La présidence de Donald Trump
traverse une crise grave, surtout quand il s’agit plus que jamais
du danger latent de l’explosion de la Troisième Guerre mondiale, qui
cette fois serait nucléaire. Voici l’interview accordée à Ariel Rodriguez
Noyola par Michel Chossudovsky, économiste canadien et fondateur du Centre de
recherche sur la mondialisation (Global Research).
Chossudovsky, considéré comme l’un des plus
grands experts de la géopolitique de l’économie mondiale, analyse en détail les
événements les plus controversés des quatre premiers mois de cette année.
L’interview aborde le sujet du bombardement ordonné par Trump contre
une base militaire du gouvernement syrien, début avril dernier ; la
question de la rivalité croissante entre les États-Unis et les puissances comme
la Chine et la Russie ; et les contradictions entretenues dans la relation avec
l’Union européenne ; entre autres sujets.
Selon le professeur émérite à l’Université
d’Ottawa, bien qu’à l’origine le magnat de New York [Trump] ait semblé
devoir émerger comme un président qui mettrait fin à la politique étrangère
impériale de ses prédécesseurs, ses actions ont montré un caractère chaotique par
rapport aux groupes d’intérêt qui composent le soi-disant «Deep State» («
État profond »), à savoir les compagnies pétrolières, les banques
d’investissement de Wall Street et le complexe militaro-industriel.
Noyola Ariel Rodriguez (ANR):
– Jusqu’à présent, les actions de Trump ont principalement consisté à signer
des décrets. La construction d’un consensus brille par son absence. Son
plan budgétaire par exemple, fait face à une forte opposition parmi les
législateurs, autant démocrates que républicains. Quelle marge de manœuvre
accordez-vous à Trump, durant ces premiers mois, pour mener à bien
ses promesses de campagne ?
Michel Chossudovsky (MC) : – Eh bien, tout d’abord il convient de noter que la
campagne électorale de Donald Trump a été essentiellement soutenue par
la rhétorique, au-delà des objectifs qu’il pourrait réellement
atteindre. Pour moi, l’élément fondamental de sa plate-forme politique a
concerné des changements dans la politique étrangère des États-Unis, par
exemple une éventuelle normalisation des relations diplomatiques avec la
Russie.
La vérité est que jusqu’à présent presque
toutes les déclarations antérieures, du point de vue rhétorique, ont été
ignorées. Les relations avec la Russie sont bien pires qu’à l’époque
du gouvernement de Barack Obama. L’offensive contre la Syrie est une
intervention diabolique. Les conséquences de l’autorisation, par Trump,
du bombardement du 7 avril vont beaucoup plus loin que celles qu’avait
entraînées l’administration Obama.
Un autre élément que je pense important est
de noter que Trump est un président avec très peu d’expérience en politique
active, à savoir une personne qui ne connaît pas la politique étrangère ;
il n’est jamais allé dans certains pays et ne sait même pas où ils sont
situés, rappelez-vous comment il s’est mépris récemment, sur l’emplacement de
l’Irak et de la Syrie. Avant de devenir président, il semblait très clair
sur ce qu’il allait faire, mais il a été très limité dans la mise en œuvre de
son plan d’action car, à mon avis, il lui manque un cadre sérieux
d’analyse de la situation générale.
Le plus visible dans cette présidence
est la débâcle de la diplomatie internationale comme nous la connaissions
traditionnellement, c’est à dire une manière propre à Trump de gérer la
politique étrangère des États-Unis comme s’il s’agissait d’un « reality show »,
une question de relations publiques. C’était évident lors de sa rencontre
avec le président chinois Xi Jinping. Trump a donné l’ordre de bombarder la
Syrie juste au moment où il dînait avec Xi.
Ensuite, nous avons un président qui ne
comprend pas la complexité de la politique internationale. Il ne comprend pas
grand-chose non plus à la gestion des affaires militaires, lui et son équipe
n’ont aucune idée claire, par exemple, des conséquences terribles d’une guerre
nucléaire. Mais rien de tout cela n’est nouveau. La propagande interne
aux États-Unis, depuis 2002 – 2003, est soutenue par la doctrine de
la guerre préventive, qui présente la bombe nucléaire comme un instrument qui
ne causerait aucun tort à la population civile. Un énorme mensonge,
mais cependant écrit dans les manuels militaires.
De mon point de vue, la présidence Trump
continue l’orientation de la politique adoptée par les administrations de Barack
Obama et George W. Bush. Il est très regrettable que la tendance des dernières
administrations présidentielles aux États-Unis, au moins depuis le gouvernement
de Ronald Reagan, soit que celui qui détient le pouvoir exécutif n’exerce pas
le pouvoir décisionnel direct.
La présidence est plus une entité de
relations publiques, elle sert à faire des discours. Légalement, le président a
bien sûr, beaucoup de pouvoir, mais les principales décisions sont dictées par
les parties prenantes de l’État profond (Deep State), composé des grandes
compagnies pétrolières, des banques d’investissement de Wall Street et
du complexe militaro-industriel. Le président américain est plutôt une
figure de proue décorative. Cela est apparu très clairement lors de
l’administration Obama qui, il faut le reconnaître, n’avait quasiment
aucune marge de manœuvre étant plutôt séquestré. Tout a été dicté par les think
tanks de Washington, ainsi que par l’État profond des groupes d’intérêt.
Nous sommes devant la privatisation de
l’État américain. Le Commandant en chef est également privatisé. Trump ne
répond pas correctement aux intérêts des citoyens, mais obéit plutôt aux
différents groupes du pouvoir économique. Ce qui est différent dans le cas
de Trump est que, au moins au début, sa campagne n’a pas été dictée par
les conglomérats d’entreprises aux États-Unis, contrairement à Hillary Clinton.
Hillary a reçu de l’argent directement de
la part d’entreprises comme Lockheed Martin, appartenant au complexe
militaro-industriel, de certaines banques d’investissement comme Goldman Sachs,
Citibank et JP Morgan, de compagnies pétrolières, etc. Hillary a été
étroitement liée à des groupes d’intérêt traditionnels aux États-Unis, de plus
elle a également été prise en charge par les grands médias corporatifs
simplement pour être la candidate disposée à perpétuer le système.
Avec Trump c’était différent, parce
qu’il avait son propre argent.
Il avait une logique de financement de la
campagne électorale très différente de celle d’Hillary. Il contrôlait
ses finances et, par conséquent, avait l’opportunité de soumettre des
propositions qui rompaient en quelque sorte avec les directives émises par
l’État profond.
Pour l’instant, il est devenu clair que le
président Donald Trump a été incapable de répondre à plusieurs de ses promesses
de campagne
Mais en même temps, ce qui a toujours été
très clair pendant la campagne Trump est qu’il n’a jamais compris la logique de
l’État profond ni de la politique étrangère, ni de l’économie. Il a dit qu’il
créerait massivement des emplois aux États-Unis par le biais d’une
restructuration des accords de libre-échange. Il a menacé des entreprises – les
constructeurs automobiles par exemple – pour qu’ils cessent de délocaliser leur
production. Ce sont des questions importantes, bien sûr, mais il croyait que la
rhétorique seule résoudrait tout.
L’économie mondiale ne fonctionne pas
ainsi. Les relations contradictoires entre les pays à salaires faibles et
élevés font partie de la logique de l’économie mondiale. Les entreprises
produisent en Chine parce que le salaire est 20 fois inférieur à celui des
États-Unis. Néanmoins, il est vrai que la rhétorique de Trump a été soutenue
par la classe ouvrière située dans des villes comme Detroit, l’un des
principaux sites de l’industrie automobile.
La réalité est que les entreprises
américaines ne vont pas abandonner la logique de la production délocalisée dans
les pays à faible salaire, seulement parce que Trump le veut. Au Mexique
par exemple, c’est ainsi que fonctionnent les entreprises installées en zones
franches sur la frontière. Et vous ne pouvez pas changer cette histoire,
simplement par une série de déclarations d’un candidat. Et quand
Trump est devenu président, ses idées n’ont tout simplement pas
rencontré les bases pour se matérialiser.
De là, l’évidence de la nature du
gouvernement de Trump : Rex Tillerson au Département d’État, Mike Pompeo à
la CIA, James Mattis au ministère de la Défense, etc. La désignation de ces
personnalités est une démonstration claire de la soumission de Trump
aux parties prenantes de l’État profond, qui elles représentent
toutes la continuité [des politiques antérieures].
– Parmi les décrets les plus
controversés signés par Trump il y a ceux qui sont liés à l’immigration. Par
exemple, en limitant l’entrée des musulmans sur le territoire des États-Unis
sous prétexte de « lutte contre le terrorisme », une décision à laquelle
la Cour suprême a plus tard opposé son veto. Tout aussi controversé est le
projet de construction d’un mur le long de la frontière avec le Mexique. Quels
dangers représentent les politiques de Trump pour la population
musulmane ? Pensez-vous que Trump pourchasse vraiment les immigrés,
ou cela fait-il plutôt partie de la propagande ?
– En cela, il y a aussi la continuité.
L’islamophobie n’est pas nouvelle aux États-Unis. Oui, je pense que c’est un
élément de propagande, mais il faut tenir compte du fait que la propagande a
ses éléments concrets. Voyez Guantánamo comme un exemple de propagande. Au
début, les gens disaient « Oh quelle horreur, des actes de torture
sont commis à Guantánamo ! », c’était de notoriété publique. Mais
aussi servi par la propagande : « Ce sont des terroristes, il est donc
important de les garder enfermés là-bas (…) la base militaire de Guantánamo contribue
à assurer la sécurité des États-Unis. »
Le décret de limitation de l’entrée des
musulmans peut être interprété de la même façon, même s’il faut ensuite
faire marche arrière à un moment donné. Mais l’élément de propagande qui
salit les musulmans en disant qu’ils sont des « voyous » fait
partie du langage utilisé par Trump. Il envoie ainsi le message que « nous
[les Américains] sommes civilisés », alors que « ces voyous qui ne
respectent pas les droits des femmes sont des terroristes ». Ces discours sont
créés pour soutenir la « guerre contre le terrorisme ».
Les États Unis ont eu recours à
l’islamophobie pour justifier la « guerre contre le terrorisme », le
gouvernement de Donald Trump n’est pas une exception
Mais ils savent parfaitement que la
justification de la « guerre contre le terrorisme » est extrêmement fragile, du
point de vue idéologique. Les principaux groupes terroristes ont été créés par
la CIA, ce sont des instruments des services de renseignement des États-Unis.
Voilà pourquoi la « guerre contre le terrorisme » est un mensonge. Mais pour
soutenir un mensonge, il est nécessaire d’avoir non seulement un discours
anti-terroriste, mais aussi de l’étendre à l’ensemble de la population
musulmane pour justifier les guerres qui sont menées dans les pays musulmans.
De fait, l’idéologie militaire américaine,
si on l’analyse attentivement, est basée sur la « guerre contre le
terrorisme », il est même intéressant de noter que cette doctrine justifie
l’utilisation d’armes nucléaires contre al-Qaïda. Ils disent qu’il y a quatre
pays qui sont des cibles de « guerre nucléaire préventive » (la Chine, la
Russie, l’Iran et la Corée du Nord), mais al-Qaïda et État islamique sont aussi
des cibles, ce qui est absurde.
D’un autre côté, nous savons très bien que
les États-Unis soutiennent al-Qaïda et ISIS en Syrie et en Irak. L’initiative
d’Obama en 2014, d’organiser une opération de lutte contre le terrorisme,
était un leurre. En fait, toutes les interventions des États-Unis en Syrie et
en Irak ont pour but de soutenir l’insurrection d’al-Qaïda, avec évidemment
le soutien de ses principaux alliés (l’Arabie saoudite, la Turquie et le
Qatar).
– Beaucoup ont été surpris
par le fait que Trump a ordonné d’attaquer une base militaire du gouvernement syrien,
d’autant plus qu’il n’y a jamais eu de recherche sérieuse pour montrer que
Bachar el-Assad a ordonné l’utilisation d’armes chimiques contre la population.
En ce sens, pensez-vous que Trump pourrait regretter d’être intervenu
militairement en Syrie de manière unilatérale ?
– Honnêtement, je ne pense pas que Trump
revienne en arrière dans sa ligne d’action contre la Syrie. Il y a eu un
rapport publié par la Maison Blanche, au sujet de ce qu’elle appelait l’attaque
aux armes chimiques, ce rapport complètement débile a même a été réfuté par
plusieurs sources importantes. Nous avons aussi l’étude de Theodore M. Postol,
un scientifique de renom à l’Institut de Technologie du Massachusetts (MIT),
une personne proche du Pentagone. Théodore a contesté la véracité du rapport de
la Maison Blanche.
Par ailleurs, les médias aux États-Unis
insistent pour répandre l’idée que Bachar el-Assad est responsable de cela et,
de plus, la gauche elle-même aux États-Unis prend une position tout à fait
contradictoire sur ces faits. Les groupes progressistes sont silencieux. Ils ne
disent rien parce que, d’une certaine manière, ils soutiennent les «
actions humanitaires » des forces armées américaines et de l’OTAN,
malgré quelques nuances claires, le groupe progressiste n’a pas un
discours homogène.
Beaucoup d’entre-eux soutiennent que le
gouvernement de Bachar el-Assad a commis des atrocités contre la
population ; ce sont des déclarations non fondées, ils insistent sur le
fait que nous devons promouvoir un changement de régime en Syrie. En outre, il
convient de noter que l’opinion publique aux États-Unis est très mal informée.
Il est regrettable que la plupart du public américain ait exprimé son accord
avec le bombardement [de Trump] en Syrie.
– En ce qui concerne la
région Asie-Pacifique il semble aussi y avoir une ligne de continuité. Alors
que Donald Trump a signé les premiers jours de son gouvernement un ordre
exécutif pour que les États-Unis quittent le Partenariat Trans-Pacifique
(TPP), le harcèlement militaire contre la Chine persiste. Trump renforce la
coopération militaire avec le Japon et la Corée du Sud, alors que les relations
entre les États-Unis et la Corée du Nord ont atteint un point de tension
extrême. Quelle est votre point de vue sur la politique étrangère de Trump en
Asie-Pacifique ?
– Les missiles THAAD (Terminal High
Altitude Area Defense) étaient prêts à être installés sous l’administration
Obama. La militarisation de l’Asie du Sud-Est, y compris la mer de Chine du
Sud, fait partie d’une politique bien formulée. Tout cela vise à contenir la
Chine. Maintenant, sous la présidence de Trump, il y a quelques différences.
Mais Trump ne comprend pas ses actions de politique étrangère en Asie, il ne
comprend pas la portée des relations de coopération militaire entre la Corée du
Sud et des États-Unis ou le Japon.
Trump ne comprend pas non plus, comme je
l’ai déjà dit, les dangers de l’utilisation des armes nucléaires. Le changement
au sujet de l’Asie réside dans le dialogue avec la Chine qui a
commencé aujourd’hui, avec le président Xi Jinping, mais est largement soutenu
par la naïveté politique. Trump a pensé que si Xi était invité à un événement
très luxueux à Mar-a-Lago, en Floride [la résidence privée de Trump, NdT] et
s’il lui offrait un repas grandiose, les relations entre la Chine et les
États-Unis prendraient une nouvelle direction. Cela ne s’est pas passé ainsi.
Donald Trump reçoit le
président chinois Xi Jinping dans sa maison de Mar-a-Lago, en Floride, au début du mois d’avril de cette année |
La Chine est étroitement liée à la Russie
par de nombreux accords multilatéraux. Par exemple, par l’Organisation de
coopération de Shanghai (OCS) ou les BRICS (un acronyme pour Brésil, Russie,
Inde, Chine et Afrique du Sud). La Chine est maintenant une puissance, et son
président ne peut pas être traité comme une personne facile à corrompre.
La Chine a ses propres lignes directrices en politique étrangère. Je ne
pense pas qu’elle va travailler beaucoup avec les États-Unis. Les pays
émergents comme la Chine sont conscients qu’un système
multipolaire d’alliances est extrêmement pertinent.
On peut supposer, bien sûr, une
certaine coopération avec les États-Unis dans le domaine économique, par
exemple, la relation bilatérale est très développée dans le commerce. Les
institutions financières de Wall Street sont installées en Chine depuis de
nombreuses années. D’autre part, il y a une véritable collision dans le domaine
militaire : dans la mer de Chine méridionale, le détroit de Taiwan, etc.
Il faut également noter que les
relations bilatérales entre la Chine et la Corée du Nord ne sont pas si bonnes.
Il y a un jeu de puissance là-bas, de sorte que du point de vue des Chinois, il
peut y avoir un certain opportunisme dans une relation avec les
États-Unis, mais en termes de questions plus fondamentales, je ne le pense pas.
L’installation de missiles en Corée du Sud est dirigée contre la Chine, et non
contre la Corée du Nord.
La base navale et la force aérienne
tripartite (États-Unis, Japon et Corée du Sud) située sur l’île de Jeju, une
île au sud de la péninsule coréenne, près de Shanghai, a été utilisée par le
Japon comme base stratégique pendant la Seconde Guerre mondiale. Et maintenant,
les États-Unis prétendent militariser toute la frontière maritime de la Chine,
et la haute direction du Parti communiste chinois le sait.
Un secteur des élites chinoises est très
pro-États-Unis. Les couches intellectuelles spécialisées en sciences sociales
et économiques, certains groupes d’affaires sont très pro-États-Unis. Ainsi, en
Chine, il y a différentes factions et les États-Unis cherchent des
alliances avec Pékin visant à affaiblir la Russie, en provoquant
des divisions.
Mais les Chinois ne révéleront jamais
publiquement leurs intentions. Il y a des contradictions dans leurs discours,
parce que les Chinois ne dévoilent pas leurs objectifs. Les Chinois
continuent à travailler avec qui leur convient. Les groupes d’entreprises
savent parfaitement bien que dans certains domaines, il y a confrontation. Je
parle, par exemple, du secteur pétrolier, il y a un affrontement
face-à-face avec les intérêts américains. Voyons aussi comment la Chine a
connu une expansion, grâce à ses relations commerciales en Afrique et en
Amérique latine, cela représente un danger pour l’hégémonie économique des
États-Unis.
Mais les Chinois n’ont pas vraiment un
projet hégémonique dans la construction de ces relations commerciales, du moins
jusqu’à présent. Autrement dit, leurs accords économiques ne sont pas
accompagnés par des relations militaires, c’est la différence avec les
États-Unis. Washington a un intérêt en Amérique latine, mais signe également
des accords de sécurité, installe des bases militaires, mais la Chine ne
fonctionne pas ainsi. Les Chinois entrent en Afrique et créent des
relations d’affaires fructueuses avec les gouvernements, mais cela va à
l’encontre des intérêts occidentaux, car cela donne plus de souveraineté aux
gouvernements nationaux qui font des affaires avec les Chinois. Pour cette
raison, la confrontation se produit non seulement en Asie à travers la
géopolitique du « pivot » décidée par Obama, mais aussi d’une façon plus
générale.
– Parlons de l’Europe. Tout
semblait indiquer que Trump allait prendre ses distances
avec l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), mais il s’est
radouci quand il a dit qu’il ne la considérait plus comme « obsolète ». D’autre
part, l’Allemagne est accusée de « manipuler l’euro » pour son propre bénéfice,
tandis qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires de l’administration
Trump ont proposé de réduire le rôle de Washington, à la fois au Fonds
monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale. Quel avenir pronostiquez-vous
quant au rôle des États-Unis dans les exercices de l’OTAN ? Trump
est-il un ennemi des institutions nées à Bretton Woods ?
– Ce que nous voyons en Europe, c’est que
les gouvernements n’ont plus la souveraineté d’autrefois. Il y a des
interférences des États-Unis dans la politique intérieure de plusieurs pays,
dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et maintenant même la France. Dans ce
dernier cas, l’intervention a commencé à prendre forme sous le gouvernement de
Nicolas Sarkozy, qui, durant la campagne électorale était le candidat favori
des États-Unis à la présidence.
L’OTAN est une organisation dominée par le
Pentagone. L’acteur le plus important est Washington : les pays membres de
l’OTAN financent un grand appareil militaire qui sert les intérêts de Washington.
Trump, bien sûr, veut davantage de fonds pour l’OTAN. Tous les accords de
coopération militaire que signent les États-Unis, y compris ceux établis
avec la Corée du Sud et le Japon, avaient pour objet d’imposer aux pays
participants le financement des guerres promues par les États-Unis. Et l’OTAN
suit la même logique : tous les États membres la financent, mais sa ligne
de conduite est déterminée au Pentagone.
Quant aux institutions de Bretton Woods,
nous savons que ce sont des entités étroitement liées à la puissance économique
des États-Unis. Je parle de Wall Street, du département du Trésor, des think
tanks, etc. Il s’agit de la substance même de ce que nous appelons le «
consensus de Washington ». Trump signale qu’il serait bon que les
autres pays membres financent plus les institutions de Bretton Woods que les
États-Unis, mais c’est là un discours totalement dépassé.
Trump ne comprend pas la ligne
de conduite du FMI en Grèce. Regardez, lorsque le FMI intervient dans
un pays, en Grèce ou ailleurs, et dit « nous allons prêter 1 000
millions de dollars », la réalité est plutôt que l’argent ne pénètre jamais
dans le pays. Cet argent, fictif par ailleurs, est utilisé pour financer les
créanciers, qui pourraient aussi bien être des banques d’investissement de Wall
Street ou le gouvernement allemand. Un prêt du FMI ne vise pas à financer le
développement économique d’un pays en difficulté, il est destiné à assurer le
paiement de la dette, il s’agit d’un instrument de domination.
Chaque fois que le FMI prête de
l’argent à la Grèce, cet argent va dans les coffres de la Deutsche Bank ou de
Goldman Sachs, c’est ainsi que les choses fonctionnent. Et ces prêts sont
financés par les pays membres du FMI. Le gouvernement grec prend l’argent, mais
ces ressources se terminent généralement dans les poches des grands banquiers.
– Enfin, par rapport à ce qui
advient, devant la menace réelle d’une troisième guerre mondiale, qui cette
fois sera nucléaire, que pouvons-nous faire pour mettre en place une résistance
globale ? Comment la société peut-elle éviter un dénouement
dramatique ?
– Il est très important que l’opinion
publique reste en état d’alerte contre les incursions militaires américaines
dans le monde entier, en particulier à la frontière avec la Russie, à la frontière
de l’Ukraine, au Moyen-Orient et aussi en Corée du Nord. La possibilité d’une
attaque nucléaire par les États-Unis, que ce soit délibéré ou accidentel, est
quelque chose à prendre au sérieux. Il faudrait examiner dans le
détail les importantes études concernant l’impact d’une guerre nucléaire
qui pourrait conduire à la fin de l’humanité telle que nous la connaissons.
Ce sont des études tout à fait sérieuses, qui donnent à penser que même
une guerre nucléaire régionale serait une catastrophe mondiale.
Quant à ce qu’il faut faire, je
voudrais souligner deux éléments. Tout d’abord, les mouvements de masse sont
nécessaires. Mais ces mouvements doivent avoir lieu à l’Ouest. En outre,
ils doivent rompre les liens avec les milieux progressistes, qui ont été
complices du statu quo autant en Europe qu’aux États-Unis. En France,
c’est très clair, mais aussi aux États-Unis, où les secteurs progressistes du
Parti démocrate ont promu les intérêts de l’État profond.
Compte tenu du panorama mondial actuel
Chossudovsky voit un besoin urgent de reconstruire le mouvement anti-guerre,
principalement dans les pays occidentaux
Il faut répondre aux mouvements
anti-guerre qui croient que la guerre qui se déroule en Syrie est une
guerre civile. Beaucoup pensent à tort que le mouvement anti-guerre ne devrait
pas s’en inquiéter, mais simplement accepter l’idée qu’il s’agit d’une « guerre
humanitaire ». Le vrai mouvement anti-guerre est mort, nous avons donc besoin
de le construire à nouveau, en tenant compte des dangers de Troisième Guerre
mondiale.
En second lieu, l’Histoire nous dit que les
changements dans l’appareil d’État, dans l’establishment militaire, doivent
venir de l’intérieur de l’État, c’est à dire des forces armées, des
services de renseignement, etc. Il y a une machine de propagande dirigée contre
les officiers de l’appareil politique et militaire des États-Unis. Il est
essentiel qu’il y ait un changement au sein de l’appareil d’État, où les
décisions sont prises. Ce n’est pas facile, il faut que la société civile ait
des liens avec les différents secteurs de l’appareil institutionnel.
Nous voyons cela aux États-Unis à travers
certains groupes d’anciens officiers des services de renseignement, des gens
qui prennent des positions contre la guerre, alors qu’à un moment
donné ils ont servi la CIA et d’autres appareils militaires et de
renseignement des États-Unis. Par conséquent, je le souligne encore une fois,
le mouvement anti-guerre doit investir les entrailles de l’appareil d’État pour
obtenir des changements fondamentaux dans la prise de décision.
– Merci Michel, cela a été un
plaisir de vous parler.
Par Ariel Rodríguez Noyola et Michel Chossudovsky
Le 15 mai 2017
Source globalization.ca
Le 15 mai 2017
Source globalization.ca
Michel Chossudovsky est professeur
émérite d’économie à l’Université d’Ottawa, il est le fondateur et le directeur
du Centre de recherche sur la mondialisation (Global Research).
Ariel Noyola
Rodriguez est économiste diplômé de l’Université nationale autonome du
Mexique (UNAM) et correspondant du Centre pour la recherche sur la
mondialisation en Amérique latine.
Traduit et édité par jj, relu par nadine
pour le Saker Francophone