Une
éventuelle histoire future du G-20 de Hambourg pourrait bien commencer par une
question posée quelques jours auparavant par le président Donald Trump – ou
plutôt par son rédacteur de discours – à Varsovie :
« La
question fondamentale consiste à savoir si l’Occident a la volonté de
survivre ».
Ce qui, au
départ, n’était rien de plus qu’une tirade réductrice/immature sur un clash
civilisationnel écrite par Stephen Miller – le même qui avait commis le
discours d’intronisation de Trump, alias « le carnage américain »,
ainsi que le texte originel de l’interdiction d’entrée sur le territoire pour
les musulmans de certains pays – semble avoir fondé quelques-unes des réponses
de Hambourg.
Cette année,
le G-20 s’est présenté comme une affreuse dystopie militaire déguisée en sommet
mondial. « Bienvenue en enfer » et d’autres manifestations du même type, à plusieurs niveaux, ont
répondu à une autre des questions de Trump à Varsovie, « Avons-nous le
désir et le courage de préserver notre civilisation face à ceux qui voudraient la
subvertir et la détruire ? »
Alors que
les leaders travaillaient dans leurs salles cossues, échangeaient leurs
commérages, écoutaient l’Ode à la joie et partageaient leurs banquets
accoutumés, des pillages et des incendies embrasaient les
rues, dans une sorte de commentaire brutal non seulement du concept de
« civilisation », mais aussi de la commode amnésie de Trump-à-Varsovie quant au fait que le retour de bâton terroriste qui menace la
« civilisation », « nos valeurs » et notre « volonté
de survivre » est engendré par les « politiques » des USA et de
l’OTAN.
Et cela ne
va faire qu’empirer.
Dès l’année
prochaine, une coproduction de la Bundeswehr/OTAN, une ville fantôme construite
dans une base d’entraînement militaire à Sachsen-Anhalt – pas loin de Hambourg,
au fait – deviendra un site privilégié d’entraînement à la guérilla urbaine.
L’austérité étant loin d’être finie, les euro-paysans sont voués à continuer à
se rebeller en masse.
Du
multilatéralisme, sinon rien
La tentation
d’identifier le nouvel ordre émergent comme un triangle Poutine-Xi-Merkel est
forte, mais résistons-y – et le monde n’est pas encore aussi multilatéral. Ce
que nous voyons sont les signes extérieurs du multilatéralisme, pas encore sa concrétisation – parce que Washington s’y
oppose à une centaine de niveaux.
Frau Merkel
voulait que « son » sommet se focalise sur trois questions
cruciales ; le changement climatique, le libre-échange et la gestion de
l’immigration de masse mondiale – rien de tout cela n’est du goût de Trump, qui
croit à une approche darwinienne de la politique mondiale. Ce que le monde a
obtenu a donc été un ennuyeux imbroglio – avec les contradictions internes
d’usage.
Le boss, cette fois encore, a été le président chinois
Xi Jinping, qui a
appelé les membres du G-20 à privilégier une économie mondiale ouverte, à
renforcer la coordination des politiques économiques ; et à garder
présents à l’esprit les énormes risques inhérents au turbo-capitalisme financiarisé.
Il en a dûment appelé à un « régime commercial multilatéral ».
Pour
soutenir sa position, la Chine a habilement appliqué la diplomatie du panda
géant – en offrant deux de ces animaux, Meng Meng et Jiao Qing au zoo de
Berlin, en signe d’amitié. Le commentaire de Merkel a été moins mignon, « Pékin
voit l’Europe comme une péninsule asiatique. Nous la voyons autrement. »
Quoi qu’il
en soit, à toute fins utiles, ce que le monde du business chinois et allemand
voient au bout du chemin est l’intégration eurasienne – avec la nouvelle Route
de la soie, alias initiative Belt and Road qui commence en Chine de l’Est et
qui arrive jusqu’à la vallée de la Ruhr. Ce qui équivaut à une définition
concrète de la façon dont un « régime commercial multilatéral » doit
marcher. Ajoutons-y le traité commercial massif tout juste signé entre l’UE et
le Japon. Sur le
terrain, géopolitiquement et géo-économiquement, l’Allemagne s’oriente vers
l’Est.
Les pays des
BRICS – la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et l’Afrique du sud – se sont
rencontrés en marge, et, bien sûr, ont appelé à « un système commercial
multilatéral transparent, régi par des règles, non-discriminatoire, ouvert et
inclusif. »
Le président
Poutine a monté la barre d’un cran – en soulignant que les sanctions
financières sous des prétextes politiques minent la confiance mutuelle et
dégradent l’économie mondiale. Tout le monde le sait, tout le monde est
d’accord, mais cet élément de la politique géo-économique unilatérale de
Washington ne va pas s’arrêter de sitôt.
Ensuite,
nous avons eu la critique de l’association antimondialisation Attac à Merkel,
accusée de monter « une production cynique » ; bien que Merkel
se pose en « leader du monde libre », le gouvernement allemand
« poursuit, de fait, une stratégie agressive d’excédent
d’exportations. » Et voilà comment Attac, un groupe de gauche progressiste
se retrouve totalement aligné avec Donald Trump.
Il
nous restera toujours Paris
Les sherpas
de Hambourg ont été impliqués dans leur version personnelle de « bienvenue
en enfer ». L’euphémisme de Merkel – des « discussions tendues »
– masquait une très réelle mutinerie contre les sherpas américains sur deux
points, le changement climatique et le commerce, avec un combat jusqu’à la
dernière minute à propos d’une clause des USA sur une « aide » de
Washington à l’accès des pays à des combustibles fossiles propres.
A la fin, il
n’en est ressorti qu’un vague compromis. Voici le paragraphe du communiqué
final qui traite de la décision de l’administration Trump de se retirer de
l’accord de Paris.
« Nous
prenons note de la décision des États-Unis d’Amérique de se retirer de l’Accord
de Paris. Les États-Unis d’Amérique ont annoncé qu’ils vont immédiatement
cesser d’implémenter leur contribution actuelle et réaffirment leur engagement
à une approche qui abaisse les émissions tout en soutenant la croissance
économique et en améliorant la sécurité énergétique. Les États-Unis d’Amérique
vont œuvrer pour travailler étroitement avec d’autres partenaires pour
faciliter leur accès et leur utilisation plus propre et efficace des énergies
fossiles, et les aider à déployer des énergies renouvelables et d’autres
sources d’énergie propre, étant donnée l’importance de l’accès à l’énergie et
de la sécurité dans leurs contributions nationalement déterminées. »
Directement
en dessous, un autre paragraphe concerne le G-19 :
« Les
leaders des autres pays-membres du G-20 déclarent que les accords de Paris sont
irréversibles. Nous réitérons l’importance de remplir les conditions de la
Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques par les pays
développés, à travers l’apport de moyens d’implémentation, y compris des ressources
financières, pour aider les pays en voie de développement sur des actions de
réduction et d’adaptation en accord avec les conclusions de Paris et le rapport
de l’OCDE « Investir dans le climat, investir dans la croissance ».
Nous réaffirmons notre engagement dans les Accords de Paris, notre action en
vue de les mettre pleinement en œuvre en accord avec le principe des
responsabilité communes mais différenciées et des capacités respectives, à la
lumière des conditions nationales différentes et, à cet effet, nous soutenons
le Plan du G-20 de Hambourg d’action climatique et énergétique pour la
croissance, comme noté dans l’annexe. »
A Hambourg,
l’Organisation Trump était brouillonne et désorganisée. La Première fille
Ivanka s’est même assise sur la chaise de papa au cours du forum pendant
quelques courts instants, alors qu’il était en réunions bilatérales. Malgré
tout, elle a réussi une action en dévoilant un programme de 300 millions de
dollars de la Banque mondiale pour l’apport de prêts, d’apprentissage et
d’accès à des marchés financiers à des start-ups dirigées par des femmes de
pays en voie de développement. La Maison-Blanche et la Banque mondiale ont tous
deux attribué l’idée à Ivanka elle-même.
Loin des
questions infernales, dans une perspective plus ensoleillée, le vent et les
panneaux solaires sont appelés à devenir la forme la moins chère de production
d’énergie à travers tout le G-20 d’ici à 2030. Déjà en 2017, plus d’un tiers de
l’électricité allemande est venu du vent, du solaire, de la biomasse et de
l’hydro, pour un total de 35% (aux USA, seulement 15%). Donc, si l’Allemagne
n’est pas encore verte, elle s’en rapproche rapidement.
A Hambourg,
Merkel a remporté une victoire sur le changement de climat ; une victoire
relative sur le commerce (avec les USA qui se sont auto-éliminés) ; mais
une lamentable défaite sur la migration de masse. Aucune puissance de l’OTAN présente au G-20 n’aurait eu
le courage suffisant pour relier publiquement les points entre les ignobles
guerres des USA/OTAN en Afghanistan, en Libye, la guerre par procuration en
Syrie et les millions de réfugiés dont le seul espoir est d’atteindre l’Europe.
Géopolitiquement,
Washington se coupe de facto de l’Allemagne, alors que l’Angleterre n’a
plus aucun pouvoir. L’administration Trump considère l’Allemagne et le Japon
comme des ennemis qui détruisent les USA en manipulant la monnaie. A moyen terme, il serait logique
de s’attendre à ce que l’Allemagne se rapproche lentement, mais sûrement de la
Russie. Bien que le moment unipolaire de Washington arrive à son terme,
au royaume du G-20, les jeux de pouvoir ne font que commencer.
Par Pepe Escobar
Traduction Entelekheia,
10 juillet 2017
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