A l’occasion de la tenue du colloque organisé dernièrement
par le Centre de recherches militaires sur le retour des terroristes en
Tunisie, Le Temps a eu l’occasion de s’entretenir avec l’ancien Doyen
de l’ordre des avocats et ancien député à l’ANC Fadhel Moussa. En
janvier, il avait émis des réserves quant aux chiffres avancés par le
gouvernement sur le nombre de terroristes de retour au pays. Expert
constitutionnel, il apporte dans cet entretien quelques
éclaircissements sur cet épineux dossier.
Quel avis portez-vous sur la polémique autour du retour des terroristes au pays ?
Avant de donner mon avis, j’aimerai revenir sur
l’expression même de « retour des zones de tension » utilisée. Dans la
première version de la loi, on retrouve la mention de « zones de
combat », une appellation en référence à l’Etat Islamique en Irak et au
Chem (DAECH). Mais aujourd’hui, le terrorisme s’est étendu à presque
tous les pays et il ne s’agit plus seulement de zones de combat mais de
zones de tension, ce qui explique le changement de l’appellation. Car
aujourd’hui, il ne suffit plus de traquer et de se préoccuper des
revenants de Syrie, de Libye et d’Irak mais aussi de tous ceux qui
participent ou ont participé de près ou de loin à des attentats dans les
pays ciblés tels que la France, l’Allemagne ou ailleurs. Ce qui
renforce l’idée que le retour des terroristes n’est pas une affaire
tuniso-tunisienne mais bien plus complexe et internationale. Par
ailleurs, le problème n’est pas seulement là, il faut également
s’occuper des réseaux qui ont permis l’endoctrinement et le transfert de
milliers de Tunisiens dans ces pays à risque. Il serait erroné de se
dire que le phénomène a cessé. Bien au contraire !
Dans quelle direction doit s’engager la Tunisie pour traiter ce dossier ?
La Constitution n’a certes pas explicitement abordé ce
sujet, mais le Conseil de sécurité nationale a été chargé de s’y
intéresser afin de faire le point sur la situation, d’identifier les
risques et les points périlleux qui y sont relatifs et d’établir une
série de mesures conséquentes. Je ne cesserai de dire que le retour des
terroristes n’est pas une problématique d’ordre national mais plutôt
international puisqu’elle repose essentiellement sur des interactions
avec d’autres Etats et qu’elle aura des répercussions non seulement sur
la Tunisie mais aussi sur d’autres pays. Le meilleur exemple actuel est
l’Allemagne suite à l’attentat de Berlin et le rapatriement de plus
d’un millier de Tunisiens en situation irrégulière et les tensions
engendrées par cet épineux dossier. Il faut donc faire preuve d’un grand
sens de la diplomatie afin de traiter efficacement ces affaires
complexes tout en préservant les relations entretenues avec d’autres
pays. Mais il est clair que la Tunisie ne peut travailler seule sur ce
dossier. Il faut que toutes les parties internationales concernées
unissent leurs efforts. Dans ce contexte, il ne faut pas oublier que la
Tunisie est membre de la Cour Pénale Internationale (CPI) et un recours à
cette institution juridique pénale universelle est envisageable et même
plus que souhaitable. La CPI dispose en effet de connexions et de
mécanismes qui pourront faire rapidement les choses, concernant
l’identification des terroristes et la mise en place d’une base de
données exacte et précise.
La déchéance de nationalité peut-elle être une solution efficace ?
Déchoir un terroriste de sa nationalité n’est certainement
pas la solution adéquate à ce type de problème. Il s’agit là d’une
punition interne qui aurait de sinistres répercussions. De toute façon,
l’article 25 de la Constitution l’interdit catégoriquement et il est peu
recommandé de l’abroger à ce sujet. Par ailleurs, la Tunisie est
signataire de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et
celle de 1961 portant sur la réduction des cas d’apatridies.
L’orientation mondiale est en effet à la réduction du nombre d’apatrides
et non le contraire. Beaucoup estiment qu’être déchu de sa citoyenneté,
c’est être privé de son humanité et de son appartenance au monde. Ces
personnes vivent en marge des sociétés et peuvent représenter un plus
grave danger pour les pays. Concrètement, ce qu’il faudrait pour les
terroristes de retour au pays, c’est qu’ils soient classés au plus haut
rang des criminels et jugés par des tribunaux tunisiens et selon les
lois tunisiennes.
Entretien mené
par Rym BENAROUS
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