On ne peut dire que l’affaire Weinstein a été “révélée” par les articles du New York Times et du New Yorker, puisque, comme l’on dit, “tout le monde était au courant” dans le milieu (hollywoodien, je précise) et que tout le monde “a étouffé l’affaire” pendant, disons, deux décennies.
Je me rappelle, à la fin des années 1950, le bruit sulfureux que produisit l’édition en France de Hollywood-Babylone,
le livre-scandale de Kenneth Anger avec nombreuses photos à l’appui sur
le Hollywood dépravé, décadent, parcouru de scandales plus ou moins
étouffés, crimes, dépravation sexuelle, drogue, etc. Publié par Pauvert à
Paris, le livre de Anger fut interdit aux USA et une version mise à
jour ne fut autorisée qu’en 1975. USA, Land of the Free...
A l’époque (1958), l’on parlait du scandale de la mort de l’amant de la star Lana Turner, le gangster de Cosa Nostra Johnny Stompanato,
abattu par la fille de l’actrice, Cheryl Crane, âgée de 14 ans.
Stompanato battait sa mère et le tribunal reconnut que Cheryl avait agi
en état de légitime défense, “par procuration” si l’on veut, ce qui
était après tout une courageuse interprétation de la loi. C’était dans
la rubrique “faits-divers”, rien d’autre sinon le sel qui accompagne les
comportements scandaleux des célébrités, et éventuellement une occasion
de réflexion sociologique et culturelle sur la culture américaniste,
sur la licence ou la décadence des mœurs, etc. ; dans tous les cas, bien
sûr, rien à voir avec la politique active, en cours, en aucune façon. Aujourd’hui, le scandale Harvey Weinstein n’est pas dans la rubrique faits-divers, et Hollywood-Babylone devenu Hollywood-Babylon postmoderne est aussitôt un événement très largement politique, de la plus active des politiques, et qu’il importe de reconnaître comme tel.
Kevin Spacey, Harvey Weinstein et Dustin Hoffman |
On ne peut dire que l’affaire Weinstein a été “révélée” par les articles du New York Times et du New Yorker, puisque, comme l’on dit, “tout le monde était au courant” dans le milieu (hollywoodien, je précise) et que tout le monde “a étouffé l’affaire” pendant, disons, deux décennies. (Au reste, les éléments de l’article du New-Yorker,
écrit par le fils de l’acrice Mia Farrow, avaient d’abord été proposés à
NBC [avec MSNBC, le réseau le plus progressiste-sociétal aux USA], qui le refusa sur l’intervention directe de son directeur, grand ami de Weinstein.) Mais l’affaire est devenue “scandale”, et aussitôt bien plus que cela, quasi-instantanément. Comme je la ressens et l’évalue, la rapidité du processus est, sinon une surprise, sans aucun doute un événement qui mesure le changement des temps et l’affirmation des facteurs différents qui importent.
Ainsi donc, dès que fut prise la mesure de son ampleur, l'affaire
quitta aussitôt le rubrique des faits-divers et devint scndale nationale
pour entrer dans le champ de la politique active, c’est-à-dire de la crise de l’américanisme parvenue à son paroxysme depuis la campagne présidentielle.
Nul ne peut oublier que cette campagne USA-2016 fut marquée notamment
par des attaques d’une puissance considérable contre Trump à cause d’une
phrase de type sexiste, singulièrement vulgaire sans nul doute, et sans
surprise lorsqu’on considère le personnage ; mais cette phrase, qui
n’attentait pas en quelque façon que ce soit à l’intégrité morale et
physique d’un certain nombre de personnes, nombre assez élevé sans nul
doute lorsqu’on se réfère à ce qui nous occupe aujourd’hui.
Or le cas de Weinstein, qui est de cette sorte dans une mesure rarement vue, est celui d’un homme qui
est l’un des principaux soutiens et organisateur de donation du parti
démocrate, ami et donateur successivement d’Obama et d’Hillary Clinton. Ces deux-là, Obama et Clinton qui n’ignoraient rien du comportement de leur ami Weinstein, sont plutôt mal pris
et ils ont bien du mal à le cacher ; ce dernier point, qui n’est pas
vraiment pour me déplaire je l’avoue à cause de l’ironie des situations,
moi-même faisant partie du vulgum pecus saoulé ces dernières années par les leçons de morale et de vertu des personnages en question. Tout cela se passe à Hollywood, principal centre libéral, progressiste-sociétal, qui mena constamment la charge contre Trump notamment
à cause de ses gaudrioles à deux balles où il apparaît désormais comme
un amateur, avec Weinstein comme organisateur quasi-divin de cette
charge. (Meryl Streep, qui rêve d’avoir le scalp de Trump, avait affublé
Weinstein, ironiquement je l’espère, du surnom de “God” à peu près comme l’on dit sardoniquement “devil”. Ainsi se retrouve-t-on dans le domaine de l’inversion, avec la vertu, le sexe et le diabolisme, qui semble particulièrement marquer les élites progressistes-sociétales.)
L’une des réactions les plus puissantes et les plus symboliques
caractérisant ce passage du fait-divers sulfureux à la politique est par
exemple l’émission CrossTalk de Peter Lavelle, le 10 octobre sur RT, avec pour thème : « Hollywood hypocrisy ».
Cette hypocrisie-là, telle qu’on en discute avec véhémence dans
l’émission n’est pas tant celle de Hollywood, ou pas seulement, que
celle des démocrates comme ils se sont découverts lors de USA-2016 ;
c’est donc l’hypocrisie de la vertu progressiste-sociétale, du
pouvoir de l’argent et de la corruption du pouvoir surtout lorsque ces
choses trônent sur la vertu postmoderne qu’affectionnent jusqu’au délire orgasmique si l’on peut dire, nos fameux 1%-0,1%, nos “Masters of Universe”, hyper-riches, dispensateurs de tant de leçons de morale et d’éthique au nom du globalisme et par conséquent du Système. On en revient toujours là car le Système est partout présent...
Surprise encore et toujours, je l’avoue bien que la chose aille dans
le sens qu’on observe constamment et qui m’est si familière (celui de la
puissance omniprésente de la communication et des thèmes sociétaux), avec
les prolongements politiques qui apparaissent tout aussi rapidement
comme pouvant prendre une voie institutionnelle et judiciaire à grande
signification politique. Des suites judiciaires sont d’ores et déjà en route, qui pourraient aussi bien toucher les compagnies où l’on était au courant du comportement de “Dieu” (Miramax et Disney notamment). On signale que le FBI ouvrirait une enquête et The DailyCaller lance un appel
au président Trump pour qu’il ordonne l’ouverture d’une enquête
officielle spéciale embrassant quasiment les agissements et les mœurs de
ce centre de pouvoir et d’influence qu’est Hollywood. On chuchote
également que des têtes pourraient tomber du côté des acteurs (genre
masculin, style Matt Damon, Russell Crowe, Ben Affleck), qui savaient et
n’auraient rien dit ou bien qui auraient défendu Weinstein ; et c’est TheDuran.com, site éminemment politique comme l’on sait, qui nous annonce la chose.
Une réaction dite de “damage control” (tenter d’éviter des
dégâts trop importants) a été d’orienter aussitôt le débat dans le seul
sens sociétal du féminisme, du sort fait aux femmes en général, sans
trop s’attarder à ce point fondamental que tout cela se passe dans la
citadelle incontestée du féminisme et de toutes les valeurs sociétales,
dans le chef d’un homme qu’on ne cessa jamais d’encenser puisqu’il en
était “le Dieu”. La terreur régnait à Hollywood sous la loi de “Dieu”, dans ce lieu étrange où l’on tourne Dieu en dérision et où les femmes forcées et violées, c’est-à-dire les actrices de Meryl Streep à Madonna, savent où est le Bien (à Hollywood-sous-Weinstein) et où l’on trouve le Mal (Trump & Cie).
Mais ce simulacre-là de faire passer le débat du côté du féminisme,
surtout développé en France, pèse à mon avis de peu de poids à côté du
poids des faits, lorsqu’on entend un Antoine de Caunes traiter Weinstein
de « gros porc puant »
à cause de ce qu’il a fait à sa fille... Ou mieux encore, c’est-à-dire
pire et plus profondément, lorsqu’on entend quelques mots de Pierre
Lescure (ex-Canal +, comme de Caunes) parler, hier soir sur C Dans l’Air, de ses contacts avec Weinstein, lorsqu’il négociait les films de Miramax... Weinstein, “dégageait une impression de puissance physique et psychologique incroyablement agressive”
dit Lescure sur un tel ton, comme s’il s’excusait de parler ainsi à
propos de Hollywood et de sa vertu sociétale ; comme si, aussi, il se
rappelait une sorte de peur physique qu’il éprouvait à “négocier” avec
cet homme. (Les photos désormais nombreuses de Harvey Weinstein, en
portrait ou en posture complète, font l’affaire pour comprendre ce dont
Lescure veut parler.) Vous comprenez alors que vous avez affaire, dans
le chef de Weinstein, au prédateur-Système caractérisé par la force
brute (façon “idéal de puissance”), installé avec arrogance sur le pouvoir de l’argent et sur l’arrogance du pouvoir, mais plus encore dans notre situation, sur la terrorisation de la vertu sociétale que représente Hollywood.
Ainsi passe-t-on finalement, venu du fait-divers sulfureux, à des
considérations fondamentales sur le phénomène de la puissance et du
pouvoir, qui a certes toujours existé mais que le Système a institué en
facteur fondamental de la situation du monde en l’habillant de la cuirasse de la vertu, en une structure quasi-unique du simulacre qui doit mener à la destruction du monde. Le cas Weinstein conduit John Whitehead du Rutherford Institute, à nous parler
du pouvoir qui corrompt, et évidemment du pouvoir absolu qui corrompt
absolument. Mais la formule, dont je me suis toujours défié, reste à mon
avis bien trop vague, trop générale, et elle reste une formule que
chacun peut s’approprier pour s’en laver les mains bien plus que la clef
d’une analyse.
Il est essentiel d’ajouter que ce pouvoir absolu émane aujourd’hui du Système. S’il est installé sur l’argent bien entendu, il est fondamentalement manipulé par la communication et le discours de terrorisation des “valeurs sociétales” qui entretiennent ce que Whitehead désigne comme « une culture de complaisance où personne n’ose parler parce que personne ne veut perdre son emploi, ni perdre son argent, ni perdre sa place parmi les élites ». C’est à cause de cette installation dans sa cuirasse de vertu, ou plus justement de simulacre de vertu, que le pouvoir est devenu absolu tel qu’on le constate aujourd’hui.
C’est pour cette raison que je ne considère pas, à la différence de
Whitehead, que le “scandale Weinstein” soit un scandale “de plus”, où
jouent les habituelles mécaniques du pouvoir et de l’argent. C’est un scandale d’un symbolisme fondamental,
dans la mesure où Weinstein, un des fondateurs de Miramax si admiré
pour avoir permis l’émergence d’un “nouvel Hollywood“ et favorisé tant
de cinéastes indépendants à côté des blockbusters faiseurs de fric, se révèle également comme un archétype du prédateur-Système, un « gros porc puant » comme dit l’autre, alors qu’il régnait comme Dieu lui-même, comme dit l’autre (suite), au sommet du royaume de la vertu progressiste-sociétale.
C’est une formidable description du Simulacre du Système qui est mise à nu.
A cette lumière et au-delà de la contre-analogie avec le Trump de
USA-2016, je crois qu’on ne doit plus s’étonner, si on le constate dans
ce sens, que le fait-divers ait pris aussi vite une ampleur nationale
sinon globale, et à très forte substance politique.
http://www.dedefensa.org/article/hollywood-babylon-postmoderne
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