Les récents événements politiques, tant aux États-Unis qu’en
Europe : élection de Donald Trump, Brexit, montée des mouvements
antisystèmes sur le Vieux continent marquent la fin d’un monde. On ne
peut s’empêcher de penser à Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».
Parmi ces événements, sans doute le plus important est l’élection de
Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. La violence des attaques
qui le visent provenant de l’establishment médiatique et politique, de
la communauté du renseignement, comme du « deep state »,
traduit l’inquiétude des milieux qui ont fait d’une conception
idéologique et hégémonique de la mondialisation l’alpha et l’oméga de
leur philosophie politique.
L’élection de Donald Trump est le reflet de la sourde révolte des « quiet people » ces « électeurs cachés », ces Américains oubliés dont le président Obama lui-même a reconnu qu’il les avait « négligés », de tous ceux qui « n’en pouvaient plus »,
devant l’impuissance de nos gouvernants, face à une crise américaine, à
l’origine immobilière et financière devenue au fil des ans sociale,
économique, politique et enfin géopolitique.
Ce que nos médias ont qualifié de séisme politique n’est autre que la
traduction, dans la politique intérieure des Etats-Unis, de cette
dimension géopolitique de la crise qui a conduit une partie des
électeurs américains à voter pour celui qui leur a promis de mettre fin
aux conséquences d’une mondialisation ravageuse pour leurs emplois et
leur genre de vie.
Au cœur de cette perception : le rôle grandissant de la Chine et de
l’expansion illimitée, conquérante et assumée comme telle, de son
économie. C’est la raison pour laquelle Donald Trump bénéficie aussi du
soutien d’une partie de l’élite dirigeante hostile à la mondialisation
effrénée de l’économie américaine. On voit resurgir, ironie du sort,
s’agissant de la Chine, l’opposition traditionnelle entre « bourgeoisie nationale » et « bourgeoisie compradore ».
On ne peut rien comprendre à l’attitude de Donald Trump, tant au
cours de sa campagne que depuis son élection, si l’on ne prend pas en
compte cette situation. Ce qui a été reproché aux élites dirigeantes en
place depuis de longues années est, par entêtement néo-libéral et
mondialiste, refusant toute alternative (le « there is no alternative » de
Thatcher et Reagan), de s’être laissé surprendre par la réémergence
d’une Chine en passe de devenir la première économie mondiale, et dont
la stratégie, dénommée « Le Marathon du siècle »(1), a
été définie par la direction du Parti communiste chinois en 1972 au
lendemain de la relance des relations diplomatiques avec les États-Unis
par Nixon et Kissinger.
L’objectif affiché de ce plan était d’effacer les humiliations
passées en organisant un nouvel ordre mondial favorable à la Chine,
remettant définitivement en cause les principes de la domination
économique américaine fixés lors de la conférence de San Francisco ainsi
que par les Accords de Bretton Woods.
Cette stratégie hégémonique renforcée en août 1971 par l’abandon de
la convertibilité du dollar et la politique d’irresponsabilité
financière qui s’en est suivie a conduit les États-Unis à afficher
aujourd’hui une dette de 20.000 milliards de dollars détenue pour un
tiers par la Chine, les plaçant ainsi, dans une situation de relative
dépendance.
Ce dollar post-1971, non convertible en or, émis sans mesure, a
permis aux Américains de se procurer en abondance des produits fabriqués
à l’étranger. Les étrangers l’ont utilisé pour bâtir leurs économies et
concurrencer les entreprises américaines sur leur propre terrain en vue
de fournir des produits meilleur marché à des consommateurs américains
gorgés de crédits en compensation de la stagnation de leurs revenus. La
Chine fut, de loin, le premier bénéficiaire de cette situation.
Le déficit des Etats-Unis avec la Chine s’élève désormais à un milliard de dollars par jour.
Depuis 1980, période à laquelle le commerce avec l’Empire du Milieu a
vraiment pris son essor, les Etats-Unis ont accumulé un déficit cumulé
d’environ 10.000 milliards de dollars.
Cet argent a créé une dette mondiale colossale de 152.000 milliards
de dollars qui représente 225% du PIB mondial (Rapport du FMI du 4
janvier 2017) et a déstructuré et corrodé l’ensemble du système
financier mondial.
Les élections américaines n’ont surpris que ceux qui refusaient de
voir que derrière cette illusion d’une dollarisation sans frein de
l’économie mondiale se profilait la remise en cause de grands équilibres
géopolitiques mondiaux qui reposaient jusqu’alors, grâce au privilège
exorbitant du dollar, sur le déni de fragilité de l’hyperpuissance
états-unienne. On se souvient des propos de John Connally, secrétaire au
Trésor du président Nixon : « Le dollar est notre monnaie mais c’est
votre problème ».
Il est clair que les signaux adressés par Donald Trump à l’Empire du
milieu, dès son élection, sans même attendre sa prise de fonction du 20
janvier 2017, n’avaient d’autre but que de signifier à XI Jinping
qu’arrivé à mi-parcours de ce Marathon titanesque il était plus que
temps de revoir la règle du jeu.
Mais ne nous y trompons pas, « make no mistake » comme
disait, en d’autres temps, G.W. Bush, ce qui s’annonce est une remise en
cause de l’ensemble de l’architecture géopolitique mondiale qui, depuis
la nuit des temps, repose sur l’affrontement des puissances de la mer
avec celles de la terre, affrontement masqué jusqu’alors par
l’effacement séculaire de la Chine.
L’affrontement Chine/Etats-Unis est inéluctable; il est parfaitement
symbolisé par l’image du piège de Thucydide, le seul problème étant de
savoir si les deux antagonistes auront la sagesse d’éviter ce piège.
Compte tenu de l’énormité des enjeux et de la puissance des acteurs, le
sort de la planète est en cause. On ose à peine imaginer ce que
représenterait, en ce XXIe siècle nucléarisé et peuplé de plus de sept
milliards d’habitants, un « remake » du conflit entre Sparte et Athènes et surtout de son issue…
En la schématisant beaucoup, la vision géopolitique américaine
d’hégémonie telle qu’elle fut pratiquée et développée progressivement,
sans partage, au cours du dernier siècle se fonde sur la notion de « containement », voire de « roll back
», c’est-à-dire d’endiguement ou de refoulement. Cette notion théorisée
depuis le début de la guerre froide s’est appliquée, pour l’essentiel, à
l’Union soviétique. Elle est restée au cœur de la conception américaine
des relations internationales : le maintien en activité de l’OTAN,
malgré la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie, en est l’un des
témoignages les plus marquants.
Bien des signes laissent à penser que dans l’esprit des stratèges
américains, malgré les interdépendances économiques, cet endiguement
s’étend maintenant à l’ensemble sino-russe, c’est-à-dire à l’Eurasie.
Ce conflit, qui s’annonce, entre Atlantisme et Eurasisme tend à
prendre les traits, d’une guerre de siège. C’est pourquoi on préférera
pour le décrire les termes d’encerclement, désencerclement et
contre-encerclement.
Encerclement – Le cauchemar de Mackinder
Dans un article de douze pages qui reprenait le texte de la
conférence prononcée à Londres devant la Royal Society of Geography, le
25 janvier 1904, intitulé « Le pivot géographique de l’histoire »
le géographe et géopolitologue anglais John Halford Mackinder a fixé
les principes d’une vision géopolitique opposant les puissances de la
mer, le monde anglo-saxon, aux puissances de la terre, l’Eurasie.
Plus schématiquement comme l’avait déjà prédit, dès 1840, Tocqueville dans la « Démocratie en Amérique », les Etats-Unis à la Russie.
Il devait résumer ces principes en un adage en forme de ritournelle : « Qui contrôle le cœur du monde (the heartland) commande à l’île du monde (the world island), qui contrôle l’île du monde commande au monde ».
Les événements qui se déroulèrent au cours du siècle qui suivit sa
formulation donnent a posteriori à celle-ci le caractère d’une
prédiction autoréalisatrice.
Nicholas Spykman, journaliste et professeur à Yale, complétera plus
tard en 1943, de manière décisive, cette vision du monde dans une étude
que lui avait commandée, dans un but pédagogique, le président
Roosevelt. Cette étude avait pour objet d’expliquer au public américain à
quoi ressemblait le Vieux Monde.
Introduisant la notion de « rimland », Spykman complète la vision essentiellement géographique de Mackinder en lui donnant une dimension géopolitique. Le « rimland » est constitué des Etats qui tout au long de la guerre froide participeront à la stratégie d’endiguement (containment)
de l’Union soviétique imaginée par George Kennan et appliquée par
Foster Dulles, poursuivie sans relâche tout au long de la période et
amplifiée depuis lors de manière à englober la Chine. Le « rimland » s’étend dorénavant du nord des Iles britanniques au Japon en passant par le Moyen-Orient.
L’adage de Mackinder se décline dès lors ainsi : « Qui contrôle le rimland maîtrise l’Eurasie, qui maîtrise l’Eurasie contrôle les destinées du monde ».
Il n’est pas exagéré de dire que cet adage inlassablement ressassé
pendant des décennies est au cœur de la géopolitique américaine. Il
inspire toujours la plupart des géopolitologues états-uniens ainsi que
leurs présidents successifs sans exception, au moins jusqu’à maintenant.
Il correspond à une vision exclusive des relations internationales
qui consiste à désigner frontalement l’ennemi et, par la stratégie du
bélier, à chercher à le disloquer. C’est dans cette perspective que
Zbigniew Brzezinski ou George Friedman soutiennent que le contrôle de
l’Ukraine est le moyen de disloquer la Russie.
L’état du monde actuel met en évidence que l’application de cette stratégie est toujours en cours.
Mais du temps de l’URSS, le « rimland » endiguait un « heartland »
conçu comme puissamment nucléarisé mais économiquement faible et non
structuré. Les murs étaient solides mais la forteresse vide; son cœur
était l’empire des steppes.
Avec la réémergence de la Chine et le rapprochement sino-russe cet
espace devient une puissance économique considérable organisée et en
plein essor. Le rêve hégémonique de Mackinder se transforme en
cauchemar.
Désencerclement – La route et la ceinture
Le paysage dans lequel va se déployer le « Marathon » commence à se dessiner : en fait il s’agit d’aménager le territoire de l’Eurasie, de rompre le « rimland »,
de le fragiliser en de multiples endroits par des accords
internationaux ou de le percer par des corridors de transport au moyen
d’une politique de désencerclement et de contre-encerclement planétaire,
en associant la Russie et la plupart des nations d’Asie.
Autant la politique américaine d’encerclement synthétisée par Z.
Brzezinski dans le « Grand Échiquier » s’inspire précisément du jeu
d’échecs : enfermer, agir en force et frapper soudainement, autant la
politique chinoise de désencerclement et de contre-encerclement
s’inspire du jeu de go : accumuler discrètement et progressivement ses
forces, s’infiltrer, se répandre, occuper progressivement l’espace ; « faire comme l’eau », selon les préceptes de Lao Tseu. «Rien n’est plus souple et plus faible que l’eau, mais pour enlever le dur et le fort, rien ne la surpasse ».
La géopolitique eurasienne en découle tout naturellement : il s’agit de traverser et contourner le « rimland » en créant les institutions, les infrastructures et les financements.
Institutions
L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) assure la couverture
institutionnelle de l’ensemble. Peu connue, cette organisation souple et
efficace regroupe la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan,
le Tadjikistan ; et, en 2001, par les présidents de ces six pays, l’OCS a
décidé d’admettre l’Inde et le Pakistan comme membres à part entière.
Il est probable que l’Iran la rejoindra ultérieurement. L’organisation
s’étend sur plus de 60% du territoire de l’Eurasie et regroupe 43% de la
population de la planète, soit 37,5 millions de km² au total.
C’est une alliance politique économique et militaire qui regroupe
quatre puissances nucléaires dont deux, l’Inde et le Pakistan, sont
pourtant en très mauvais termes.
Du côté russe, le partenariat de l’OCS avec l’Union économique
eurasienne qui regroupe Russie, Biélorussie, Kazakhstan, Arménie et
Kirghizstan se met en place.
Infrastructures
Les infrastructures ont pour objectif de constituer l’armature
physique de l’ensemble, voies ferrées (50.000 km de TGV en projet dont
12.000 déjà réalisées), oléoducs et gazoducs (ex : Force de Sibérie,
gazoduc d’environ 4.000 kilomètres, s’étendant du gisement de Tchaïanda
en Iakoutie jusqu’à l’extrême nord-est de la Chine), etc.
L’axe majeur est le gigantesque programme dénommé « One Belt One Road », « La route et la ceinture »,
lancé en 2013 par le président Xi Jinping dont l’objectif est de
couvrir l’ensemble du territoire eurasiatique et d’atteindre l’Europe.
Ce projet allie voie maritime et voies terrestres. Il prend en tenaille
le « rimland » ; en doublant la voie maritime de la soie par
une voie terrestre, il s’affranchit du syndrome de Malacca en évitant le
détroit éponyme, point de passage obligé mais étroitement surveillé,
pour les navires chinois désireux de se rendre en Inde, au Moyen-Orient
ou en Europe.
Il comporte sept axes:
- The Twenty-First-Century Maritime Silk Road (MSR)
- The China-Mongolia-Russia Economic Corridor (CMREC)
- The China-Pakistan Economic Corridor (CPEC)
- The Bangladesh-China-India-Myanmar Economic Corridor (BCIMEC)
- The China-Indochina Peninsula Economic Corridor (CICPEC)
- The China-Central and West Asia Economic Corridor (CCWAEC)
- The New Eurasian Land Bridge (NELB)
Financements
Cette énumération met en lumière l’ampleur d’un programme de
dimension continentale dont les financements sont à la hauteur des
ambitions. Deux instruments ont été mis en place : la Banque asiatique d’investissement dans lesiInfrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank,
ou AIIB) est une banque d’investissement proposée par la République
populaire de Chine pour répondre au besoin croissant d’infrastructures
en Asie du Sud-Est et en Asie Centrale. Cette banque se présente comme
le support financier de la stratégie de la nouvelle route de la soie.
Elle regroupe 57 pays dont plusieurs européens ; on trouve parmi eux, à
la surprise générale, la France et la Grande-Bretagne, ce qui a marqué
pour la Chine un grand succès diplomatique au grand dam des Etats-Unis.
Cette participation ne serait-elle pas en effet l’un des premiers
« signaux faibles » du pivot européen vers l’Eurasie ? Son capital
initial est de 100 milliards de dollars.
Le Silk Road Fund, de son côté, est un fonds d’Etat du gouvernement
chinois doté de 40 milliards de dollars de capital destiné à intervenir
en appoint de la banque.
Contre-encerclement – Les Brics
Pour l’assiégé, en l’occurrence l’Eurasie, le principe de la guerre
de siège est, non seulement de percer le front des assiégeants, mais
aussi de les assiéger, à leur tour, en les prenant à revers.
Si l’on se place sous un angle géopolitique, c’est le rôle imparti aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Afrique du Sud).
Ironie du sort : cet acronyme, inventé par un Jim O’Neill, dirigeant
de Goldman Sachs dans une perspective de marketing de produits
financiers innovants orienté vers des pays émergents, désigne maintenant
une organisation dont le noyau dur est identique à celui de
l’Organisation de coopération de Shanghai, Chine, Inde et Russie auquel
se rajoute un pays africain dont la situation géographique est un point
clef de la géopolitique mondiale avec le plus grand pays d’Amérique
latine. Le ralliement de ce dernier met fortement en cause la doctrine
de Monroe, expression jusqu’ici non négociable de l’hégémonie américaine
sur l’hémisphère occidental. Il n’est certainement pas étranger aux
récentes tensions entre les Etats-Unis et le gouvernement brésilien.
OCS et BRICS, par leur très forte consanguinité, parachèvent, par
cette double organisation, leur désenclavement et leur libération de la
pression des stratégies « mackindériennes » et prennent ainsi en
tenaille les acteurs traditionnels de l’économie occidentale.
Ces deux organisations se confortent l’une l’autre puisque, sur le
plan financier, la Banque de développement des BRICS dotée, elle aussi,
d’un capital de 100 milliards de dollars, prend le relais de l’AIIB en
permettant, notamment, le développement d’infrastructures tant en
Afrique qu’en Amérique latine dans le même esprit d’aménagement
planétaire du territoire que celles du programme de la Route de la Soie.
Enfin le contre-encerclement ne serait pas complet sans la référence
au livre blanc sur la politique spatiale chinoise pour la période
2017/2022 dont l’objectif est, selon ce document, « de faire de la Chine
une puissance spatiale dans tous les domaines, en particulier de
favoriser un puissant développement économique et social grâce à ses
retombées et de permettre la réalisation du rêve chinois de renaissance
de la nation chinoise ». Il ne fait guère de doute que les bases de ce
programme sont scientifiques, économiques et sécuritaires. A long terme,
l’utilisation des ressources lunaires est une des grandes priorités de
la Chine. En particulier la Lune abrite un gaz rare sur Terre, l’hélium-3, qui peut être utilisé pour la production d’énergie par fusion.
En guise de conclusion
Cette double stratégie de désencerclement et de contre-encerclement
initiée par la Chine avec la participation de plus en plus affirmée de
la Russie sous de multiples formes est le vecteur d’une politique
tournée vers le reste du monde et tout particulièrement d’une Europe
perçue comme l’extrême pointe de l’Eurasie, ce fameux « petit cap de l’Asie », objet mythique de toutes les conquêtes.
Compte tenu de la faiblesse économique du Vieux Continent et de
l’absence de stratégie globale et à long terme de l’Union européenne,
cette vision géopolitique inclusive se traduit par des prises de
position dans l’industrie européenne de plus en plus significatives et
problématiques, la Chine se comportant beaucoup plus en conquérant qu’en
partenaire. C’est ainsi que l’on constate qu’au cours de l’année 2016
les investissements directs chinois qui se sont élevés sur la période à
200 milliards de dollars ont bondi de 77% en Europe alors qu’ils n’ont
crû que de 40% dans le reste du monde. L’Europe affaiblie et sans
défense est devenue une cible.
A l’Europe irénique des normes et des grands principes, priorité au
marché, concurrence libre et non faussée, s’oppose l’Eurasie
volontariste des grands récits, des grands projets et des grands
espaces.
De leur côté les États-Unis ont vu surgir au cours des derniers mois
les capitaux chinois dans un domaine où on ne les attendait pas :
l’industrie cinématographique. Or cette industrie est au cœur du « soft power » américain, élément capital de l’hégémonie états-unienne.
Ce dernier point très symbolique prouve que les stratégies
d’endiguement prennent l’eau de toute part, tant du côté russe que du
côté chinois, qu’il s’agisse de la « géopolitique des tubes »
ou de la grande politique russe d’accès aux mers chaudes. De ce point de
vue, la mise en place de l’axe Moscou-Ankara-Téhéran, résultat des
succès de Vladimir Poutine en Syrie, et, a contrario, la consternante
attitude des Occidentaux dans ce conflit est très révélatrice.
Il est vraisemblable que l’élection de Donald Trump ouvre une
nouvelle ère des relations entre les trois protagonistes du triangle
stratégique États-Unis/Chine/Russie. Jusqu’ici la Russie était
considérée par la diplomatie américaine comme l’ennemi héréditaire et la
Chine un partenaire indispensable bien qu’ambigu. Désormais la tendance
semble s’inverser. De récentes études du CFR reprises par la revue
officieuse des milieux proches du Département d’État, Foreign Affairs, attestent de cette évolution (2). Les États-Unis ne peuvent plus s’offrir le luxe d’affronter simultanément deux adversaires.
De leur côté, les Russes sont aussi pour les Chinois un partenaire
incertain. La confiance n’est pas totale car ils se méfient des visées
chinoises sur la Sibérie et ses multiples richesses. Le contrepoids
occidental apparaîtra, avec le temps, comme une nécessité impérieuse
pour Moscou.
Les Européens ont un rôle à jouer. Le voudront-ils et le
pourront-ils ? La tâche est ardue : il leur faut rompre, en effet, avec
les visions formulées par deux de leurs brillants esprits, Alexis de
Tocqueville et John Halford Mackinder, l’un et l’autre prophétisant, à
plus d’un siècle de distance, le caractère irréconciliable des
perceptions russes et américaines du monde, fruit d’une sorte de
fatalité géographique.
Jean-Claude Empereur
Haut fonctionnaire honoraire
Cofondateur de la Convention pour l’Indépendance de l’Europe
25/03/2017
Notes :Haut fonctionnaire honoraire
Cofondateur de la Convention pour l’Indépendance de l’Europe
25/03/2017
(1) M. Pillsbury, The Hundred-Year Marathon: China’s Secret Strategy to Replace America as the Global Superpower, 2015, Kindle Edition.
(2) The Case for Offshore Balancing. A Superior U.S. Grand Strategy. John and Stephen M. Walt, Foreign Affairs, juillet-août 2016.
The End of Globalism. Where China and the United States Go From Here. Eric X. Li, Foreign Affairs, décembre 2016.
Source : La Revue Politique et Parlementaire (mars 2017)