Donc, en fin de compte, l’Occident a été sauvé par
l’élection de Emmanuel Macron à la présidence de la France : soulagement à
Bruxelles, une eurozone pleine d’entrain, et des reprises boursières sur les
marchés d’Asie.
Cela a toujours été une évidence. Après tout, Macron
était approuvé par l’UE, déesse des marchés, et par Barack Obama. Et il était
totalement soutenu par la classe dirigeante française.
C’était un référendum sur l’UE – et l’UE, dans sa
configuration actuelle, a gagné.
La
cyber-guerre devait être de la partie. Personne ne sait d’où viennent les
« Macron Leaks » [1] – une
fuite massive en ligne de mails de la campagne Macron. Wikileaks a certifié que
les documents qu’il avait eu le temps d’évaluer étaient authentiques.
Cela n’a pas empêché la galaxie Macron d’accuser
immédiatement la Russie. Le Monde, un ex-grand journal aujourd’hui détenu par trois
soutiens influents de Macron, a loyalement fait écho à ces dénonciations de
RT et de Sputnik, d’attaques technologiques et, en général, d’interférences
russes dans les élections.
La
russophobie macronite [2] de la
médiasphère française inclut également Libération, à l’origine le
journal de Jean-Paul Sartre. Édouard de Rothschild, le dirigeant précédent de
la banque Rothschild & Cie, a acheté 37% des parts du journal en 2005, ce
qui lui en a donné le contrôle. Trois ans plus tard, un Emmanuel Macron inconnu
entamait sa montée dans le département des fusions et acquisitions, et gagnait
rapidement la réputation d’un «
Mozart de la finance ».
Après un
bref passage au ministère des finances, un mouvement, En Marche! a
été monté pour lui par un réseau de personnages influents et de think tanks.
Aujourd’hui, c’est la présidence. Bienvenue dans les portes tournantes de style
Moet & Chandon.
Rendez-vous aux barricades, baby
Dans sa
dernière confrontation avec Marine Le Pen, Macron ne s’est pas privé d’étaler
de la condescendance/grossièreté et a même engrangé quelques points de
pourcentage supplémentaires en martelant que « Marine » était une
nationaliste mal informée, corrompue, haineuse, menteuse qui « se
nourrit des souffrances de la France » et précipiterait une
« guerre civile ».
Cela peut se
retourner contre lui. Macron est destiné à être un
opérateur de la dévaluation de la France ; un champion de la
« rigueur » salariale, dont le contrepoint sera un boom du
sous-emploi ; et un champion de l’augmentation
de la précarité comme stratégie de relance de la compétitivité.
Les grandes
entreprises applaudissent son idée de réduction de leurs impôts de 33% à 25%
(la moyenne européenne). Mais dans l’ensemble, ce que Macron a vendu a été une
recette pour un scénario de type « rendez-vous aux barricades » :
des coupes sombres dans les dépenses de santé, les allocations chômage et les
budgets des régions ; au moins 120.000 licenciements dans le secteur
public, et l’abrogation de certains droits des travailleurs. Il veut continuer
à « réformer » le code du travail français – des réformes auxquelles
67% des Français sont opposés – par ordonnances.
Sur
l’Europe, « Marine » a dit quelque chose de vrai, « La France sera dirigée par une
femme, moi ou madame Merkel ».
De sorte que
Macron est susceptible d’être le nouveau Tony Blair ou, dans une veine plus
désastreuse, le nouveau [ex-premier ministre italien] Matteo Renzi.
La vraie
partie commence aujourd’hui. Seuls quatre électeurs sur dix l’ont soutenu. L’abstention a
atteint 25% – presque un tiers en comptant les votes nuls. Il sera
virtuellement impossible à Macron d’obtenir une majorité parlementaire dans les
élections législatives à venir.
La France
est aujourd’hui divisée en cinq blocs antagonistes – avec très peu de choses en
commun : (1) Le mouvement En Marche ! de Macron, (2) le Front
National de Marine Le Pen, qui sera recomposé et développé ; (3) la France
Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, qui est destinée à mener une nouvelle
gauche ; (4) les lambeaux des Républicains, autrement dit la droite
traditionnelle française, qui a un besoin urgent d’un nouveau leader après la
débâcle Fillon ; et (5) le PS post-Hollande virtuellement détruit.
Un choc de nouveauté orwellien
Contrairement
aux perceptions mondiales, la
plus grande question de cette élection n’était pas l’immigration, mais le
profond ressentiment contre l’État profond français (police, justice,
administration) – qui est perçu comme oppressif, corrompu et même violent.
Avant même
le vote, le toujours pertinent et délicieusement provocateur Michel Onfray,
auteur de Décadence, le meilleur livre de l’année, et fondateur de l’université
populaire de Caen, a identifié quelques-uns des soutiens les plus importants du
mouvement de Macron : [la galaxie de la
Cabale judéo-française[3],] le soi-disant philosophe
« belliqueux » Bernard-Henri Levy ; Pierre Bergé, du
Monde ; Jacques Attali – qui a transformé les socialistes en
néolibéraux endurcis presque à lui tout seul ; l’éminence grise Alain Minc ;
l’ex-dirigeant de MSF Bernard Kouchner ; et l’ex-soixante-huitard [et pédophile] Daniel Cohn-Bendit –
« en d’autres
termes, les promoteurs sauvages des politiques libérales qui ont permis à
Marine Le Pen d’enregistrer son plus haut score à ce jour ».
Tous les
précités sont des serviteurs fidèles de l’État profond français. J’ai
exposé sur Asia Times la façon dont l’hologramme Macron avait été fabriqué.
Mais pour comprendre comment l’État profond a réussi à le vendre, il est
essentiel de se référer au philosophe Jean-Claude Michéa, un disciple de George
Orwell et de Christopher Lasch, et l’auteur du récemment publié Notre Ennemi, Le
Capital.
Michéa
analyse en détail la façon dont la gauche a adopté toutes les valeurs de ce que
Karl Popper appelait « une société ouverte ». Et la
façon dont les propagandistes ont dévié le sens du mot populisme pour en
stigmatiser la forme contemporaine comme l’incarnation du Mal Absolu. Marine Le
Pen a été ostracisée comme « populiste » – alors que la propagande
des médias a toujours refusé de noter que les électeurs du Front National
(aujourd’hui 11 millions) viennent des « classes populaires ».
Michéa
souligne le sens original, historique, du mot « populisme » dans la
Russie tsariste ; un courant du mouvement socialiste – très admiré par
Marx et Engels – dans lequel les paysans, les artisans et les petits
entrepreneurs devaient avoir une place d’honneur au sein d’une économie
socialiste développée. Pendant mai 68 en France, personne n’aurait imaginé que
le populisme viendrait à être assimilé au fascisme. Cela a commencé à se
produire au début des années 80 – dans le cadre de la manipulation orwelienne
du langage par les néolibéraux.
Michéa note
aussi qu’aujourd’hui, il est beaucoup plus facile d’être un néolibéral de
gauche que de droite ; en France, ces néolibéraux de gauche appartiennent
au circuit très fermé des « Young Leaders » adoptés par
la French American Foundation. Les grandes entreprises françaises
et la haute finance – essentiellement, la classe dirigeante française – ont
tout de suite compris qu’un vieux catholique de droite comme François Fillon ne
ferait jamais l’affaire ; ils avaient besoin d’apposer une nouvelle marque
sur le même produit.
D’où
Macron : un nouvel emballage vendu comme un changement auquel la France
peut croire, et qui reviendra en fait à une approche en douceur des
« réformes » nécessaires à la survie du projet néolibéral.
Ce que les
Français ont élu – d’une certaine façon – est l’unité de l’économie néolibérale
et du libéralisme culturel. Appelons cela, comme Michéa, « du libéralisme intégré ». Ou, avec toutes
ses harmoniques orwelliennes, « du
capitalisme post-démocratique ». Une véritable révolte des
élites. [a] Et les
« paysans » ont avalé cela de bon cœur. Qu’ils mangent de la brioche
hors de prix. Encore cette fois, la France mène l’Occident [vers sa dégénérescence].
Source : Asia Times
Traduction Entelekheia
[a] NdT : La
révolte des élites et la trahison de la démocratie est le titre
d’un livre de Christopher Lasch préfacé par Jean-Claude Michéa.
Les commentaires dans cette couleur sont d’Hannibal GENSÉRIC.
Les manipulateurs derrière Emmanuel Macron ont joué l’« Ode à la Joie » de
Beethoven au lieu de l’hymne national français lors du rassemblement
électoral du vainqueur. Eh bien, au moins, ils n’ont pas joué « Deutschland Über Alles ».
Les tensions dans la situation de la zone euro restent : le chômage des
jeunes est à 20%, l’insolvabilité des banques européennes et la
contraction implacable de l’activité économique, en particulier sur le
flan sud de l’UE.
[1] MacronLeaks: Les documents révélés par WikiLeals sur Macron et son équipe (les bonnes feuilles)
[2] Macron promoteur et prisonnier de l’antirussisme
Macron est il un agent de la CIA ou du MOSSAD ?
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Emmanuel Macron et le précédent israélien
En Marche!, un Kadima français?
Emmanuel Macron à gauche et Tzipi Livni en 2009 à droite |
La victoire
d’Emmanuel Macron à la présidentielle est largement celle d’un candidat au
visage aussi lisse que son
programme politique. Celui qu’on présente déjà comme le « plus jeune
président » de la Ve République et que nous pourrions qualifier de premier
candidat postmoderne, est aussi l’incarnation d’un phénomène politique récent.
Par sa stratégie politique, par son programme et par sa personnalité, Macron
illustre en effet une évolution que l’on retrouve dans d’autres pays
occidentaux. La comparaison avec Israël, où on se plaît à surnommer Emmanuel
Macron le « Yaïr Lapid français », est instructive à
plusieurs égards.
« Kadima » en hébreu signifie « En avant »
Le phénomène
du mouvement En Marche ! qui a amené Macron au second tour, ressemble
étrangement au phénomène Kadima,
éphémère parti politique israélien qui avait remporté les élections
législatives de 2005, après une apparition fulgurante sur la scène politique,
suivie d’une disparition tout aussi rapide. Ajoutons que « Kadima », en hébreu, signifie « En avant ». Dans les deux cas, il s’agit
d’une organisation politique sui generis, sans identité bien
définie. En Marche ! est un mouvement populaire se revendiquant comme étant
« de droite et de gauche ». Kadima était un parti formé d’anciens
membres du Likoud (droite) et d’Avoda (gauche travailliste), qui se définissait
comme centriste et dont les dirigeants, à l’instar d’Emmanuel Macron, affirmaient
rejeter les « clivages droite-gauche dépassés ».
En réalité, Kadima incarnait surtout
l’arrivée au pouvoir des idées post-sionistes, en vogue dans les milieux
universitaires et intellectuels israéliens depuis le début des années 1990.
Après une ascension rapide, le parti Kadima obtint 28 sièges dans la 18ème
Knesset (ce qui en faisait le premier parti, devançant le Likoud et réduisant
le parti travailliste à la portion congrue). Mais ce succès spectaculaire fut
de courte durée : lors des élections législatives de 2013, Kadima a été
pulvérisé et n’obtint que 2 sièges. Il a disparu de la scène politique
israélienne à la suite de cet échec, et sa dirigeante Tsipi Livni
créa un nouveau parti, au nom tout aussi vide de contenu idéologique :
« Le mouvement » (Hatnua).
Le sociologue
Shmuel Trigano a décrit le postmodernisme comme une idéologie dominante,
caractérisée notamment par le rejet de la souveraineté de l’État et des frontières.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la déconfiture des partis
politiques traditionnels (UMP et PS en France, parti travailliste en Israël),
qui va de pair avec l’émergence de nouvelles structures politiques, dont En Marche !
et Kadima
sont les illustrations les plus marquantes. Dans les deux cas, ces nouvelles
entités politiques sont marquées par un rejet des idéologies politiques
traditionnelles (socialisme, travaillisme) et par le recours à des slogans qui
relèvent plus du marketing que du discours politique.
Des électeurs « consommateurs »
En effet,
au-delà de la similarité des noms, Kadima et En Marche ! se ressemblent surtout
à un niveau plus fondamental : l’idéologie
dominante post-moderniste, dont ils sont l’expression politique.
Le post-sionisme (c’est-à-dire l’abandon des principes fondamentaux du sionisme
politique) de Kadima trouve ainsi son semblant dans le post-modernisme incarné
par En Marche !. Quant à leur rejet affiché des clivages politiques
traditionnels, il recouvre, dans une large mesure, une absence de
positionnement politique réel (socialistes ou libéraux? conservateurs ou
réformistes?), que beaucoup décrivent comme une absence de programme.
La volonté
proclamée de renouveau, (En Marche ! est l’émanation de l’Association pour le
renouvellement de la vie politique) exprime ainsi la quintessence, sinon
la totalité de leur programme. Mais derrière les slogans prometteurs, on a
peine à déchiffrer quelle est l’identité véritable de ces mouvements
politiques, dont les électeurs sont plutôt des « consommateurs » que
des militants aux revendications bien définies. Leur rejet des idéologies
classiques n’exprime sans doute pas tant une volonté de renouveau politique
qu’un vide de contenu, que les efforts des conseillers en image et autres communicants
peinent à masquer.
Tout comme
l’ascension fulgurante du parti Kadima en Israël, la victoire d’En Marche ! au
premier tour de l’élection présidentielle française est, plus encore que celle
d’un appareil politique, celle d’un slogan et d’un appareil de communication,
c’est-à-dire de publicité. Pour la première fois dans l’histoire
politique française, les électeurs vont porter au pouvoir un mouvement qu’ils
auront choisi non pas tant en raison de son programme et de son contenu, que de
son « emballage »… En Israël,
les années Kadima auront surtout été marquées par la catastrophique Deuxième
guerre du Liban. L’avenir dira si le mouvement En Marche ! saura laisser une
trace plus durable et positive dans la vie politique française.
Élu de Neuilly /
avocat et écrivain