Il y a longtemps que l’Arabie saoudite et Israël coopèrent l’un avec l’autre
contre leur rival iranien commun, et que leurs liens stratégiques avec les
États-Unis sont ce qui les rapproche. Cependant, en raison des sensibilités
politiques des deux côtés, aucun des deux n’a formellement reconnu l’existence
de cette coordination en coulisses, et encore moins leur pays respectif.
Néanmoins, des rapports ont circulé au cours des derniers mois indiquant que
Trump et son équipe travaillent fort dans les coulisses pour rassembler
publiquement les deux afin de cristalliser plus solidement ce qui s’est avéré
être une coalition anti-iranienne très fragile et désunie.
La première
étape consiste, selon les sources médiatiques internationales et israéliennes, à encourager doucement l’Arabie
saoudite et Israël à négocier des relations économiques entre les deux parties.
Cela constituerait une reconnaissance de fait de plusieurs façons et pourrait,
comme on s’y attend, faire beaucoup pour une transition plus lisse, l’un de ces
jours, vers une reconnaissance formelle. L’Arabie saoudite ne serait pas seule
dans cette situation, car elle aurait sans doute le soutien des Émirats arabes
unis et de certains de ses autres alliés régionaux, le Qatar étant visiblement
absent de cet arrangement à la lumière de la récente guerre froide qui a éclaté entre les deux
pays du Golfe.
En outre, un
autre élément joue. L’Arabie saoudite pourrait permettre aux pèlerins
palestiniens de voler directement à partir de leurs territoires occupés vers le
Royaume avec une escale simple et symbolique dans la capitale jordanienne
d’Amman. Si cela se produit réellement, cela aurait un symbolisme puissant dans
toute la communauté musulmane mondiale en montrant que le gardien des Deux
Saintes Mosquées est fondamentalement d’accord avec Israël et son occupation de
la Palestine. Alors que Trump pourrait s’associer à cela et que les liens économiques
formels supposément proposés entre le Golfe et Israël enverraient un message
positif à d’autres pays musulmans pour suivre leurs traces. Il est aussi
possible que cela puisse se retourner contre Riyad en générant un énorme
mécontentement parmi le public international ciblé, au point qu’aucun autre
État ne suivrait ce plan.
Donc, dans
l’ensemble, il y a beaucoup de risques liés à ce que Trump essaie de faire. Il
parie que le poids lourd sunnite, l’Arabie saoudite, est assez influent pour
que d’autres pays musulmans suivent son chemin, mais il se pourrait qu’il n’y
ait pas assez d’argent dans les coffres du Royaume pour financer les pots de
vin que cela pourrait nécessiter. En outre, même ce mouvement pourrait encore
compromettre la crédibilité du pays aux yeux de tous les croyants qui sont
conscients de ses crimes régionaux, en avançant essentiellement l’argument
répandu dans certains cercles que les Saoudiens sont des « vendus »
dans chaque cas, et que leur garde des Deux Saintes Mosquées ne fait pas
automatiquement d’eux des modèles moraux dont les politiques doivent être
suivies aveuglément.
Andrew
Korybko − Le 21 juin 2017 −
Source Oriental ReviewAndrew Korybko
Source Oriental ReviewAndrew Korybko
Dans les coulisses du château
de cartes saoudien
Au moment
même où les spécialistes de la géopolitique parient sur un changement de régime
au Qatar, orchestré par une maison des Saoud au désespoir, c’est à Riyad qu’il
a eu lieu, orchestré par le prince guerrier, destructeur du Yémen et
instaurateur du blocus du Qatar, Mohammed ben Salmane (MBS).
Étant donné
l’opacité qui caractérise cette oligarchie familiale du fin fond du désert, qui
regorge de pétrodollars et qui
se fait passer pour une nation, il ne faut se fier qu’aux rares
étrangers ayant eu droit de visite pour se faire une idée du jeu des trônes en cours. Ce qui n’arrange en rien
les choses, les « largesses » des lobbys saoudien et émirati à
Washington ont également réussi à transformer pratiquement tous les groupes de réflexion et
les journalistes en simples lèche-bottes.
Une source
importante au Moyen-Orient proche de la maison des Saoud, qui remet donc en cause le
consensus à l’intérieur du périphérique à Washington, ne mâche pas ses
mots : « La CIA est fort mécontente du limogeage de [l’ancien
prince héritier] Mohammed ben Nayef. Mohammed ben
Salmane est perçu comme un commanditaire du terrorisme. En avril
2014, les USA comptaient écarter du pouvoir les familles royales des Émirats
arabes unis (EAU) et de l’Arabie saoudite au complet en raison du terrorisme.
On a trouvé un compromis en vertu duquel Nayef devait prendre les rênes du
Royaume pour y mettre fin. »
Avant le
coup d’État de Riyad, le topo qui prévalait dans certains cercles géopolitiques
du Moyen-Orient était que les
services secrets des USA avaient « indirectement » stoppé un autre
coup d’État contre le jeune émir du Qatar, cheikh Tamim al-Thani,
orchestré par Mohammed ben Zayed, le prince héritier d’Abou Dhabi, avec l’aide
de l’armée de mercenaires de Blackwater/Academi d’Eric Prince aux EAU. Il se
trouve que Zayed est le mentor de MBS, ce qui n’est pas rien.
Notre source
clarifie les choses : « Tout est connecté. Eric Prince est de
la CIA, mais il a probablement stoppé toute tentative de coup d’État au Qatar. La CIA a bloqué le coup d’État
au Qatar et les Saoudiens ont réagi en se débarrassant de Mohammed ben
Nayef, le choix de la CIA, qui devait devenir le prochain roi. Les
Saoudiens ont la trouille. La monarchie est dans le pétrin, car la CIA peut
lever une armée en Arabie saoudite contre le roi. C’était une mesure défensive
par MBS. »
La source
poursuit : « MBS
échoue partout : au Yémen, en Syrie, au Qatar, en Irak, etc.
La Chine aussi est insatisfaite de MBS qui sème le désordre au Xinjiang. La
Russie ne peut non plus se réjouir du fait que MBS était et est derrière la
baisse des prix du pétrole. Qui sont ses alliés ? Il n’en a qu’un et c’est
son père, qui n’est pas tellement compétent. » Le roi Salmane est
pratiquement en état d’incapacité pour cause de démence.
La source
est convaincue qu’il « est très possible que la CIA s’en
prenne à la monarchie en Arabie saoudite ». La guerre entre le
président Trump et certains secteurs de l’État profond aux USA prendrait alors
une toute autre dimension.
Pour
compliquer encore les choses, il faut tenir compte aussi du facteur Jared
d’Arabie. Il serait étonnant qu’un des principaux acteurs de cette saga
confirme quoi que ce soit à propos d’un coup d’État (avorté) au Qatar. Mais si
une tentative de renversement a vraiment eu lieu, et qu’elle a été matée, Jared
Kushner pourrait avoir obtenu des renseignements privilégiés, étant donné ses
connexions.
Selon la
source, « Jared
Kushner est pratiquement en faillite au 666 de la 5e Avenue et il
compte sur une aide financière saoudienne. Il fait donc tout ce que les
Saoudiens lui demandent. Les difficultés financières du 666 de la 5e
Avenue sont tellement énormes, que même son beau-père ne peut le cautionner. »
Opération arrogance du désert
Cette suite
des événements alambiquée corrobore la fameuse note de service du BND (le Service fédéral de
renseignement allemand) daté de décembre 2015, selon laquelle la
maison des Saoud avait adopté « une politique impulsive
d’intervention », qualifiant son ministre de la Défense et vice-prince
héritier d’alors, MBS, de « joueur politique » cherchant la
déstabilisation.
La note de
service du BND décrivait comment la maison des Saoud a financé la création en
Syrie de l’Armée de la Conquête, qui n’était en fait qu’une simple
restructuration du front al-Nosra, alias al-Qaïda en Syrie, et de Ahrar
al-Sham, son comparse idéologique. Autrement dit, la maison des Saoud aide, encourage et
arme le terrorisme salafo-djihadiste. Voilà maintenant que ce régime
accuse le Qatar de faire la même chose (Doha appuyait d’autres groupes).
Au Yémen, le
BND s’inquiétait que la guerre menée par MBS contre les Houthis et l’armée
yéménite ne profite qu’à al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). La guerre
de MBS, menée avec des armes étasuniennes et britanniques, a causé une
catastrophe humanitaire horrible.
Comment se fait-il qu’un être
aussi arrogant, négligent, présomptueux et ignorant que MBS est presque parvenu
à mettre le feu à l’ensemble de l’Asie du Sud-Ouest ? Des vagues de désespoir déferlent
parmi les investisseurs occidentaux aussi, qui craignent que les actes d’un
élément imprévisible comme MBS n’occasionnent une désintégration généralisée
des fonds de retraite personnels.
Une mise en
contexte essentielle s’impose. Ce à quoi nous avons droit aujourd’hui, c’est au
troisième royaume saoudien, fondé par Ibn Saoud en 1902, et qui maintient
la même alliance nocive qu’avant avec les religieux wahhabites troglodytes. Au départ, Ibn
Saoud ne régnait que sur le Najd. En 1913, il a annexé l’est de l’Arabie chiite
(où se trouve le pétrole), puis le Hejaz, sur la côte de la mer Rouge jusqu’en
1926. Le Royaume d’Arabie saoudite « unifié » n’a été proclamé qu’en
1932.
Ibn Saoud
est mort en 1953. La plus influente des femmes de son harem était sans
contredit Hassa al-Sudairi. Ils ont eu sept garçons ensemble. Le roi Salmane
(dément), Nayef et MBS sont tous des Sudairi. MBS est le premier des
petits-fils d’Ibn Saoud à être sur le point de monter sur le trône.
Un certain
nombre de princes sont plus compétents que MBS. Nayef, qui a longuement
travaillé au sein du ministère de l’Intérieur, était le tsar du
contre-terrorisme (ce qui en a fait le chouchou de la CIA). Il y a aussi Mitab
ben Abdullah, le ministre de la Garde nationale d’Arabie saoudite ; le
prince Turki, ancien chef des services du renseignement, ambassadeur aux USA et
grand copain d’Oussama ben Laden ; et Khaled ben Fayçal, gouverneur de La
Mecque et ancien ministre de l’Éducation.
MBS mise
tout sur son projet Vision 2030 qui, en théorie, pourrait propulser l’économie
saoudienne en dehors des champs de pétrole, mais qui nécessiterait un renouvellement
politique quasiment irréalisable. C’est qu’aucune réforme n’est possible dans
le château de cartes de la maison des Saoud. On n’a qu’à penser à cette liste
de 13 demandes ridicules imposées au Qatar (l’œuvre de MBS), qui comprend
l’excommunication virtuelle de l’Iran et la fermeture d’al-Jazeera.
Pas étonnant
que tous les grands joueurs géopolitiques projettent des scénarios de guerre
(même si seulement l’Allemagne a fait connaître ses préoccupations). Le Qatar a
le statut d’observateur à L’OTAN. Doha est résolu. Il ne pliera pas devant les
demandes absurdes de l’Arabie saoudite. Que va-t-il se passer ensuite ?
Est-ce que MBS, le dirigeant le plus dangereux de la scène géopolitique
d’aujourd’hui, va perdre la face ou se lancer dans une autre guerre
démentielle, impossible à gagner et qui, cette fois, ne manquera pas de causer
des convulsions à l’échelle planétaire ?
le Saker Francophone
Pepe
Escobar − 24 juin 2017 − Source Sputnik