mardi 7 octobre 2014

Overton : comment accepter l’inacceptable

Les politiques et les journalistes, comment manipulent-ils l’opinion publique ? Nous sommes souvent sceptiques envers les idées politiques nées dans les bureaux de différents groupes de réflexion. Mais ces technologies sont un jeu d’enfant par rapport à la méthode appelée à faire accepter par la société même ce qui était auparavant absolument inacceptable et inconcevable.
Overton : comment accepter l’inacceptable

Il s’agit du modèle d’ingénierie sociale baptisé Fenêtre Overton (The Overton Window). Le modèle a été développé dans les années 1990 par Joseph P. Overton (1960-2003), ancien vice-président du centre analytique américain Mackinac Center for Public Policy. Dans sa théorie une fenêtre est un intervalle des idées qui peuvent être acceptées par la société à un moment donné et qui sont exprimées ouvertement pas les politiques sans être considérés comme des extrémistes.
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Les idées passent les stades :
1/ d’inconcevables (inacceptable, défendu);
2/ de radicales (défendu mais avec des réserves);
3/ d’acceptables;
4/ d’utiles (raisonnable, rationnel);
5/ de populaires (socialement acceptable);
6/ de légalisation (dans la politique d’Etat).
L’utilisation de la fenêtre Overton est à la base de la technologie de manipulation de la conscience publique en vue de faire accepter par la société des idées qui lui étaient précédemment étrangères telles que la levée des tabous. L’essence de la technologie est dans le fait que le changement d’opinion recherché se divise en plusieurs pas dont chacun déplace la perception à un stade nouveau et la norme universellement admise à son extrême limite. Cela provoque un déplacement de la fenêtre même, en sorte que la situation obtenue se retrouve de nouveau dans son milieu ce qui permet de faire le pas suivant à l’ intérieur de la fenêtre.
Les groupes de réflexion produisent et diffusent des opinions à l’extérieur de la Fenêtre Overton en vue de rendre la société plus perceptible envers diverses idées et la politique. Quand un groupe de réflexion veut imposer une idée considérée comme inacceptable par l’opinion publique, il utilise par étapes la Fenêtre.
Pour montrer comment l’opinion publique peut être modifiée graduellement prenons l’exemple du mariage homosexuel. Dans le système de la Fenêtre Overton l’idée du mariage homosexuel restait pendant de longues années dans la zone défendue : la société ne pouvait pas accepter l’idée d’un mariage entre les personnes du même sexe. Pourtant les médias ne cessaient pas d’exercer un impact sur l’opinion publique en soutenant les minorités sexuelles. Peu à peu le mariage pour tous est devenu défendu mais avec des réserves, ensuite acceptable et, enfin, rationnel. A l’heure actuelle il est « socialement acceptable » et bientôt il sera évidemment complètement légalisé.
Le fonctionnement de la Fenêtre Overton est assuré par une multitude de spécialistes de manipulation de l’opinion publique : consultants politiques, chercheurs, journalistes, conseillers en communications, célébrités, instituteurs. Quoi que ce soit, les thèmes comme le mariage homosexuel ou l’euthanasie ne nous semblent plus étranges. Ils ont subi l’ensemble du processus « technologique » de transformation depuis le stade d’inconcevable jusqu’à celui de légalisation.
Dans son blog vidéo Besogon.TV (Exorciste.TV) le réalisateur russe Nikita Mikhalkov expose le schéma de ce processus à l’exemple du cannibalisme qui est jusqu’à présent un phénomène inconcevable pour la société. Le déplacement de la Fenêtre Overton dans l’attitude envers le cannibalisme peut passer par les stades suivants :
Stade 0 : c’est l’état actuel où le problème est inacceptable, n’est pas discuté dans la presse et n’est pas admis entre les gens.
Stade 1 : le thème évolue de « tout à fait inacceptable » vers « défendu mais avec des réserves ». Il est affirmé qu’il ne doit y avoir aucun tabou, le thème commence à être discuté lors de petites conférences pendant lesquelles des chercheurs rénomés font des déclarations sous forme de débats « scientifiques ». Parallèlement à ces débats pseudo-scientifiques une Société des cannibales radicaux est créée dont les déclarations sont parfois citées dans les médias. Le sujet cesse d’être tabou et est introduit dans l’espace médiatique. En résultat le sujet inacceptable est mis en circulation, le tabou est désacralisé, le problème ne suscite plus la même réaction, ses degrés différents apparaissent.
Stade 2 : le thème du cannibalisme passe du stade de radical (défendu, mais avec des réserves) au stade d’acceptable. Des chercheurs continuent d’être cités et des termes élégants sont créés : il n’y a plus de cannibalisme, mais il y a, disons, l’anthropophilie et ses dérivés : anthropophiles, par exemple. L’objectif est de déconnecter la forme du mot de son contenu dans la conscience sociale. Dans le même temps un précédent historique est créé (réel ou inventé) en vue d’enlever à l’anthropophilie son illégalité, au moins à un moment historique donné.
Stade 3 : la Fenêtre Overton se déplace transférant le thème du domaine de l’acceptable dans celui du raisonnable/rationnel ce qui est argumenté par la « nécessité biologique ». Il est affirmé que le désir de manger de la chair humaine est génétiquement prédéterminé. En plus, en cas de famine (« circonstance insurmontable ») l’homme doit avoir le droit de faire un choix. Il ne faut pas cacher l’information que chacun peut choisir entre l’anthropophilie et l’anthropophobie.
Stade 4 : de l’utile au populaire (socialement acceptable). Le débat est mené non seulement à l’exemple des personnages historiques ou mythiques, mais aussi à l’exemple des personnages médiatiques réels. L’anthropophilie commence a être largement discutée dans les programmes d’information, dans des débats télévisés, dans les films, la musique populaire et dans les clips. Pour populariser le thème on cite souvent en exemple une célébrité disant qu’elle est un anthropophile.
Stade 5 : du socialement acceptable à la légalisation. Le sujet est lancé dans le top d’actualités, est reproduit automatiquement dans les médias, dans le show-biz et reçoit une importance politique. A cette étape « l’humanisation » des adeptes du cannibalisme est utilisée pour justifier la légalisation. Comme quoi, ils sont des victimes d’une mauvaise éducation et pouvons-nous les juger ?
Stade 6: du thème populaire le cannibalisme passe dans le domaine de légalisation dans la politique d’Etat. Une base législative est créée, des lobbies apparaissent, des études sociologiques sont publiées en faveur des partisans de la légalisation du cannibalisme. Un dogme nouveau voit le jour : « on ne doit pas interdire l’anthropophilie ». La loi est adoptée, le sujet pénètre dans les écoles et les jardins d’enfants et la génération nouvelle ne sait pas comment a-t-on pu penser autrement.
En attendant, cet exemple cité par Nikita Mikhalkov est hypothétique. Cependant de nombreuses idées contemporaines semblaient être absolument inconcevables il y a plusieurs dizaines d’années pour devenir complètement acceptables par la loi et aux yeux de la société. Ne croyez-vous pas que leur évolution a suivi le scénario ci-dessus ?
Cristina Mestre
http://french.ruvr.ru/2014_10_03/Overton-comment-accepter-linacceptable-8835/?slide-1

Commentaire

Les premiers concepteurs de cette technique pour les masses seraient Edward L. Bernays (le neveu de Sigmund Freud (!)) , Walter Lippmann et quelques autres. Les livres exposant leurs théories auraient été de fortes influences sur …Joseph Goebbels. On connait la suite.
Ceux qui s’intéressent à l’histoire du XXe siècle connaissent Woodrow Wilson, ce président américain qui s’est fait réélire en 1917 sur la promesse de ne pas proclamer de conscription pour participer à la guerre mondiale. Il a enfreint sa promesse quelques mois plus tard, avec beaucoup moins de chaos social qu’on aurait pu le croire. Plusieurs intellectuels de l’époque ont voulu savoir comme Wilson avait pu « faire avaler cette pilule ». Ils ont conclu que ce résultat était basé sur une façon de présenter l’information de façon « coordonnée » au public, … la propagande contemporaine.

Dans le monde actuel, un système semble s’être développé, qu’on pourrait décrire de la façon suivante :
  • Des groupements ou institutions se développent, se font connaître du public à titre d’intervenant « objectif et désintéressé »;
  • Ces groupements proposent des idées, des concepts ou des orientations, ils défendent des causes en faisant appel au sens commun de justice, d’équité, de bien-être et de sécurité;
  • Les média (information, culture, éducation) amplifient et relaient vers la masse "populaire" le message des institutions ou groupements jugés « pertinents »;
  • Le martèlement « informationnel » finit par déplacer les perceptions et les attentes du public (La « Overton Window »);
  • Les politiciens prétendent répondre aux « demandes publiques » (alors que la population est ignorée même quand elle se rebiffe) et agissent dans le sens indiqué;
  • Les politiciens soutiennent avec les deniers publics les institutions et regroupements « pertinents » ;
  • Et on recommence pour un tour de roue …
Tant qu’on pourra faire croire à l’Homme qu’il est libre, respecté, on pourra le conduire comme une bête de somme. Mais quand il comprendra qu’on le mène là où il ne veut pas aller, ce sera une autre paire de manches.