L'Ukraine post-Maïdan est, sans surprise, devenue un insondable merdier. Conflit ouvert ou couvert entre néo-nazis et oligarques pro-occidentaux, anciens alliés d'hier, pression continuelle des premiers sur les seconds qui passent d'ailleurs leur temps à se bouffer entre eux, situation économique catastrophique, guerre et avenir en berne. Au Moyen-Orient, et tout à leur Grand
jeu, les stratèges US voient avec inquiétude les Russes s'implanter
dans cette zone incontournable qu'est en train de devenir la
Méditerranée orientale. Bases syriennes, accord naval avec Chypre, et
maintenant Gazprom... c'est plus que Washington ne pourrait en supporter
!
Nadia Savchenko |
C'en est trop pour le panier de crabes kiévien qui l'accuse
de vouloir fomenter un coup d'Etat en appelant les troupes ukrainiennes
à "renverser le gouvernement". Info, intox ? Toujours est-il que
l'inénarrable SBU, le service secret ukrainien, a ouvert une enquête.
Cette affaire ne pouvait pas plus mal tomber pour la junte, alors que
le blocage du charbon du Donbass par les nationalistes continue et
entraîne une hystérisation
du débat politique (la dernière passe d'armes en date a mis dans
l'arène la blonde à tresses Timochenko et le Premier ministre).
A 13 000 km de là, en Argentine, un autre petit soldat du système impérial est bien en peine. Pris dans les Panama Papers puis un scandale de corruption familiale, Macri est en chute libre
dans les sondages. Résultat : une autre pasionaria, la Kirchner,
Cristina pour les intimes, le devance largement en popularité dans
l'optique de l'élection présidentielle de 2019.
Si on en est
encore loin, l'affaire est d'importance. L'on se rappelle que c'est le
putsch constitutionnel contre Dilma au Brésil et l'élection de Macri en
Argentine qui avaient permis à l'empire de détacher partiellement
l'Amérique latine du monde multipolaire et, apparemment, de mettre à mal
la dynamique des BRICS - même si l'Argentine n'en faisait pas partie,
elle faisait souvent figure de membre associé.
En réalité, cette dynamique n'a jamais cessé, comme le montre un article étonnant d'objectivité du Monde (comme quoi, tout arrive...) Mais un retour de Cristina à la Casa Rosada apporterait à coup sûr un regain d'activité et accélérerait le processus de multipolarité.
Si Israël participe d'ailleurs à cette tendance de fond - comme en témoignent les négociations
pour s'arrimer à l'Union Eurasienne -, le souci immédiat de Tel Aviv
est plus prosaïque : le Hezbollah. Selon des rapports apparus dans la
presse israélienne, le mouvement chiite libanais a atteint de tel degré de sophistication,
y compris dans sa composante navale, qu'il peut frapper Israël où et
quand il veut, notamment la marine de l'Etat hébreux, les cargos qui le
ravitaillent (90% des importations du pays) et, last but not least, les plateformes offshore.
Mmmm... ça ne vous rappelle rien ? Nous en parlions l'année dernière :
En
2010 a été découvert Léviathan, un très gros gisement offshore au large
des côtes israéliennes, mais que le Liban et Chypre disputent aussi à
l'Etat hébreu. Même si une compagnie, Delek Energy, associée à une
société texane, la mal nommée Noble Energy, ont commencé à prospecter,
le développement du champ gazier est peu ou prou bloqué. La faute à
d'énormes investissements difficiles dans un contexte de baisse des
cours, aussi et surtout à une bataille politico-judiciaire
intra-israélienne. En 2012, le géant Gazprom avait déjà proposé d'entrer
dans le tour de table mais ses avances avaient été, à l'époque,
rejetées sous pression américaine. Ce n'est peut-être plus le cas
désormais...
Beaucoup de choses ont en effet changé depuis :
- la relation américano-israélienne est à son plus bas historique (accord sur le nucléaire iranien, soutien de Washington aux Frères musulmans égyptiens et même putsch néo-nazi du Maïdan très mal vu à Tel Aviv)
- l'inexorable montée en puissance russe au Moyen-Orient via l'intervention en Syrie et ses conséquences (alliance de facto avec le Hezbollah, rupture avec la Turquie)
Tout à leur Grand
jeu, les stratèges US voient avec inquiétude les Russes s'implanter
dans cette zone incontournable qu'est en train de devenir la
Méditerranée orientale. Bases syriennes, accord naval avec Chypre, et
maintenant Gazprom... c'est plus que Washington ne pourrait en supporter
! Les Américains font tout pour qu'Israël rompt toute discussion avec
le géant russe et vende son gaz à la Turquie, elle-même très dépendante
du gaz russe. Joe Biden, qui apparaît toujours là où les intérêts
CIA/néo-cons sont en jeu, a effectué une visite en Israël début mars pour rabibocher Tel Aviv et Ankara (et tenter de marginaliser Moscou). Apparemment, sans résultat...
Depuis
la visite de Joe l'Indien, la haute-cour israélienne a rendu son
jugement, bloquant le développement de Léviathan, mais ceci n'est
peut-être que la partie émergée de l'iceberg. L'establishment militaire
israélien préfère maintenir
une coopération militaire avec Moscou et ne pas déplaire à Poutine que
de rétablir les liens avec le sultan fou. Surtout que l'intervention
syrienne a placé dans les mains de Vladimirovitch des atouts
supplémentaires, notamment grâce au Hezbollah.
Fin février, nous écrivions :
On
en était là quand l'intervention russe a sérieusement rebattu les
cartes, Tel Aviv et Beyrouth-Sud se mettant sur leur 31 pour courtiser
Poutine.
L'alliance entre
Moscou et le Hezbollah est logique, presque naturelle. Mêmes alliés
(Assad, Téhéran), même farouche opposition à l'islamisme sunnite. La
tolérance absolue du Hezbollah envers les chrétiens d'Orient (voir ces étonnantes photos
des combattants chiites au garde-à-vous devant Jésus dans des villages
chrétiens syriens libérés) joue également en sa faveur, la Russie se
considérant comme la protectrice du christianisme moyen-oriental.
Alarmé, Netanyahou s'est alors précipité à Moscou faire des ronds de jambe à Poutine. On avait connu Bibi la Terreur moins placide...
Ce
voyage n'a pas empêché le Hezbollah de mettre la main sur des armements
russes. Qu'ils aient été livrés par les Syriens qui les avaient
eux-mêmes reçus (plus probable) ou livrés directement par Moscou selon les dires de hauts responsables du mouvement chiite, cela importe somme tout assez peu.
L'état-major de Tsahal est plus que remué, notamment par le fait que le mouvement libanais est vraisemblablement en possession de missiles de croisière supersoniques Yakhont. Les récentes déclarations
de Nasrallah - "les stock de gaz ammoniac d'Haïfa sont notre bombe
nucléaire" - ont également provoqué la panique en Israël où l'on
considère sérieusement transférer les usines chimiques dans le sud du
pays, à un coût exorbitant.
Tiens,
tiens, justement en face du gisement qui nous intéresse... Et Poutine
de jouer sur du velours, utilisant la menace de ses alliés pour faire
monter les enchères. Selon un bon connaisseur
du sujet, en échange d'une participation de Gazprom, le maître du
Kremlin aurait assuré les Israéliens qu'il n'y aurait "aucune
provocation de la part du Hezbollah ou du Hamas." Message à double sens ?
La
balle est dans le camp des Israéliens. De cette décision dépendra en
partie la future carte stratégique du Moyen-Orient. En attendant, le
tsar du gaz peut danser...
25 Février 2017
,
Rédigé par
Observatus geopoliticus
Observatus geopoliticus