La Russie développe des technologies
et des infrastructures de pointe dans certaines des conditions climatiques les
plus extrêmes du monde, pour reconstruire son économie. Elle le fait avec
succès, en collaboration avec la Chine et la Corée du Sud et même dans une
certaine mesure avec le Japon, contrairement aux espoirs des néocons de
Washington et de leurs mécènes du complexe militaro-industriel américain. Cela change
tout ...
F. William Engdahl
Pour ce qui
est de faire face à certaines des conditions climatiques les plus rudes du
monde, aucun pays n’égale la Russie.
La Russie a
fait de la construction d’une route maritime du Nord le long de la côte arctique
russe une priorité pour permettre le transport du GNL (gaz naturel liquéfié) et
du fret par conteneur entre l’Asie et l’Europe, réduisant ainsi de moitié le
temps de navigation et contournant le canal de Suez.
La Chine est
pleinement engagée et a maintenant formellement incorporé le projet dans sa
nouvelle infrastructure de l’initiative des Routes de la soie (BRI, Belt and Road
Initiative).
Avant
d’assister au sommet du G20 de Hambourg, en juillet dernier, le président
chinois Xi Jinping a fait une escale à Moscou, où il a signé avec le
président russe Vladimir Poutine la « Déclaration conjointe sino-russe sur le renforcement du partenariat de
coopération globale et stratégique. »
La
déclaration inclut la Route maritime du Nord en tant que zone stratégique de
collaboration entre la Chine et la Russie, et partie intégrante de
l’infrastructure de la Route de la soie (BRI). Pour sa part, la Russie investit
des ressources importantes dans le développement de nouveaux ports et de
nouvelles usines de
liquéfaction du gaz naturel (GNL) le long de la route pour permettre un
trafic maritime croissant à travers ses eaux territoriales arctiques.
La
Fédération de Russie, sous la supervision directe du président Poutine,
met en place l’infrastructure économique qui créera une alternative au canal
de Suez pour le transport de conteneurs et de GNL entre l’Europe et l’Asie.
En outre, les aménagements ouvrent l’accès à d’énormes ressources non
exploitées, notamment du pétrole, du gaz, des diamants et d’autres minéraux, le
long de la zone économique exclusive russe, sur la côte sibérienne la
plus au nord.
Officiellement,
la loi russe situe la Route du Nord dans ses eaux territoriales le long de la
côte arctique à l’est de Novaya Zemlya dans l’oblast d’Arkhangelsk, depuis la
mer de Kara, à travers la Sibérie, jusqu’au détroit de Béring entre la Russie
orientale et l’Alaska. L’itinéraire entier se situe dans les eaux arctiques et
dans la zone économique exclusive (ZEE) de la Russie.
Des études
géophysiques préliminaires confirment que de vastes réserves de pétrole et de gaz se trouvent
sous les fonds de la ZEE de la Russie, ce qui accroît l’intérêt du gouvernement
chinois pour le développement de ressources conjointes avec celle-ci, en plus
des délais de transit potentiellement plus courts vers l’Europe. Pour la Chine,
qui voit poindre des menaces croissantes sur ses lignes d’approvisionnement en
pétrole, provenant du golfe Persique, par le détroit de Malacca, la route maritime russe au Nord
offre une alternative bien plus sûre, un plan B, en cas de blocus naval
américain dans le détroit de Malacca.
Selon les
estimations de l’Institut géologique des États-Unis (USGS), environ 30% de l’ensemble du pétrole
récupérable de l’Arctique et 66% de son gaz naturel total devrait se trouver
dans la ZEE de l’Arctique russe. L’USGS estime également que
le total des réserves récupérables dans l’Arctique représente environ un
tiers des réserves totales saoudiennes. Bref, pour paraphraser Mark Twain,
il y a « de l’or noir dans … les eaux glaciales ».
La
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS), dont la
Russie et la Chine sont signataires, mais pas les États-Unis, définit
une zone économique exclusive comme une zone « au-delà » des eaux
territoriales d’un État, et donne à celui-ci « des droits souverains (…)
[sur] la gestion des ressources naturelles » dans la zone. La Chine ne
conteste pas les droits de la ZEE de la Russie, mais cherche plutôt à coopérer
maintenant formellement dans le cadre du développement de son projet de Routes de la soie (BRI).
Nouvelles voies de transit maritime
L’autre
intérêt de la route maritime du Nord de la Russie est de permettre une
navigation plus économique car plus rapide. En août dernier, le
méthanier russe Christophe de Margerie a livré du GNL norvégien
depuis Hammerfest en Norvège jusqu’à Boryeong en Corée du Sud en seulement 19
jours, soit environ 30% de moins que le temps de trajet traditionnel par le
canal de Suez, malgré le fait que le navire a été obligé de traverser des zones
de glace de 1,2 mètre d’épaisseur.
La partie
arctique du voyage a été faite en six jours et demi. Le Christophe de Margerie
est le premier navire brise-glace de transport de GNL au monde,
construit par une entreprise navale sud-coréenne, selon les
spécifications fournies par l’entreprise publique Sovcomflot pour le transport
depuis le site de Yamal GNL dans l’Arctique russe.
La Russie
coopère avec la Corée du Sud pour le développement des capacités de transport
maritime par la route du Nord. Le 6 novembre, le ministre russe du
Développement de l’Extrême-Orient, Aleksandr Galushka, a rencontré le
ministre sud-coréen des Pêches et des Océans, Kim Yong-suk. Les deux
pays sont convenus de poursuivre des recherches conjointes sur les
investissements pour une ligne de conteneurs dans l’Arctique par la route
maritime du Nord.
Le
développement conjoint inclura des plateformes de redistribution, à créer à
chaque extrémité de la route, Mourmansk à l’ouest et Petropavlovsk-Kamchatsky à
l’est. Mourmansk, limitrophe des régions nordiques de Finlande et de Norvège, a
un accès libre de glace toute l’année dans la mer de Barents.
La compagnie
maritime coréenne Hyundai Merchant prévoit de tester des navires
porte-conteneurs sur la route maritime du Nord en 2020 avec des
porte-conteneurs pouvant transporter 2.500 à 3.500 EVP (Unité équivalente de vingt pieds, mesure de
la taille du conteneur). En juillet 2016, une expédition historique,
transportant deux composants industriels majeurs, a eu
lieu depuis la Corée du Sud, via le nouveau port russe de l’Arctique
à Sabetta et les rivières Ob et Irtysh, jusqu’à la ville de Tobolsk au sud de l’Oural.
Nouveaux investissements dans les ports de
l’Arctique
Mourmansk
est le lieu de l’un des plus grands projets d’infrastructure de la Russie.
D’importants travaux de construction sont actuellement en cours pour achever le
centre de transit de Mourmansk, qui comprend des nouvelles routes, des voies
ferrées, des ports et d’autres installations à l’ouest de la baie de Kola.
Mourmansk est déjà un centre majeur pour le chargement du charbon, du pétrole,
du poisson, des métaux et d’autres marchandises en provenance de la partie
européenne de la Russie. Cette infrastructure servira de porte d’entrée
occidentale principale de la route maritime du Nord vers l’Asie.
La
Fédération de Russie achève également un nouveau port à Sabetta, dans la
péninsule de Yamal. La péninsule de Yamal, bordant la mer arctique de Kara, abrite
les plus grandes réserves de gaz naturel de la Russie, avec un volume estimé à 55 trillions de
mètres cubes (TCM). En comparaison, les réserves de gaz du Qatar sont calculées
à 25 TCM, l’Iran à 34 TCM. Le développeur principal du port de Sabetta à
Yamal est Novatek, le plus grand producteur indépendant de gaz en
Russie, en collaboration avec le gouvernement russe.
Le port de
Sabetta est sur le site du nouveau terminal de gaz liquéfié Yamal, de lui
partira le gaz de Yamal via la route maritime du nord-est vers la Chine. À
pleine capacité, le port de Sabetta traitera 30 millions de tonnes de
marchandises par an, faisant de Sabetta le plus grand port du monde au nord du
cercle polaire arctique, dépassant Mourmansk. Novatek a déjà pré-vendu tous les
volumes de production du terminal Yamal GNL avec des contrats de 15 et 20 ans,
principalement à la Chine et à d’autres acheteurs asiatiques.
Yamal GNL
est loin d’être la seule zone où Novatek coopère avec la Chine. Le 4 novembre, Novatek
a annoncé avoir signé d’autres accords avec des partenaires de Yamal, China
National Petroleum Corporation et China Development Bank, pour le projet
Arctic GNL 2 potentiellement plus important que le projet Yamal GNL. La
construction d’Arctic GNL 2 sur la péninsule de Novatekon Gydan,
séparée de Yamal par le golfe de l’Ob, commencera en 2019.
Le terminal
Yamal GNL est un projet de 27 milliards de dollars dont le principal
propriétaire est le Russe Novatek. Lorsque la guerre financière du Trésor
américain a ciblé Novatek et le projet Yamal en 2014, après le référendum en
Crimée pour rejoindre la Fédération de Russie, les prêteurs chinois ont fourni
12 milliards de dollars pour achever le projet après que la CNPC chinoise
a acheté 20% du capital du terminal Yamal GNL. Le fond China
Silk Road Fund détient un autre 9,9%, le français Total 20% et Novatek 50,1%.
Briser la glace, à la manière russe
L’ouverture
du potentiel de la route maritime du Nord-est russe au trafic commercial de GNL
et de fret par conteneur, partant de l’ouest le long du littoral de
l’arctique sibérien vers la Corée du Sud, la Chine et le reste de l’Asie,
nécessite des solutions technologiques
extraordinaires, surtout dans le domaine des brise-glaces et des
infrastructures portuaires le long de la route arctique profondément gelée.
Dans ce domaine, la Russie est le leader mondial inégalé. Et elle va développer
significativement son rôle de leader.
Au début de
l’année 2016, la Russie a commandé une nouvelle classe de brise-glaces
nucléaire appelée Arktika-classe, exploitée par Atomflot, la filiale
maritime du géant russe Rosatom, le plus grand groupe mondial de construction
de centrales nucléaires, et le second possesseur de stocks d’uranium, produisant 40% de l’uranium
enrichi dans le monde.
Le nouveau
brise-glace Arktika est actuellement le plus puissant au monde et, lorsqu’il
sera prêt pour la navigation en 2019, il sera capable de naviguer dans
trois mètres d’épaisseur de glace. Un deuxième brise-glace nucléaire de
classe Arktika est prévu pour 2020. Actuellement, la construction de 14
brise-glaces, à propulsion diesel et nucléaire, est en cours en Russie, en plus
du Christophe de Margerie, récemment terminé. Tous ces nouveaux brise-glaces
sont construits dans les chantiers navals de
Saint-Pétersbourg.
Rosatom prend la tête
Maintenant,
le gouvernement russe s’apprête à intensifier considérablement son effort dans
la technologie des brise-glaces, dans le but affirmé de développer le transport
maritime et les ressources le long de cette voie arctique.
En 2016, le
président Poutine s’est personnellement engagé à superviser la
construction d’un centre ultramoderne de construction navale à Primorsky
Kraï, dans l’Extrême-Orient russe, afin d’équilibrer le développement des
chantiers occidentaux autour de Saint-Pétersbourg et d’industrialiser la région
économique autour de Vladivostok, réagissant à l’imprévisibilité
de Washington et de ses sanctions pour assurer son autosuffisance
dans des domaines vitaux.
La
construction navale en Extrême-Orient est focalisée sur une restauration
complète, pour 4 milliards de dollars, du vieux chantier de Zvezda dans la baie
de Bolshoy Kamen, propriété de l’entreprise publique russe United
Shipbuilding Corporation. Primorsky Kraï abrite également la flotte du
Pacifique de la marine russe. Lorsque le nouveau chantier Zvezda sera prêt en
2020, il sera le chantier naval civil le plus grand et le plus moderne de
Russie. Il se concentrera sur la construction de grands pétroliers, y compris
des méthaniers, des brise-glaces et des plates-formes pétrolières et gazières.
Le 18
novembre, le quotidien économique Kommersant a annoncé que le président russe Vladimir
Poutine souhaitait que le développement de l’infrastructure de la route
maritime du Nord soit confié à la société d’état Rosatom. Selon ce rapport, Poutine
a approuvé l’idée, qui lui a été présentée par son premier ministre, Dmitri
Medvedev, et qui mettrait tous les services de l’État concernés par les
activités maritimes, le développement des infrastructures, ainsi que les biens
publics utilisés le long de la voie arctique sous la direction de Rosatom.
Entre autres
implications, la décision de rendre Rosatom unique responsable de la
supervision du projet de Route maritime du Nord suggère que les
brise-glaces à propulsion nucléaire joueront un rôle beaucoup plus important
dans le développement de cette route.
Selon le
rapport, qui n’a pas encore été formellement confirmé, le rôle de Rosatom a été
proposé par Alexei Likhachev, président de Rosatom et le vice-premier
ministre Dmitri Rogozine. Rogozine, sanctionné par Washington, a été
vice-premier ministre en charge de l’industrie de la défense de la Russie
depuis 2011. Si la nouvelle proposition devient loi, Rosatom supervisera toutes
les infrastructures, énergétiques et autres, le long des 6.000 kilomètres de la
route arctique.
Selon la
source de ce rapport, Rosatom supervisera à peu près tout, de la construction
de ports à la construction d’infrastructures de communication et de navigation,
en passant par la coordination de la recherche scientifique. Selon le plan, une
nouvelle division arctique de Rosatom centraliserait l’activité des ports
précédemment contrôlés par le ministère des Transports ainsi que les brise-glaces
non nucléaires exploités par Rosmorport et la flotte de brise-glaces nucléaires
russes.
L’administration
de la Northern Sea Route (NSR), l’institution responsable de la sécurité
de la navigation, ferait également partie de cette nouvelle division Arctique de
Rosatom. Ce serait un moyen de rationaliser considérablement la fragmentation
actuelle de la responsabilité des différents aspects du développement des
transports de la Russie dans la mer du Nord-Est, l’une des principales
priorités de Moscou et un élément clé du développement de la collaboration
sino-russe dans le projet des Routes de la soie (BRI).
Pour
résumer, il est clair que la Russie développe des technologies et des
infrastructures de pointe dans certaines des conditions climatiques les plus
extrêmes du monde, pour reconstruire son économie. Elle le fait avec succès, en
collaboration avec la Chine et la Corée du Sud et même dans une certaine mesure
avec le Japon, contrairement aux espoirs des néocons de Washington et de leurs
mécènes du complexe militaro-industriel américain.
Par F. William Engdahl
– Le 28 novembre 2017 – Source Russia Insider
– Le 28 novembre 2017 – Source Russia Insider
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
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