L’étonnante crise entre,
d’une part le Qatar, d'autre part l’Arabie et son prurit d’alliances des
mille-et-une-nuits (55 pays il y a un mois à Ryad, Qatar compris, puis un mois
plus tard avec six pays directement engagés contre le Qatar), a tourné à la tragédie-bouffe non sans avoir fait sérieusement
évoluer une situation politique d’où
le Qatar sortirait vainqueur, principalement avec l’Iran qui était en réalité la cible visée par
l’Arabie.
Nous laisserons
de côté les explications extraordinairement alambiquées des interconnexions et
inter-rivalités des divers princes et familles de la région du Golfe (le Guardian
en fait une
tartine indigeste) pour nous arrêter à des sources qataries et russes
relayées par les Russes (Sputnik.News), parce qu’elles nous semblent
les plus logiques et les plus raisonnables après la déroute grossière de
l’ultimatum ridicule lancé par l’Arabie au Qatar, et surtout avec le ralliement
de forts soutiens au Qatar face à l’Arabie.
Il y a d’abord
quelques déclarations rapides mais significatives de l’ambassadeur du Qatar à
Moscou (le
23 juillet 2017), qui constate une complète désorganisation dans la
coalition des six pays constituée contre le Qatar, assortie de 13 conditions à
remplir sous forme d’ultimatum, et selon un contenu souvent assez ridicule par
son ampleur considérable et son absence de mesure. (Notamment, rupture des
relations diplomatiques avec l'Iran, fermeture de la base militaire turque
située sur au Qatar, liquidation de la chaîne de télévision Al Jazeera.)
L’ambassadeur Fahd Mohammed Al-Attiya a donc parlé de la désorganisation des
coalisés, et précisé : « Il y a quelques jours, le représentant
permanent de l'Arabie saoudite auprès de l'Onu a déclaré qu'ils voulaient que
nous acceptions six de leurs principes […]. Nous pouvons constater une
attitude [internationale] négative à l’égard des pays qui participent
à ce blocus et veulent nous contraindre à sacrifier notre souveraineté. Et
voilà qu'ils sont enfin devenus réalistes et qu'ils exigent maintenant que nous
remplissions ces six principes. »
D’une façon
générale, les Russes semblent partager cette analyse. Ils sont restés discrets
durant la crise pour ne compromettre rien de leur diplomatie, ménageant leurs
bonnes relations avec Ryad en s’abstenant de critiquer l’ultimatum qu’il
jugeait secrètement absurde mais offrant
ostensiblement leur aide humanitaire au Qatar et accompagnant avec intérêt la
démarche de soutien de l’Iran au Qatar. C’est le politologue
russe Vladimir Sajine qui répond aux questions de Sputnik.News ce 23
juillet 2017, et présente officieusement et en détails ce qui rapproche
sans aucun doute de l’analyse du ministère russe des affaires étrangères.
« Lancée par quatre
monarchies du Golfe, l'attaque éclair et tous azimuts contre le Qatar a échoué,
a constaté Vladimir Sajine dans un entretien avec Sputnik. “Cet émirat petit,
mais fier, a rejeté les 13 exigences humiliantes de ses adversaires, ce qui est
d'ailleurs facile à comprendre. En 2015, le Fonds monétaire international (FMI)
a estimé que le PIB du Qatar par tête d'habitant était le plus élevé au monde”,
a expliqué l'interlocuteur de l'agence. Il ajoute que c’est fort de son assise
financière que le Qatar avait pu dire “non”.
» “Il s'agit notamment de
26,6 tonnes d'or, de 40 milliards de dollars de réserves de change, d'un fonds
d'investissements public de 300 milliards de dollars et d'un excédent
budgétaire quasi permanent de 40 milliards de dollars”, a précisé l'expert,
indiquant que toutes ces richesses n'étaient destinées qu'aux 280.000 sujets de
l'émir sur l'ensemble de la population de 1.900.000 habitants, principalement
émigrés.
» M. Sajine a indiqué que
l'Iran et la Turquie avait brisé le blocus imposé au Qatar. “Qui plus est, le
soutien à Doha, déclaré et tacite, des États-Unis, de la France, de
l'Allemagne, de la Turquie, de la Russie et d'autres pays, y compris de l'Iran,
a fait baisser le niveau de confrontation dans ce nouveau point chaud au
Proche-Orient”, a-t-il relevé. Selon l'interlocuteur de Sputnik, bien que les
relations entre l'Iran et le Qatar ne soient guère romantiques, mais plutôt
pragmatiques, tout porte à croire que Téhéran a gagné cette bataille contre
Riyad. “Dans sa confrontation politique et idéologique avec l'Arabie saoudite,
l'Iran a incontestablement remporté la bataille du Qatar et pourra accentuer
son influence politique et économique, tant dans l'émirat que sur l'ensemble du
Golfe”, a-t-il estimé. »
Mr. Sajine a
rappelé qu’en Irak, après l’effondrement du régime Hussein puis de la terrible
guerre de guérilla et de terreur qui s’en était suivi au profit de la majorité
chiite, les experts US avaient après tout et toutes réflexions faites fini par
conclure lorsque les affrontements s’apaisèrent : « La guerre est terminée, l’Iran a gagné. » De même conclut-il, à propos de
cette étrange crise entre les Saoud & Cie et le Qatar, et voulue par
l’Arabie : « Cette fois encore, c’est
l’Iran qui gagne au Proche-Orient. »
Bien entendu,
c’est également notre perception, cette “victoire de l’Iran” par Qatar
interposé ; cela facilité bien entendu par ce que nous nommons “tragédie-bouffe”
... L’extraordinaire maladresse, digne d’un conte-bouffe des
mille-et-une-nuits, d’une Arabie pris dans l’enchevêtrement de ses milliers de
princes, avec son absurde ultimatum enchaînant sur la grotesque coalition de
55 pays (dont le Qatar, du reste, et pourquoi pas) réunie sous l’égide de l’homme le plus sûr de l’Ouest, Donald Trump, The-Donald qui s’empressa dès l’ultimatum
délivré à Doha de soutenir l’Arabie, puis le Qatar, puis l’Arabie, puis le
Qatar et l’Arabie en même temps, etc. et jusqu’à ainsi de suite.
Mais nous
serions conduits, nous, à considérer cette affaire d’un point de vue plus
large. Cela se passe effectivement au
moment où une dynamique spécifique est en marche en Syrie. L’on sait que certains pays comme la France
changent leur fusil d’épaule concernant Assad, que les USA et la Russie signent
des accords de cessez-le-feu, coopèrent en “désescalade” de la tension ;
l’on sait encore que Trump décide la cessation des livraisons d’armes par la
CIA à des groupes d’opposition dit-modérés sélectionnés pour leur inefficacité
complète dans l’éventail chamarré que nous offre le terrorisme en Syrie, et
faisant donc transiter l’armement reçu vers les plus radicaux...
(Certains,
plus habiles que d’autres, jugent cette dernière décision comme l’amorce par
les USA d’une guerre totale des USA en Syrie mais contre l’Iran, avec risque de
troisième Guerre mondiale. Il n’y a pas de raison de ne pas citer cette
orientation-là de l’analyse, surtout lorsqu’elle vient de WSWS.org
qui traque désespérément la mèche allumant la catastrophe nucléaire et croit
l’avoir humée cette fois encore...)
Ce qui nous
frappe particulièrement avec la tragédie-bouffe Arabie-Qatar qui tourne à la
queue de poisson secouée d’une très sérieuse dislocation de facto du
groupe des États du Golfe, c’est la rupture
du “front” qui constituait le principal soutien et le moteur le plus efficace
de la bataille conduite contre Assad de Syrie. Les pays de Golfe avaient constitué une alliance
de facto qui montrait une certaine cohérence, et qui était soutenue et
applaudie par les acteurs extérieurs plongés à la fois dans une politique de
complet affectivisme
et de corruption sans limite. C’était l’époque Clinton-Fabius, du temps où tout
le monde dans le bloc-BAO reconnaissait une sorte de “puissance nouvelle”, dans
le sens de la politique neocon/progressiste-sociétale poursuivie par
cette digne coalition. (C ‘était le temps où
le Qatar, – tiens, comme les choses changent, – était reconnu comme l’un
des principaux artisans de la chute de Kadhafi et comme un acteur fondamental
du “printemps arabe” à la sauce déconstruction-postmoderniste.) Assad et sa Syrie multiconfessionnelle dépassée devait
être le plat de résistance qui fixerait cette “nouvelle donne”, où l’axe
Arabie-Qatar dominerait la chose en attendant que tombe la
pomme pourrie de l’Iran et de son sinistre complice, le Hezbollah, ami de
toujours de Netanyahou. Le résultat, disons 5-6
ans plus tard, c’est le groupe du Golfe ainsi fracturé et, une fois de plus,
comme dit Mr. Sajine, « c’est
l’Iran qui gagne au Proche-Orient ».
Il y eut
d’autres temps où les pays du Golfe étaient plus sages. Confits dans
leurs $milliards et leur trouille tous-azimuts de quelque subversion que ce
soit, conduits par des gérontocrates de la génération-Brejnev, ils ne faisaient
pas grand-chose (sinon l’habituelle pluie généralisée de la corruption) et
risquaient encore moins. Quelque part autour de 2011-2012, un virus les
a piqués, dont on peut aisément imaginer qu’il avait au départ le visage
diabolique de Prince Bandar : celui de figurer comme de
véritables puissances, conquérantes et manipulatrices. Bandar, disparu depuis, était
un Lucifer
de pacotille que le Diable a prestement renvoyé dans ses foyers
pour maladresses impardonnables et l’on peut consulter Jacques Brel qui avait
tout compris en dessinant leur destin d’une façon prémonitoire dans une de ses
chansons : « Qu’aimerait bien avoir l’air/
Mais qu’a pas l’air du tout... »
Aujourd’hui, les
pays du Golfe, avec l’Arabie en
tête du cortège, forment une bouillie pour les chats à côté de laquelle la
Turquie semble un asile de stabilité et à l’occasion de laquelle Assad pourrait
bien enfin parvenir à rétablir sa situation. Nous ne savons qui a enclenché
quoi, mais nous serions pour l'hypothèse selon laquelle l'ébouriffante aventure Arabie-Qatar et la rupture du “front”
du Golfe sont plutôt la cause que la conséquence de l'évolution de la situation
syrienne. Une fois de plus,
si celle-ci (la situation syrienne) est conduite à terme, l’expert russe
pourrait alors nous annoncer à nouveau « c’est l’Iran qui
gagne au Proche-Orient » ; et avec un
sourire de satisfaction puisque, si l’Iran gagne c’est que la Russie a bien
joué et a conforté sa zone d’influence.
Source:// dedefensa.org
Mis en ligne le 24 juillet 2017/
Mis en ligne le 24 juillet 2017/