
humain est sans contestation vainqueur, mais dans ce second labyrinthe
(fig. 3) cela risque d’être plus disputé. Toutefois, parler
d’intelligence est ici, vous en serez d’accord, quelque peu exagéré.
Alors l’apocalypse est-elle pour bientôt ? Le
soufflet de l’IA pour tout et n’importe quoi va-t-il retomber comme
celui des systèmes experts à la fin des années 80 ? Bien malin qui peut
le dire …
Certains prévoient des systèmes « intelligents » d’ici une trentaine
d’année (pour ainsi dire une éternité au regard de l’emballement du
temps dans l’entreprise), d’autres les voient comme plus lointains
encore, pendant qu’un certain nombre, s’emparant du concept et le
tordant dans tous les sens, nous vendent des programmes qui automatisent
certaines tâches qui jusqu’à présent étaient faites par des
collaborateurs. Automatisent, parfois en améliorant les résultats, mais
automatisent sans la moindre intelligence.
(1) La règle de la main droite (ou de la main gauche) est en la
matière assez ancienne. Depuis d’autres algorithmes ont été élaborés
pour résoudre les problèmes de labyrinthes, ils sont toutefois moins
accessibles dans le cadre d’un article de vulgarisation tel que
celui-ci.