Plus d’un
demi-milliard de dollars pour des fausses vidéos jihadistes. Selon les enquêteurs du Bureau of
Investigative Journalism, un collectif britannique de journalistes, le Pentagone aurait dépensé cette somme
astronomique entre 2006 et 2011, dans le cadre d’une guerre de communication
menée en Irak.
C’est la
célèbre société britannique de communication et de relations publiques Bell
Pottinger, à la réputation sulfureuse,
qui a bénéficié des largesses américaines (120 millions de dollars par an) pour
produire les contenus de ce programme de propagande classé "top
secret".
Un ancien
salarié de l’entreprise, Martin Wells, a révélé aux Bureau of Investigative
Journalism, les dessous de cette campagne, qui ont été publiés dimanche 2 octobre
par The Daily Beast et le Sunday Times.
Pistage
par CDs espions
Le
réalisateur de vidéos a ainsi expliqué que la société, qui était chargée
officiellement en 2004 de "promouvoir les élections démocratiques" en
Irak, a en réalité produit plusieurs types de contenus supervisés par des
militaires américains.
Outre des
clips publicitaires anti-Al-Qaïda (la nébuleuse était en premières lignes de l'insurrection
contre la présence américaine en Irak), il affirme que des
reportages vidéos ont été produits et montés de manière à faire croire qu’il
s’agissait "de productions de télévisions arabes". Ils étaient
destinés à être vendus puis diffusés localement et régionalement par des
chaînes arabes, sans préciser que l’armée américaine était en réalité le
commanditaire des productions.
Enfin, et
c’est selon lui la partie la plus "sensible" du programme, la société
Bell Pottinger, qui a employé jusqu’ à 300 personnes en Irak, aurait également
fabriqué de fausses vidéos de propagande siglées Al-Qaïda, dans l’unique but de
piéger et de traquer les personnes qui les auraient visionnées.
Car les
vidéos, gravés sur des CDs, étaient encodées de manière à ce qu’elles soient
obligatoirement connectées à Internet lors du visionnage, et ce, afin de
localiser l’ordinateur utilisé grâce à son adresse IP, via Google Analytics. Il
a notamment précisé que les fausses vidéos jihadistes étaient abandonnées par
les forces américaines lors de perquisitions en Irak.
Martin Wells
explique que certains de ces CDs se sont retrouvés en Iran, en Syrie et même
aux États-Unis. Il s’agissait-là, selon lui des cas les plus recherchés,
"car si, au bout de 48 heures, ou d’une semaine, un CD était visionné dans
un autre coin de la planète, alors là cela devient plus intéressant (…), car
cela vous offrait une piste". Selon lui, la société Bell Pottinger rendait
compte des résultats de l’ensemble de son programme au Pentagone, à la CIA et
au Conseil de sécurité national américain.
Un
jeu dangereux ?
Si le
Pentagone a confirmé avoir eu recours aux services de la société Bell Pottinger
durant cette période en Irak, le Bureau of Investigative Journalism n’apporte
aucune information sur les résultats éventuels de ce pistage par CDs espions.
Ces
révélations trouvent un écho particulier aujourd’hui, quelques années après les
faits, dans le sens où nombreux sont les experts des mouvances jihadistes qui
affirment qu’une part importante du processus de radicalisation individuel
passe par le visionnage de vidéos de
propagande.
Même si, à
l’époque, nul ne pouvait prévoir l’importance qu’allait prendre ces dernières
années la production et la diffusion via les réseaux sociaux de tels contenus
par des groupes comme l’organisation État islamique
(EI), le Pentagone a peut-être, en finançant la production de ces contenus,
indirectement contribué à la promotion d’Al-Qaïda, voire même inspiré des
apprentis vidéastes jihadistes
.
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