Les acheteurs, les propriétaires sont des firmes US bien connues puisqu’il s’agit de Cargill, Dupont et Monsanto. Ce qui cependant est moins bien connu c’est que derrière ces enseignes célèbres ayant pignon sur rue apparaissent des fonds d’investissements – structures financières quelque peu obscures, caractéristiques de l’agiotage « new age »-. Celles-ci, passablement obscures mais puissantissimes, disposent de capitaux qui font tourner la tête se chiffrant en trillions (c’est-à-dire en milliers de milliards) de dollars. Au nombre de celles qui opèrent en Ukraine on compte en particulier Vanguard, Blackstone et Blackrock dont les capitaux sont respectivement dix, six et 0.9 trillions de dollars.
Pour donner la mesure de l’état des choses, la revue australienne mentionne l’exemple de l’Italie où les terres cultivables représentent 16.7 millions d’hectares. Ainsi, le pouvoir des marionnettes kiéviennes a fait en sorte que trois compagnies étatsuniennes possèdent désormais en Ukraine plus de terres cultivables que l’Italie, membre du G7.
Du coup, lorsqu’on évoque le blé ukrainien et son exportation, la question se pose de quoi parle-t-on exactement ? Pourquoi omet-on systématiquement de mentionner les fonds d’investissements américains pourtant très importantes parties prenantes dans l’affaire et, pourquoi pas, principales bénéficiaires ?
Mais, outre ce questionnement à première vue platement économique, la question se pose de savoir comment et pourquoi l’Ukraine en est arrivé là ?
Lorsque le pays faisait partie de l’Union soviétique, la terre appartenait à l’état par l’intermédiaire des kolkhozes. Après la disparition de l’Union soviétique, les paysans, employés des kolkhozes, ont reçu en fermage les terres étatiques qu’ils cultivaient jusqu’alors. Par la suite, le statut de ces terres a été transformé pour devenir, au terme de longues procédures administratives, pleine propriété de ceux qui les cultivaient naguère, les anciens kolkhoziens. S’en est suivie alors une courte période pendant laquelle ont été autorisées des transactions, c’est-à-dire la vente et l’achat des terres. Mais, pour finir, dès 2001, un moratoire a été décrété mettant un terme à toute transaction. Cet état des choses a perduré peu ou prou durant les vingt années suivantes, jusqu’en 2021.
Du coup, comme ils ne pouvaient ni vendre ni acheter la terre, de nombreux anciens kolkhoziens, devenus propriétaires à la suite de la disparition de l’Union soviétique, se sont retrouvés devant le choix soit de continuer à travailler la terre, comme auparavant, soit, ce qui était nouveau pour eux, de la donner en location, au prix de 150 dollar l’hectare l’an, à des « opérateurs », surgis d’on ne sait où, dans la foulée de la dislocation de l’Union soviétique. Ainsi, à l’ombre du moratoire des « opérateurs » sont devenus d’authentiques latifundiaires, pis des entreprises monopolistiques agricoles. De la sorte, si la terre continuait à appartenir, du moins formellement, aux anciens kolkhoziens, dans les faits elle était entre les mains « d’opérateurs » privés, rouages importants, si ce n’est essentiels, compte tenu de l’importance démographique de la paysannerie ukrainienne – représentant environ 30% de la population du pays -, du système oligarchique à la tête de l’Ukraine.
Cependant, la question de la propriété des terres agricoles en Ukraine demeurait en suspens, problème politique important, central, particulièrement sensible en pays slave qu’est l’Ukraine. La qualité de tchernoziom ukrainien, parmi les meilleures terres arables du monde, ajoutait encore à cet enjeu traditionnel d’autant plus que la production agricole ukrainienne participait de plus en plus aux échanges internationaux. Du coup, le débat s’enrichissait pour savoir s’il fallait, outre l’abolition du moratoire sur les transactions des terres agricoles, ouvrir aux ressortissants étrangers la possibilité d’acheter des terres en Ukraine. Un peu à la fois, progressivement l’idée s’imposait avec l’ouverture de plus en plus effective du pays.
Volodimir Zelensky, averti de la question, proposait de soumettre la question au pays par voie référendaire. Lors de manifestations paysannes il proclamait haut et fort que « la terre appartenait aux Ukrainiens » tout en stigmatisant « les méchants Chinois et les Arabes » qui s’apprêtaient, selon lui, « à emporter notre terre par wagons ».
Le débat faisait rage et Zelensky, en habile bateleur, savait jouer du sentiment populaire pour lui conférer une orientation nationaliste, chauvine, voire xénophobe.
En dépit de l’opposition très majoritaire à l’abolition du moratoire sur la vente des terres agricoles on mettait en avant avec insistance la « justification ». Il fallait le faire, disait-on, car il s’est passé beaucoup de temps depuis l’adoption de cette mesure sans que le parlement ukrainien, la vrhovna Rada, ait mis en place un mécanisme suffisamment transparent pour organiser la vente et l’achat des terres comme le prévoyait la loi de 2001.
A cet égard, il importe de mentionner qu’au même moment des sondages d’opinion indiquaient que 81% des personnes interrogées se prononçaient contre la vente de la terre aux étrangers et que seuls 13% soutenaient la démarche préconisée par le Gouvernement. Par ailleurs, deux tiers des sondés estimaient qu’une décision aussi importante devait faire l’objet d’une consultation par référendum alors que plus de la moitié (58%) estimaient que la terre agricole devait demeurer propriété de l’état à l’exemple du Canada et dl’Israël (références importantes pour l’opinion publique ukrainienne).
Finalement, c’est le compte-rendu du mois d’avril 2021 du Fond Monétaire International, le plus important créditeur de l’Ukraine, qui emportait la décision en mettant l’abolition du moratoire comme condition sine qua non à l’attribution d’un nouveau paquet de crédits à l’Ukraine. Et le gouvernement ukrainien de s’exécuter contre l’avis très largement majoritaire de son opinion public. Dès lors les « opérateurs » avaient les mains libres pour transmettre les terres qu’ils avaient en gestion aux « investisseurs étrangers », ultima ratio du système économique ukrainien. Au préalable, ils devaient les acquérir, comme la loi désormais les autorisait de le faire, auprès des « petits porteurs » ex-kolkhoziens. L’opération, classique dans son genre, rondement menée, comme en témoigne le délai entre l’adoption de la loi par la vrhovna Rada et sa mise en application – à savoir l’acquisition par les compagnies américaine -, a évidemment rapporté gros à quelques malfrats proches du pouvoir kiévien.
Alors, après l’implantation d’une trentaine de laboratoires biologiques américains sur l’ensemble de son territoire, l’Ukraine ajoutait, par la vente massive de ses terres agricoles aux corporations transnationales sous tutelle des fonds d’investissement américain, une dimension supplémentaire à son alignement atlantique. Si les laboratoires biologiques n’ont pas encore livré leurs secrets, en revanche en ce qui concerne les terres agricoles les choses semblent plus simples à élucider en répondant à la question : le blé exporté d’Ukraine est-il américain ?
P.S. Gageons que les inspecteurs qui vont examiner le navire libérien transportant la première cargaison de blé ukrainien au large du port d’Istanbul ce jour (3 août dans la matinée à partir de 10 heures GMT) auront la possibilité de répondre à la question. Ayant entre les mains les bordereaux et la documentation réglementaire, ils connaîtront ipso facto le propriétaire des céréales ukrainiennes.
Par Alain Jejcic 3/8/2022
Source : Librairie Tropiques
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VOIR AUSSI :
Ukraine. La guerre cachée : lutte pour la terre et contre l'agriculture génétiquement modifiée :
Dix mois avant que les troupes russes n'affluent en Ukraine, le président de ce pays, Volodymyr Zelensky, a signé un projet de loi autorisant la vente privée de terres agricoles, annulant un moratoire en vigueur depuis 2001.
La marchandisation des terres agricoles fait partie d'une série de «réformes» politiques que le Fonds monétaire international a stipulées comme condition préalable permettant à l'Ukraine de recevoir 8 milliards de dollars de prêts du FMI.
La concurrence agricole sur l’utilisation des terres entre les États-Unis et la Russie est l’une des principales raisons de la guerre en Ukraine.
En période de paix, l'Ukraine récolte 80 millions de tonnes métriques (MMT) de céréales, une catégorie qui comprend le blé, le maïs, l'orge, le riz et le millet. À elles deux, la Russie et l'Ukraine fournissent plus de 25 % du blé mondial. La Russie a récemment dépassé les États-Unis et le Canada pour devenir le premier pays exportateur de blé au monde ; L'Ukraine est le 6 e exportateur mondial de blé.
L'agriculture américaine repose sur deux intrants principaux : la main-d'œuvre agricole migrante et la monoculture de maïs, de soja et d'autres cultures génétiquement modifiés conçus pour tolérer - et être saturés avec - l'herbicide Roundup de Monsanto, qui cause le cancer. Le processus réglementaire du gouvernement est rompu, s'il a jamais fonctionné correctement : des sociétés telles que Monsanto, Bayer, Dow, DuPont, Syngenta, Novartis, BASF et les autres fabricants de pesticides et de produits pharmaceutiques sont autorisées à masquer la vérité sur les dangers de leurs produits. .
Il y a six ans, le président russe Vladimir Poutine a cherché à saisir les opportunités économiques autour de la culture de denrées alimentaires en s'opposant à l'agriculture génétiquement modifiée et au Roundup de Monsanto, l'herbicide le plus utilisé au monde ; il a lancé un programme pour éliminer les pesticides et les cultures génétiquement modifiées des champs russes. L'objectif était de surpasser les États-Unis et le Canada en tant que premier et deuxième exportateurs mondiaux de céréales en passant au biologique, ce qui importait particulièrement en Europe avec ses lois plus strictes concernant l'importation et la plantation d'OGM.
Malgré de grandes protestations contre les OGM et l'accaparement des terres par des entreprises étrangères, et malgré le fait que la loi ukrainienne avait interdit la propriété de terres agricoles par le secteur privé, le gouvernement ukrainien a négocié un prêt de plusieurs milliards de dollars du Fonds monétaire international qui stipulait la suppression des blocages à la production d'OGM. c'était "transformer des millions d'acres vierges en [un] terrain vague empoisonné. Eco-génocide à but lucratif. Les mains sales de Monsanto sont énormément impliquées.
Ainsi, les États-Unis déversent systématiquement sur les marchés étrangers des produits génétiquement modifiés bon marché saturés de pesticides, sapant les producteurs locaux et les forçant à acheter les semences brevetées à l'entreprise qui les fabrique, ainsi que les pesticides nécessaires pour tuer les mauvaises herbes concurrentes des plantes. Déracinés de leurs terres, les producteurs locaux deviennent dépendants des États-Unis et de ses sociétés, et nombre d'entre eux tentent de fuir de l'autre côté de la frontière vers les États-Unis.
Hannibal Genséric
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