samedi 25 février 2017

Syrie : Le nouveau Pacte de Bagdad et le nouveau Plan de Trump en prévision de Genève 4



Des agresseurs qui s’emploient à ressusciter « le Pacte de Bagdad » comme l’explique Madame Bouthaïna Chaabane, conseillère politique du Président Bachar al-Assad, dans son article de ce 20 février, publié par le quotidien syrien Al-watan.

Un rapport confidentiel établi en 1983, et déclassifié le 20 janvier 2017 [1], révèle que les États-Unis ont encouragé Saddam Hussein à attaquer la Syrie dans l’objectif d’occuper les deux pays par une guerre sanglante qui épuiserait leurs forces.
Ce rapport s’appuie sur les déclarations de Graham Fuller, un ex haut fonctionnaire de la CIA, lequel affirme que les États-Unis ont fortement cherché à convaincre Saddam Hussein d’attaquer la Syrie, sous un prétexte ou un autre, dans le but de frapper les deux plus importantes forces du Moyen-Orient arabe et de les éloigner du front de lutte israélo-arabe. Mais vu que Saddam était engagé dans la guerre contre l’Iran, il fallait lui offrir de quoi le tenter avec le soutien de la plupart des États régionaux inféodés aux États-Unis, comme l’Arabie saoudite et d’autres Pays du Golfe, lesquels auraient financé cette guerre afin d’affaiblir la Syrie en tant que force régionale en plein développement. D’où la fourniture d’équipements modernes à Saddam afin de boucler la boucle des pays voisins menaçant la Syrie : la Jordanie, la Turquie et Israël.
Ainsi, et selon les prédictions de ce rapport datant de 1983, la Syrie menacée de trois côtés et peut-être plus, pouvait être contrainte à faire des concessions dans le conflit avec Israël. Par ailleurs, le rapport affirme que convaincre Saddam d’adopter ce scénario était crucial car il devait rompre le rang des arabes et dissimuler le fait qu’Israël et les États-Unis avaient intérêt à ce que cette guerre ait lieu.
Raison pour laquelle les États-Unis ont travaillé à obtenir le consensus des Pays arabes inféodés en faveur de Saddam dans cette affaire, tandis que les études israéliennes de l’époque saluaient l’idée de créer des tensions sur les frontières syro-irakienne, syro-libanaise, syro-jordanienne et syro-turque ; Israël estimant que son problème était la Syrie, non Saddam.
Or, trente ans auparavant, une alliance colonialiste s’est formée en pleine Guerre froide et fut indûment qualifiée de « Pacte de Bagdad » :
[Le Pacte de Bagdad, dont le nom officiel est « Traité d’organisation du Moyen-Orient », a été fondé le 24 février 1955 entre l’Irak, la Turquie, le Pakistan, l’Iran et le Royaume-Uni, rejoints par les États-Unis en 1958. Il sera rebaptisé « Organisation du Traité central » (Central Treaty Organisation) ou CenTO, après le retrait irakien le 24 mars 1959.
Le Pacte de Bagdad -et le Cento après lui- fait partie des alliances internationales du camp occidental dans le contexte de la Guerre froide. Son but était de « contenir » (politique américaine du containment) le communisme et l’Union soviétique en ayant une ligne d’États alliés à sa frontière sud et sud-ouest ; Ndt] [2].
Une alliance regroupant donc la Turquie, l’Iran du Chah, l’Irak sous contrôle du Royaume-Uni, avec le soutien des Pays du Golfe œuvrant contre Jamal Abdel Nasser, afin d’empêcher la propagation des idées nationalistes dans les pays arabes et d’arrêter le soutien de l’Égypte aux mouvements de libération en Afrique et en Asie. Mais la révolution de 1958 en Irak a brisé ce pacte, suivie de l’union de l’Égypte et de la Syrie en République arabe unie [1958-1961], rejointe par l’Irak après dissolution, mais l’union tripartite n’a pas eu lieu.
Ici, il nous faut remarquer que la Turquie a toujours été l’ennemie du nationalisme arabe et particulièrement de la Syrie et de l’Irak, comme si elle ne leur pardonnait toujours pas l’effondrement de l’Empire ottoman et la perte de ses colonies arabes.
Quant aux gouvernants de l’Arabie saoudite et des Pays du Golfe, une lecture attentive de l’Histoire révèle la légèreté qui caractérise leur comportement face à leurs propres causes. D’ailleurs, dans les années 1962 et 1963, le Président Nasser avait souligné le danger des réactionnaires arabes incapables de soutenir la Palestine pour la bonne raison que ceux qui les armaient, armaient Israël. Et donc, qu’ils ne pouvaient que se tenir sur la ligne israélienne ; sinon, que faisaient les bases militaires américaines sur leurs territoires ?
Autrement dit, les Pays du Golfe étaient déjà secrètement engagés dans une réelle et véritable alliance avec Israël. Aujourd’hui, cette alliance est devenue publique. Et le lecteur de l’Histoire observant les événements actuels peut se dire : « Qu’hier ressemble à aujourd’hui ! ».
Car, voici que la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar s’allient de nouveau, et ouvertement, avec les États-Unis et Israël pour financer la guerre enragée menée depuis six ans contre la Syrie, la Libye, l’Égypte, le Liban, le Yémen et l’Irak, avec destruction de leurs infrastructures, de leurs économies, de leurs institutions, de leurs armées, de leurs statuts au niveau international, de leurs monuments historiques et de leur identité culturelle.
Voici que sous la pression des États-Unis, les dirigeants arabes se comportent en associés ou en spectateurs de la « Guerre du printemps arabe », déclenchée grâce au rôle essentiel joué par la Ligue arabe dirigée par le Qatar.
Et voici que la Turquie ottomane d’Erdogan tissent des liens d’alliance avec l’Arabie saoudite et des Pays du Golfe, soutenue en cela par une décision israélo-américaine, afin que la guerre continue à embraser la Syrie sous le slogan « isoler et affaiblir l’Iran », alors que le but israélo-américain est de détruire l’ensemble des arabes, y compris ceux qui les suivent à la trace et financent leurs guerres contre d’autres arabes.
Ce qui signifie que depuis les années cinquante du siècle dernier et jusqu’à ce jour, les outils utilisés contre des arabes, sont des frères arabes inféodés à Israël et aux États-Unis, secrètement ou publiquement. Sauf qu’à chaque fois, sont créés les scénarios appropriés pour qu’ils bondissent sur leurs frères par l’Histoire, l’arabité, la civilisation et la religion, sans que cela n’empêche qu’ils soient eux-mêmes dépossédés de toutes leurs ressources. Et le résultat est bien l’affaiblissement de tous les Arabes qu’ils soient complices de l’ennemi, résistants ou la cible du même ennemi.
Certes, la réaction arabe contre le Pacte de Bagdad fut bonne, en théorie, puisqu’elle a mené à renforcer l’union entre l’Égypte et la Syrie, mais elle n’a pas abouti à la mise place des mécanismes pouvant lui assurer force et pérennité.
Ce que les Arabes perdent toujours c’est le temps. Ils endurent depuis soixante-dix ans des réactionnaires fidèles aux ennemis de la nation, desquels ils sont complices et dont ils accueillent les bases assurant la sécurité d’Israël, tout en finançant leurs guerres.
Malgré cela, il n’y a toujours pas de vrai projet pour contrer le dernier projet réactionnaire israélo-turc travaillant à leur effondrement et à l’épuisement de leurs énergies afin de les transformer tous en une nation faible et vaincue.
Combien de fois faut-il que les événements prouvent que l’Occident et Israël mettent à exécution leurs plans par l’intermédiaire de leurs agents, des Frères Musulmans et des oppositions manipulées par leurs services du renseignement ? N’est-il pas venu le temps de mettre en place notre propre alliance arabe, forte et résistante, sur des bases solides et selon des mécanismes avancés, quitte à apprendre de nos ennemis ?
N’est-il pas venu le temps de réaliser qu’aujourd’hui Erdogan, Israël et les États-Unis pompent l’argent des Pays du Golfe pour financer leur guerre terroriste contre la Syrie, l’Irak, le Yémen et l’Égypte, exactement comme lorsque l’Occident et les dirigeants du Golfe pro-occidentaux ont encouragé Saddam à s’embourber dans la guerre irako-iranienne ? À l’époque ils l’avaient désignée par le « double endiguement » dans l’espoir d’affaiblir l’Irak et l’Iran à la fois. Finalement, l’Irak a été détruit et mis sous occupation, tandis que l’Iran est devenu une puissance nucléaire.
Par conséquent, une coopération arabe sincère est désormais une exigence existentielle pour nous préparer à faire face à l’ennemi qui planifie pour une longue bataille à venir, mais dont les termes et les objectifs ne seront probablement pas divulgués d’ici une trentaine d’années !
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Un pacte élargi bien au-delà du premier d’après l’analyse du Général Amin Hoteit qui revient, toujours ce 20 février, sur le nouveau plan américain visant la partition de la Syrie et sinon, la prolongation d’une guerre d’usure au bénéfice d’Israël :
Les premières déclarations de Trump concernant la « crise syrienne » portaient sur deux points : l’établissement de zones de sécurité pour la protection des déplacés et la guerre contre Daech. Et alors que le premier point a soulevé des problèmes complexes d’ordre pratique et juridique, le second a paru acceptable car initialement interprété dans le cadre d’un comportement contraire à celui d’Obama, avec modification des priorités, des méthodes et des objectifs stratégiques essentiels.
Mais, au bout d’un mois à la Maison Blanche, il est clair que les paroles et les promesses de Trump ne correspondent qu’à une modification linguistique, les objectifs stratégiques américains en Syrie restant inchangés. En effet, dès les premiers jours suivant son investiture, il s’est employé à réorganiser le camp des agresseurs et à redistribuer les missions futures aux partenaires anciens et à ceux nouvellement recrutés pour rejoindre ce camp sur le terrain.
Un nouveau plan américain est donc sur les rails. Bien que ses détails ne soient  pas encore clairement précisés, nous pensons que les États-Unis travaillent à ce qu’il repose sur quatre piliers essentiels qui sont la Turquie, la Jordanie, les Émirats arabes unis et lesdites Forces Démocratiques Syriennes [FDS].
Ce faisant, il ne s’agit évidemment pas d’écarter l’Arabie saoudite et le Qatar, mais de répartir les missions entre les financiers propagandistes et les guerriers sur le terrain, avec la possibilité d’intégrer plus tard des forces militaires saoudiennes si les circonstances le permettent.
Avant de répondre à la question de savoir quelles sont les missions attribuées à chacun et leurs objectifs cachés, il nous faut rappeler que les « zones de sécurité », voulues par Trump pour de prétendues raisons humanitaires, sont en réalité destinées à poursuivre l’objectif premier de partition de la Syrie, contrarié par les victoires retentissantes de l’Armée arabe syrienne les semaines précédant son investiture. Et aussi, que sa volonté de « combattre Daech » s’est accompagnée du refus des États-Unis de toute coopération militaire avec les forces qui le combattent effectivement et efficacement sur le terrain syrien, que ce soit l’Armée arabe syrienne, que ce soit le camp des défenseurs de la Syrie, tout en suggérant l’envoi de troupes au sol, alors que des forces américaines sont déjà présentes dans plusieurs bases militaires récentes au nord de la Syrie.
Partant de ces réalités et du refus de l’OTAN de coopérer avec la Russie, nous pouvons dire que Trump brandit le slogan de la lutte contre Daech, mais dissimule l’intention d’une intervention militaire directe, ou indirecte par l’intermédiaire de ses alliés, et qu’en cela il répond aux attentes d’Israël qui lui donne le choix entre résoudre le conflit par une action militaire directe au bénéfice du camp des agresseurs ou le prolonger en poursuivant la logique des guerres par procuration à des acteurs locaux ou régionaux afin de torpiller toute chance de solution politique.
C’est pourquoi, il ne nous faudra pas trop compter sur la réunion de Genève 4, ce 23 février, en dépit des dispositions apparemment favorables des États-Unis, lesquels ne voient pas d’intérêt à négocier une solution politique de la crise syrienne alors que les réalités du terrain ne sont pas à leur avantage. Ils préfèrent miser sur une escalade militaire, probablement sur une période minimum de trois mois, en ameutant de nouvelles forces qui pourraient modifier la situation et les amener aux négociations dans des conditions plus confortables.
Ceci étant dit, revenons aux missions attribuées aux nouvelles forces censées pouvoir concrétiser les objectifs américains.
D’abord la Jordanie, pays qui subit des pressions contraires :
·                   Pression russe qui l’invite à la réunion d’Astana 2 censée consolider et définir les modalités du processus de cessation des hostilités décidé à la réunion d’Astana 1, alors qu’il s’était soustrait à son engagement de fermer ses frontières aux terroristes en raison de pressions américaine et saoudienne à la fois.
·                    Pression américaine qui le pousse à prendre en charge la création d’une dite « zone de sécurité » dans le sud syrien, aux frais des Pays du Golfe et en coordination avec Israël, conformément à ses exigences.
·                    Pression saoudienne qui le somme de soutenir les groupes terroristes attaquant la ville de Daraa par une dernière opération intitulée « Plutôt la mort que l’humiliation », laquelle a échoué jusqu’ici du fait de la bravoure des défenses syriennes dans la région.
Ensuite, les  Émirats arabe unis, pays pour la première fois directement plongé par les États-Unis en territoire syrien, et qui semble avoir été choisi pour les raisons suivantes :
·                   D’une part, rassurer les tribus arabes de la région nord-est dont les habitants hésitent à combattre sous la bannière desdites « Forces Démocratiques Syriennes » dominées par les Kurdes et soutenues par les USA, l’animosité des Émiratis pour les Frères Musulmans [dont Erdogan est le chef de file, NdT] pouvant compenser cette hésitation.
·                   D’autre part, atténuer les angoisses des Turcs qui craignent la création d’une entité indépendante kurde dans cette région nord-est de la Syrie, laquelle serait gérée par les Émirats, justement là où les USA cherchent à installer leur nouvelle base militaire.
Quant à la Turquie, troisième volet essentiel du plan américain qu’il faut absolument éloigner de la Russie, elle aura les mains libres dans le centre de la Syrie pour couper entre l’Est et l’Ouest par la création d’une prétendue « zone de sécurité » de 5000 Kms2, laquelle atténuera encore plus ses angoisses face aux Kurdes, servira ses intérêts et, du même coup, empêchera l’État syrien de restaurer son unité territoriale et démographique.
La mise en œuvre de ce énième plan américain nécessite le report de toute solution politique, à Genève ou ailleurs, et la non-consolidation du processus de cessation des hostilités, sauf dans un sens compatible avec les objectifs américains.
C’est ce qui explique le comportement négatif de la Turquie et de la Jordanie à la réunion d’Astana 2. Et c’est aussi ce qui explique les déclarations de Staffan Mistura destinées à torpiller Genève 4 par la proposition d’un ordre du jour qui n’est pas de son ressort, mais de celui de la Constitution adoptée par le peuple syrien.
Pour finir, nous pensons que les espoirs fondés sur un changement de la politique américaine, notamment son abandon de l’exploitation du terrorisme pour se mettre à le combattre, sont sans doute déplacés, et que les objectifs visant la partition de la Syrie paraissent inchangés.
Reste l’hypothèse qu’en tentant de modifier l’équilibre actuel des forces sur le terrain, Trump ne cherche qu’à gagner des cartes exploitables à la table des négociations ; auquel cas, il nous faut rester concentrés sur le terrain militaire, tout en restant nécessairement disponibles sur le terrain politique.
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Pour conclure, il n’est pas interdit de partager l’optimisme de Monsieur Nasser Kandil dans une brève de ce 19 février :
·                   Tout observateur de la guerre sur la Syrie sait que l’opposition et les factions armées sont des façades syriennes complètement contrôlées par des volontés étrangères du fait d’une dépendance inchangeable financière, militaire, géographique et politique.
·                   Washington, la Turquie et l’Arabie saoudite se partagent la gestion de ces façades.
·                   Genève et Astana sont des stations de fructification des résultats militaires de la guerre en Syrie par des accords politiques entre une station et la suivante.
·                   Au début, Genève était une occasion de tester le degré de maturité de l’État syrien et de ses alliés pour accepter l’idée de la défaite et accorder les concessions qui remettraient la Syrie au camp adverse, contre l’arrêt de la guerre. Les termes désignant une telle reddition ont varié, mais leur sens est resté invariable avec Lakhdar Brahimi et Staffan de Mistura.
·                   Suite aux victoires de l’Armée syrienne, depuis le positionnement russe jusqu’aux batailles d’Alep, la situation s’est inversée et Genève est devenue une station d’évaluation du degré de maturité du camp guerrier adverse pour reconnaître sa défaite et obtenir de quoi sauver la face sous le titre de « la guerre contre le terrorisme ».
·                   Astana est destinée à tester la séparation entre le Front al-Nosra et les autres factions armées, et Genève est destinée à ôter l’exclusivité de la représentation de l’opposition au « Groupe de Riyad », en attendant l’émergence d’une opposition compatible avec la dernière station.
·                   La Turquie n’a pas encore mûri parce que les États-Unis ne sont toujours pas mûrs.
·                   Cette fois-ci, Genève, ce sera pour la « photo souvenir ».
B. Chaabane ; A. Hoteit ; N. Kandil


Sources : Al-Watan / Elnashra / Top News Nasser Kandil
Traduction par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
20/02/2017

Notes :
[1] BRINGING REAL MUSCLE TO BEAR AGAINST SYRIA
[2] Pacte de Bagdad