À l’ouverture du 19e Congrès
national du Parti communiste chinois (PCC) le 18 octobre dernier, le président
Xi Jinping a dévoilé son « plan de développement en deux étapes »,
visant à faire de la Chine un « État socialiste moderne » d’ici 2035.
Depuis, les commentateurs ne cessent de débattre de la « montée en
puissance de la Chine » et des pouvoirs que concentre Xi entre ses
mains. En réalité, ils passent à côté du sujet.
MAO et DENG |
À l’instar de ses prédécesseurs Mao Tsé-Toung et Deng Xiaoping, Xi a élaboré une stratégie visant à transformer la Chine en un pays « prospère, puissant, démocratique, culturellement avancé, harmonieux et rayonnant » au cours des prochaines décennies. La clé de la réussite résidera dans un équilibre entre modernité et socialisme conduit par le PCC.
Xi Jinping a consacré les cinq dernières
années à une campagne sans précédent de lutte contre la corruption qui a fait
tomber 400 hauts responsables
Lorsque Xi
a pris la tête du PCC en 2012, des fissures profondes apparaissaient à la
fois dans le modèle de développement hérité de Deng et dans le modèle
néo-libéral occidental dominant, fondé sur la liberté et l’ouverture des
marchés. La croissance industrielle rapide de la Chine a engendré une corruption omniprésente, des
inégalités croissantes de revenus, et une pollution élevée. Les pays
occidentaux ont eux aussi connu une montée des inégalités tandis qu’ils se
remettaient d’une crise mondiale dont ils avaient été à l’origine – une
crise qui a notamment réduit leur appétit pour les importations chinoises.
Une
société « relativement prospère » d’ici 2021
Le premier
mandat de Xi a ainsi posé les fondations du programme ambitieux qui a
été dévoilé lors du 19e Congrès national. Ce plan fixe des objectifs
clairs et réalistes, visant à faire de la Chine une « société
relativement prospère » d’ici 2021, notamment en élevant le revenu par
habitant à plus de 12 000 $ par an, seuil à partir duquel la Banque
mondiale parle de pays à revenu élevé.
Le programme
de Xi établit également une stratégie à plus long terme, visant à
concrétiser le « rêve de la Chine », si cher à ses yeux, d’ici
2049 (NDLR : date du centième anniversaire de la fondation de la
République Populaire de Chine) : « régénérer » le pays,
et l’élever au rang de leader
mondial au même titre que les États-Unis et les autres pays développés.
Dans le cadre de la vision de Xi, un PCC transparent, contrôlé,
autonomisé et socialement responsable agira en tant que garant de cette
transition.
Le
développement n’est pas guidé par la situation de marchés décentralisés, mais
par les choix d’un gouvernement central
Certes
complexe, ce plan apparaît parfaitement logique aux yeux des dirigeants
chinois. Il semble pourtant incompréhensible pour les pays extérieurs à la
Chine. Explication possible, contrairement au modèle occidental standard de
concurrence entre partis politiques, dans lequel les mesures politiques
naissent d’élections périodiques, le modèle de développement chinois se fonde
sur la capacité présumée d’un leadership unipartite à élaborer et adapter
son programme.
Pour un pays
aussi vaste et diversifié que la Chine, cette approche revêt une logique
certaine, puisqu’elle équilibre
stabilité et flexibilité. Le développement du pays n’est pas guidé par
la situation de marchés décentralisés, mais par les choix d’un gouvernement
central, qui préside à la répartition des biens publics, fixe les
règles et gère les institutions. Pour éviter cette forme d’agitation
sociale qu’impliquerait aux yeux des dirigeants chinois une concurrence
politique, le gouvernement central désigne par ailleurs des responsables
provinciaux et municipaux clés, et tranche les désaccords entre les régions.
D’une
logique certaine, ce plan semble incompréhensible pour les pays extérieurs à la
Chine
Dans le même
temps, les gouvernements régionaux et municipaux expérimentent des mesures
politiques sur le plan local, où interagissent marchés et communautés,
expérimentations dont les résultats éclaireront la politique nationale. La
compétition entre les régions alimente non seulement la croissance économique
globale, mais permet également de répondre aux besoins spécifiques de chaque
région, qu’il s’agisse des mégapoles comme Pékin, ou des petits villages de la
campagne chinoise. La situation sur le terrain étant changeante, de nouvelles
solutions créant souvent des problèmes nouveaux et imprévisibles, une
adaptation permanente est cruciale à tous les niveaux.
Compétition
entre régions
Bien
entendu, la prédominance de l’État ne signifie pas que les marchés n’ont pas un
rôle important à jouer. Mais ce rôle est souvent mal compris. Ces dernières
décennies, la Chine a recouru à des entreprises d’État (SOE) pour bâtir des
infrastructures clés, afin d’appuyer le développement des marchés de la Chine.
Ces entreprises
d’Etat jouent encore aujourd’hui un rôle majeur dans l’ingénierie sociale
ainsi que la recherche et développement, mais leur modèle d’entreprise subit la
pression de la mondialisation et des technologies de rupture. C’est la raison
pour laquelle Xi intègre à son programme plusieurs mesures de soutien à
l’ouverture continue des marchés, et notamment le recours à un droit de la
concurrence permettant aux marchés de dicter les prix, d’améliorer la
répartition des ressources, et de dynamiser la productivité.
Mais dans un
contexte de mondialisation et de changement technologique rapide, la
libéralisation des marchés a également engendré une autre tendance
potentiellement dommageable : l’émergence d’une poignée de géants
technologiques ultra-dominants. Par ailleurs, cette libéralisation des
marchés s’effectue bien souvent à un rythme plus rapide que l’avancée des
réglementations et contraintes, permettant des abus comme la spéculation
et l’évasion fiscale.
Captation
d’État
C’est pourquoi le gouvernement chinois a renforcé ces
dernières années les réglementations et contraintes dans la quasi-totalité des
secteurs. C’est cette apparente contradiction – entre l’objectif déclaré
de libéralisation des marchés et la réalité de réglementations resserrées –
qui semble susciter la confusion parmi les observateurs extérieurs. La réalité
veut toutefois que l’aggravation des déséquilibres sociaux ne puisse être
résolue qu’au travers d’une intervention efficace du gouvernement, visant à
éviter une captation de l’État, ou une forme de paralysie susceptible de
découler dans l’esprit des dirigeants chinois d’une concurrence politique
excessive.
La
transition vers la primauté de l’État de droit exige que la Chine
surmonte son héritage de silos bureaucratiques
Un autre
élément a priori contradictoire du programme de Xi réside dans son
insistance sur le leadership du Parti dans toutes les affaires nationales,
alors même qu’un accent est également placé sur le renforcement de l’État de
droit. Mais ici encore, un œil plus attentif décèle une logique simple : la transition vers un avenir
dans lequel l’État de droit sera primordial exige que la Chine surmonte son
héritage de silos bureaucratiques, qui consolident la résistance aux
réformes en raison d’intérêts particuliers. Cet effort nécessitera un
leadership solide.
Feuille
de route
Dans un
monde composé de pays très divers, chacun avec son propre système complexe,
dynamique et changeant, il ne peut y avoir de recette unique sur la voie du
développement. Bien que le mode de vie, l’environnement d’affaires et le
système social auxquels aspirent tous les pays puissent être similaires, ils y
parviendront de leur propre manière, déterminée par leurs besoins spécifiques,
préférences, structures, et héritage. La Chine a désormais tracé cette feuille
de route, consciente toutefois qu’elle pourra être révisée si nécessaire, et
qu’elle le sera certainement.
Andrew Sheng et Xiao Geng
Chercheur et professeur à l'université de Hong Kong
Traduit de l’anglais par Martin
Morel
Cet article
est publié en collaboration avec Project Syndicate, 2017 - La modernité à la chinoise
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