Entre ses relations avec la Russie, le Qatar et l'Iran
à la suite de l'affaire Khashoggi, la Turquie se trouve en position de prendre
la tête du monde islamique sunnite, d’autant plus qu’au fur et à mesure
que l’Arabie Saoudite renforce ses liens avec Israël, la Turquie effectue le chemin inverse. La
majorité des musulmans sunnites n’étant pas wahhabites (donc sionistes [1]), il
est à prévoir que la Turquie deviendra rapidement le leader des pays sunnites,
au détriment de l’Arabie, qui massacre allègrement d’autres musulmans au Yémen (plus
de 10000 civils tués et plus 850000 enfants morts à ce jour, d’après l’ONU) pour
leur voler leurs richesses pétrolières.
Cela a été présenté sous la forme d’un message clair
et explicite qui a fait écho dans toute l’Eurasie : Les présidents Erdogan
et Poutine, dans une salle comble à Istanbul lundi, entourés de notables,
ont célébré l’achèvement de la section offshore de 930 kilomètres du gazoduc
TurkStream au fond de la mer Noire.
Ce n’est rien de moins qu’un repère clé dans ce
terrain accidenté que j’ai appelé «Pipelineistan » au
début des années 2000. Il a été construit par Gazprom en seulement deux ans et
demi malgré la pression massive de Washington, qui avait déjà réussi à faire
dérailler le prédécesseur de TurkStream, le South Stream.
TurkStream est projeté sur deux lignes, chacune
capable de fournir 15,75 milliards de mètres cubes de gaz par an. La
première approvisionnera le marché turc. La seconde couvrira 180 km des
frontières occidentales de la Turquie et alimentera le sud et le sud-est de
l’Europe. Les premières livraisons sont attendues d’ici la fin de l’année
prochaine. Les clients potentiels comprennent la Grèce, l’Italie, la
Bulgarie, la Serbie et la Hongrie.
Appelez ça le doublé de Gazprom. Nord
Stream 1 et 2 desservent le nord de l’Europe, tandis que TurkStream
dessert le sud de l’Europe. Les pipelines sont des cordons ombilicaux en
acier. Ils représentent le meilleur de la connectivité liquide tout en
réduisant de manière décisive les risques de frictions géopolitiques.
La Turquie est déjà approvisionnée en gaz russe par
Blue Stream et le gazoduc Trans-Balkan. Fait significatif, la Turquie est le
deuxième marché d’exportation de Gazprom après la Chine.
Le discours d’Erdogan, qui soulignait avec force les
avantages de la sécurité énergétique de la Turquie, a été écouté et rediffusé
dans un Istanbul pluvieux et encombré d’ultralibéraux. Assister à cette percée
géopolitique et géoéconomique a été particulièrement éclairant, car j’étais en train
de discuter de la géopolitique turque avec des membres de la gauche turque
progressiste.
Même l’opposition à ce qui, en Europe, est couramment
défini comme l' « illibéralisme asiatique » d’Erdogan, concède
que la connectivité commerciale entre la Turquie et la Russie – dans le domaine
de l’énergie, dans le domaine militaire par la vente du système de missiles
S-400, dans la construction de centrales nucléaires – a été menée avec une
compétence remarquable par Erdogan qui veille toujours à envoyer directement et
indirectement à Washington des messages selon lesquels les intérêts nationaux
turcs ne seront pas sacrifiés.
Le gros lot : devenir le leader de l’islam
Maintenant, juxtaposez cette entente cordiale entre
l’ours et le (aspirant) sultan avec le drame palpitant d’Istanbul. Ibrahim Karagul – n’ayant jamais peur d’apporter une
touche rabelaisienne – est toujours utile en tant que miroir reflétant l’état
des lieux des cercles AKP autour d’Erdogan.
Pour cette élite politique, une percée dans la « Mort
aux mille fuites orchestrées par Erdogan » est imminente, ce qui
prouverait que Mohammed bin Salman (MBS) a directement ordonné le meurtre et le
découpage de Jamal Khashoggi.
Le consensus parmi les dirigeants de l’AKP – confirmé
par des universitaires indépendants de gauche – est que l’axe US-Israël-Maison des Saoud-EAU est au centre
des négociations visant à dégager le MBS de toute culpabilité.
Cela inclut des éléments clés dans le lourd
« package » qu’Erdogan présente à l’axe, qui consiste essentiellement
à acheter le silence d’Ankara – la fin du blocus saoudien sur le Qatar et
l’extradition de Fetullah Gulen, décrit dans le spectre politique turc comme le
chef du FETO (Organisation terroriste fetullah).
Le Kremlin et le ministère russe des Affaires
étrangères sont bien conscients que le jeu aux grands enjeux va bien au-delà de
la « Pulp Fiction » d’Istanbul et du processus de paix d’Astana pour
la Syrie – soigneusement gérés à la fois par Poutine et Erdogan aux côtés de
l’Iranien Rouhani. Le grand trophée n’est rien de moins que le leadership
du monde islamique.
Il n’y a rien de mieux que quelques arrêts dans
certains lieux emblématiques du pouvoir impérial ottoman, ou une conversation
animée au Old Book Bazaar d’Istanbul, pour se rappeler qu’il
s’agissait du siège de la Oumma islamique pendant des siècles – un rôle usurpé
par ces parvenus du désert arabe.
Alastair Cooke
a parfaitement saisi l’implication
de la Maison des Saoud dans l’assassinat de Khashoggi et la manière dont
cela soulève des questions sur le statut de l’Arabie Saoudite en tant que « simple
gardien de la Mecque et de Médine ». Ceci est en effet propagé dans tous
les médias turcs alignés sur Erdogan. Et Cooke note que ce statut « dépouillerait
le golfe de son importance et de sa valeur pour Washington ».
Mes conversations en cours avec des universitaires
turcs kémalistes progressistes – oui, ils constituent une minorité – ont révélé
un processus fascinant. La machine Erdogan a perçu une occasion unique d’enterrer simultanément
la crédibilité islamique fragile de la Maison des Saoud tout en consolidant le
néo-ottomanisme turc, mais avec un cadre Ikhwan (NDT : Frères Musulmans).
Et c’est la raison pour laquelle Erdogan et les médias
turcs dénoncent sans relâche ce qui est interprété comme un complot concocté
par MBZ [2] (le maître marionnettiste
de MBS), Tel Aviv et l’administration Trump.
Personne ne peut éventuellement prédire la fin de la
partie. Mais elle implique la forte possibilité d’une Turquie dominante
dirigée par Erdogan sur l’ensemble des terres de l’Islam, alliée au Qatar et
aussi à l’Iran. En outre, tous ces pays entretiennent des relations
géopolitiques et économiques très étroites avec la Russie. Attendez-vous à un
grand feu d’artifice.
Traduction Avic – Réseau International
NOTES
L'Arabie es 'elle seulement un état indépendant ?
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