Contre qui
donc la guerre doit-elle être faite par les gens qui n'ont en vue que la
justice ? N'est-ce pas contre des ennemis naturels et héréditaires qui
possèdent beaucoup de biens et sont tout à fait incapables de les défendre ? Or
les Perses répondent à toutes ces conditions.
Ces paroles
ne sont pas de John Bolton. Elles ont été prononcées par Isocrate il y a 25
siècles. Platon Pompeo en rajoutait une couche : Ils ne se
sont pas arrêtés sur la pente de la décadence (...) Leur régime gouvernemental
est vicié par un excès de servitude chez le peuple et un excès de despotisme
chez les maîtres. Quelques décennies plus tard,
Alexandre - qui n'est jamais appelé le Grand en Iran - mettait ces
menaces à exécution, envahissait l'empire achéménide et incendiait Persépolis.
Deux millénaires et demi plus tard, l'empire US nous
rejoue la pièce bien peu originale de la grande croisade contre la bête noire
perse/iranienne, devenue chiite entretemps. On sait que c'est pour casser l'arc du
même nom que la guerre syrienne a été préparée :
La problématique
centrale du conflit est l'arc chiite Iran-Irak-Syrie-Hezbollah
Cet arc est, pour diverses raisons, la bête noire des États clients/alliés de l'empire américain au Moyen-Orient.
Pour les
pétromonarchies du Golfe, Arabie saoudite et Qatar en tête, il empêche
de faire passer leurs pipelines vers la Turquie et l'Europe. Cela se
double, pour Riyad, d'une véritable obsession religieuse vis-à-vis de
l'"hérésie" chiite.
Pour Israël,
l'arc, qui se nomme lui-même axe de la Résistance et soutient la cause
palestinienne (les sunnites ont depuis longtemps abandonné la lutte),
est l'ennemi à abattre. Il est synonyme de continuum stratégique qui
ravitaille le Hezbollah au Liban.
La Turquie a une
position géographique exceptionnelle et prétend devenir l'interface
énergétique par laquelle passeraient les gazoducs et oléoducs des
pétromonarchies. De plus, Erdogan a engagé une ambitieuse politique
néo-ottomane sunnite qui lorgne vers le Sud.
Pour les
Américains, outre le fait de plaire à leurs protégés (c'est le rôle de
tout empire) et de mettre des bâtons dans les roues de l'Iran, leur
ennemi depuis 1979, cela permettrait de squeezer énergétiquement la
Russie et de la remplacer, sur le marché européen, par les hydrocarbures
du Golfe.
Ainsi, tout concourt à ce que "quelque chose se passe". Dès 2007, dans un article
prémonitoire intitulé The redirection, Seymour Hersh indiquait que la
"guerre contre le terrorisme" avait laissé place à la guerre contre les
chiites, pourtant ennemis mortels des terroristes sunnites qui mettaient
l'Occident et le monde à feu et à sang. Rien d'étonnant à cela, les
Américains avaient déjà profité de l'émotion du 11 septembre pour régler
leurs petits comptes géopolitiques et attaquer Saddam, pourtant
adversaire d'Al-Qaïda...
Quelque chose se
prépare donc, mais où ? Attaquer l'Iran de front est impossible après
les fiascos irakien et afghan. Ré-attaquer l'Irak "libéré" quelques
années auparavant est invendable auprès de l'opinion publique. Quant au
Hezbollah libanais, il est par trop excentré et Israël s'y est
d'ailleurs cassé les dents en 2006. Le maillon faible est la Syrie.
C'est là que les efforts vont se porter.
Dès la fin des années 2000, le plan est prêt, comme l'expliquera
Roland Dumas. La vague des "Printemps arabes" de 2011 est un prétexte
idéal. Qu'une partie des Syriens se soulève réellement, sans
arrière-pensées, contre Assad ne peut être nié. Que d'autres groupes
aient été préparés et financés en amont, faisant partie d'une manœuvre
élaborée dans des capitales étrangères pour faire tomber Assad, c'est
une évidence.
L'arc chiite, en partie reconstitué
après la victoire des syro-russo-iraniens en Syrie, (re)devient le
cauchemar stratégique de Washington, Tel-Aviv et Riyad. Les Iraniens s'établissent sur la Méditerranée tandis que la construction d'une autoroute Iran-Irak-Syrie a commencé (elle finira par relier Téhéran à Beyrouth) et qu'un projet de voies ferrées ressort du sable. Les futures routes de la Soie chinoises doivent passer par là...
Sur cette question, l'élection du Donald
n'a guère changé la donne et l'a même, si c'était possible, empirée.
Idolâtre des Israoudiens, travaillé au corps par le moustachu Bolton et
l'imberbe Kushner, il ne pouvait que souscrire à l'iranophobie ambiante.
En se retirant de l'accord nucléaire, il a ouvert la boîte de Pandore
dans laquelle sont évidement tombées les euronouilles impuissantes. A la
notable exception de la Suisse, les petits génies du Vieux continent vont sagement se coucher devant les diktats du suzerain. Comme le dit Pepe Escobar (bonne traduction ici) :
« Mises à part des platitudes sur
leurs "regrets" au sujet des sanctions américaines, les trois de l’UE
jouent de facto le jeu des États-Unis, d’Israël, de l’Arabie Saoudite et
des Émirats, et travaillent par extension contre la Russie, la Chine et
l’Iran. »
Là où l'ami Pepe prend peut-être ses
désirs pour des réalités, c'est quand il affirme que l'Iran continuera
de vendre sans problème son pétrole, notamment à la Chine. Certes, la
délirante sanctionnite impériale gêne à peu près tout le monde, y compris des alliés comme la Corée du Sud qui « fera tout son possible pour obtenir un renouvellement de l'exemption ». Certes, ces menaces de sanctions contre le reste de la planète vont, à terme, précipiter le déclin
de l'empire, dont la force repose normalement sur le consentement des
autres. Il n'empêche, pour l'instant, cela semble fonctionner...
Si un mystérieux tanker
a débarqué son précieux naphte perse en Chine, les principales
compagnies pétrolières du dragon - CNPC et Sinopec - ont préféré éviter
les sanctions américaines en stoppant leurs importations. A Pékin, Ankara ou New Delhi, ce ne sont que protestations et récriminations mais, pour l'instant, personne ne semble prêt à franchir le pas.
C'est dans ce contexte que survient le
fameux "sabotage" du Golfe. Le 12 mai, quatre navires, dont deux
pétroliers saoudiens, sont abîmés non loin du détroit d'Ormuz, peut-être
par de mystérieuses charges explosives.
Si Washington, selon les bonnes vieilles ficelles, en a évidemment
profité pour pointer du doigt l'Iran sans l'accuser formellement, les
autres sont curieusement restés muets. Voir les Saoudiens se garder
d'incriminer Téhéran est aussi courant que de voir une minijupe dans les
rues de Riyad...
Certains y voient un énième false flag, une sorte d'Incident du Tonkin
version Golfe, visant à justifier une intervention militaire contre
l'Iran. Il convient cependant de préciser que l'armée US n'est pas du
tout chaude pour une nouvelle aventure. L'amirauté contredit ouvertement
Bolton sur la signification de l'arrivée ("prévue depuis longtemps" en
réalité) du porte-avion USS Abraham Lincoln dans la zone, ce qui
n'empêche d'ailleurs pas l'Espagne de retirer ses billes et de dire adios à la flottille américaine. La rumeur de l'envoi de 120.000 soldats US au Moyen-Orient n'a aucun sens
- trop pour une attaque aérienne, bien trop peu pour une invasion
terrestre - et il se murmure que les militaires, et pas seulement eux,
veulent le scalp de Bolton, dont les jours sont peut-être comptés.
Parmi les ennemis du furieux moustachu, Pompeo est tout aussi
iranophobe. Mais s'il est un chaud partisan de l'isolement de Téhéran,
il ne veut pas entendre parler d'une guerre qui embraserait toute la
région.
Car nous ne sommes plus au temps de la
décadence perse si chère à Platon et dont a bénéficié Alexandre. L'Iran a
maintenant du répondant. Prenant le contre-pied de ceux qui ironisent
sur le "Tonkin du Golfe", un bon connaisseur du Moyen-Orient (Elijah
Magnier pour ne pas le citer) semble accréditer la thèse d'un sabotage iranien :
« Le 11 janvier 2007, les forces US
ont perquisitionné le bureau de liaison iranien à Erbil et capturé trois
officiers du « Corps des gardiens de la révolution iranienne ». Neuf
jours plus tard, un commando dirigé par un officier du Hezbollah et des
membres de la résistance irakienne du groupe de Moqtada al-Sadr (Asaeb
Ahl al-Haq) ont mené une attaque audacieuse en plein jour dans la
province de Kerbala, à bord de voitures blindées appartenant à un
ministre irakien. Ils ont alors capturé et tué cinq soldats et officiers
américains. C’est le modus operandi de l’Iran pour transmettre des
messages aux USA, des messages sans équivoque qui ne laissent aucune
trace iranienne.
Dimanche matin à 4 heures, heure
locale, une forte explosion s’est fait entendre au port d’al-Fujarah
dans les Émirats arabes unis. Cette opération propre, peu
coûteuse, rapide et efficace a donné un immense résultat : elle a mis
fin non seulement à la perspective d’une guerre entre les USA et l’Iran
cet été, mais aussi d’une guerre entre le Hezbollah et Israël. L’acte de
sabotage a donné un avant-goût de ce qui pourrait arriver aux économies
des pays du Moyen-Orient et aux importations de pétrole si l’Iran était
acculé au mur et attaqué. Les USA et leurs alliés du Moyen-Orient ne
peuvent pas s’imaginer ce que l’Iran est capable de faire, même si
aucune preuve tangible du sabotage ne mène à l’Iran, en cas de guerre.
Trump devra bien réfléchir à sa réélection en 2020 s’il se lance dans
une guerre sans horizon ou résultat clair.
L’Iran a menacé de fermer le détroit
d’Ormuz s’il ne peut vendre son pétrole. L’acte de sabotage
d’al-Fujairah s’est produit non loin de la base navale américaine à
Fujairah, transmettant ainsi un double message à qui de droit.
L’acte de sabotage, que les
autorités émiraties ont d’abord nié dans les heures qui ont suivi, pour
ensuite le confirmer plus tard en après-midi, s’est produit peu après
l’annonce que les USA envoyaient un porte-avions et des bombardiers B-52
en direction du golfe Persique pour effrayer l’Iran et répondre à toute
tentative de s’en prendre au trafic maritime dans le détroit d’Ormuz.
Il est peu probable que les USA s’attendaient à ce genre de réaction
immédiate et directe. »
Ne donnant pas leur part au chien, le Hezbollah et les milices chiites irakiennes entreront évidemment dans la danse si Téhéran est attaqué, tandis que les Houthis du Yémen commencent à cartonner les pipelines
d'Aramco en Arabie saoudite même. Le rayon d'action de leurs drones
couvre la presque totalité du territoire saoudien et ils peuvent
maintenant toucher n'importe quelle installation pétrolière. Les
grassouillets cheikhs wahhabites semblent quelque peu paniqués de voir
leur or noir pris entre l'enclume du détroit d'Ormuz et le marteau
houthi.
Quant aux soldats américains en Irak, d'ailleurs lâchés par les alliés
allemand et hollandais qui ont suspendu leur opération de soutien aux
troupes de la coalition en raison de l'escalade, ils sont en première
ligne. Même si les infos sont contradictoires, il se pourrait que leurs
bases soient maintenant pointées par des missiles fournis par Téhéran à ses proxies, ce qui aurait poussé Washington à prendre l'étonnante décision d'évacuer tout le personnel diplomatique non essentiel en Irak.
Devant la formidable guerre asymétrique
qui peut être déclenchée à tout moment par l'Iran, il n'est pas sûr que
l'empire franchisse le Rubicon. Comme le dit un proverbe persan, n'ouvrez pas la porte que vous serez incapable de refermer...
Publié le 17 Mai 2019
par
Observatus geopoliticus
Comparaison n'est pas raison.
RépondreSupprimerLa perse ancienne et moderne sont deux choses n'ayant rigoureusement rien à voir !
La Perse des achéménides était un Monstre hégémonique ayant tenté par deux fois de conquérir la Grèce d'Europe, sachant que la Grèce d'Asie était déjà tombée entre leurs mains...
Si la Perse des achéménides devait être comparé avec un pays aujourd'hui ce serait clairement les US !! Et non l'Iran...
Alexandre est Immense car avec un Etat nain il a détruit un Empire et est allé jusqu'en Inde, il n'a jamais essuyé une seule défaite militaire de sa vie ! Un record inégalé dans l'Histoire.
Alexandre était un Boss.
Par ailleurs la Perse achéménide était mazdéenne zoroastrienne donc TRINITAIRE comme le CHRISTIANISME et l'HINDOUISME.
RépondreSupprimerCertes c'est islamiquement, une hérésie, mais théologiquement, elle reste anti-TRINITAIRE. C'est son principal problème. Et une Théocratie comme l'IRAN devrait, plus que tout autre régime ''corrompu'' par la démocratie, avoir les moyens de résoudre ce problème : d'autant que le Zoroastrisme reste une religion vivante là-bas.
Mais j'ai peu d'espoir dans l'intelligence des élites, perses ou non....
Sur le plan POLITICO MILITAIRE, voici une reprise d'une récente note de synthèse sur la situation générale :
#IRAN #OCCIDENT #OTAN #USA #RUSSIE #INDE #PETROLE #CHINE #NAZISME
Si l'on fait fi des discours martiaux de l'Iran et des Usa, et des sarcasmes de la Russie et de la Chine, et des atermoiements d' #Israel et des vassaux de l' #UE, ; et qu'on regarde quelques éléments factuels dépassant ici ou là des rares analyses sérieuses, on se rend compte que la situation de l'Iran et de la Chine ne sont pas aussi brillantes et sereines que leurs propagandes l'affirment :
1/ certes, l'Iran continue à vendre son Pétrole à la Chine et même davantage que d'habitude sans doute, sans que les USA ne puissent l'empêcher sans déclencher une #escalade dont personne ( sauf Israel) ne veut.
2/ Mais la Chine en profite surtout pour faire le #plein de ses #réserves #stratégiques, anticipant bien qu'un jour la route du #pétrole ou du #gaz voire des #exportations, sera coupée, ce qui plongerait son #économie, déjà mise à mal par les #sanctions et les #tarifs #douaniers de #TRUMP, dans une situation socialement compliquée, même pour une #dictature 2.0 avec #IA , pare-feux, et #drones de surveillance.
3/ Cela signifie que le flux de pétrole de l'Iran vers la Chine ne pourra garder ce rythme en volume à terme. Or, l' Iran n'est pas en mesure de compenser ce manque à gagner vers d'autres pays tiers. Son meilleur client ( hors la Chine) est aussi le rival absolu de celle-ci et de son allié, le #Pakistan : l' #INDE a fini par rallier complètement le carré magique de l' #INDOPAC ( USA #JAPON #AUSTRALIE #INDE). Elle a interrompu ses #importations d' #hydrocarbures en provenance de l'Iran et donc ses projets de #pipelines et #gazoducs passant par #OMAN.
4/ La Russie n'accepte le Pétrole d' Iran qu'à titre de troc, qu'elle revend pour son propre compte. Cela permet de contourner les sanctions mais cela signifie aussi que l'Iran doit lui acheter quelque chose : essentiellement des armes. Certes très utiles en ce moment. Mais pas de nature à améliorer l'économie de base.
5/De plus l' #OTAN a déjà bloqué les flux du #VENEZUELA et mis la main sur la #LIBYE. Une augmentation attendue des #cours peuut favoriser l' #industrie #pétrolière exportatrice des USA et subvenir aux besoins des alliés du Indo- #Pacifique (Japon, Inde, Australie) et de l' #Atlantique ( #UE).
6/ Ainsi se met en place un #découplage économique de la #Mondialisation en 2 #blocs rivaux se disputant les flux de #carbone. Ce découplage se voit dans la #guerre commerciale entre la Chine et les USA.
7/ Les situations de l'Iran et de la #Syrie et de l' #Irak s'inscrivent donc dans une #stratégie cohérente de guerre #froide ( masquée par les #tweets de TRUMP). Il s'agit d' #étrangler l'économie du# bloc adverse.
8/Seule la folie #messianique #NAZI d'ISRAEL (#Aqsa) pourrait le conduire à des false flags mais il semble que cela ne marchera pas. La ficelle étant désormais bien connue. En revanche, elle pourrait exciter les masses #musulmanes et fragiliser la position attentiste de l'Iran, déjà mal vu des #Sunnites. Le risque est mortel pour Israel, mais leur intelligence #tactique a ses limites dès qu'il s'agit du #Messiah ( et pour cause....).