Alexandre Douguine, un jeune homme élégant, mince,
soigné, branché et barbu de l’Université de
Moscou, est une figure culte dans son pays ; les gens se
pressent à ses conférences ; ses nombreux livres
couvrent un vaste éventail de sujets allant
de la culture pop à la métaphysique, de la philosophie à la théologie, des affaires internationales à la
politique intérieure.
Il parle couramment de
nombreuses langues, c’est un lecteur vorace, et il a fait
connaître aux Russes de nombreux penseurs occidentaux moins
connus. Il est prêt à s’enfoncer dans les eaux les plus
profondes de la pensée mystique et hétérodoxe avec un courage
époustouflant. Il s’épanouit dans les controverses ; adoré
et détesté, mais jamais ennuyeux.
C’est un érudit et un praticien du mysticisme, proche de Mircea Eliade et de Guenon ; un pratiquant de
l’orthodoxie traditionaliste ; un fervent étudiant
des théories du complot, des Templiers et du Saint Graal, et
jusqu’à l’Arctogaia de Herman Wirth ; c’est un maître des outils aiguisés par
Jean Baudrillard et Guy Debord ; mais avant
tout, c’est un combattant dévoué pour la libération de
l’humanité de l’étau de la tyrannie libérale du Nouvel Ordre
Mondial dominé par les Américains, ou même de la tyrannie de
Maya, la virtualité post-moderniste post-libérale – par des
moyens politiques.
Comme Alain Soral et Alain de Benoist, il considère que la dichotomie gauche ou droite est obsolète. Ce qui
compte, c’est la conformité ou la résistance au Nouvel
Ordre Mondial.
Douguine est pour la Résistance.
À cette fin, il croise les idées politiques
comme on croise des chiens de combat féroces. La foi, la tradition, la
révolution, le nationalisme et le communisme
sont les ingrédients de son hybridation. Il s’en faudrait
de peu qu’il nous fasse découvrir en Chavez un prêtre de la Théologie de la Libération armé d’une bombe
atomique et versé dans Heidegger.
Douguine s’est essayé à la politique radicale avec Edouard Limonov, le poète national-bolchevique, avec Jamal
Hyder, le réformateur de l’Islam ; c’était un
idéologue pour les Rouges-Bruns, comme on
appelait une alliance de communistes et de nationalistes
purs et durs dans la Russie des années 1990 ; maintenant,
il chaperonne un petit mouvement eurasien.
Mais ce n’est pas un politicien par nature : comme Confucius, il préfère être un sage conseiller du souverain. En
cela, il a aussi peu réussi que Confucius.
Il a esquissé une idéologie pour Poutine ; à
l’époque, Poutine utilisait ses mots mais en rejetant
ses pensées.
Douguine était très critique à l’égard de
Poutine pour ses premières mesures bancales, mais il a tout de même soutenu le président lorsque les libéraux de
Moscou ont commencé leur Fronde. Dans ses
livres, il propose un plan pour le
développement futur de sa patrie.
Compte tenu de son influence, il est important d’apprendre
de lui ; et encore plus si l’on se souvient que les Russes
ont autrefois montré la voie à l’humanité, même si cette voie
a fini par être désertée.
Intellectuellement curieux, Douguine a vérifié tous les concepts, toutes les idées de l’Est et de l’Ouest,
même celles qui sont interdites et oubliées, tant
qu’elles pouvaient servir la Résistance.
Il a utilisé les idées communistes ainsi que
celles des traditionalistes radicaux pour qui Hitler et Mussolini n’étaient pas assez radicaux.
Il tisse la théologie, la politique et la métaphysique en une
seule méta-narration.
Son style est lucide et agréable.
La « Quatrième théorie politique », telle que publiée par Arktos, porte le même titre que l’un des livres les
plus récents et les plus importants de
Douguine, mais il s’agit d’un livre tout à fait différent ; il
serait plus approprié de l’appeler Douguine Reader, ou Essential
Douguine, car c’est un livre spécialement destiné à un lecteur
occidental anglophone. C’est une bonne chose : en tant que personne qui écrit
en russe et en anglais, je suis témoin
qu’un texte de philosophie politique russe ne
peut pas être rendu directement en anglais, car
les cultures politiques sont trop éloignées. Tel quel, ce livre constitue un bon point de départ pour découvrir
le penseur politique Douguine.
La Quatrième théorie politique du titre du livre s’oppose aux trois paradigmes (théories politiques) les plus
importants du siècle dernier, à savoir le libéralisme,
le marxisme (y compris le communisme et le socialisme)
et le fascisme (y compris le national-socialisme).
Au terme d’une lutte d’un siècle, le libéralisme a vaincu les deux
autres, et a affirmé que son règne serait éternel (« Fin de
l’histoire »).
La Quatrième théorie (il s’agit plutôt d’un
paradigme) est proposée pour le vaincre et enterrer
le libéralisme.
Douguine ne présente pas une Quatrième Théorie toute faite pour supplanter les trois autres, mais indique plutôt
quelques directions pour sa création et sa mise
en œuvre pratique.
Cette nouvelle théorie ne devrait pas expliquer le monde, mais le changer. Elle devrait inspirer une croisade contre
le libéralisme centré sur l’Occident, comme
la Seconde Guerre mondiale a été une croisade contre le nazisme. En d’autres termes, il ne s’agit pas tant d’une théorie que d’une
doctrine de combat, un appel à reconstruire notre
monde. « L’ennemi est plus important que l’ami, choisissez-le soigneusement car ce choix influencera vos décisions
», disait Carl Schmitt, le mentor de Douguine.
L’ennemi n° 1 de Douguine est le libéralisme, qui, selon lui, est
une forme de darwinisme social permettant aux plus
riches de survivre et de s’épanouir, tandis que les autres
souffrent et meurent spirituellement et physiquement. Le
libéralisme est le plus grand mal de notre époque en raison de son caractère inévitable, de son imposition sans
choix depuis les années 1990 ; il est
l’impasse et le destin à défier, selon Douguine.
Le libéralisme et sa « liberté de » conduit
à la désintégration de la société ; il « libère » l’homme
de la famille, de l’État, du sexe, et même de son humanité.
Selon Douguine, le libéralisme finira par supplanter l’homme par des cyborgs génétiquement modifiés.
Le quatrième paradigme devrait incorporer les meilleures caractéristiques de ses trois prédécesseurs et rejeter
leurs défauts. Ainsi, le matérialisme
historique ou la croyance en l’inévitabilité du
progrès, l’économisme ou la croyance en la primauté
de l’économie, l’anti-spiritualité et l’anti-ethnicité
du marxisme devraient être rejetés, tandis que sa critique
du capitalisme devrait être conservée, ainsi que le mythe fondateur du retour au Paradis perdu du travail
créatif.
Douguine est prêt à considérer les bons points du fascisme et du national-socialisme, et c’est pour cette raison
qu’il est parfois taxé de « nazi » par des
critiques injustes, ce qui est une erreur, car
il n’est absolument pas raciste.
Dans ce livre, il prêche contre le racisme, non
seulement contre le racisme biologique grossier du Troisième
Reich, mais aussi contre la civilisation unipolaire
raciste, le glamour et la mode racistes, le racisme culturel,
voire l’exclusion raciste que développe le politiquement correct.
En expurgeant la composante raciste du
national-socialisme, cette théorie politique
est rendue « sûre » et ses aspects positifs peuvent être pris en considération, dit-il.
Parmi les aspects positifs, on trouve l’amour du peuple,
du volk, un amour érotique des hommes et des femmes
constituant le peuple, l’ethnocentrisme, l’acceptation de «
l’ethnos dans son environnement » comme sujet de
l’histoire.
Bien que la Quatrième Théorie soit brandie comme une arme contre le libéralisme, on peut y trouver des aspects
positifs.
Douguine approuve la liberté tout en rejetant l’individualisme.
La liberté humaine – oui, dit-il, la liberté individuelle
– non .
Il soumet le concept des droits individuels à une
critique cinglante : le libéralisme approuve les
droits individuels parce qu’ils sont chétifs ; ce sont les droits d’un petit homme.
La liberté humaine, c’est la liberté d’un
grand homme, d’un peuple, et elle devrait être illimitée, dit-il.
Douguine s’efforce de remédier aux défauts du communisme et du national-socialisme, peut-être en croisant ces
théories, se situant quelque part entre les frères
Strasser et Ernst Niekisch anti-hitlériens d’un côté, et
les nationaux- communistes de l’autre.
Ce terrain de rencontre entre l’extrême gauche et
l’extrême droite d’hier devrait être fertilisé
par le mythe et la tradition, désécularisé et centré sur le Dasein, dans un premier temps.
Pourtant,il y a des caractéristiques de ces trois prédécesseurs qui ne sont pas
acceptables pour Douguine, et tout d’abord la
croyance dans le progrès et le développement linéaire.
Un régulateur pour boule de feu, un dispositif qui empêche une machine à vapeur d’exploser en coupant l’alimentation
en carburant au fur et à mesure qu’elle s’emballe,
telle est la chose dont l’humanité a besoin pour ses
entreprises.
Au lieu d’un processus monotone, il devrait y avoir
un processus circulaire, cyclique, ce que d’autres appelleraient un
développement durable.
Douguine a l’intention de remédier à un profond problème ontologique d’aliénation et de négation de l’Être,
selon les termes de Martin Heidegger, qui a dit
que les Grecs anciens confondaient l’Être-en-soi (Sein) et
l’expérience humaine de l’Être-dans-le-monde (Dasein), et que
cette petite confusion, à la longue, a causé le progrès
technique et a conduit au Néant.
C’est ce que Douguine veut surmonter en faisant de l’Être-au-monde l’acteur le plus admirable de
l’histoire.
Pour les libéraux, le plus important, c’est
l’individu ; pour les communistes, c’est une classe sociale ;
pour les nazis, c’est une race ; pour les fascistes, c’est un
État, et pour Douguine et son quatrième paradigme, c’est
l’Être-au-monde.
Ainsi, la nuit profonde de l’aliénation peut être
transformée en un jour lumineux d’Être, dit Douguine.
Si les philosophies communiste et nationale-socialiste étaient fondées sur Hegel, la philosophie de Douguine, ainsi
que celle de ses ennemis, les libéraux
néoconservateurs de Leo Strauss, est
fondée sur Heidegger.
Un esprit contemporain a décrit la bataille
de Stalingrad ainsi : « Les hégéliens de gauche combattent
les hégéliens de droite ».
Peut-être verrons-nous des Heideggeriens du peuple se battre
contre des Heideggeriens élitistes ? .
Certaines des pensées géopolitiques de Douguine sont incluses dans le livre.
C’est un ennemi de la globalisation, et il cherche
une vie et un développement indépendants pour chacune des grandes régions : Europe, Amérique du Nord,
Russie, Chine, etc.
Il pense qu’il est important de libérer l’Europe du joug américain.
Que l’Amérique soit libre de vivre comme elle l’entend
au-delà de l’océan, mais qu’elle cesse de s’immiscer outre-mer et d’imposer son mode de vie aux autres.
En ce qui concerne la Russie, il considère sa patrie comme une base possible de résistance au Nouvel ordre Mondial,
avec d’autres pays qui défient le diktat
américain.
Il ne pense pas que la Russie d’aujourd’hui soit prête à relever le grand défi, elle est encore évasive et hésitante, mais c’est
ce que nous avons de mieux, dit-il.
Son bouclier nucléaire peut défendre les
premières pousses de nouvelles idées contre la justice
brutale du shérif mondial.
La Quatrième théorie politique est un bon début pour transmettre les idées de Douguine au lecteur
occidental.
Après tout, même le rejet par Heidegger du
nihilisme occidental est aussi une idée occidentale.
Israël Adam Shamir
Article publié en 2013
source : The Fourth Political Theory
via Entre la Plume et l’Enclume
Douguine avait formé une relève: sa fille. Les nuls Macron, les déjantés Zelensky, les débiles Biden, n'aiment pas les cerveaux au-dessus d'eux. Que la victime de ces bourreaux repose en paix. Pour cette confrérie d'assassins, le jour de la justice va finir par venir.
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