Des milliers de jeunes quittent l’Afrique du Nord pour
prendre la route du djihad au Moyen-Orient. Un phénomène qui suscite
l’inquiétude. Ceux qui reviennent
et témoignent
dépeignent une expérience traumatique.
Maroc
La fraîcheur du soir tombe sur Beni Makada. Les
badauds s’agglutinent autour des étals de fripes, de chaussures bon marché ou
d’ustensiles en plastique. Les cantines de rues offrant des grillades sont
prises d’assaut. De bousculades en marchandages, la foule prend possession du
bitume, piégeant les téméraires véhicules qui s’aventurent aux abords du souk.
À la périphérie de Tanger, ce quartier populaire est la plaque tournante de
tous les trafics, à commencer par le haschisch. Il est aussi, dans ce Nord
marocain conservateur, la place forte d’un mouvement salafiste que refaçonnent
les répliques de la guerre en Syrie et en Irak. Beni Makada a vu naître et
grandir Ahmed Chaara, alias Abou Hamza. Cet ancien revendeur de cigarettes de
contrebande a déguerpi avec femme et enfants, au printemps 2012. Direction la
Syrie, où il a pris la tête d’une katiba de combattants marocains. La photo de
son fils Oussama, treize ans, vêtu d’une tenue militaire et brandissant une
kalachnikov, a fait le tour du monde. Arrêté en mai 2014 à la frontière turco-syrienne par les services
marocains avec l’appui de leurs homologues français, Abou Hamza a été extradé
en août au Maroc, royaume honni de « la tyrannie et
des prisons », selon ses
termes.
Une dérive sectaire qui emporte une jeunesse privée d’espoir
Comme lui, des dizaines de jeunes gens de Beni Makada
ont pris la route du djihad, pour rejoindre les rangs du Front al-Nosra ou de
« l’État islamique » à Alep, Raqqa ou Deir Ez-Zor. « Ici les militants salafistes labourent le terrain en toute
discrétion depuis deux décennies. Liés aux trafiquants et appuyés par des fonds
étrangers en provenance du Golfe, ils disposent de moyens colossaux pour leur
propagande et pour l’organisation de filières. La plupart des jeunes partis
combattre en Syrie n’étaient pas particulièrement portés sur la religion. C’est
une dérive sectaire, qui a emporté des jeunes sans travail et sans espoir. Ils
auraient tout aussi bien pu prendre la mer pour tenter de rejoindre les côtes
espagnoles », expose
Mourad Essabiri, militant des droits humains. Avant le déclenchement de la
nouvelle guerre américaine en Irak et en Syrie, on estimait à 1 500 le nombre de djihadistes marocains partis au
Moyen-Orient. Ce chiffre est probablement sous-estimé. Le nombre de visiteurs
marocains partant pour la Turquie a épousé, ces trois dernières années, des
courbes exponentielles (83 000 en 2013)
que n’explique pas, seul, l’attrait touristique de la Sublime Porte. Pour le
chercheur Romain Caillet, auteur d’un rapport sur la mouvance djihadiste
marocaine, « plusieurs
raisons expliquent la formation d’un groupe spécifiquement marocain en Syrie.
Outre la volonté d’éviter les infiltrations, en incorporant des combattants
originaires du même pays, de la même région, voire du même quartier, dont les
parcours sont plus facilement traçables, la formation d’un groupe marocain
permet évidemment d’envisager à terme des actions djihadistes au Maroc ». Une bombe à retardement ?
Algérie
En Algérie, ces départs de combattants islamistes
qui voient dans la Syrie et dans l’Irak de nouveaux eldorados du djihad
ravivent le douloureux souvenir des « Afghans ». C’est ainsi que l’on nommait les vétérans du djihad
antisoviétique des années 1980 qui, de retour au pays, ont fourni le gros des
troupes des Groupes islamiques armés (GIA), puis du Groupe salafiste pour la
prédication et le combat (GSPC), devenu Al-Qaïda au Maghreb islamique en 2007.
Si l’Algérie, où s’exerce une forte pression sécuritaire, ne fournit pas le
plus gros contingent de djihadistes maghrébins en Syrie, des enquêtes ont
toutefois mis au jour des réseaux de recrutement bien rodés à Ghardaïa,
Tebessa, Tlemcen, Oued Souf, Djelfa, Tiaret, Biskra, IIlizi et jusque dans la
capitale, Alger. Il faut dire que l’émergence du « califat » proclamé à
Mossoul par le chef de « l’État islamique », Abu Bakr Al Baghdadi,
n’est pas sans susciter des divisions au sein de la mouvance djihadiste
algérienne, qui voit ses agendas locaux et régionaux bousculés par le vaste
mouvement de recomposition qui s’amorce.
Tunisie
C’est sans doute en Tunisie que ces recrutements
suscitent la plus grande inquiétude. Dans un contexte politique
post-révolutionnaire fragile, marqué par l’échec de l’islamisme de
gouvernement, ils seraient plus de 3 000 Tunisiens
à avoir quitté le pays pour répondre aux appels à combattre le « régime impie » de Damas.
Parmi eux, des jeunes femmes, parties seules ou avec un mari. « L’âge des combattants tunisiens en Syrie varie entre
dix-huit et vingt-sept ans. La plupart sont des élèves ou des étudiants mais il
y a aussi des fonctionnaires et ils appartiennent à toutes les classes sociales », assure Mohamed Iqbal Ben Rejeb, le président de
l’Association de sauvetage des Tunisiens bloqués à l’étranger. Là encore, le
retour de ces combattants est redouté. « Les groupes
salafistes djihadistes ont fait le choix stratégique d’envoyer des jeunes en
Syrie pour les préparer et former ainsi des cadres qui seront prêts pour un
éventuel combat en Tunisie », avance l’analyste
Salaheddine Jourchi. Ceux qui reviennent et témoignent dépeignent pourtant une
expérience traumatique, avec la mise au ban de recrues maghrébines maltraitées
et considérées comme de la chair à canon par les chefs syriens et irakiens plus
aguerris. La désillusion, jusque sur les terres du djihad…
Commentaire
La misère et le chômage sont les deux principales causes du départ des jeunes maghrébins vers le Levant pour y être embauchés comme mercenaires auprès des groupes terroristes.
Selon une enquête du le journal espagnol El Periodico, les jeunes chômeurs de Casablanca partent en nombre combattre avec l'Etat islamique, moyennant un salaire mensuel de 600 Dollars. Il cite deux exemples de la publicité faite pour Daesh dans la société marocaine.
D’abord les
trois jeunes qui ont été arrêtés par la gendarmerie royale dans la
région d’Agadir après avoir brandi le drapeau islamique dans leur lycée; ensuite le chant d’une centaine de fans du club de football du Raja. Dans une
vidéo publiée il y a quelques jours, ils avaient scandé : « Vive Daech,
Allah Akbar ».
A Sidi Bernoussi, un quartier de Casablanca, un
représentant d’un mouvement associatif, qui défend les droits des
prisonniers salafistes, a remarqué que le
soutien de ces jeunes pour l’Etat islamique est une affaire d’argent
avant d’être une affaire de convictions «
Malheureusement, beaucoup tentent de rejoindre l’EI pour l’argent.
Jusqu’à 600 dollars (470 euros) par mois sont perçus par les criminels,
qu’ils envoient ensuite à leurs familles au Maroc. »
Des
milliers de jeunes quittent l’Afrique du Nord pour prendre la route du
djihad au Moyen-Orient. Un phénomène qui suscite l’inquiétude. Ceux qui
reviennent
et témoignent
dépeignent une expérience traumatique.
La
fraîcheur du soir tombe sur Beni Makada. Les badauds s’agglutinent
autour des étals de fripes, de chaussures bon marché ou d’ustensiles en
plastique. Les cantines de rues offrant des grillades sont prises
d’assaut. De bousculades en marchandages, la foule prend possession du
bitume, piégeant les téméraires véhicules qui s’aventurent aux abords du
souk. À la périphérie de Tanger, ce quartier populaire est la plaque
tournante de tous les trafics, à commencer par le hashish. Il est aussi,
dans ce Nord marocain conservateur, la place forte d’un mouvement
salafiste que refaçonnent les répliques de la guerre en Syrie et en
Irak. Beni Makada a vu naître et grandir Ahmed Chaara, alias Abou Hamza.
Cet ancien revendeur de cigarettes de contrebande a déguerpi avec femme
et enfants, au printemps 2012. Direction la Syrie, où il a pris la tête
d’une katiba de combattants marocains. La photo de son fils Oussama,
treize ans, vêtu d’une tenue militaire et brandissant une kalachnikov, a
fait le tour du monde. Arrêté en mai 2014 à la frontière turco-syrienne
par les services marocains avec l’appui de leurs homologues français,
Abou Hamza a été extradé en août au Maroc, royaume honni de « la
tyrannie et des prisons », selon ses termes.
Une dérive sectaire qui emporte une jeunesse privée d’espoir
Comme lui, des dizaines de jeunes gens de Beni Makada ont
pris la route du djihad, pour rejoindre les rangs du Front al-Nosra ou
de « l’État islamique » à Alep, Raqqa ou Deir Ez-Zor. « Ici les
militants salafistes labourent le terrain en toute discrétion depuis
deux décennies. Liés aux trafiquants et appuyés par des fonds étrangers
en provenance du Golfe, ils disposent de moyens colossaux pour leur
propagande et pour l’organisation de filières. La plupart des jeunes
partis combattre en Syrie n’étaient pas particulièrement portés sur la
religion. C’est une dérive sectaire, qui a emporté des jeunes sans
travail et sans espoir. Ils auraient tout aussi bien pu prendre la mer
pour tenter de rejoindre les côtes espagnoles », expose Mourad
Essabiri, militant des droits humains. Avant le déclenchement de la
nouvelle guerre américaine en Irak et en Syrie, on estimait à 1 500 le
nombre de djihadistes marocains partis au Moyen-Orient. Ce chiffre est
probablement sous-estimé. Le nombre de visiteurs marocains partant pour
la Turquie a épousé, ces trois dernières années, des courbes
exponentielles (83 000 en 2013) que n’explique pas, seul, l’attrait
touristique de la Sublime Porte. Pour le chercheur Romain Caillet,
auteur d’un rapport sur la mouvance djihadiste marocaine, « plusieurs
raisons expliquent la formation d’un groupe spécifiquement marocain en
Syrie. Outre la volonté d’éviter les infiltrations, en incorporant des
combattants originaires du même pays, de la même région, voire du même
quartier, dont les parcours sont plus facilement traçables, la formation
d’un groupe marocain permet évidemment d’envisager à terme des actions
djihadistes au Maroc ». Une bombe à retardement ? En Algérie, ces
départs de combattants islamistes qui voient dans la Syrie et dans
l’Irak de nouveaux eldorados du djihad ravivent le douloureux souvenir
des « Afghans ». C’est ainsi que l’on nommait les vétérans du djihad
antisoviétique des années 1980 qui, de retour au pays, ont fourni le
gros des troupes des Groupes islamiques armés (GIA), puis du Groupe
salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), devenu al-Qaida au
Maghreb islamique en 2007. Si l’Algérie, où s’exerce une forte pression
sécuritaire, ne fournit pas le plus gros contingent de djihadistes
maghrébins en Syrie, des enquêtes ont toutefois mis au jour des réseaux
de recrutement bien rodés à Ghardaïa, Tebessa, Tlemcen, Oued Souf,
Djelfa, Tiaret, Biskra, IIlizi et jusque dans la capitale, Alger. Il
faut dire que l’émergence du « califat » proclamé à Mossoul par le chef
de « l’État islamique », Abu Bakr Al Baghdadi, n’est pas sans susciter
des divisions au sein de la mouvance djihadiste algérienne, qui voit ses
agendas locaux et régionaux bousculés par le vaste mouvement de
recomposition qui s’amorce.
3 000 Tunisiens partis combattre le « régime impie » de Damas
C’est sans doute en Tunisie que ces recrutements suscitent
la plus grande inquiétude. Dans un contexte politique
post-révolutionnaire fragile, marqué par l’échec de l’islamisme de
gouvernement, ils seraient plus de 3 000 Tunisiens à avoir quitté le
pays pour répondre aux appels à combattre le « régime impie » de Damas.
Parmi eux, des jeunes femmes, parties seules ou avec un mari. « L’âge
des combattants tunisiens en Syrie varie entre dix-huit et vingt-sept
ans. La plupart sont des élèves ou des étudiants mais il y a aussi des
fonctionnaires et ils appartiennent à toutes les classes sociales »,
assure Mohamed Iqbal Ben Rejeb, le président de l’Association de
sauvetage des Tunisiens bloqués à l’étranger. Là encore, le retour de
ces combattants est redouté. « Les groupes salafistes djihadistes ont
fait le choix stratégique d’envoyer des jeunes en Syrie pour les
préparer et former ainsi des cadres qui seront prêts pour un éventuel
combat en Tunisie », avance l’analyste Salaheddine Jourchi. Ceux qui
reviennent et témoignent dépeignent pourtant une expérience traumatique,
avec la mise au ban de recrues maghrébines maltraitées et considérées
comme de la chair à canon par les chefs syriens et irakiens plus
aguerris. La désillusion, jusque sur les terres du djihad…