mercredi 26 avril 2017

Pourquoi Washington est terrifié par la Russie et la Chine



Le partenariat stratégique russo-chinois, qui unit ceux que le Pentagone définit comme les deux « menaces N°1 » à l’Amérique, n’est pas consigné dans un traité formel signé en grande pompe – et un défilé militaire pour l’accompagner.

Il est enveloppé dans de subtiles couches de sophistication, et il n’y a aucun moyen d’apprendre les termes secrets sur lesquels Pékin et Moscou se sont accordés, au cours des innombrables rencontres de haut niveau entre Poutine et Xi Jinping.

Les diplomates, officieusement, laissent occasionnellement échapper qu’il peut y avoir un message codé à l’intention de l’OTAN, selon lequel si l’un des deux membres stratégiques est sérieusement harcelé – en Ukraine, ou dans la mer de Chine méridionale – l’OTAN devra se confronter aux deux.
Pour le moment, concentrons-nous sur deux exemples de la façon dont le partenariat marche en pratique, et pourquoi Washington n’a pas la moindre idée de la façon d’aborder le problème.
La pièce à conviction A est la visite imminente à Moscou du directeur du Bureau général du Parti communiste chinois (PCC), Li Zhanshu, à l’invitation du chef de l’administration présidentielle du Kremlin, Anton Vaino. Pékin a souligné que les discussions porteront sur – quoi d’autre – le partenariat stratégique russo-chinois, « comme convenu d’avance entre les leaders des deux pays ».
Cela se produit juste après la visite du premier vice-premier ministre Zhang Gaoli, un des sept plus hauts membres du bureau politique du PCC et l’un des concepteurs des politiques économiques chinoises, qui a été reçu à Moscou par le président Poutine. Ils ont discuté des investissements chinois en Russie et de l’angle-clé énergétique de leur partenariat.
Mais plus que tout autre chose, ils ont préparé la visite prochaine de Poutine à Pékin, qui sera particulièrement retentissante, parce qu’elle s’inscrit dans le cadre du sommet piloté par Xi Jinping sur l’initiative One Belt, One Road (Nouvelle Route de la soie), les 14 et 15 mai.
Le Bureau général du Parti communiste chinois – qui est directement subordonné à Xi – ne tient ce type de consultations annuelles de très haut niveau, qu’avec Moscou et aucun autre pays. Inutile d’ajouter que Li Zhanshu ne rend de comptes qu’à Xi, tout comme Vaino ne rend de comptes qu’à Poutine. On ne peut pas faire plus stratégique.
Il se trouve aussi que cela se rattache directement à l’un des derniers épisodes mettant en vedette les Hommes Creux de Trump, dans ce cas le benêt/grandiloquent conseiller à la Sécurité nationale, le lieutenant-général HR McMaster.
Pour résumer, selon la narrative de McMaster dûment régurgitée par les médias institutionnels américains, Trump a développé une alchimie telle avec Xi, au cours de leur sommet des Tomahawks-avec-gâteau au chocolat de Mar-a-Lago, que Trump a réussi à briser l’entente russo-chinoise sur la Syrie et à isoler la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU.
Lire le communiqué commun des BRICS sur la Syrie n’aurait pris que quelques minutes du temps de McMaster. Il aurait appris que les BRICS soutiennent la Russie.
Rien d’étonnant à ce qu’un observateur expérimenté de la géopolitique indien se soit senti obligé de noter que « Trump et McMaster ressemblent à deux ploucs perdus dans une grande métropole. »
Suivez la piste de l’argent
La pièce à conviction B se centre sur l’avancée discrète des accords de la Russie et de la Chine pour le remplacement progressif du statut de monnaie de réserve du dollar par un système basé sur l’or.
Cela implique la participation-clé du Kazakhstan – qui est très intéressé par l’emploi de l’or comme monnaie sur la Nouvelle Route de la Soie. Le Kazakhstan ne peut pas être plus stratégiquement situé : c’est l’un des axes majeurs de l’initiative One Belt, One Road ; un membre-clé de l’Union économique eurasienne (UEE) ; un membre de l’Organisation de coopération de Shanghai (SCO) ; et pas par accident, le principal fondeur de l’or de la Russie.
Parallèlement, la Russie et la Chine sont en train de perfectionner leurs propres systèmes de paiement. Peu après l’accès du yuan au statut de monnaie mondiale, la Chine a fait une habile promotion de son système de paiement, le CIPS, tout en prenant garde de ne pas froisser les USA, qui contrôlent le système internationalement établi SWIFT.
De son côté, la Russie a créé « une alternative », selon les mots de la directrice de la Banque centrale russe, Elvira Nabiullina, sous la forme du système de paiement Mir – une version russe de la carte Visa/MasterCard. Ce qui est en jeu, c’est que si Washington se sentait d’humeur d’exclure la Russie du système SWIFT, même temporairement, au moins 90% des distributeurs de billets en Russie seraient capables de continuer à opérer avec le Mir.
Les cartes de paiement UnionPay chinoises sont déjà un dispositif bien établi partout en Asie – et adopté avec enthousiasme par HSBC, entre autres. Combinez systèmes de paiement « alternatifs » et développement d’un système basé sur l’or  – alors le mot « toxique », pour décrire la réaction de la Réserve fédérale des États-Unis, n’est qu’un pâle euphémisme.
Et la Russie et la Chine ne sont pas les seuls problèmes ; il y a les BRICS.
Ce que le premier assistant du gouverneur de la Banque centrale russe Sergueï Shvetsov a exposé ne représente qu’un début : « Les pays des BRICS sont des économies développées, dotées de grandes réserves d’or et d’un volume impressionnant de production et de consommation de ce métal précieux. En Chine, le marché de l’or est conduit à Shanghaï, en Russie à Moscou. Notre idée est de créer un lien entre les deux villes, pour augmenter le volume des échanges entre les deux marchés. »
La Russie et la Chine ont déjà établi des systèmes pour faire du commerce international sans dollars américains. Ce que Washington a fait à l’Iran – couper leurs banques du système SWIFT – est dorénavant impensable en Russie et en Chine.
Nous sommes donc en chemin, lentement mais sûrement, vers une « place de marché pour l’or » chez les BRICS. Une « nouvelle architecture financière » est en voie de construction. Pour la Réserve fédérale américaine, elle impliquera une incapacité future à exporter de l’inflation vers d’autres pays – particulièrement ceux des BRICS, de l’UEE et de l’Organisation de coopération de Shanghaï.
Les Hommes creux
Les généraux de Trump, menés par « Mad Dog » Mattis, peuvent fantasmer tout leur soûl sur leur besoin de dominer la planète, avec leurs commandements sophistiqués Air-Mer-Terre-Espace-Cyber. Mais cela peut ne pas suffire à contrer la myriade d’axes de développement du partenariat stratégique Russie-Chine.
Ainsi, nous aurons encore droit à des Hommes creux, comme le vice-président Mike Pence, avec sa solennité empourprée, menaçant la Corée du Nord d’une phrase ronflante,  « Le bouclier monte la garde et les épées se tiennent prêtes ». Ne nous inquiétons pas de ces mots, qui ne valent même pas une mauvaise ligne de dialogue de remake d’un film de série B de Hollywood ; ce que nous avons ici, c’est le commandant-en-chef aspirant Pence, avertissant les Russes de dures réalités nucléaires très près de leurs frontières, entre les USA et la Corée du Nord.
Cela ne va pas se produire. Trinquons au grand poète T. S. Eliot, qui l’avait vu des décennies à l’avance :
Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas!
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont inanes
Comme le souffle du vent parmi le chaume sec
Comme le trottis des rats sur les tessons brisés
Dans notre cave sèche.
Par Pepe Escobar – Le 21 avril 2017 – Source Sputnik News via entelekheia.fr
Traduction Entelekheia.fr
Traduction du poème Pierre Leyris