Recep Tayyip Erdoğan se trouve aujourd’hui dans la
position du Premier ministre italien des années 70, Aldo Moro. Les deux hommes
sont à la tête d’un État-membre de l’Otan et doivent faire face à l’hostilité
des États-Unis. L’Otan est parvenue à éliminer l’Italien en manipulant un groupe
d’extrême-gauche, mais, grâce
à l’aide de Poutine, a échoué à tuer le Turc.
En transmettant à al-Qaïda et à Daech les armes que
lui faisaient parvenir l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Otan, Erdoğan a lié une
relation étroite avec les organisations jihadistes. Il n’a pas hésité à
utiliser la guerre contre la Syrie pour se faire de l’argent à titre personnel. D’abord en démontant
et en pillant les usines d’Alep, puis en trafiquant le pétrole et les
antiquités volés par les jihadistes.
Cependant, l’intervention du Hezbollah à partir de
juillet 2012, puis celle de la Fédération de Russie, en septembre 2015, ont
fait basculer le sort des armes. Désormais, la gigantesque coalition des
« Amis de la Syrie » a largement perdu le terrain « utile »
qu’elle occupait et a de plus en plus de difficulté à engager de nouveaux
mercenaires. Des milliers de jihadistes ont déserté le champ de bataille et se
sont déjà repliés en Turquie, pour essayer de regagner leur pays d’origine, ce
qui cause déjà des cauchemars à ces pays.
En effet, la plupart d’entre eux sont incompatibles
avec la civilisation turque. Car ces jihadistes n’ont pas été recrutés comme
une armée de mercenaires cohérente, mais pour faire nombre. D’ailleurs, pour la
plupart d’entre eux, il s’agit de délinquants arabes encadrés par les Frères musulmans.
À titre d’exemple, dans notre article intitulé »
« Syrie
: Pourquoi la Tunisie fournit-elle autant de terroristes ? «, nous avions
écrit :
« Il
est de notoriété publique que la majorité des jihadistes tunisiens en Syrie
sont recrutés, formés idéologiquement et psychologiquement dans les prisons, où
ils purgeaient leurs peines pour divers méfaits de droit commun avec l’aide de
fausses "associations caritatives" islamistes encouragées par l’État
tunisien [1]. Une fois cette
formation achevée, ces associations dressent la liste des récipiendaires à
gracier. A la première occasion, le président Marzouki,
fantoche des islamistes, n’a plus qu’à signer cette grâce. Dès leur sortie de
prison, les plus intelligents prennent la poudre d’escampette pour gagner
l’Europe. Les autres sont fermement « orientés » vers la Syrie, via
la Libye et la Turquie, moyennant une poignée de pétrodollars versée à leur
famille. Parmi eux, certains arrivent à convaincre leurs sœurs ou leurs jeunes
épouses de les accompagner en Syrie pour le djihad
sexuel, c'est-à-dire la prostitution. Ainsi s’explique la proportion
anormalement élevée des Tunisiens et de Tunisiennes parmi les terroristes en
Syrie. »
Des attentats en Europe (Nice,
Paris,
Bruxelles,
Berlin)
montrent que les services secrets occidentaux utilisent aussi ce genre de délinquants
« islamisés » pour perpétrer des attentats sous faux drapeau.
Progressivement, on a ajouté à ces délinquants
islamistes arabes et européens, les soufis Naqchbandis du Caucase et d’Irak.
Cet invraisemblable bric-à-brac ne peut pas tenir si on le déplace en Turquie.
D’abord parce que désormais ces jihadistes sont d’abord motivés
par le sexe et l’argent des vols et rapines, ce qui paraît irréalisable en
Turquie, qui possède la deuxième armée de l’Otan. Ensuite, s’ils veulent leur
califat à Istanbul, la place est déjà prise par Erdogan. D’autre part, les
jihadistes arabes, dont le niveau culturel dépasse rarement bac moins six, ont
adopté le wahhabisme des donateurs saoudiens. Selon cette idéologie talmudique [2] du désert, l’Histoire n’existe pas, alors
on détruit tout ce qui peut nous y rattacher. Avant Mahomet, tout ce qui a existait
ne peut être que l’émanation du diable. Ainsi s’expliquent leur rage
destructrice, non seulement en Irak et en Syrie, mais aussi en Algérie, en
Libye et en Tunisie. Ils ont donc
détruit de nombreux vestiges antiques, prétendument parce que le Coran
interdit les idoles.
De fait, aujourd’hui Recep Tayyip Erdoğan a —outre la
Syrie— trois ennemis simultanés :
1.
Les États-Unis
et leurs alliés turcs, le FETÖ de l’islamiste pro-occidental Fethullah
Gülen ;
2.
Les Kurdes
indépendantistes et plus particulièrement le PKK ;
3.
Les ambitions
étatiques sunnites des jihadistes, particulièrement de Daech.
Si l’intérêt de la Turquie était prioritairement
d’apaiser ses conflits intérieurs avec le PKK et le FETÖ, celui d’Erdoğan est
de se trouver un nouvel allié. Il fut celui des États-Unis à leur apogée, il
souhaite devenir celui de la Russie, désormais première puissance militaire
conventionnelle au monde.
Ce retournement semble d’autant plus difficile à
réaliser que son pays est membre de l’OTAN ; une organisation que personne n’est jamais parvenu à
quitter. Peut-être pourrait-il, dans un premier temps, sortir du
commandement militaire intégré, comme le fit la France, en 1966. À l’époque, le
président Charles De Gaulle avait dû faire face à une tentative de coup d’État
et à de nombreuses tentatives d’assassinat par l’OAS, une organisation financée par la CIA [3].
Bien que l’on ignore précisément le nombre de
jihadistes en Syrie et en Irak, on peut estimer qu’ils sont aujourd’hui entre
50 et 200.000. Sachant que ces mercenaires sont massivement irrécupérables, que
va-t-on en faire ? L’accord de cessez-le-feu, rédigé de manière
volontairement imprécise, laisse ouvert la possibilité d’une attaque contre eux
à Idleb. Ce gouvernorat est occupé par une kyrielle de groupes armés, sans
liens les uns avec les autres, mais coordonnés par l’Otan depuis le LandCom
d’Izmir, via des ONG « humanitaires ».
À l’inverse de Daech, ces jihadistes n’ont pas su
s’organiser correctement et restent tributaires de l’aide de l’Alliance
atlantique. Celle-ci leur parvient via la frontière turque, qui pourrait être bientôt fermée.
Cependant, s’il est facile de contrôler les camions qui empruntent des routes
bien définies, il n’est pas possible de stopper le passage des hommes à travers
champs. Des milliers, peut-être des dizaines de milliers de jihadistes
pourraient bientôt fuir vers la Turquie et la déstabiliser.
Le retournement de la Turquie, s’il se
confirme dans les mois à venir, provoquera des conséquences en chaines.
À commencer par le fait que le président Erdoğan se
présente désormais non seulement comme l’allié de la Russie, mais comme le
partenaire du Hezbollah et de la République islamique d’Iran, c’est-à-dire les
piliers de l’Axe de la Résistance face à l’Axe du Mal des Islamistes-Sionistes-Impérialistes.
Fini donc le mirage d’une Turquie leader du monde
sunnite, bataillant les « hérétiques » chiites avec l’argent saoudien
et qatari. Mais le conflit artificiel intra-musulmans que Washington a lancé ne
s’arrêtera pas tant que l’Arabie saoudite n’y aura pas renoncé elle aussi, à
moins de la chute de la dynastie saoudienne comme un fruit pourri.
L’extraordinaire basculement de la Turquie est
probablement difficile à comprendre pour les Occidentaux, selon qui la
politique est toujours publique. Sans évoquer l’arrestation d’officiers turcs
dans un bunker de l’Otan à Alep-Est [4],
il y a deux semaines, il est plus facile à interpréter pour ceux qui se
souviennent par exemple du rôle personnel de Recep Tayyip Erdoğan durant la
première guerre de Tchétchénie, alors qu’il dirigeait la Millî Görüş ; un
rôle dont Moscou n’a jamais parlé, mais sur lequel les services de
renseignement russes ont conservé de nombreuses archives. Vladimir Poutine a
préféré transformer un ennemi en allié, plutôt que de le faire
tomber et de devoir continuer à se battre contre son État. Le président Bachar
el-Assad, sayyed Hassan Nasrallah et l’ayatollah Ali Khamenei lui ont
volontiers emboité le pas.
Après avoir espéré conquérir la Syrie, le président
Erdoğan se trouve, du seul fait de sa politique, contesté sur trois
fronts : par les États-Unis et le FETÖ de Fethullah Gülen, par les Kurdes
indépendantistes du PKK, et par Daech.
À ces trois adversaires, pourrait à nouveau s’ajouter
la Russie qui détient de nombreuses informations sur son parcours personnel.
Aussi le président Erdoğan a-t-il choisi au contraire de s’allier avec Moscou
et pourrait-il sortir du commandement intégré de l’Otan.
Source : Thierry Meyssan
Pendant ce temps, Ankara a déclaré à Washington qu'elle
n'avait pas reçu suffisamment de soutien pour lutter contre Daech, a déclaré
jeudi à Kanal 24 le porte-parole d'Erdogan, Ibrahim Kalin. Le
porte-parole a ajouté qu'il avait le sentiment que le président élu américain
Donald Trump accorderait plus d'attention aux "sensibilités" de la
Turquie.
La Turquie va-t-elle
fermer à la base aérienne d'Incirlik au milieu d'une "crise de confiance" avec ses alliés de l'OTAN ?
Base aérienne d'Incirlick |
De hauts responsables turcs ont mis en doute l'utilisation
de la base aérienne d'Incirlik par la coalition dirigée par les États-Unis,
citant une "crise de confiance" avec Washington et un soutien
insuffisant aux forces terrestres de la Turquie en Syrie.
La coalition dirigée par les États-Unis ne fait pas grand
chose pour fournir un soutien aérien aux troupes turques déployées en Syrie
dans le cadre de l'Opération Bouclier de l’Euphrate, a déclaré mercredi le
ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu à l'agence de presse
Anadolu.
"Nos gens se demandent, pourquoi utilisent-ils la
base aérienne d'Incirlik. Nous
avons permis non seulement aux avions des États-Unis, mais aussi ceux d'autres
pays d'utiliser Incirlik de combattre conjointement [l'État islamique]
", a-t-il dit.
"A quoi servez-vous si vous ne nous fournissez
pas de soutien aérien contre Daesh [l'État islamique] dans l'opération la plus
délicate pour nous?", a-t-il ajouté.
Bien que le ministre ait appelé les États-Unis "un
allié très important", il a souligné qu'il y a "la réalité
d'une crise de confiance dans la relation en ce moment."
Actuellement, les troupes turques et les combattants
rebelles de l'Armée syrienne libre sont impliqués dans une offensive terrestre
majeure pour saisir la ville syrienne d'al-Bab, place forte de Daech. Les
combats dans la région se sont intensifiés après l'attentat terroriste dans une
boîte de nuit à Istanbul, réclamé par Daech.
Dans sa déclaration de mercredi, Cavusoglu a également
accusé Washington d'aider les milices kurdes - considérés comme des terroristes
par Ankara - et "préférant, de ce fait, les organisations terroristes à
son allié [la Turquie]".
Le ministre turc de la Défense, Fikri Isik, a déclaré que le
manque de soutien aérien des États-Unis pour l'opération de la Turquie à al-Bab
"soulève des questions" sur la présence américaine à Incirlik.
"Nous espérons que toutes les forces de la
coalition, principalement les États-Unis, donneront l'appui aérien et autre dont
la Turquie a besoin dans le Bouclier de l'Euphrate et ceci dans les plus brefs
délais", a déclaré Isik aux journalistes à Ankara, selon le
quotidien Hurriyet.
"Mais il est choquant que, malgré le fait que
nous avons été alliés de l'OTAN pendant des années, et qu'une coalition a été
établie pour lutter contre Daech, cette coalition ne soutient pas notre opération
de Bouclier d'Euphrate lancée par l'Armée Syrienne Libre et soutenue par les forces armées turques
", a-t-il ajouté.
Ibrahim Kalin |
Le vice-Premier ministre Veysi Kaynak a déclaré jeudi au
radiodiffuseur A Haber que le sort de la base aérienne d’Incirlik
est sur l’agenda du gouvernement turc.
Le commandant de la Force aérienne américaine, John Dorrian,
a déclaré en réponse aux déclarations de la Turquie que toute mesure visant à
limiter ou interdire les opérations aériennes à Incirlik entraînerait un
résultat désastreux.
“Le
monde entier a été rendu plus sûr par les opérations qui y ont été menées
", a-t-il déclaré aux journalistes de Bagdad mercredi. "C'est
une base très importante pour la coalition et pour la lutte continue contre
Daesh."
Incirlik a été utilisé conjointement par les forces aériennes
turques et américaines depuis la guerre froide, en plus d'être un important
carrefour de l'OTAN dans la région. Des
armes nucléaires tactiques y seraient stockées, une allégation que le Pentagone
a toujours niée. Au mois de juillet, la Turquie a imposé un ordre temporaire de
non-vol sur les vols américains à partir d'Incirlik , suite à la tentative de
coup d'État avorté contre le président turc Recep Erdogan. Les relations entre
Ankara et Washington ont également été marquées par la réticence des États-Unis
à approuver la demande d'extradition de la Turquie pour le clerc musulman exilé
Fethullah Gulen, que Erdogan accuse de fomenter la tentative de coup d'État de
juillet.
Cela dit, les Turcs pourraient penser que si les États-Unis,
la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et Israël peuvent soutenir leurs
mercenaires terroristes en Syrie pour "défendre leurs intérêts", alors pourquoi ne pas aider
la Turquie, qui a été, depuis le début de cette guerre, de leur côté ?
D’autre part, la Turquie possède une très forte aérienne,
mais elle ne peut pas l’utiliser en Syrie car les Russes le lui interdisent.
Hannibal GENSERIC
NOTES