L’État Chinois existe sous une forme ou
sous une autre depuis au moins 4000 ans, ce qui donne un certain recul à ceux
qui le dirigent. Et il faut bien comprendre qu’une période se termine en Chine,
et qu’une autre commence. Et que donc les autorités sont en train de changer de
stratégie.
Pour bien comprendre les enjeux en cours, il faut commencer par un
constat, celui de la situation mondiale dans laquelle la Chine va évoluer dans
les années qui viennent.
Sur le plan technologique, le coût d’un robot dans les usines de Foxconn est en train de passer en dessous du coût du travail en Chine. Or cinquante pour cent des exportations Chinoises sont faites par des entreprises Européennes ou Américaines ayant des usines en Chine et ré exportant aux USA ou en Europe. Ces usines vont donc fermer et ré ouvrir à Buffalo ou à Turin. Ce qui veut dire que le modèle mercantiliste Chinois basé sur un coût du travail bas, une bonne infrastructure et une force de travail docile et bien formé est obsolète et qu’il faut donc changer de modèle.
Et c’est ce à quoi le nouveau
gouvernement Chinois s’attelle.
Un certain nombre de grandes directions ont été fixées par Pékin
· Première direction.
La demande extérieure en provenance des
USA et d’Europe va beaucoup baisser, à cause de la technologie certes mais
aussi à cause de l’appauvrissement de la classe moyenne dans ces zones
géographiques, résultat inévitable de politiques économiques et monétaires
débiles. Conserver une monnaie sous évaluée ne sert donc plus à rien, bien au
contraire. Vendre à des gens qui s’appauvrissent est rarement une bonne idée.
La décision a donc été prise de transformer la monnaie chinoise en une monnaie
forte et de laisser les taux d’intérêts trouver leur niveau naturel, ce qui
est une façon de stimuler la consommation et l’épargne domestique, nouvelles
sources de croissance.
Il faut souligner ici l’incroyable
flexibilité des autorités de l’empire du milieu. L’ancien modèle ne marche plus.
On en prend bonne note et on s’adapte, sans récriminations ni gémissements.
· Deuxième direction.
La Chine, en raison de la politique de
change précédente à d’énormes réserves de change qui étaient investies en
obligation américaines ou européennes qui ne rapportent plus rien. Et bien
comme la Chine a trop d’épargne, elle va devenir exportatrice de capitaux et
c’est là où les choses deviennent passionnantes tant la stratégie qui se
dessine est complexe et brillante. Le premier problème de la plupart des pays
asiatiques a toujours été que toutes les transactions entre eux étaient soldées
en dollar US.
S’il y avait trop de dollars, nous
avions un boom en Asie, pas assez et nous avions un bust…
Aujourd’hui, la banque centrale Chinoise
va voir les autres banques centrales en Asie, celle de l’Indonésie par exemple
et lui dit : « Vous avez un déficit extérieur parce que vous croissez très vite
et que vous faites beaucoup de dépenses d’infrastructure. Donc, vous êtes
obligé de freiner votre économie domestique en maintenant des taux d’intérêts
trop élevés. Je vous offre de financer votre déficit extérieur en mettant mon
bilan en garantie et je vous offre tous les crédits dont vous avez besoin pour
acheter- en Chine bien sur- tous les biens d’équipement dont vous avez besoin.
»
Je vous prête des yuans (autre nom de la
monnaie chinoise) et vous me payez en yuan, ou même si vous le voulez, dans
votre monnaie nationale (accords de swaps entre banques centrales).A la place
d’être financé par des dollars à court terme, le déficit extérieur Indonésien
le devient par des Yuan à long terme, voir par la Chine acceptant d’être payée
en monnaie locale. Les crises de balance des paiements qui avaient tué l’Asie
en 1997 sont donc une chose du passé. C’est très exactement ce que les USA ont
fait dans les années 40 et 50 avec le Plan Marshall…
Du coup, la croissance des pays
asiatiques, qui ne sera plus entravée par leur dépendance au dollar, va être à
la fois plus stable et plus forte, et ce simple fait suffira – peut-être à
compenser la baisse des exportations Chinoises vers l’Europe ou les USA.
· Troisième direction.
Pour qu’il y ait un commerce florissant
entre différents pays, il faut que chacun d’entre eux puisse se spécialiser
dans les domaines ou il a un avantage comparatif (cf. la théorie des avantages
comparatifs de Ricardo).
La Thaïlande est le plus efficace producteur
de riz au monde. Aucune raison de faire du riz en Chine du Nord s’il peut venir
de Thaïlande.
Pour cela il FAUT que des systèmes de communication s’ouvrent
Donc, le gouvernement chinois est en train d’offrir à
tous les pays de l’ancienne "route de la Soie " de financer tous ces
investissements qui les relieront d’abord à la Chine mais aussi au reste du monde.
Pour ce faire, les autorités Chinoises sont entrain de créer l’équivalent de la
banque mondiale (pour le financement des projets) et l’équivalent du FMI (pour
le financement des problèmes de déficit extérieur) et cerise sur le gâteau, ils
offrent des parts de ces deux nouvelles institutions à tous les pays de la zone
qui le souhaitent, à la grande fureur des Américains et des Européens.
Nous allons donc avoir des lignes de
chemin de fer et des autoroutes qui relieront la Chine à Singapour, ou Pékin à
l’Europe, à la Russie, à toute l’Asie centrale, des barrages, des centrales
nucléaires construits en Mongolie, au Kazakhstan en Afghanistan, au Pakistan,
en Inde, des pipe-lines pétroliers et gaziers reliant la Sibérie à la Chine ,
des aéroports construits partout, ainsi que des hôtels et des centres
d’affaires, tout cela financé par les excédent d’épargne Chinois.
Et comme la Chine a des excédents de
capacité de production dans tous ces domaines et que c’est eux qui vont financer,
il ne faut pas être grand clerc pour comprendre de quelle nationalité seront
les sociétés qui vont emporter les contrats. La plus veille route commerciale
du monde, "la route de la soie", reliant la Chine à l’Asie du Sud Est, à l’Europe et au
Moyen-Orient est en train de renaître de ses cendres, trois siècles après
qu’elle ait disparue, tuée par le transport maritime. Ceci va faire rentrer
dans le système mondial des échanges environ 2 milliards de personnes, ce qui
est tout simplement prodigieux.
Pour financer tout cela de manière
harmonieuse, la Chine a besoin de marchés financiers profonds et stables et
d’une monnaie forte, puisqu’elle se transforme en pays exportateur de capitaux.
Déjà les autorités ont signé avec la Grande-Bretagne et la Suisse des accords
d’internationalisation de la monnaie Chinoise et déjà des émissions
obligataires dans cette monnaie ont eu lieu à Londres….Qui plus est, cette
monnaie est lentement mais sûrement en train de devenir convertible. Les Chinois ne sont pas pressés.
On voit donc très bien les lignes de force du projet Chinois.
1. Soutien financier aux pays en forte
croissance en Asie Financement des infrastructures de communication partout en
Asie
2. Internationalisation du Yuan, appuyé
sur la place financière de Hong-Kong
3. Création d’un marché obligataire en
Yuan, d’abord à Hong-Kong, puis partout dans le monde.
4. Cela requiert une monnaie forte, un
abandon des activités à faible valeur ajoutée telles le textile ou les matières
premières, un développement de la technologie et des Universités et bien sur
l’émergence d’un état de Droit en Chine, ce qui ne va pas être facile, mais les
autorités pour la première fois utilisent le mot dans tous leurs discours.
Mais cela veut dire aussi que la Chine
retrouve sa place en Asie, c’est à dire la première, ce qui a toujours été le
cas dans l’Histoire.
Pendant des siècles, le PIB Chinois
représentait 20 % du PIB mondial.
Nous sommes en train de retourner à 14 %
avec 20% de la Population mondiale , en marche vers les 20% .
Voilà qui n’amuse pas les USA qui
manœuvrent aussi mal qu’il est possible, en envoyant la Russie dans les bras de
la Chine, qui n’en croit pas son bonheur. Favoriser l’alliance des deux
puissances qui contrôlent l’ensemble des terres asiatiques est à peu prés aussi
idiot que si les Anglais avaient favorisé une alliance entre la France et la
Prusse au XIX ème siècle.
Voilà qui
amuse encore moins le Japon, qui du coup et à tout hasard, dévalue sauvagement
pour rester compétitif dans ce monde nouveau qui s’annonce. Le Japon a compris
et se dit qu’à tout prendre, il vaut mieux devenir la réserve de haute
technologie pour l’Asie que de rester une colonie des États Unis. Le prochain
grand marché haussier, qui a peut être déjà commencé, aura donc lieu en Asie et
sera centré sur Hong-Kong et peut être sur Tokyo et Singapour.
Antoine de Saint-Exupéry savait que pour
ce qui est de l’avenir, il ne s’agissait pas de le prévoir, mais de le rendre
possible. Je n’ai, pour ma part, jamais rien prévu, je m’efforce juste, encore
et toujours de comprendre les possibles.
Le temps nous le dira.
Source : Institut Des Libertés