Le
célèbre fondateur d’Alibaba est un PDG milliardaire (sa fortune de 40 milliards $ en fait l'homme le plus riche de Chine) , mais les mots
qu’il diffuse dans le monde entier ont des échos de Karl Marx, de Vladimir
Lénine et de Mao Dzedong. Il peut être difficile pour une oreille non avertie
de l’identifier, mais il n’est pas surprenant que cette vedette de l’économie
planifiée chinoise soit en bons termes avec un parti au pouvoir profondément
idéologique. Pour ceux qui connaissent le sujet en profondeur, des
sous-entendus marxistes peuvent être retrouvés tout au long de l’optimisme
technologique de Jack Ma.
Un matérialisme historique
Beaucoup
de gens ouvrent le manifeste communiste en s’attendant à y trouver un plan pour
un monde idéal, étalé devant eux. Pourtant, Karl Marx ou ses associés ont très
peu écrit au sujet de la nature supposée du monde futur. Les écrits de Marx
portaient plutôt sur des concepts philosophiques qu’il a inventés, le
matérialisme dialectique et historique. En substance, le marxisme est une
description de l’histoire du monde comme étant la résultante d’une lutte pour
faire progresser les niveaux de vie et atteindre un mode de production plus
élevé.
Jack Ma, le fondateur d’Ali Baba, premier site de vente en ligne chinois. |
En
s’exprimant au Valdaï Discussion Club en octobre, Jack Ma a sévèrement critiqué
ceux qui réagissent à l’avènement d’Internet par la peur. Il a déclaré : « Là où d’autres personnes s’inquiètent, nous trouvons
des moyens de résoudre cette inquiétude. » Il a rappelé à
l’auditoire les nombreuses peurs qui ont accompagné l’invention de l’automobile
et ajouté : « Si nous avons plus
d’imagination et de créativité, nous nous sentirons beaucoup mieux. »
À
l’époque de la révolution industrielle du XIXe siècle, la
perspective de Marx était la même. Tout en critiquant le capitalisme, Marx
saluait la naissance de l’économie industrielle et des révolutions sociales qui
avaient détruit le féodalisme. Marx voyait la fin du servage et la naissance de
la classe ouvrière industrielle ou du « prolétariat »,
conséquences des énormes progrès technologiques, comme un formidable bond en
avant.
Jack Ma
a aussi averti le public du danger potentiel associé aux progrès
technologiques. Il est allé jusqu’à faire remarquer que les deux guerres
mondiales se sont déclenchées à la suite de bonds technologiques.
Ce
faisant, Ma pointait vers une compréhension du concept marxiste de
surproduction et de baisse du taux de profit. En effet, les deux guerres
mondiales ont été précédées par des ralentissements économiques et des périodes
de dépression, et ces deux périodes difficiles ont été le résultat direct des
progrès technologiques.
Dans
« Le Capital », Marx explique que les
propriétaires d’usines et d’entreprises cherchent constamment à révolutionner
les moyens de production afin de produire des biens plus efficacement
qu’auparavant. Cependant, dans ce processus de diminution des coûts de
production et de recherche d’efficacité, le pouvoir d’achat des travailleurs
diminue aussi. Finalement, l’abondance créée par les progrès technologiques
crée une pauvreté de masse. Les marxistes du monde entier ont décrit les
développements politiques qui ont finalement abouti aux deux guerres mondiales
comme une conséquence des crises économiques créées par la surproduction.
Pourtant,
malgré son inquiétant avertissement, Ma semble penser qu’un résultat
potentiellement différent sera la conséquence de la révolution informatique. En
1848, Marx soulignait que la révolution industrielle réduisait les ouvriers à
être « un appendice des machines ». En
2017, Jack Ma nous dit : « Nous avons transformé
des gens en machines, maintenant nous faisons des machines à l’image des
gens. »
Ma
soutient que l’éducation peut être complètement transformée car l’humanité est
témoin de la naissance de la technologie des données (TD) en remplacement de la
technologie informationnelle (TI). Selon Ma, avec la naissance de la TD, ce
qu’il appelle les « travaux
stupides », ceux pour lesquels les êtres humains sont poussés
à ne pas utiliser leur intelligence pourraient être éliminés. Dans la nouvelle
économie, la créativité humaine doit se développer pour faire ce que les
machines ne peuvent pas faire, car « une machine ne peut
avoir d’âme ».
« Nous
avons besoin d’un G200, pas d’un G20 »
Tout
comme Karl Marx, Jack Ma n’est pas un adversaire de la mondialisation. Au
contraire, comme Marx l’a fait au XIXe, Ma salue la montée de l’économie
mondiale comme un pas en avant, en disant (comme disaient les Carthaginois il y a 2500 ans) « là où le commerce
s’arrête, le monde s’arrête ».
Cependant,
même si Ma ne critique pas la globalisation en tant que concept, il est opposé
au déséquilibre de l’économie mondiale. Décrivant le caractère injuste du
marché mondial, il a déclaré « 20% des pays
réussissent, tandis que 80% n’ont aucune chance ».
Ici, Ma
s’oppose frontalement au récit de la mondialisation poussé par les partisans du
néolibéralisme. Le « Sud global »
ne devient pas plus riche en raison du commerce avec l’Europe et les
États-Unis. Les réformes du marché libre et la pénétration de la Banque
mondiale et du FMI ne « développent »
pas les pays sous-développés. Les politiques commerciales poussées par les
dirigeants occidentaux n’ont pas l’effet que des personnes comme Milton
Friedman et Jeffrey Sachs ont affirmé qu’elles auraient.
Avec ses
mots, Ma fait écho à une approche de l’économie mondiale semblable à celle qui
a été articulée par Vladimir Lénine avant la révolution russe. C’est une vision
du monde qui explique comment les pays les plus riches du monde ont truqué les
choses en leur faveur, pour rester les 20% les plus riches, s’enrichir en
monopoles alors que les 80% restent pauvres et deviennent plus pauvres, en tant
que consommateurs captifs. C’était le concept de Lénine disant « l’impérialisme, le stade suprême du
capitalisme ».
Ma ne
s’oppose pas à la mondialisation, mais insiste sur le fait qu’elle doit changer
de structure. Selon ses propres mots : « Nous avons besoin d’un
G200, pas d’un G20 ». Les paroles de Ma sont en accord avec la
politique étrangère chinoise et son initiative de Nouvelle Route de la Soie,
visant à sortir les pays de la pauvreté grâce aux infrastructures. Alors
qu’elle continue d’étendre sa présence dans le monde sous-développé, la Chine
développe ses partenaires commerciaux avec des trains à grande vitesse, des
hôpitaux et des programmes éducatifs. Au fur et à mesure que ces pays
deviennent plus riches, la Chine devient plus riche, en développant des
économies avec lesquelles elle peut commercer. Ce modèle de mondialisation « gagnant-gagnant », par opposition au
monopole d’entreprise de Londres et de Wall Street, est très différent.
Ma
soutient que la multipolarité devrait être la bienvenue, et que plutôt que de
se faire face les uns aux autres, les pays devraient travailler ensemble pour
résoudre les problèmes mondiaux. « L’ennemi commun devrait être
la pauvreté », a-t-il expliqué.
L’histoire
avance, avec ou sans vous
« La révolution technologique est en marche, personne
ne peut l’arrêter ! » Jack Ma prévient son public. Plutôt que d’être
seulement au courant de l’histoire, Jack Ma invite son auditoire à en faire partie :
« Les jeunes ne veulent pas seulement s’informer, ils
veulent s’impliquer ! »
Son
inquiétant avertissement que la technologie avance et la société avec elle,
indépendamment de nos peurs, cela nous rappelle l’essai de Mao Dzedong « Rapport sur le mouvement paysan dans la province du
Hunan. » Dans cet essai, Mao avertissait que la paysannerie
chinoise était en révolte contre les propriétaires, et que les communistes
chinois devaient les rejoindre et les diriger ou bien « se laisser dépasser ». Il y est
écrit : « Quand les gens sont en
mouvement, vous pouvez vous opposer à eux, vous pouvez les suivre en
gesticulant et en critiquant, ou vous pouvez les diriger. »
Cette
polémique de l’époque avec les dirigeants du Parti communiste chinois contient
plusieurs des citations les plus connues de Mao. Mao y avertissait ses lecteurs
que les avances et les explosions peuvent être imprévisibles, « une seule étincelle peut mettre le feu à la
plaine ».
Lorsque
Mao Dzedong écrivait ces mots en 1926, avec le même ton optimiste mais prudent
que les projets de Jack Ma aujourd’hui, la Chine était une société agraire
profondément appauvrie. Aujourd’hui, menée par l’organisation politique que Mao
Dzedong a construite, la Chine est devenue la deuxième plus grande économie de la
planète.
« Un
environnement convivial pour les entreprises »
Alors
que l’on pourrait s’attendre à ce qu’un milliardaire se considère comme un « self-made man » et râle contre
l’ingérence d’un gouvernement dans les affaires économiques, la perspective de
Ma semble être différente.
Au Club
de discussion de Valdaï à Sotchi, Ma a salué les efforts récents du Parti
communiste chinois, lorsqu’on l’a interrogé sur le XIXe Congrès
national historique qui avait lieu simultanément à Beijing. Il a parlé de la
façon dont la campagne anti-corruption « Mass Line »
lancée par Xi Jinping est un bon développement qui a « aidé à nettoyer le milieu des affaires »
et a permis de faire de la Chine un « environnement
convivial pour faire du commerce ».
En effet,
ceux dont la compréhension de l’idéologie marxiste est simpliste peuvent se
moquer de l’idée qu’un milliardaire comme Jack Ma ait quelque chose en commun
avec Marx. Les mêmes personnes raillent l’idée que la Chine soit socialiste,
alors qu’il existe tant de sociétés privées, et que tant de personnes sont
devenues riches.
Mais
Deng Xiaoping l’a dit lui-même, « la pauvreté n’est pas
le socialisme, s’enrichir est glorieux », et ces mots
faisaient simplement écho à l’approche marxiste du matérialisme historique.
L’histoire avance en raison de l’intelligence et de l’innovation humaine ;
au contraire, à mesure que le capitalisme a émergé, la recherche irrationnelle
du profit à tout prix a entravé la capacité de progression sociale.
Le « socialisme aux caractéristiques chinoises »
est devenu une économie qui permet à 700 millions de personnes de sortir de la
pauvreté. Dans la Chine du XXIe siècle, chaque jour une personne
devient millionnaire (millions de dollars). Oui, s’enrichir est glorieux, mais toute cette richesse
en Chine n’a pas été créée par l’avidité irrationnelle et l’égoïsme. Le chemin
de la Chine vers plus de richesse et de prospérité a été basé sur une société
fonctionnant de manière disciplinée, dirigée par une organisation politique
forte, qui place la prospérité pour tout le peuple, et pas seulement une riche
minorité, en tête de l’ordre du jour.
Par
Caleb Maupin – Le 26 octobre 2017 – Source New
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