mardi 10 octobre 2017

Le pipeline turco-kurde de la Russie à l’UE fait de Moscou le médiateur du Moyen-Orient



Rosneft a révélé qu’elle était en négociations avec le gouvernement du Kurdistan irakien pour construire un pipeline dans la région d’ici 2019, pour commencer à exporter du gaz vers la Turquie et vers l’Union européenne une année plus tard. Cela éclaire ce que la compagnie russe, qui appartient au gouvernement, avait à l’esprit quand elle a signé un accord majeur avec la région autonome, en juin, lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg.

L’itinéraire exact du pipeline est encore incertain, mais il progressera probablement par voie terrestre à travers la Turquie, puis se liera avec l’infrastructure du Turkish Stream près de la frontière de l’UE ou débouchera en Méditerranée orientale avec un terminal d’exportation de GNL, ce dernier pouvant faciliter les expéditions vers « Israël » dans un renforcement du partenariat déjà étroit de la Russie avec Tel-Aviv. Toutes ces possibilités sont très intéressantes et ajoutent une nouvelle couche de profondeur stratégique à la diplomatie énergétique russe au Moyen-Orient.  Il est cependant important de se concentrer sur le court terme pour savoir pourquoi cette annonce est intervenue exactement une semaine avant le vote controversé de l’indépendance des Kurdes et juste un jour après que la Russie a rétabli le service de vol direct avec l’Irak, dont le gouvernement régional kurde fait nominalement partie.
Rien de tout cela n’a été un hasard, car plusieurs messages forts ont été envoyés à la communauté internationale à un moment crucial de l’histoire du Moyen-Orient.
La première est que la Russie s’occupe du Kurdistan irakien comme s’il était déjà un pays indépendant, contournant Bagdad dans la conduite de sa diplomatie énergétique bilatérale avec cet « État » en rupture, en dépit de la reconnaissance officielle de la souveraineté du gouvernement central sur l’ensemble de l’Irak et de ses ressources. La raison pour laquelle la Russie semble le faire peut ressembler à une occasion irrésistible d’améliorer indirectement ses relations avec l’UE en fournissant du gaz venant du Kurdistan et transitant par la Turquie passant par le projet de Corridor gazier sud-européen qui pourrait fonctionner à la fois pour le bénéfice stratégique de Moscou et aussi de celui des Kurdes en donnant à deux de leurs adversaires une raison de reconnaître leur indépendance future. Cela conduit au prochain point, c’est-à-dire que les lourds investissements stratégiques de la Russie dans le secteur de l’énergie kurde font de Moscou un des principaux acteurs de l’avenir du territoire, ce qui permet à la Russie de mettre en scène une intervention diplomatique pour devenir le médiateur entre Erbil et Bagdad ainsi qu’entre les Kurdes et leurs trois voisins internationaux, dans le but de protéger leurs intérêts.
Cela s’harmonise avec la vision de politique étrangère des progressistes en Russie qui considèrent le rôle géostratégique de leur pays comme étant la force d’équilibrage suprême du supercontinent eurasien. À cette fin, ils ont cherché à « ranger » les alliés traditionnels américains de leur côté en encourageant leur « alignement multilatéral », ou la diversification de leur politique étrangère avec Moscou. Les Kurdes irakiens ne sont que le dernier exemple de ce qui se passe, après la Turquie, l’Azerbaïdjan, l’Arabie saoudite et le Pakistan, ce qui prouve que le « Pivot vers l’Asie » de la Russie est en fait un « Pivot vers la Oumma » alors que Moscou travaille activement à remplacer le vide de leadership laissé par des États-Unis sur le départ dans ce « Grand Moyen-Orient ».
Par Andrew Korybko – Le 25 septembre 2017 – Source Oriental Review