« Tout d’abord, la bonne nouvelle. L’hégémonie
américaine, c’est du passé. La brute a été maîtrisée.
»Nous avons franchi le cap de Bonne-Espérance,
symboliquement parlant, en septembre 2013. Avec la crise syrienne, le monde a
opéré un virage essentiel de l’Histoire moderne. C’était un quitte ou double
presque aussi risqué que la crise des missiles cubains de 1962.
»Les
risques d’une guerre totale étaient élevés, car les volontés de fer de
l’Amérique et de l’Eurasie s’étaient croisées en Méditerranée orientale. Il
faudra un certain temps pour que ce que nous avons vécu fasse son chemin dans
les consciences: c’est normal pour des événements d’une telle ampleur. » Israël
Shamir
Les raisons officielles
Nous savons tous
que les gouvernements occidentaux, emmenés par les États-Unis et le
Royaume-Uni, se sont retournés contre la Russie. Les raisons données par les
médias sont nombreuses:
– La Russie a
essayé d’empêcher l’Ukraine de rejoindre l’Union européenne
– La Russie a
aidé les « rebelles pro-russes » à abattre le MH-17
– La Russie a
« envahi » illégalement la Crimée.
– Des milliers
de troupes et de tanks russes combattent en Ukraine.
Nombre d’entre
nous savent que ces affirmations sont de la propagande de guerre à l’intention
des citoyens de l’Ouest dans le but de justifier des sanctions contre la Russie
et de faire monter les tensions militaires.
Les raisons géopolitiques
Beaucoup moins
largement débattues, mais beaucoup plus importantes, il y a les raisons
géopolitiques touchant les zones de conflit entre les intérêts économiques
des États-Unis et ceux de la Russie ; et ceux de la Russie et de la Chine. Pour
le moment, l’Union européenne est très dépendante de l’énergie russe. Les États-Unis
aimeraient faire cesser cela. Le conflit en Ukraine est un élément important du
processus visant à séparer économiquement l’UE de la Russie. Mais il y a aussi
un programme plus vaste. La Chine et la Russie dirigent les BRICS,
un groupe rassemblant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique
du Sud. Les pays des BRICS veulent développer un système économique mondial qui
ne dépende pas du dollar US. Ils veulent être indépendants du Fonds monétaire
international (FMI) et de la Banque mondiale. La Chine a aussi suggéré à
l’Europe qu’elle se joigne à elle et à la Russie dans ce qu’elles appellent la Nouvelle
route de la soie, qui s’étend dans toute l’Eurasie, de Lisbonne à
Shanghai. Inutile de dire qu’il n’y a pas de place pour les États-Unis dans ce
plan, ce qui donne une autre raison de couper les liens économiques entre la
Russie et l’Union européenne.
La raison secrète – La guerre qui n’a pas eu lieu
Tous ces
facteurs sont importants, mais il y en a encore un autre, qui n’est jamais
débattu dans les médias occidentaux. L’élément déclencheur de la soudaine
hostilité contre la Russie et Poutine peut être trouvé dans presque tous les
événements non déclarés qui se sont déroulés entre la fin août et le début de
septembre 2013. Ce qui est arrivé dans cette période cruciale est qu’une
attaque surprise de l’OTAN contre la Syrie a été stoppée par la Russie.
C’était probablement la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale qu’une
attaque militaire planifiée par l’Occident se trouvait confrontée à une force suffisante
pour exiger son annulation. On n’a pas dit aux gens en Occident pourquoi leurs
dirigeants bellicistes au discours martial ont fermé les yeux. Ils ont reculé
et ont décidé de changer leurs plans. Le nouveau plan : démolir l’Ukraine
et s’emparer de la Crimée au profit de l’OTAN. Cela, à l’évidence, n’a pas
marché non plus ; et le désordre qu’ils ont créé est toujours là.
L’attaque US/France prévue sur la Syrie
Tôt le matin du
samedi 31 août 2013, un officiel américain a téléphoné au cabinet du président
Hollande pour lui dire d’attendre un appel d’Obama plus tard dans la journée.
« Présumant
que ce téléphone du soir annoncerait le début des frappes aériennes par
les États-Unis (contre la Syrie), Hollande a donné l’ordre à
ses officiers de mettre au point leurs propres plans d’attaque. Les avions de
combat Rafale ont été chargés de missiles de croisière Scalp ; on a
ordonné à leurs pilotes de lancer leurs munitions d’une portée de 250 miles
quand ils se trouveraient sur la Méditerranée. » (1)
Autrement dit, à
ce moment-là, les pilotes français et les troupes US attendaient seulement
l’ordre final du président Obama pour lancer leur attaque. Toutefois, plus tard
le même jour, à 18h15, Obama a appelé le président français pour lui dire que
l’attaque programmée le 1er septembre à 3h du matin n’aurait pas
lieu comme prévu. Il devait consulter le Congrès. (2)
Trois jours plus
tard, à 6 h 16 GMT mardi 3 septembre, deux missiles dirigés vers la côte
syrienne étaient lancés « depuis la partie centrale de la Méditerranée »,
mais ils n’ont pas atteint la Syrie.(3) « Les deux missiles se sont
écrasés en mer. » (4)
Il existe
différentes versions de ce qui s’est produit. Selon Israël Shamir:
« Un
journal libanais, citant des sources diplomatiques, a affirmé que les missiles
étaient lancés depuis une base aérienne de l’l’OTAN en Espagne et qu’ils ont
été abattus depuis un navire par le système de défense russe mer-air. Une
autre explication proposée par Asia Times soutient que les Russes ont utilisé
leurs brouilleurs GPS, puissants et bon marché, pour rendre impuissants les
Tomahawks, très chers, en les désorientant et en les poussant à l’échec. Il y a
encore une autre version, qui a attribué le lancement aux Israéliens ;
soit qu’ils étaient prêts à abattre les missiles, soit qu’ils observaient les
nuages comme ils le prétendent. » (5).
Les navires de guerre étaient prêts
Il est difficile
de savoir ce qu’il y a derrière ce lancement de missile raté, mais cela n’a pas
déclenché de guerre. Nous pouvons tous en être reconnaissants. Sur la carte
ci-dessous, nous pouvons voir l’impressionnante collection de navires de guerre
en position au large de la Syrie à l’époque. (6) Un article dans Global
Research a parlé d’un « déploiement naval massif des États-Unis
et de leurs alliés en Méditerranée orientale au large de la côte syrienne ainsi
que dans la mer Rouge et dans le golfe Persique. » (7)
A ce moment-là,
il semblait presque certain que les États-Unis et leurs alliés lanceraient une
attaque contre la Syrie. Au lieu de quoi, l’attaque prévue a été reportée sine
die. Comme le dit Israël Shamir « les volontés de fer de l’Amérique et
de l’Eurasie s’étaient croisées en Méditerranée orientale »
mais les États-Unis ont subitement décidé de reculer devant ce grave
conflit militaire. Un commentateur a plaisanté en disant qu’Obama avait
finalement mérité son prix Nobel de la paix, après ça. Voici l’évaluation de la
situation par le Saker, un opposant véhément à ce qu’il appelle l’Empire
anglo-sioniste. Parce que, de par sa vie passée, le Saker a une connaissance
intime du fonctionnement des affaires militaires de l’OTAN.
« Moins
remarqué, il y a eu l’envoi par la Russie d’une force navale opérationnelle,
assemblée à la hâte mais compétente, sur la côte syrienne. Pas une force
suffisamment importante pour battre la marine US, mais une force capable de
fournir à l’armée syrienne une vision complète du ciel au-dessus et au-delà de
la Syrie. Autrement dit, pour la première fois, les États-Unis ne pouvaient pas
réaliser une attaque surprise sur la Syrie, pas avec des missiles de croisière,
pas avec leur puissance aérienne. Pire, la Russie, l’Iran et le Hezbollah se
sont lancés dans un programme d’assistance matérielle et technique à la Syrie,
avoué, et non avoué, qui a fini par vaincre l’insurrection wahhabite. »
(8)
Pourquoi les États-Unis ont-ils modifié leurs plans?
Il nous est
difficile de connaître toutes les manœuvres qui se sont déroulées en coulisses
en août et en septembre 2013, mais le résultat final est clair. Après des
années de tensions croissantes et de menaces, les États-Unis et leurs alliés
ont décidé de ne pas attaquer la Syrie comme ils l’avaient prévu. Étant donné
que la rhétorique et le déploiement militaire contre la Syrie semblaient suivre
le scénario utilisé pour l’Irak et la Libye, il y a eu peu de débats en
Occident sur les raisons pour lesquelles les États-Unis et leurs amis ont
subitement changé leurs plans. Maintenant, avec le recul, nous pouvons voir que
cette attaque directe ratée a mené à une attaque indirecte croissante et à la
montée de ce qui est maintenant connu comme l’État islamique.
Deux des raisons
évidentes que je peux déceler à ce changement soudain ne sont pas la sorte de
choses que les dirigeants politiques occidentaux veulent débattre. L’une est le
fait que ces guerres sont très impopulaires. Comme résultat des mensonges et
des échecs innombrables révélés sur les guerres sauvages et inutiles en
Afghanistan, en Irak et en Libye, il semble que certains politiciens écoutent
leurs citoyens. Comment pouvez-vous expliquer autrement la décision inattendue
du parlement britannique, le jeudi 29 août, de voter contre la participation du
Royaume-Uni à toute frappe contre la Syrie?
L’autre raison
est l’étendue des concentrations de troupes de la Syrie, de la Russie et même
de la Chine. (9) Les Russes et les Chinois n’ont pas seulement bloqué les États-Unis
au Conseil de sécurité. Ils ont « voté » avec leur matériel
militaire. Ils ne sont pas satisfaits de ce que les États-Unis avaient projeté
pour la Syrie et ont fait clairement savoir qu’ils recourraient à la force pour
les arrêter. Quand les Chinois ont-ils envoyé pour la dernière fois des navires
de guerre en Méditerranée? La Russie et la Chine n’approuvent clairement pas la
manière dont les États-Unis décident d’envahir un pays après l’autre.
Qu’est-ce que ça veut dire?
Pour des raisons
qui ne sont pas difficiles à imaginer, il y a eu peu de discussions sur la
signification plus large de ces événements dans les médias occidentaux.
Cependant, des commentateurs comme Israël Shamir et Pepe Escobar croient que
ces événements signalent un changement important dans l’équilibre des pouvoirs
dans le monde. Ce qui suit est tiré d’une présentation par Israël Shamir au
Rhodes Forum le 5 octobre 2013:
« Tout
d’abord, la bonne nouvelle. L’hégémonie américaine, c’est du passé. La brute a
été maîtrisée.
»Nous avons
franchi le cap de Bonne-Espérance, symboliquement parlant, en septembre 2013.
Avec la crise syrienne, le monde a opéré un virage essentiel de l’Histoire
moderne. C’était un quitte ou double presque aussi risqué que la crise des
missiles cubains de 1962.
»Les risques
d’une guerre totale étaient élevés, car les volontés de fer de l’Amérique et de
l’Eurasie s’étaient croisées en Méditerranée orientale. Il faudra un certain
temps pour que ce que nous avons vécu fasse son chemin dans les consciences:
c’est normal pour des événements d’une telle ampleur. » (10)
Par
« Eurasie », il faut entendre la Russie et la Chine. En termes crus,
ces deux pays ont simplement contraint les États-Unis à reculer et à annuler
leurs plans de guerre. Généralement, les gens ordinaires aux États-Unis, au
Royaume-Uni et dans beaucoup d’autres pays étaient tout aussi opposés à
l’attaque que le peuple syrien lui-même.
Pepe Escobar est
encore plus dramatique. Dans un article du 17 octobre, après le recul du
gouvernement de Washington sur la Syrie, il explique qu’il y a eu un changement
de politique à Pékin. Maintenant, pour la Chine, fini de mettre des gants
diplomatiques. Il est temps de construire un monde « désaméricanisé ».
Le temps est venu d’une monnaie de réserve internationale qui remplace le
dollar US. (11) Cette nouvelle approche est présentée dans un éditorial de Xinhua.
(12) La dernière goutte qui a fait déborder le vase a été l’arrêt
des États-Unis [faillite
budgétaire bureaucratique, NdT] venant s’ajouter à la crise
financière provoquée par les banques de Wall Street. Cet éditorial cite ce
qui est peut-être le paragraphe le plus important:
« Au
lieu de remplir ses obligations comme une puissance dirigeante responsable, un
Washington égocentrique a abusé de son statut de superpuissance et a même
introduit davantage de chaos dans le monde en transférant ses risques
financiers à l’étranger, provoquant des tensions régionales dans des conflits
territoriaux, et menant des guerres injustifiées couvertes par des
mensonges. (13)
Dans sa nouvelle
stratégie la Chine s’appuie sur au moins trois principes.
– Le premier est
de stopper les aventures militaires des États-Unis. Toutes les nations doivent
respecter le droit international et régler les conflits dans le cadre des
Nations unies.
– Le deuxième
est d’élargir l’adhésion à la Banque mondiale et au Fonds monétaire
international pour inclure des pays émergents et en développement.
– Le troisième
est de travailler à une « nouvelle monnaie de réserve internationale
qui doit être créée pour remplacer la domination du dollars US ».
(14)
Peut-être est-ce
pour cette raison que les dirigeants de l’Occident ne célèbrent pas
cette guerre qui n’a pas eu lieu. Les Russes et les Chinois ont forcé
l’Occident à respecter le droit international et à éviter une guerre illégale.
De plus, les Chinois voient cela comme le commencement d’une nouvelle ère dans
la politique mondiale. Ils veulent « désaméricaniser » le
monde. Cela signifie que les États-Unis et leur petit groupe d’amis en Europe
de l’Ouest et au Japon devront reconnaître qu’ils ne peuvent pas prendre de
leur propre chef toutes les décisions importantes dans le monde.
Australianvoice | 1er
mars 2015
Notes:
1. Cité d’après un article de David
Axe, « Les bombardiers français étaient chargés, les rebelles syriens
étaient déployés – Tous attendaient le OK d’Obama pour attaquer »; https://medium.com/war-is-boring/69247c24253f
(en anglais)
12. http://news.xinhuanet.com/english/indepth/2013-10/13/c_132794246.htm.
Cela semble être le même important éditorial analysé par Jeff J. Brown dans le
post de Wikileaks « Baba Beijing’s Belly Laugh Felt Round the
World », http://www.wikileaksparty.org.au/baba-beijings-belly-laugh-felt-round-the-world-2/.
La seule différence que je peux voir est que Jeff Brown se réfère à un auteur
nommé Tang Danlu, tandis que le site web de Xinhua se réfère à Liu
Chang comme l’auteur de l’article.
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