Rosneft a révélé
qu’elle était en négociations avec le gouvernement du Kurdistan irakien pour
construire un pipeline dans la région d’ici 2019, pour commencer à exporter du
gaz vers la Turquie et vers l’Union européenne une année plus tard. Cela
éclaire ce que la compagnie russe, qui appartient au gouvernement, avait à
l’esprit quand elle a signé un accord majeur avec la région autonome, en juin,
lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg.
L’itinéraire exact du pipeline est encore incertain, mais il progressera
probablement par voie terrestre à travers la Turquie, puis se liera avec
l’infrastructure du Turkish Stream près de la frontière de l’UE ou débouchera
en Méditerranée orientale avec un terminal d’exportation de GNL, ce dernier
pouvant faciliter les expéditions vers « Israël » dans un
renforcement du partenariat
déjà étroit de la Russie avec Tel-Aviv. Toutes ces possibilités sont très
intéressantes et ajoutent une nouvelle couche de profondeur stratégique à la diplomatie
énergétique russe au Moyen-Orient. Il est cependant important de se
concentrer sur le court terme pour savoir pourquoi cette annonce est
intervenue exactement une semaine avant le vote controversé de l’indépendance
des Kurdes et juste un jour après que la Russie a rétabli
le service de vol direct avec l’Irak, dont le gouvernement régional kurde fait
nominalement partie.
Rien de tout cela n’a été un hasard, car plusieurs messages forts ont été
envoyés à la communauté internationale à un moment crucial de l’histoire du
Moyen-Orient.
La première est que la Russie s’occupe du Kurdistan irakien comme s’il
était déjà un pays indépendant, contournant Bagdad dans la conduite de sa
diplomatie énergétique bilatérale avec cet « État » en rupture, en
dépit de la reconnaissance officielle de la souveraineté du gouvernement
central sur l’ensemble de l’Irak et de ses ressources. La raison pour laquelle
la Russie semble le faire peut ressembler à une occasion irrésistible
d’améliorer indirectement ses relations avec l’UE en fournissant du gaz venant
du Kurdistan et transitant par la Turquie passant par le projet de Corridor
gazier sud-européen qui pourrait fonctionner à la fois pour le bénéfice
stratégique de Moscou et aussi de celui des Kurdes en donnant à deux de leurs
adversaires une raison de reconnaître leur indépendance future. Cela conduit au
prochain point, c’est-à-dire que les lourds investissements
stratégiques de la Russie dans le secteur de l’énergie kurde font de Moscou
un des principaux acteurs de l’avenir du territoire, ce qui permet à la Russie
de mettre en scène une intervention diplomatique pour devenir le médiateur
entre Erbil et Bagdad ainsi qu’entre les Kurdes et leurs trois voisins
internationaux, dans le but de protéger leurs intérêts.
Cela s’harmonise avec la vision de politique étrangère des progressistes
en Russie qui considèrent le rôle géostratégique de leur pays comme étant
la force d’équilibrage suprême du supercontinent eurasien. À cette fin, ils ont
cherché à « ranger » les alliés traditionnels américains de leur côté
en encourageant leur « alignement multilatéral », ou la
diversification de leur politique étrangère avec Moscou. Les Kurdes irakiens ne
sont que le dernier exemple de ce qui se passe, après la Turquie,
l’Azerbaïdjan,
l’Arabie
saoudite
et le Pakistan,
ce qui prouve que le « Pivot vers l’Asie » de la Russie est en fait
un « Pivot vers la Oumma »
alors que Moscou travaille activement à remplacer le vide de leadership laissé
par des États-Unis sur le départ dans ce « Grand Moyen-Orient ».
Par Andrew Korybko – Le 25 septembre 2017 – Source Oriental
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