dimanche 12 novembre 2017

La modernité version chinoise



À l’ouverture du 19e Congrès national du Parti communiste chinois (PCC) le 18 octobre dernier, le président Xi Jinping a dévoilé son « plan de développement en deux étapes », visant à faire de la Chine un « État socialiste moderne » d’ici 2035. Depuis, les commentateurs ne cessent de débattre de la « montée en puissance de la Chine » et des pouvoirs que concentre Xi entre ses mains. En réalité, ils passent à côté du sujet.

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MAO et DENG
En effet, le programme de Xi est beaucoup plus global et novateur que semblent le penser la plupart des observateurs. 
À l’instar de ses prédécesseurs Mao Tsé-Toung et Deng Xiaoping, Xi a élaboré une stratégie visant à transformer la Chine en un pays « prospère, puissant, démocratique, culturellement avancé, harmonieux et rayonnant » au cours des prochaines décennies. La clé de la réussite résidera dans un équilibre entre modernité et socialisme conduit par le PCC. 
Xi Jinping a consacré les cinq dernières années à une campagne sans précédent de lutte contre la corruption qui a fait tomber 400 hauts responsables
Lorsque Xi a pris la tête du PCC en 2012, des fissures profondes apparaissaient à la fois dans le modèle de développement hérité de Deng et dans le modèle néo-libéral occidental dominant, fondé sur la liberté et l’ouverture des marchés. La croissance industrielle rapide de la Chine a engendré une corruption omniprésente, des inégalités croissantes de revenus, et une pollution élevée. Les pays occidentaux ont eux aussi connu une montée des inégalités tandis qu’ils se remettaient d’une crise mondiale dont ils avaient été à l’origine – une crise qui a notamment réduit leur appétit pour les importations chinoises.
Conscient que le développement durable ne serait possible que dans un contexte de stabilité sociale ainsi que de gouvernance crédible et transparente, Xi a consacré les cinq dernières années à une campagne sans précédent de lutte contre la corruption, qui a fait tomber 440 hauts responsables. Au cours de son premier mandat, le président chinois a également déployé plus de 1.500 mesures de réforme destinées à rééquilibrer l’économie, stabilisant ainsi la croissance annuelle du PIB (Produit intérieur brut) à hauteur d’une « nouvelle normalité » de 6,7 % en moyenne.
Une société « relativement prospère » d’ici 2021
Le premier mandat de Xi a ainsi posé les fondations du programme ambitieux qui a été dévoilé lors du 19e Congrès national. Ce plan fixe des objectifs clairs et réalistes, visant à faire de la Chine une « société relativement prospère » d’ici 2021, notamment en élevant le revenu par habitant à plus de 12 000 $ par an, seuil à partir duquel la Banque mondiale parle de pays à revenu élevé.
Le programme de Xi établit également une stratégie à plus long terme, visant à concrétiser le « rêve de la Chine », si cher à ses yeux, d’ici 2049 (NDLR : date du centième anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine) : « régénérer » le pays, et l’élever au rang de leader mondial au même titre que les États-Unis et les autres pays développés. Dans le cadre de la vision de Xi, un PCC transparent, contrôlé, autonomisé et socialement responsable agira en tant que garant de cette transition.
Le développement n’est pas guidé par la situation de marchés décentralisés, mais par les choix d’un gouvernement central
Certes complexe, ce plan apparaît parfaitement logique aux yeux des dirigeants chinois. Il semble pourtant incompréhensible pour les pays extérieurs à la Chine. Explication possible, contrairement au modèle occidental standard de concurrence entre partis politiques, dans lequel les mesures politiques naissent d’élections périodiques, le modèle de développement chinois se fonde sur la capacité présumée d’un leadership unipartite à élaborer et adapter son programme.
Pour un pays aussi vaste et diversifié que la Chine, cette approche revêt une logique certaine, puisqu’elle équilibre stabilité et flexibilité. Le développement du pays n’est pas guidé par la situation de marchés décentralisés, mais par les choix d’un gouvernement central, qui préside à la répartition des biens publics, fixe les règles et gère les institutions. Pour éviter cette forme d’agitation sociale qu’impliquerait aux yeux des dirigeants chinois une concurrence politique, le gouvernement central désigne par ailleurs des responsables provinciaux et municipaux clés, et tranche les désaccords entre les régions.
D’une logique certaine, ce plan semble incompréhensible pour les pays extérieurs à la Chine
Dans le même temps, les gouvernements régionaux et municipaux expérimentent des mesures politiques sur le plan local, où interagissent marchés et communautés, expérimentations dont les résultats éclaireront la politique nationale. La compétition entre les régions alimente non seulement la croissance économique globale, mais permet également de répondre aux besoins spécifiques de chaque région, qu’il s’agisse des mégapoles comme Pékin, ou des petits villages de la campagne chinoise. La situation sur le terrain étant changeante, de nouvelles solutions créant souvent des problèmes nouveaux et imprévisibles, une adaptation permanente est cruciale à tous les niveaux.
Compétition entre régions
Bien entendu, la prédominance de l’État ne signifie pas que les marchés n’ont pas un rôle important à jouer. Mais ce rôle est souvent mal compris. Ces dernières décennies, la Chine a recouru à des entreprises d’État (SOE) pour bâtir des infrastructures clés, afin d’appuyer le développement des marchés de la Chine.
Ces entreprises d’Etat jouent encore aujourd’hui un rôle majeur dans l’ingénierie sociale ainsi que la recherche et développement, mais leur modèle d’entreprise subit la pression de la mondialisation et des technologies de rupture. C’est la raison pour laquelle Xi intègre à son programme plusieurs mesures de soutien à l’ouverture continue des marchés, et notamment le recours à un droit de la concurrence permettant aux marchés de dicter les prix, d’améliorer la répartition des ressources, et de dynamiser la productivité.
Mais dans un contexte de mondialisation et de changement technologique rapide, la libéralisation des marchés a également engendré une autre tendance potentiellement dommageable : l’émergence d’une poignée de géants technologiques ultra-dominants. Par ailleurs, cette libéralisation des marchés s’effectue bien souvent à un rythme plus rapide que l’avancée des réglementations et contraintes, permettant des abus comme la spéculation et l’évasion fiscale.
Captation d’État
C’est pourquoi le gouvernement chinois a renforcé ces dernières années les réglementations et contraintes dans la quasi-totalité des secteurs. C’est cette apparente contradiction – entre l’objectif déclaré de libéralisation des marchés et la réalité de réglementations resserrées – qui semble susciter la confusion parmi les observateurs extérieurs. La réalité veut toutefois que l’aggravation des déséquilibres sociaux ne puisse être résolue qu’au travers d’une intervention efficace du gouvernement, visant à éviter une captation de l’État, ou une forme de paralysie susceptible de découler dans l’esprit des dirigeants chinois d’une concurrence politique excessive.
La transition vers la primauté de l’État de droit exige que la Chine surmonte son héritage de silos bureaucratiques
Un autre élément a priori contradictoire du programme de Xi réside dans son insistance sur le leadership du Parti dans toutes les affaires nationales, alors même qu’un accent est également placé sur le renforcement de l’État de droit. Mais ici encore, un œil plus attentif décèle une logique simple : la transition vers un avenir dans lequel l’État de droit sera primordial exige que la Chine surmonte son héritage de silos bureaucratiques, qui consolident la résistance aux réformes en raison d’intérêts particuliers. Cet effort nécessitera un leadership solide.
Feuille de route
Dans un monde composé de pays très divers, chacun avec son propre système complexe, dynamique et changeant, il ne peut y avoir de recette unique sur la voie du développement. Bien que le mode de vie, l’environnement d’affaires et le système social auxquels aspirent tous les pays puissent être similaires, ils y parviendront de leur propre manière, déterminée par leurs besoins spécifiques, préférences, structures, et héritage. La Chine a désormais tracé cette feuille de route, consciente toutefois qu’elle pourra être révisée si nécessaire, et qu’elle le sera certainement.
Andrew Sheng et Xiao Geng
Chercheur et professeur à l'université de Hong Kong
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate, 2017 - La modernité à la chinoise

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