dimanche 5 juin 2022

Civilisations et nations: l'ordre mondial multipolaire de Douguine

Le philosophe et expert en géopolitique russe Alexandre Douguine aspire à un ordre mondial entièrement nouveau. La guerre en Ukraine en est-elle le prélude ? Dans son dernier livre "Le grand réveil contre le grand reset", il a développé sa pensée de manière décisive.

L'ouvrage d'Alexandre Douguine "Fondements de la géopolitique" (1997) est considéré comme une lecture standard dans les académies militaires russes. Le philosophe et politologue, qui a occupé la chaire de sociologie des relations internationales à l'université Lomonossov de Moscou, y divise la Terre en trois grandes régions principales du point de vue géopolitique: l'île mondiale (États-Unis et Grande-Bretagne), l'Eurasie (Europe centrale, Russie et Asie) et les terres marginales (les États situés entre les deux grandes régions citées précédemment).

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Ses réflexions se fondent sur l'eurasisme, une école de pensée philosophique et géopolitique développée dans les années 1920 par des exilés russes autour de Nikolai Trubetzkoy et centrée sur l'idée d'une opposition fondamentale entre la puissance continentale russe et les puissances maritimes anglo-saxonnes.

Selon Douguine, qui a actualisé l'eurasisme, il existait et il existe toujours un conflit permanent entre les deux pôles d'un point de vue géostratégique, mais aussi idéologique: mondialisation et universalisme contre ordre mondial multipolaire et préservation des spécificités culturelles de chacun.

Abandon de l'État-nation ?

Au cœur de la critique de Douguine se trouve la prétention au leadership mondial du libéralisme (et du capitalisme) occidental, qu'il considère - sur ce point, il est d'accord avec son compagnon de route d'un temps, Alain de Benoist - comme la plus grande menace pour les peuples ou comme "l'ennemi principal".

Washington s'efforce d'imposer ce leadership soit par la séduction, soit par des méthodes subversives comme les "révolutions de couleur", soit carrément par la force militaire dans le monde entier. Ceux qui ne se soumettent pas volontairement au diktat du capital financier, à la doctrine du libre-échange ou à des idées telles que l'approche gendériste de l'égalité entre les hommes et les femmes, seront victimes de soulèvements populaires mis en scène et/ou de la guerre, affirme Douguine tout de go.

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Comme alternative à la mondialisation, Douguine esquisse son "idée eurasienne" ethno-pluraliste, qui ne se limite pas à l'espace russo-asiatique et qui s'inspire explicitement du concept de grand espace de Carl Schmitt. Il écrit à ce sujet :

"L'idée eurasienne réunit en elle toutes les approches critiques de la mondialisation. L'eurasisme rejette catégoriquement la vision occidentale du monde selon laquelle la planète est divisée en un centre (le monde anglo-saxon et l'Europe) et des périphéries éloignées (l'Amérique du Sud, l'Afrique, l'Asie). Au lieu de cela, l'idée eurasienne voit le monde comme un ensemble d'espaces de vie politiques, culturels et économiques totalement différents qui correspondent les uns aux autres".

Douguine considère que l'ordre international avec les États-nations comme acteurs politiques souverains, le "système de la paix de Westphalie", est obsolète. Dans les faits, le pouvoir réel serait déjà détenu depuis longtemps par de toutes autres structures - supranationales ou même économiques.

Estimant que cet ordre westphalien ne peut plus être réinstallé, il plaide pour un système de relations internationales avec des "civilisations" (terme qu'il reprend de Samuel Huntington, mais en le réinterprétant selon son point de vue) comme nouveaux acteurs.

Souvent taxé de "nationaliste grand-russe", Douguine s'est démarqué du nationalisme depuis des années :

"Je ne suis pas moi-même un nationaliste, mais un traditionaliste".

Il poursuit :

"Il y a une nécessité géopolitique pour une fédération ou une alliance européenne, quelle qu'en soit la forme, si le continent veut jouer un rôle à l'avenir".

Dans ses "Fondements de la géopolitique", il écrit même :

"Le monde multipolaire ne considère pas la souveraineté des États-nations existants comme une vache sacrée, car cette souveraineté repose sur une base purement juridique et n'est pas soutenue par un potentiel militaire et politique suffisamment fort".

Dans les circonstances actuelles, "seul un bloc ou une coalition d'États peut prétendre à une véritable souveraineté".

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Ensemble plutôt que les uns contre les autres

Outre la "civilisation" occidentale (Amérique du Nord et Europe occidentale), Douguine en identifie six autres, à savoir la civilisation orthodoxe ou eurasienne (les États de l'ex-Union soviétique et certaines parties de l'Europe de l'Est et du Sud), la civilisation islamique (Afrique du Nord, Asie occidentale et centrale et certaines parties de la région Pacifique), la civilisation chinoise (Chine, Taïwan et les États de l'ASEAN), la civilisation indienne (Inde, Népal et Maurice), la civilisation latino-américaine (Amérique du Sud et centrale) et la civilisation japonaise (Japon).

Ce modèle ne tient pas compte de l'Afrique, que Douguine considère comme une "civilisation potentielle" qui a encore besoin de temps pour se développer pleinement et entrer sur la scène politique mondiale.

En ce qui concerne les "civilisations", les nouveaux "pôles du monde multipolaire", il affirme qu'elles doivent être souveraines et dotées d'un centre de pouvoir légal "d'un point de vue juridique formel". Et il écrit :

"La zone dans laquelle une civilisation exerce son pouvoir de domination et fixe les règles du jeu en vigueur doit être différenciée et tenir dûment compte de la composition ethnique et confessionnelle de sa population".

Outre les groupes confessionnels, les classes sociales devraient également être représentées de manière adéquate et "légalement représentées" dans la "civilisation" concernée. Son objectif est en fin de compte une coexistence et une cohabitation plutôt qu'une opposition entre les civilisations et également entre les groupes de population au sein d'une même civilisation.

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Par Valentina Schacht

Source

 

2 commentaires:

  1. A la chute du mur de Berlin, l'Occident a manqué un tournant historique de ne pas faire une alliance avec la défunte URSS. Dans son désir de domination planétaire l'Amérique voulait une Russie faible et soumise. L'Europe a pris le parti d'être complice des USA dans ce funeste dessin. Bientôt l'Europe de Bruxelles sera elle-même la défunte victime de ses crimes.

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  2. Citation de la vieille pute Amish Madeleine Albright..
    « En quoi est-ce juste si un territoire comme la Sibérie appartient à un seul pays ? et "Il est terriblement injuste pour la Russie d'avoir autant de ressources naturelles mondiales."
    Les richesses naturelles russes appartiennent au monde, c'est-à-dire à la City de London et Wall St....

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