samedi 26 février 2022

Comment le "super menteur" Zemmour déforme l’Histoire (1/5)

À l’heure du soupçon, il y a deux attitudes possibles. Celle de la désillusion et du renoncement, d’une part, nourrie par le constat que le temps de la réflexion et celui de la décision n’ont plus rien en commun ; celle d’un regain d’attention, d’autre part, dont témoignent le retour des cahiers de doléances et la réactivation d’un débat d’ampleur nationale. Notre liberté de penser, comme au vrai toutes nos libertés, ne peut s’exercer en dehors de notre volonté de comprendre. Voilà pourquoi la collection « Tracts » fera entrer les femmes et les hommes de lettres dans le débat, en accueillant des essais en prise avec leur temps mais riches de la distance propre à leur singularité. Ces voix doivent se faire entendre en tous lieux, comme ce fut le cas des grands « tracts de la NRF » qui parurent dans les années 1930, signés par André Gide, Jules Romains, Thomas Mann ou Jean Giono – lequel rappelait en son temps : « Nous vivons les mots quand ils sont justes. » Puissions-nous tous ensemble faire revivre cette belle exigence.  ANTOINE GALLIMARD

Faut-il répondre à Éric Zemmour sur le terrain de l’histoire ? Beaucoup estiment que c’est lui faire trop d’honneur que de discuter ses falsifications et manipulations politiques du passé. Ces arguments sont recevables et, en temps normal, nous aurions préféré traiter ses prises de position par le silence qu’elles méritent. Mais lorsque le torrent de haine et de violence – verbale ou programmée qu’il porte (et qui le porte) déferle dans l’espace public au point d’en faire un protagoniste majeur de l’élection présidentielle, prendre la parole apparaît comme une nécessité pour qui fait de l’histoire son métier. Au fil de ses écrits et de ses nombreuses interventions, Moïse Yéhouda (alias Éric) Zemmour ne cesse de déformer l’histoire, en attaquant la pratique et la parole des historiens et historiennes ou en taxant les programmes scolaires de « propagande antifrançaise ». L’inexactitude est érigée en méthode, la mauvaise foi en moteur de la connaissance ; l’histoire est convoquée comme une « arme politique » au mépris des travaux et des usages scientifiques.

Là où la nuance et le rapport critique aux sources s’imposent comme bases de la méthode historique, dans le but d’établir des faits et de dégager une compréhension des phénomènes passés, le discours zemmourien tord le réel à sa convenance. À partir d’une culture historique à la fois limitée et datée, il construit un récit obsessionnel, qui ramène toute évolution historique à un affrontement entre la France, son essence et ses héros d’un côté, et de l’autre les acteurs de son « déclin » ou de son « suicide », des huguenots aux islamistes en passant par les révolutionnaires ou les féministes. Éric Zemmour prétend proposer une « vraie histoire de France », celle que les élites cacheraient délibérément afin de leurrer le peuple. Mais cette « véritable histoire » est en réalité truffée d’erreurs, d’approximations, d’interprétations abusives ou tendancieuses, quand ce n’est pas de mensonges grossiers. Notre but collectif dans les pages qui suivent est simple. Nous n’entendons pas faire un cours ou traquer de façon exhaustive toutes les bourdes d’Éric Zemmour. Il ne s’agit pas non plus de poser aux redresseurs de torts en proposant une « bonne » version de l’histoire, qui serait moralement ou politiquement correcte. Nous savons, précisément, que la recherche du vrai dans le passé force à la modestie, à admettre une part d’incertitude ou de désaccord interprétatif. Cela dit, même avec la prudence qu’elle exige, la recherche historique établit certains faits de façon définitive. C’est pourquoi il n’est pas acceptable qu’Éric Zemmour maltraite, déforme ou nie des vérités historiques, sur des thèmes souvent essentiels. En présentant une sélection de ses contrefaçons, on pourra démontrer l’imposture sur toutes les périodes et tous les sujets. Plus encore, le discours zemmourien sur l’histoire révèle une vision du monde et du genre humain qu’il convient d’analyser rigoureusement pour en dévoiler le danger. Éric Zemmour se sert de l’histoire pour légitimer la violence et l’exclusion, pour promouvoir une vision raciste et misogyne de l’humanité.

Il fait mentir le passé pour mieux faire haïr au présent... et ainsi inventer un futur détestable.  À ces outrances, nous opposons nos savoirs, collectivement construits, avec fermeté et sérénité.   

Textes écrits par un collectif d’historiens et d’historiennes rassemblant :

Alya Aglan, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, est professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 
Florian Besson, docteur en histoire médiévale, est spécialiste des croisades et des médiévalismes contemporains. Il pilote le blog de diffusion de la recherche « Actuel Moyen Âge ». 
Jean-Luc Chappey, spécialiste de l’histoire des sciences et des savoirs (XVIIe- XIXe siècles), est professeur d’histoire des sciences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 
Vincent Denis, maître de conférences HDR en histoire moderne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’IHMC (UMR 8066 CNRS-ENS-Paris 1), est spécialiste de l’histoire de la France du XVIIIe siècle et de la Révolution.
Jérémie Foa est maître de conférences HDR en histoire moderne à Aix- Marseille Université, membre du laboratoire TELEMMe et de l’Institute for Advanced Study de Princeton. Spécialiste des guerres de Religion, il a dernièrement publié Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint- Barthélemy (La Découverte, 2021).
Claude Gauvard, professeure émérite de l’université Paris 1 Panthéon- Sorbonne, est médiéviste, spécialiste de l’histoire politique et judiciaire du Moyen Âge. Elle a récemment écrit Condamner à mort au Moyen Âge. Pratiques de la peine capitale en France XIIIe-XVe siècle (PUF, 2018).
Laurent Joly, directeur de recherche au CNRS, a publié une dizaine d’ouvrages sur l’extrême droite française, Vichy et la Shoah.
Guillaume Lancereau, docteur en histoire contemporaine, enseignant à Sciences Po Toulouse, est historien de la Révolution française et de son historiographie. Il co-anime le blog d’histoire du XVIIIe siècle « Échos des Lumières ».
Mathilde Larrère, maîtresse de conférences à l’université Gustave-Eiffel, a travaillé sur les questions de citoyenneté et sur les mouvements révolutionnaires du XIXe siècle.
André Loez est historien de la Grande Guerre, professeur en classes préparatoires et producteur du podcast « Paroles d’histoire ». Il a récemment dirigé le livre collectif Mondes en guerre, t. III : 1870-1945 (Passés composés, 2020).
Gérard Noiriel, directeur d’études à l’EHESS, est spécialiste de l’histoire de l’immigration et de l’histoire de la classe ouvrière en France.
Nicolas Offenstadt, maître de conférences HDR à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a notamment travaillé sur la Grande Guerre et ses mémoires.
Philippe Oriol, directeur de Maison Zola-Musée Dreyfus, est spécialiste de l’affaire Dreyfus. Il est, entre autres, l’auteur de L’Histoire de l’affaire Dreyfus de 1894 à nos jours (Les Belles Lettres, 2014).
Catherine Rideau-Kikuchi est maîtresse de conférences en histoire médiévale à l’université de Versailles Saint-Quentin. Elle est spécialiste d’histoire économique et sociale de la fin du Moyen Âge et a travaillé sur la place des étrangers et des minorités dans les métiers du livre en Italie.
Virginie Sansico, docteure en histoire, est spécialiste d’histoire du droit et de la justice. Elle a notamment écrit La Justice déshonorée. Paris 1940- 1944 (Tallandier, 2015).
Sylvie Thénault est directrice de recherche au CNRS. Spécialiste de la colonisation et de la Guerre d’indépendance algérienne, son dernier ouvrage  s’intitule Les Ratonnades d'Alger, 1956. Une histoire de racisme colonial (Seuil, 2022).
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Peut être un dessin animé de une personne ou plus

502 – CLOVIS N’EST PAS OUBLIÉ
« Clovis est désormais jeté dans les poubelles de l ’histoire. Comme un témoin
gênant. » Éric Zemmour, Destin français. Quand l’histoire se venge, Albin Michel, 2018, p. 54. 

Le récit qu’Éric Zemmour propose du baptême de Clovis est truffé d’erreurs, d’imprécisions, d’anachronismes. Mais concentrons-nous ici sur la dernière phrase de ce chapitre : l’accusation selon laquelle Clovis serait désormais « oublié » et, pire, oublié volontairement, jeté « à la poubelle » par de méchants historiens œuvrant contre l’identité française. Il s’agit d’un mensonge assez grossier. Les historiens n’ont en réalité jamais cessé de travailler sur Clovis. La base de données Regesta Imperii, qui permet une recherche par mots-clés dans les travaux d’historiens et d’historiennes médiévistes, ne révèle ainsi pas moins de 109 publications ayant « Clovis » dans le titre depuis 1996, année marquée par de nombreuses commémorations du baptême du roi franc.
Parmi ces travaux, des articles de recherche, analysant
entre autres les armées de Clovis, sa correspondance avec l’évêque Remi, les lois qu’il a émises ; des biographies (de Michel Rouche en 1996 et de Laurent Theis, nouvelle édition en 2015) ; deux gros actes de colloque ayant eu lieu en 1996, qui se penchent respectivement sur le baptême du roi et sur la mémoire de Clovis à travers les siècles ; et, tout récemment, un gros ouvrage de Bruno Dumézil, spécialiste de la période, qui revient sur le baptême du roi.
En 2018, Pauline Mouré soutient même une thèse consacrée à l’image de
Clovis dans le royaume de France entre 1250 et 1550.
Tous ces travaux
convoquent de nouvelles sources, proposent de nouvelles hypothèses – notamment sur le baptême – et enrichissent peu à peu ce qu’on sait du roi mérovingien.
On est loin des poubelles zemmouriennes...
Mais, dira-t-on, ce sont là des travaux
d’universitaires : qu’en est-il du grand public ? Là encore, ni oubli ni damnatio memoriae.
Clovis a droit à un album des éditions jeunesse Quelle histoire
(2016) et à une bande dessinée dans la collection « Ils ont fait l’histoire » de Glénat (2021). On entend longuement parler de lui dans des podcasts (Passion Médiévistes, épisode 12, 2018), des revues grand public (L’Histoire, no 358, novembre 2010), des vidéos de Youtubeurs historiques très médiatisés (Nota Bene, 2021) ou encore des expositions (« Les temps mérovingiens » au musée de Cluny à l’automne 2016-2017, « Le monde de Clovis » au musée royal de Mariemont au printemps 2021).
Clovis est également présent à l’école : il est
par exemple explicitement cité dans le programme d’histoire de CM1. On pourrait accumuler les exemples.
L’idée d’un Clovis « oublié » permet à
Éric Zemmour de chanter une petite chanson décliniste et complotiste, sur le refrain bien connu du « on n’apprend plus l’histoire de France à vos enfants », mais on voit qu’elle est purement et simplement fausse, et que le roi franc n’a jamais été plus présent dans la recherche universitaire comme dans sa diffusion auprès du grand public.

1099 – LA CROISADE N’EST PAS UNE VICTOIRE FRANÇAISE
« La croisade est une immense victoire. Une victoire française. Le salut de l
’Europe chrétienne est venu de France [...] Godefroi de Bouillon était (pratiquement) français. » Éric Zemmour, Destin français, op. cit. p. 68 et p. 71. 

Deux grosses erreurs pour le prix d’une. 

D’abord, la première croisade dont parle ici Éric Zemmour – lancée en 1095 et qui s’achève en 1099 avec la prise de Jérusalem – n’a absolument pas « sauvé l’Europe chrétienne ». Celle-ci n’était en effet pas du tout menacée à l’époque, au contraire même : la première croisade est l’un des éléments de « l’essor de l’Occident », un nouveau dynamisme conquérant qui se manifeste également en Sicile, dans la péninsule Ibérique, dans l’espace slave et balte. En outre, contrairement à ce qu’écrit ensuite Éric Zemmour en parlant de « vague islamique », les conquêtes islamiques sont terminées depuis un bon moment, même si l’arrivée des Turcs seldjoukides a brièvement relancé une phase d’expansion, marquée notamment par la défaite des Byzantins à Mantzikert (1071). Mais c’était en 1071 : depuis, les Seldjoukides se sont divisés en émirats rivaux et ne menacent plus l’empire byzantin. Par conséquent, en 1099, la chrétienté occidentale n’est absolument pas en danger, et n’a donc pas besoin d’être « sauvée ».

Deuxième erreur : affirmer que la croisade est une « victoire française ». Éric Zemmour confond, bien évidemment volontairement, le terme de « Francs » qui désigne souvent les croisés et celui de « Français ». Or les deux ne sont pas synonymes. Il suffit pour le voir de lire les sources : le chroniqueur Foucher de Chartres, qui a participé à la croisade, évoque ainsi « une multitude infinie parlant des langues différentes et venue de pays divers ». Il mentionne bien sûr des Français – le frère du roi des Francs part en croisade – mais également des Anglais, des Bretons, des Lorrains, des Normands, des Flamands, des Gascons, des Bourguignons, des Provençaux, des Goths... Plus tard s’ajouteront des Vénitiens, des Génois, des Castillans, et même des Scandinaves ! Or tous ces peuples ne sont pas « français » et ne se définissent pas comme « français ». Certains, bien sûr, finiront par le devenir, comme les Provençaux ou les Bretons, mais seulement plusieurs siècles plus tard : il est totalement absurde de plaquer sur le XIe siècle des identités qui n’existent pas à l’époque. De même, dire que Godefroi de Bouillon, duc de Basse-Lotharingie et premier souverain du royaume de Jérusalem, est « français » est faux : il ne l’est ni par la langue qu’il parle ni par ses fidélités politiques (puisqu’il est vassal de l’empereur du Saint Empire romain).
Éric Zemmour propose donc une vision nationaliste de
la première croisade, certes parfaitement classique chez les auteurs de droite et d’extrême droite, mais scientifiquement totalement fausse.

à suivre
 
Hannibal Genséric

7 commentaires:

  1. Menteur pour menteur, Macron n'est pas non plus un féru d'histoire.

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  2. Bof... Je ne supporte pas Zemmour non en raison de son extrême "droitisme" mais en raison de son agenda de sayan. Dès lors, empoigner la bombe d'insecticide "anti-fasho" n'est vraiment pas opportun mais d'un conformisme politiquement correct aussi navrant que celui de ceux qui s'opposent à Zemmour.

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  3. La journaliste Kristine Kelly de CNews qui a mis Zemmour au devant de la scène, vient d'être récompensée par une médaille, pour service rendu.

    Ce qui démontre que tout était calculé planifié par des personnes qui sont derrière Zemmour pour le lancer et le mettre au devant, quitte a mentir et racionter n'importe quoi.

    C'est ce qu'il a fait avec excellence, pendant près de deux ans sur CNews, chaine du montage du mensonge et de la manipulation.

    Pendant ces années il n'a fait que bourrer le crane des français, et à répéter la même chose, tout le monde finit par y croire.

    La société française hypnotisée par ce Merlin l'enchanteur des temps moderne, ne réalise pas qu'elle va donner un quitus à un escroc.

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  4. Pourquoi voulez-vous Éric Zemmour comme prochain président français ?? Pourquoi ne pas choisir Bernard Henry-Levy ?? Encore mieux pourquoi pas Jacques Attali, Encore mieux aller chercher Benjamin Netanyahou alors le gouvernement fera des économies sur les appels téléphoniques vers Hell Aviv..

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    1. Très bonne remarque. Les patrons d'Israhell sont les juifs ashkénazes. Pour eux les "juifs arabes" comme Zemmour et Attali sont des sous-hommes, comme le sont les Français d'origine "arabe" pour Zemmour.

      Restent BHL ou Bibi feraient un bon président acceptable pour les "bons" goyim Gaulois et pour leurs patrons ashkénazis.

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  5. Guarneri Salvatore27 février 2022 à 17:57

    D'accord si vous souhaitez encore une fois un élève de Schwab comme président, faut pas voté Zemmour

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  6. vu comment est traitée l'actu visible par toustes, comment savoir pour l'Histoire si ce n'est qu'elle est dès lors abordée par tout un chacun en toute "libre subjectivité" ; si zemmour existe c'est parce qu'il devait y avoir un vide abyssal de citoyens éclairés élitaires qui n'ont pas fait leur boulot de responsabilité.

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