mardi 14 octobre 2014

SYRIE : la France prend ses rêves pour des réalités

 Sur la crise syrienne au moins, elle doit bien se remettre en question, elle qui connait tellement bien cette région, bien avant son passé colonialiste ? Elle a été le pays qui croyait le plus à la chute imminente du président syrien Bachar al-Assad lors de l’éclatement du mouvement de contestation en 2011. Pendant deux ans, ses dirigeants n’ont cessé de le marteler. Leur déception sonne le glas d’un échec, certes bien  humiliant pour une  puissance siégeant au Conseil de Sécurité de l'ONU. Il ne s’agit pas seulement d’une erreur de diagnostic, mais surtout de fiasco politique. Dans la crise syrienne, la France n’a pas seulement été un observateur, mais un acteur qui agissait entre autres à travers " l’opposition syrienne" dont elle parrainait toutes les démarches.

Sauver l'honneur


Dans le nouveau livre de Georges Malbrunot et Christian Chesnot, « Les chemins de Damas », consacré aux dessous de 40 années de relations franco-syriennes, on perçoit une tentative de sauver l’honneur de la France souillée par ses déboires syriens. Du moins on essaie de comprendre les raisons.
Les deux journalistes y indiquent que dans les coulisses de l’Etat français, seule la présidence était totalement acquise  au renversement du président syrien Bachar al-Assad. A l’insu des rapports des diplomates et des services de renseignements français.
Aussi bien Nicolas Sarkozy que François Hollande « ont commis l’erreur  de faire abstraction de la capacité du régime (de Bachar al-Assad) à résister », fait valoir le livre.

Une querelle au Quai d'Orsay

Il y est même question dans un chapitre intitulé «  Querelle au Quai D’Orsay », d’une chamaillerie très violente qui a eu lieu en 2011 entre l’ambassadeur de France en Syrie, Eric Chevallier et le conseiller du président (Sarkozy à cette époque) pour les questions de Proche-Orient ,  Nicolas Galey, et ce en présence de l’ancien directeur de la prospective au Ministère Joseph Maïla.
Le diplomate défendait la thèse qu’il a toujours rédigée dans ses rapports et selon laquelle « le régime d’Assad n’allait pas tomber et Bachar est solide».  Alors que le second était totalement persuadé du contraire.
La rencontre a tourné à une dispute bien violente, de l’avis de ceux qui y ont participé. Le livre rapporte une séquence de la plaidoirie de Chevalier. «  Je me suis rendu dans les différentes régions syriennes et je n’ai pas du tout senti que le régime en place est un régime qui bascule... cessez de dire des conneries », a-t-il dit.
Il ajoute aussi avoir rencontré continuellement l’opposition syrienne, et avait le pressentiment que le régime possédait des atouts de force qui lui permettent de rester et d’un soutien extérieur sur lequel il pouvait compter.
Ce à quoi Galey répondait avec une agressivité sans précédent : «  nous ne devons pas nous attacher aux réalités. Nous devons voir plus loin que nos nez ... Bachar al-Assad  va tomber et il tombera », lui faisant savoir qu’on n’avait pas besoin de ses informations.
Même le chef du cabinet du ministre des AE, Alian Juppé, Hervé Ladsous, présent à la rencontre,  a été surpris par la violence de Galey, qui lui a paru être venu non pas pour participer aux analyses, mais pour une mission bien précise : « imposer le processus qui dit que le renversement d’Assad est imminent ».

Les rapports du chimique manipulés

Une autre importante séquence du livre est  consacrée à l’attaque chimique contre la Ghouta orientale que les occidentaux imputent au pouvoir syrien, alors que celui-ci s’en défend totalement.
Il révèle que les rapports rédigés par les services de sécurité extérieure et des renseignements militaires français ont été soumis à « un tour de vis » de la part du conseiller spécial du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian.
Les experts avaient  laissé en suspens des points d’interrogation sur ces évènements, surtout sur l’utilisation de gaz sarin. Une hypothèse y figurait : celle que « la cause de la fuite de gaz sarin est dû à une attaque classique de l’armée syrienne contre un laboratoire secret des rebelles », et non à une attaque au chimique comme les gouvernements occidentaux ont fait croire.
Or, cette supposition a tout simplement été totalement effacée du rapport final. Le gouvernement français œuvrait à cette époque en faveur d’une frappe militaire contre la Syrie.

Sans la Russie, sans l'Iran

Dans le livre, figure un aveu de la part de l’ancien ministre de l’intérieur français durant le mandat de Sarkozy, Claude Guéant, selon lequel une erreur énorme a été commise à l’encontre des Russes qu’il ne fallait pas marginaliser mais faire participer à la quête de solution.
Interrogé par le JDC, Malbrunot approuve l’approche de Guéant, mais lui, ajoute aussi l’Iran.
 
Il estime que sur le plan diplomatique, la clé était à Moscou et à Téhéran et reproche à Juppé de les avoir méprisés, snobés à Genève en 2012.
Le journal rapporte aussi l’avis de Moktar Lamani, émissaire onusien selon lequel « il n’y aura pas de solution à la guerre en Syrie sans l’Iran, mais il peut très bien y en avoir une sans la France ».

Il est remarquable qu'en ce moment, seules la France et la Turquie:
- s'opposent à la fourniture d'aides aux assiégés de la ville kurde de Kobané, que les terroristes islamistes attaquent depuis un mois, et dont la population résiduelle est prise en otage et risque d'être massacrée; 
- veulent créer une zone tampon en territoire syrien afin d'y faire stationner les terroristes "modérés" en cours de formation au combat en Turquie, lesquels terroristes sont armés par la France. Naturellement, la plupart de ces terroristes "modérés" iront grossir les hordes de DAESH/EI/ISIS... et d'Al-Qaïda, comme cela a toujours été le cas depuis plus de trois ans. 
Hannibal Genséric