Le Cachemire et le Baloutchistan ont un point commun :
à cheval sur la frontière, ces régions ont toutes deux une portion en
territoire pakistanais. C'est précisément là que le bât blesse...
Deux groupes militants sunnites - Jaish-e-Mohammed
(JeM) au Cachemire, Jaïch al-Adl au Baloutschistan - ont revendiqué chacun son
attaque mais, chose très rare, les deux voisins tiennent Islamabad pour
responsable. Que l'Inde accuse le Pakistan après chaque attentat est certes
chose courante : pendant des années, Islamabad a été au mieux complice, au pire
impliqué. Que l'Iran le fasse est beaucoup plus rare.
Les mots du chef des Gardiens de la Révolution sont
importants : « Le gouvernement pakistanais, qui a abrité ces
contre-révolutionnaires, sait où ils se trouvent et qu'ils sont soutenus par
les forces de sécurité du Pakistan. Le gouvernement pakistanais doit répondre
de ce crime. S'il ne les punit pas, nos représailles viseront cette force
contre-révolutionnaire et le Pakistan assumera les conséquences de son
soutien à ce groupe ».
Un autre général va encore plus
loin : « Ces criminels sont d'une tribu du Baloutchistan qui a été
entraînée aux opérations suicide par un pays voisin. Ce pays et l'ISI doivent
rendre des comptes à l'Iran. Les preuves montrent que ce groupe terroriste est
soutenu financièrement par des pays du Golfe, dont un certain prince-héritier
qui est au Pakistan en ce moment ». Il fait évidemment allusion à la
visite d'Etat du Seoud MBS, nous y reviendrons...
Pour l'instant, Téhéran n'a pris aucune mesure,
contrairement à l'Inde qui vient de retirer au Pakistan son statut de "nation
la plus favorisée" (bénéficiant de faibles droits de douane). Ce statut avait
résisté depuis un quart de siècle aux nombreuses attaques terroristes lancées
depuis le Pakistan, c'est maintenant chose révolue. Le ciment , par
exemple, est l'un des nombreux produits touchés par une augmentation de 200%
(!) des droits de douane. Anecdotiquement, New Delhi pourrait boycotter le match
de cricket entre les deux nations cet été (le cricket est au sous-continent ce
que le football est à l'Amérique latine).
Loin de condamner l'attentat, le Premier ministre paki
Imran Khan, ancienne star de cricket justement, a, au contraire, prononcé un discours tardif, menaçant et presque
triomphaliste dans lequel il défie Modi. Il a plusieurs fois fait
référence à l'Afghanistan dans ce qui peut être vu comme un chantage voilé :
après la défaite US, les djihadistes tourneront leurs yeux vers le Cachemire.
Avec cette gloriole quelque peu infantile, Islamabad n'arrange pas son cas...
Hasard du calendrier, le Seoud est en tournée au
Pakistan, en Inde (où il arrive le 20 février) puis en Chine. Et là, nous
entrons dans un jeu extrêmement compliqué que l'on peut résumer schématiquement
ainsi :
L'empire US et
l'Arabie saoudite défendent le Pakistan après l'attaque contre l'Iran,
beaucoup moins après celle contre l'Inde.
La Chine défend
Islamabad après l'attaque contre l'Inde, beaucoup moins après celle contre
l'Iran.
Comme l'empire, MBS doit se réjouir de voir l'Iran
attaqué. Il y a un mois, Asia Times publiait un article prémonitoire , curieusement disparu depuis sur le
site, sur le possible réchauffement du front baloutche contre Téhéran en
concomitance avec les investissements saoudiens pour alléger le marasme
économique pakistanais. Selon un schéma désespérément classique, Riyad finance
déjà dans la province des mouvements religieux ultra-rigoristes et profondément
anti-chiites. En novembre, c'est un avion israélien qui atterrissait mystérieusement au Pakistan. Après le Yémen,
un nouveau front israoudien contre l'Iran ? C'est tout sauf impossible,
d'autant que, selon un bon connaisseur , l'ISI et les Saoudiens, cornaqués
par l'empire, tenteraient (le conditionnel reste de mise) de noyauter/récupérer
le mouvement taliban en Afghanistan voisin pour le lancer lui aussi contre
l'Iran.
Cette thèse afghane a tout de même quelques failles.
S'il est très friand des espèces sonnantes et trébuchantes saoudiennes, le
nouveau leadership pakistanais n'est pas connu pour son amour envers Washington. Par ailleurs,
il faudrait, pour que ce plan fonctionne, que les Talibans soient sur la même
ligne et, petit détail, prennent le pouvoir en Afghanistan, ce qui est encore
assez loin d'être le cas. Il faudrait également, chose difficilement acceptable
en termes de relations publiques, que les Américains lâchent le gouvernement
afghan qui maintient de bons contacts avec Téhéran. Enfin, les rusés Perses ont
pris les devants depuis quelques mois et ont noué de discrets mais réels contacts avec des
commandants talibans. A suivre...
Toujours est-il que l’immixtion saoudienne au
Baloutchistan est évidemment vue avec grande méfiance par l'Iran ainsi que par
le Qatar, dont le principal média, Al Jazeera , encourage le Pakistan à refuser tout net l'argent saoudien.
Nous sommes bien sûr ici dans la continuation de la querelle du Golfe entre
Riyad et Doha : deux ans après le début de la crise , aucun signe d'apaisement n'est en
vue.
L'investissement du Seoud dans la région, dont le
joyau est le port sino-pakistanais de Gwadar, ne plaît pas non plus des masses à Pékin et Islamabad
serait bien avisée de ne pas jouer avec le feu et irriter son meilleur allié . Car la Chine, par le biais de
ses médias d'Etat, continue par ailleurs à défendre vaille que vaille le
Pakistan, notamment après l'attentat du Cachemire en demandant à l'Inde de
prouver ses accusations. Où l'on retrouve les vieilles alliances/rivalités du temps
de la Guerre froide, qui ont bien du mal à disparaître tout à fait...
MBS, lui, est sur une position différente vis-à-vis de
l'Inde et fera vraisemblablement office d'improbable émissaire de la paix entre Islamabad et New Delhi. Voir le démembreur de Khashoggi et financeur du djihadisme jouer
les militants pacifistes n'est pas le dernier paradoxe de cette histoire.
L'empire US ne sait pas non plus trop sur quel pied
danser. Il est clairement irrité par l'Inde suite à l'achat des S-400 à la Russie. La poursuite des relations
fructueuses entre New Delhi et Téhéran et la collaboration avec le Venezuela
de Maduro font grincer les dents de l'oncle Sam. Il y a quelques jours, Bolton
s'est d'ailleurs fendu d'un commentaire menaçant : « Le soutien des nations et des
entreprises au vol par Maduro des ressources du Venezuela ne sera pas oublié
».
D'un autre côté, le relativement anti-américain Imran
Khan n'a jamais été la tasse de thé de Washington et le Congrès discute même de
la possibilité de supprimer le statut du Pakistan en tant
que major non-NATO ally . Muet (d'admiration) concernant l'attentat en
Iran, l'empire a été pris par surprise sur le Cachemire, obligeant Bolton à
retourner sa moustache dès le lendemain de sa menace voilée à New Delhi et à assurer l'Inde du soutien américain.
Last but not least , dans cet invraisemblable maelström, un acteur majeur brille par son
silence : la Russie , qui s'est contentée du minimum vital en offrant ses
condoléances à tout le monde. Les bisbilles irano-pakistano-indiennes doivent
bien embêter le Kremlin au moment où l'empire américain décline et la
multipolarité eurasienne prend de l'ampleur. En bon observateur, Vladimirovitch
doit méditer cet axiome simple de physique transposable en géopolitique : plus
un corps grossit, plus des réactions parfois inattendues et hétérogènes se font
jour en son sein.
L'Organisation de Coopération de Shanghai, à laquelle
tout ce joli monde est maintenant lié à l'exception de Washington, saura-t-elle
ramener la concorde ? Le prochain sommet de juin vaudra son pesant d'or.
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