[L]a guerre en Ukraine contribue à
réorienter les flux de la mondialisation.
En premier lieu, les échanges financiers sont perturbés par l’exclusion de la Russie du système SWIFT. Elle favorise l’émergence de systèmes concurrents, encore embryonnaires mais qui montent en puissance, russes (SPFS / Sistema peredachi finansovykh soobscheniy) ou chinois (CIPS) / Cross-Border Interbank Payment System). L’hégémonie financière de SWIFT est attaquée dans une rivalité qui va concentrer des tensions autour de leur vecteur de transit, les fibres optiques sur lesquelles la marine russe est bien équipée pour intervenir.
Ensuite, un nouvel équilibre est recherché dans les flux d’énergie. Malgré les sanctions sévères imposées à la Russie par les États-Unis et leurs alliés, les exportations d’or noir russes augmentent en 2022. Chine et Inde ont profité d’une remise de près de 30 % pour accroître leur approvisionnement en pétrole russe, au détriment du Moyen-Orient qui se rattrape sur l’Europe. L’Union européenne se détourne également du gaz russe pour se tourner vers l’Égypte et Israël, le gaz de schiste américain, le Moyen-Orient et l’Afrique.
Cette reconfiguration des flux exige d’adapter les infrastructures, les raffineries, les usines de liquéfaction et d’ouvrir de nouvelles routes maritimes pour compenser l’inadéquation des oléoducs et gazoducs. Elle requiert un recours accru aux pétroliers et méthaniers dont le besoin et la circulation s’accroissent, augmentant l’insécurité sur les routes maritimes, notamment dans les détroits.
Mais le point le plus sensible est la crise alimentaire, provoquée par les difficultés d’exporter les céréales, crise gravissime car elle touche les besoins vitaux, déstabilise des pays du Proche-Orient et d’Afrique, et ne peut pas se régler avec la planche à billets. Elle fait monter la pression des affamés pour trouver une solution à cette “guerre de riches”, renvoyant dos à dos Russes, mais surtout États-Unis accusés d’abuser de leur place dominante sur le marché des matières céréalières. L’ONU, avec l’aide de la Turquie, déploie des efforts soumis aux exigences russes pour créer un couloir humanitaire permettant d’exporter les céréales en brisant le blocus et l’embargo, à condition de déblayer les mines venant des ports d’Ukraine.
Ainsi, la Russie semble afficher un double ambition, se créer un glacis défensif et accroître son statut de puissance dans la mondialisation par son rôle dans l’OPEP+ et dans les productions céréalières. Dans la tradition du rêve de Pierre Le Grand, elle cherche à devenir un puissance un peu plus maritime, suivant le conseil de l’indémodable Sir Walter Raleigh : “celui qui commande le commerce de la mer, commande la richesse du monde”.
En froid avec l’Europe, elle réoriente vers l’Asie sa politique étrangère pour le monde d’après la guerre d’Ukraine. En témoigne la tournée fin juin du Président russe en Asie Centrale. Alors que l’OTAN poursuit son expansion vers l’Est en Europe, elle vise avec le soutien de circonstance de la Chine et l’Inde à renforcer un bloc sécuritaire et économique avec l’Iran et le Moyen-Orient.
Les puissances qui ont des ambitions maritimes veulent remodeler les mers par des corridors de voies ferrées ou le creusement de canaux, comme le fit l’Occident d’hier avec Panama et Suez. Des projets existent, chinois, turcs, iraniens, en Thaïlande, autour d’Istanbul et ailleurs. La Russie n’y échappe pas, en développant le lien entre la Baltique et l’Océan Indien ou à la Méditerranée par la Mer Caspienne. Elle réactive, encore modestement, le réseau fluvial, appelé corridor Nord/Sud au service de l’expansion vers l’Asie pour relier Saint-Pétersbourg à Bombay en 15 jours.
Elle cherche ainsi à faire un nœud de transport entre l’Inde, la Chine et la Russie échappant à l’Occident, dans la Mer Caspienne qu’elle a reliée par un canal à la Mer d’Azov, d’où elle a évincé l’Ukraine. Elle accroît ainsi son contrôle sur les exportations de céréales. La conquête de la majorité du Sud de l’Ukraine lui permet de se partager avec la Turquie la Mer Noire, mer délaissée par les pays occidentaux depuis la fin de la Guerre froide. Russie et Turquie peuvent ainsi pousser leurs intérêts en y construisant un nouvel ordre régional à l’abri des intrus. La Russie peut ainsi atteindre la Méditerranée, s’ancrer un peu plus à Tartous en Syrie, porte du Moyen-Orient et profiter du coup d’état d’octobre 2021, pour avancer ses pions à Port Soudan, porte orientale de l’Afrique.
Le monde se réveillera du cauchemar ukrainien avec une Russie acteur de la mondialisation, soutenue par une flotte qui restera redoutable, notamment sous la mer.
Ainsi, la Russie cherche avec agressivité à se défendre sur terre et à se répandre en mer, dans un glissement d’intérêt traditionnel pour les steppes du cœur de sa Nation, vers des espaces géoéconomiques plus fluviaux-maritimes. Il reste à ses dirigeants à convaincre la société russe d’aimer la mer et le commerce. Plus le temps passe, plus la tendance se renforcera“.
Par l'Amiral Alain de Dainville , Ancien Chef
d'État-major de la Marine.
08/07/2022
Source : Cercle K2
L’UE embourbée
+ L’acheminement ferroviaire entre Kaliningrad et le reste du territoire russe va pouvoir reprendre. Apparemment, les pressions de Moscou sur la Lituanie et l’Union Européenne, dont on ne connaît pas la teneur, ont été dissuasives.
+ selon le gouvernement ukrainien, un accord serait en vue avec la Russie pour l’acheminement des céréales récoltées en Ukraine et destinées à l’exportation.
+ Lu sur Actualités mondiales et françaises:
“La Hongrie a déclaré l’état
d’urgence énergétique, ce qui implique un certain nombre de mesures pour se
préparer à la prochaine saison de chauffage. Une interdiction est introduite
sur l’exportation de ressources énergétiques, même le bois de chauffage ne peut
plus être exporté du pays.
A partir du mois d’août, les achats de gaz auprès de fournisseurs étrangers
seront augmentés et sa consommation à l’intérieur du pays sera réduite.
En outre, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que la Hongrie ne
soutiendrait pas de nouveaux embargos contre la Russie, en particulier sur le
gaz.
Le directeur de cabinet de Viktor Orban a à son tour noté que la situation
est assez grave, que la pénurie se fera sentir dans toute l’Europe et qu’il y a
déjà une situation de pénurie de gaz pour la période automne-hiver (les stocks
n’ont pas été faits).
Il est étrange qu’en Europe, cela ne soit toujours pas compris.”
+ La Russie a fait savoir que la panique que veulent entretenir les médias occidentaux sur l’arrêt des livraisons de gaz n’a pas lieu d’être. En revanche, Moscou ne comprend pas si les Européens veulent (1) prolonger les contrats au-delà de 2024, leur échéance actuelle; (2) entretenir des relations de standard professionnel avec Gazprom – le géant du gaz n’a toujours pas vu arriver la turbine réparée au Canada.
+ Le Premier ministre tchèque s’est exprimé contre l’inclusion du gaz dans un septième paquet” de sanctions de l’Union Européenne envers la Russie.
ANNEXE
Liste des principaux pays producteurs de gaz naturel dans le monde
D’après l’Agence internationale de l’énergie, en 2020, voici les 10 principaux producteurs de gaz naturel dans le monde :
- Les États-Unis avec 32,67 Ej
- La Russie avec 24,84 Ej
- L'Iran avec 8,33 Ej
- La Chine avec 6,70 Ej
- Le Canada avec 6,49 Ej
- Le Qatar avec 6,24 Ej
- L'Australie avec 5,33 Ej
- La Norvège avec 4,10 Ej
- L'Arabie Saoudite avec 3,38 Ej
- L'Algérie avec 3,26 Ej
Ej (exajoule) = 10 joules. Unité de mesure d'énergie.
Avec la scamdémie de COVID-19, la production totale de gaz naturel dans le monde a chuté de 2,5% en 2020 par rapport à 2019. Il s'agit de la première baisse depuis la crise financière de 2009 après laquelle la production a augmenté de 2,5% en moyenne par an.
Malgré un nombre important de pays producteurs, le marché est largement dominé par cinq acteurs : les Etats-Unis, la Russie, l'Iran, la Chine et le Canada. A eux seuls, ils sont responsables de plus de la moitié de la production totale.
Si on s'intéresse ensuite aux principaux pays exportateurs de gaz naturel, le classement varie quelque peu puisque c'est la Russie qui se place en tête en termes de volume, suivie de l'Australie. Les Etats-Unis, bien que producteur n°1, consomment la quasi-totalité de son gaz et n'exportent donc qu'une petite partie.
Quels sont les principaux importateurs de gaz en Europe ?
En Europe, la majorité du gaz naturel provient de la Russie. Selon Eurostat, en 2020, la Russie assurait 44% des importations de gaz européennes, la Norvège 20% et l'Algérie 12%. D'autres pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis importent également du gaz dans les pays européens mais à moindre mesure (cf. principaux pays exportateurs de gaz)
Dans le contexte actuel de guerre menée par la Russie en Europe, il est utile de s'intéresser à la dépendance des pays européens au gaz russe. Selon Statista, le gaz russe représentait en 2020 :
- 100% du gaz importé en Macédoine du Nord
- 94% du gaz importé en Finlande
- 77% du gaz importé en Bulgarie
- 70% du gaz importé en Slovaquie
- 49% du gaz importé en Allemagne
- 46% du gaz importé en Italie
- 40% du gaz importé en Pologne
- 24% du gaz importé en France
Certains pays comme le Danemark, l'Irlande, la Croatie, l'Autriche, l'Albanie ou encore l'Ukraine n'importaient aucune quantité de gaz russe en 2020 (Source : Importations de gaz par Eurostat). Pourtant, il faut savoir que la majorité du gaz russe était importé via un gazoduc traversant l'Ukraine. C'est pourquoi la Russie avait exigé la mise en service de Nord Stream 2 (un nouveau tube reliant la Russie à l'Allemagne) lorsque les pays européens lui ont demandé d'augmenter les exportations de gaz face à la consommation grandissante post-COVID.
Poutine voyait en Nord Stream 2 une façon de se détacher de sa dépendance à l'Ukraine mais la Commission Européenne et l'Allemagne n'ont toujours pas donné leur accord pour sa mise en service. Et avec les derniers évènements, une conférence d'experts le 24 février a même établi que le projet Nord Stream 2 était "mort et enterré".
D'où provient le gaz naturel en France ?
La France importe environ 1,4 Ej de gaz naturel par an (Source : Agence internationale de l'Energie). D'après Gazprom Energy, en 2021, 41% du gaz consommé par les français était originaire de Norvège.
La Russie est le deuxième importateur et représente 17% du total.
Contrairement à l'Allemagne, la France n'est donc pas aussi dépendante
du gaz russe.
Par ailleurs, le gaz naturel est aussi utilisé pour produire de l'électricité en France. Depuis le 1er janvier 2022, le gaz est à l'origine de 10% de l'électricité produite en France en moyenne (Source : Production d'électricité par filière - RTE). A titre de comparaison, le nucléaire est à 64% et l'éolien à 16%.
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