Après
l’assassinat du duc d’Enghien par Napoléon en mars 1804, le ministre de la
police de Napoléon, Joseph Fouché, a déclaré à ce sujet : « C’est pire
qu’un crime, c’est une faute. » Les missiles du Président Trump lancés sur
la base aérienne de Charyat en Syrie étaient comme le meurtre du duc d’Enghien,
pas seulement un crime mais une faute.
Les raisons
invoquées pour lesquelles le Président Trump a ordonné le lancement des
missiles varient.
Le Président
Trump lui-même affirme que c’est en raison de sa révulsion face à l’horreur de
l’attaque chimique contre Khan Sheikhoun, qu’il affirme – mais sans qu’aucune
enquête indépendante ne l’ait confirmé – avoir été effectuée par l’armée de
l’air du Président Assad.
Le
secrétaire d’État américain Tillerson et le conseiller général à la sécurité
nationale de Trump, H. R. McMaster, disent la même chose, mais ils disent aussi
que la frappe constituait un signal de la fermeté du Président et de son refus
de tolérer que ses lignes rouges soient franchies.
D’autres
encore, plus cyniquement, disent qu’elles visaient à distraire l’attention du
Russiagate et à assurer la position du Président à Washington.
Il y a
probablement du vrai dans toutes ces allégations. Cependant, aucune d’entre
elles ne change le fait que ces frappes constituaient une grossière erreur.
Voilà pourquoi :
(1) Toutes
les données suggèrent que les frappes étaient une simple démonstration de force
et que le Président n’a pas l’intention de provoquer une escalade avec son
intervention l’amenant à une campagne de changement de régime en Syrie.
Non
seulement ce que Tillerson et McMaster ont déclaré lors de leur conférence de
presse commune, mais les frappes elles-mêmes – les Russes et les Syriens étant
informés par les États-Unis des heures avant qu’elles ne se produisent, et avec
des frappes elles-mêmes limitées et menées à une échelle beaucoup plus petite
que celle que le Président Obama semblait envisager en 2013 – semblent indiquer
la même chose.
Cela suggère
que le Président ne veut toujours pas être entrainé dans une guerre pour un
changement de régime en Syrie.
Si c’est le
cas, il se rendra bientôt compte qu’il s’est engagé sur une pente très
dangereuse.
De même que
le renvoi du général Flynn a encouragé les critiques du Président dans
l’affaire du Russiagate, amenant le scandale à des proportions qui dépassaient
largement son ampleur originale, l’attaque de missiles contre la base aérienne
de Charyat a donné le gout du sang aux tenants de la ligne dure de changement
de régime à Washington et ailleurs. Ils reviendront certainement à la charge
pour obtenir davantage, et leur ayant jeté de la viande rouge une première
fois, le Président est maintenant dans une position beaucoup plus faible pour
leur en refuser.
En outre,
indépendamment de ce qui s’est passé exactement à Khan Cheikhoun, les
djihadistes en Syrie savent maintenant que tout ce qu’ils ont à faire est
d’organiser une attaque chimique, et que le Président américain les obligera en
lançant des missiles sur les forces du Président Assad, sans enquête et sans
chercher à obtenir l’accord du Congrès ou du Conseil de sécurité de l’ONU. Cela
ne fait que garantir que la mise en scène de davantage d’attaques chimiques est
précisément ce que les djihadistes vont maintenant faire.
Nul besoin
d’être prophète pour voir comment cette situation pourrait escalader
dorénavant, même si ce n’est pas le souhait du Président, et comment il est
maintenant dans une position beaucoup plus faible pour empêcher que cela se
produise.
(2) Trump a
commencé sa présidence en disant vouloir améliorer les relations avec la
Russie. Non seulement il a causé la fureur des Russes, rendant les relations
avec la Russie encore pires qu’elles ne l’étaient déjà, mais les Russes vont
certainement percevoir les frappes comme un défi et répondront en conséquence.
Ils parlent déjà de renforcer les défenses aériennes de la Syrie et ont fermé
la ligne directe entre leurs militaires en Syrie et ceux des États-Unis.
Cela va non
seulement compliquer les opérations anti-Daech des États-Unis en Syrie, mais
cela augmente le risque d’une confrontation dangereuse avec les Russes en
Syrie, ce qui est précisément ce que le Président et son équipe – comme en
témoigne leur notification aux Russes avant les tirs de missiles – veulent
évidemment éviter.
(3) Ensuite,
il y a la question clé de la confiance.
En seulement
une semaine, après des rapports évoquant une seule attaque, le Président a fait
marche arrière, passant d’une position où il semblait accepter la réalité que
le Président Assad resterait le dirigeant de la Syrie à une position où il
l’attaque et où les membres de son gouvernement parlent à nouveau de
l’importance de le renverser.
Non
seulement les Russes concluront que ce Président est quelqu’un à qui on ne peut
pas faire confiance, mais les gouvernements du monde entier – y compris
plusieurs des principaux alliés européens des États-Unis – seront choqués par
la facilité avec laquelle ce Président fait volte-face et fait le contraire de
ce qu’il avait dit, et le fait en outre sans discussion ou consultation
appropriée, et sans même prétendre observer les formes du droit international
et des lois américaines.
Dans la
cohérence des relations internationales, la cohérence est la qualité la plus
prisée de toutes. Les gouvernements doivent être sûrs qu’une grande puissance
comme les États-Unis suit des politiques cohérentes. De cette façon, d’autres
gouvernements peuvent ajuster leurs propres politiques pour prendre en compte
celles des États-Unis.
C’est pour
cette raison, parce que le lancement de l’attaque a totalement détruit la réputation
de cohérence du Président dans sa conduite de la politique, qu’avant l’attaque
de missiles, je doutais qu’une telle chose se produise.
Les
gouvernements du monde entier – y compris le gouvernement de la Chine, que le
Président des États-Unis vient d’accueillir – savent maintenant qu’avec cette
administration, les États-Unis peuvent inverser leur politique en un instant.
Non seulement cela va les inquiéter, mais ils savent maintenant que quoi que
dise ce Président, on ne peut pas y prêter foi car il peut s’en dédire si
rapidement.
Cela va
inévitablement rendre les affaires internationales plus instables, puisque les
gouvernements savent maintenant qu’on ne peut pas faire pleinement confiance à
ce Président, ce qui lui rendra plus difficile la négociation des accords qu’il
souhaite conclure.
(4) Si le
Président croyait, quand il a lancé ses missiles, que cela mettrait fin aux
critiques portées contre lui et à l’obstruction de son administration par ses
adversaires, il découvrira rapidement qu’il n’a rien obtenu de tel. Les
adversaires du Président ont beaucoup trop investi dans le récit de « Donald
Trump, le nouveau Mussolini ou Caligula » pour faire marche arrière
maintenant. Je doute même qu’ils délaissent les allégations de Russiagate, si
absurdes qu’elles soient.
Dans
quelques jours, une fois que les applaudissements pour les frappes se seront
évanouis, le Président verra rapidement qu’il est resté le même qu’il a
toujours été aux yeux de ses opposants à Washington, et qu’en lançant ses
frappes sans avoir préalablement consulté le Congrès, il n’a fait que leur
donner un autre bâton avec lequel se faire battre. Je note que Nancy Pelosi,
l’une des critiques les plus véhémentes du Président, demande déjà un débat
approfondi à la Chambre pour discuter de la question de l’autorisation de
l’action du Président.
(5) En
revanche, si le Président n’a pas gagné ses critiques, il a sans aucun doute
fâché et démoralisé la partie la plus intelligente et la plus expressive de sa
propre base politique.
L’un des
faits les plus intéressants quant aux événements des derniers jours est que
bien que les partisans libéraux de Barack Obama ont continué à le soutenir
alors même qu’il revenait entièrement sur la position anti-guerre qu’il
défendait avant sa nomination, les partisans de Donald Trump prennent leur
position anti-guerre et anti-interventionniste extrêmement au sérieux et ne
sont pas disposés à faire des compromis sur ce point. Le résultat est que loin
de défendre le Président pour ce qu’il a fait, ils se sont retournés contre lui
et se sont sentis trahis.
Donald Trump
lui-même le sent. Cela s’explique par le fait que depuis l’attaque de missiles,
loin de prendre un ton triomphaliste, il n’a mentionné l’attaque que deux fois
dans ses tweets, un tweet symbolique félicitant les militaires pour le succès
de l’opération, et un tweet hautement défensif dans lequel il a essayé
d’expliquer et d’écarter l’absence de dommages infligés à la piste aérienne.
Sinon, sauf dans des déclarations formelles telles que sa lettre au Congrès, il
a évité d’en parler.
En effet, il
n’est pas impossible que le résultat de l’attaque de missiles – surtout si elle
est suivie par d’autres – sera de relancer un mouvement anti-guerre moribond
qui a presque disparu au cours de la présidence d’Obama. Il est aisé de voir
comment les ailes droite et gauche de ce mouvement pourraient maintenant se
conjuguer, comme cela s’est produit pendant la présidence de George W. Bush.
Dans le cas de l’aile droite du mouvement anti-guerre parce qu’elle s’oppose
véritablement aux guerres interventionnistes, et dans le cas de l’aile gauche
du mouvement anti-guerre parce que certains de ses membres s’opposent
sincèrement aux guerres interventionnistes, mais surtout parce qu’elle exècre
un Président républicain de droite.
Il va sans
dire que si une telle chose se produit, les problèmes politiques du Président
se multiplieront par mille.
La première
loi de la politique – aux États-Unis comme partout ailleurs – est de prendre
soin de sa propre base. Tous les politiciens qui ont réussi comprennent cela.
Vendredi, Donald Trump a choqué et fâché sa base, et une fois que l’éclat
temporaire du lancement de missiles se dissipera (ce qui se produira
rapidement), il en paiera le prix politique.
Ce que
montrent les événements de la semaine dernière, c’est que presque cent jours
après son inauguration, Donald Trump reste un amateur qui continue de perdre
pied. Au lieu de prendre des décisions soigneusement pondérées, il prend ses
décisions de manière impulsive, pressée et à la volée.
Parfois, à
court terme, certaines de ces décisions l’aident. Plus souvent, elles lui
causent des problèmes. Au fil du temps, en raison de la manière mal avisée et
pressée dont il prend ses décisions, elles lui causeront de plus en plus de
problèmes. En outre, jusqu’à présent, il ne semble pas y avoir de preuve qu’il
apprenne de ses erreurs. Les frappes sur la Syrie ont été de loin la plus
importante d’entre elles, mais il est fort probable que d’autres pires encore
suivront.
Par
Alexander Mercouris – Le 10 avril 2017 – Source The Duran