Candidat à l'élection présidentielle du 23
novembre, Beji Caïd Essebsi, vainqueur des dernières
législatives, présente les principales priorités de son programme présidentiel.
« Sud Ouest ». Votre parti a gagné les éléctions, comment compter vous maintenant exercer le pouvoir ?
Beji Caïd ESSEBSI. Nous avons eu un bon résultat mais
nous n'avons pas la majorité absolue. Ne pouvant gouverner seuls, nous
devons rechercher non pas des alliances mais une coopération avec
d'autres tendances. Nous avons fait la moitié du chemin car le scrutin
législatif du 26 octobre forme un tout avec la présidentielle du 23
novembre. Après, nous verrons comment former un gouvernement. Je suis
candidat à la magistrature suprême et j'attends les résultats pour
envisager l'avenir.
Quel lien aurez-vous avec votre principal opposant, le parti islamiste Ennahda ?
Il y a plusieurs possibilités, nous ne trancherons qu'à la fin.
Si vous êtes élu, quelles seraient vos premières actions en tant que président ?
D'abord, il faut désigner le Premier ministre et former le gouvernement.
Et la Constitution a limité les pouvoirs du président. Les priorités
sont la représentativité de l'Etat, la sécurité, la défense et les
relations extérieures. Mais le plus urgent, c'est bien sûr la sécurité
et la lutte contre le terrorisme. Celui-ci n'est pas dans la tradition
du pays. Hier, des opérations ont eu lieu. Sans rétablissement de
l'ordre et de la stabilité, on ne peut pas parler de développement et
d'investissements.
Nida Tounes dont vous êtes le fondateur associe des membres du
RCD, l'ancien parti de Ben Ali, et des gens de gauche. Comment définir
ce parti ?
C'est un parti du centre. Il n'y a pas d'anciens du RCD mais du Destour,
le parti qui a fait l'indépendance. Le RCD en est une déviation mais il
a été dissous par la justice, il n'existe plus. Depuis sa fondation,
notre mouvement comprend quatre courants : gauche, destourien,
syndicaliste et indépendants. Jusqu'ici, cela a bien fonctionné. Bien
sûr, il a fallu un travail de coordination et il y a eu quelques ratés ;
mais ils sont derrière nous et c'est la raison de notre bon résultat le
26 octobre.
L'abstention a été massive (40%). Comment récupérer ces voix ?
Les gens n'ont pas grande confiance dans les mouvements politiques, ils
ont été bernés plusieurs fois et les frontières ne sont pas très
claires, sauf entre Ennahda et les autres. Ennahda est d'obédience
religieuse : il défend une forme de société, nous une autre. Ceux qui
votent Ennahda choisissent une certaine idéologie. Mais dans notre
mouvance démocratique, il est difficile d'avoir la même unité
idéologique entre les différentes catégories.
Comment rendre espoir à la jeunesse, surtout celle de la Tunisie intérieure ?
La jeunesse a boudé les dernières élections, c'est vrai. Elle est
désœuvrée, désorientée. Ma génération, celle de l'indépendance, a
profité du soutien de nos ainés : nous avons été dirigés, éduqués. Mon
grand souci est d'exercer une magistrature qui saura passer le flambeau à
la nouvelle génération. Pour cela, il faut consentir des efforts pour
la former. L'éducation que nous avons eue il y a 60 ans n'a plus la même
efficacité. Les technologies modernes doivent être prises en compte,
les jeunes doivent aller se former en Amérique, en Europe. Tel est notre
programme, notre mission principale est de préparer la génération qui
vient pour que la Tunisie rattrape son retard sur les pays développés.
Ce n'est pas facile mais c'est dans le sens de notre action.
A 87 ans, qu'est ce qui vous pousse à vous présenter ?
On a l'âge de ses artères et la jeunesse ce n'est pas un état civil,
c'est un état d'esprit. Comme vous voyez, je suis en pleine forme, mon
programme est de préparer la génération future, lui donner un souffle
nouveau, la sécuriser et l'orienter dans le sens du service de l'Etat
Quelles relations envisagez-vous avec vos deux voisins, l'Algérie et la Libye ?
Pour combattre le terrorisme, il faut une stratégie régionale avec
l'Algérie, la Libye mais aussi l'Egypte, peut être même le Mali et le
Niger qui exportent des terroristes. Il faut doter la police, la Garde
nationale et l'armée de moyens modernes. Il y a un mieux dans le
rendement de ces services mais ce n'est pas assez. J'en appelle à une
conférence régionale pour fixer les principes et les modalités de
coopération. Il y a déjà une très bonne coopération entre l'Algérie et
la Tunisie. La situation en Libye est hors contrôle. Plus largement, il
nous faut l'aide de l'Europe et de l'Amérique car le terrorisme est sur
le point de traverser la Méditerranée. Nous essayerons d'être plus
efficaces.
Quelles sont les relations avec la France et l'Europe ?
Nous avons avec la France des relations privilégiées très anciennes.
Elles n'ont pas toujours été amicales. Les souvenirs de la colonisation
subsistent mais il faut tourner la page et je crois que c'est en bonne
voie.
Attendez-vous plus d'investissements de l'Europe ?
Nous savons que l'Europe est en crise mais elle nous a fait des
promesses. Et son soutien politique est important, que ce soit
l'Allemagne, la France, l'Italie ou l'Espagne. Mais nous devons d'abord
compter sur nous-mêmes et que nous rétablissions la confiance avec un
gouvernement crédible. Je pense qu'avec notre majorité relative à
l'Assemblée, nous pourrons créer les conditions d'un changement.
Certains craignent que le terrorisme se serve de prétexte à un retour à un autoritarisme ?
Cette crainte est dépassé. L'autoritarisme a été encouragé en Tunisie
parce que les gens au pouvoir n'étaient pas soumis à un contrôle. Avec
la nouvelle Constitution, tout responsable doit rendre des comptes, il y
aura moins de tentations d'autoritarisme. Nous devons remédier au
déficit d'Etat. Mais la démocratie demande d'abord un Etat de droit,
donc un Etat juste.
Que pensez-vous de la justice transitionnelle ? Il y a eu quelques soubresauts dernièrement..
Elle a été mal engagée mais elle est nécessaire. Il nous faut tourner la
page, on ne va pas continuellement régler des comptes, ni avec ceux de
Ben Ali, ni avec ceux de Bourguiba, ni avec les islamistes. Pour cela,
il faut donner quelques satisfactions aux gens pour leur dire qui était
leurs bourreaux et quelles sont les compensations auxquelles ils ont
droit. La justice transitionnelle doit être plus juste et ne pas
remettre en cause les éléments fondamentaux de notre droit.
Il vous reste un peu plus de deux semaines jusqu'au scrutin, comment allez vous faire campagne ?
J'avais un rendez-vous à Sfax pour faire campagne dans les régions du
sud mais il y a des problèmes de sécurité et ceux qui veillent sur moi
m'empêchent de trop me promener. J'ai fait dix meetings pour les
législatives, j'ai pensé que c'était le plus important. Si nous n'avions
pas gagné les législatives, les présidentielles devenaient secondaires.
Nous sommes un jeune parti qui a grandi trop vite, nous sommes 110.000
adhérents, et choisir 217 candidats n'a pas été une mince affaire. Ils
ne sont pas tous contents, ils veulent tous être à la première place,
mais c'est déjà pas mal d'en être arrivé là.
Source : http://www.sudouest.fr/2014/11/07/elections-en-tunisie-je-veux-passer-le-flambeau-a-la-nouvelle-generation-1729360-4803.php
samedi 8 novembre 2014
NOTE :
Beji Caid Essbesi est un vieux routier de la politique tunisienne.
Trois fois ministres sous Bourguiba, la première fois en 1965, en tant
que ministre de l'intérieur. Il a occupé les portefeuilles de la défense
et des affaires étrangères. Il a été président de la chambre des
députés en 1990-91 sous Ben Ali. Il est revenu aux affaires comme
Premier ministre à titre provisoire au lendemain de la révolution
tunisienne en février 2011 . Fondateur du parti Nida Tounes (l'appel de
la Tunisie), il vient de remporter les premières élections libres depuis
la révolution avec 37,56% devant son grand rival le parti islamiste
Enhada(Renaissance) qui a obtenu 27,79%. Il est candidat pour les
prochaines élections presidentielles qui auront lieu le 23 novembre
prochain.
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