Khalil Harb : « Si Israël déclenche une guerre régionale, ce sera la fin d’Israël »

Lundi, le Hezbollah a annoncé avoir abattu un drone israélien, le Hermes 900, au-dessus du sud du Liban. Le groupe de résistance libanaise a utilisé des armes de défense aérienne pour abattre le drone qui est tombé à proximité de la montagne al-Rehan dans le district de Jezzine.

Le Hezbollah constitue la plus grande menace militaire pour Israël, selon les experts israéliens et régionaux en matière de sécurité.

En 2006, le Hezbollah a défendu avec succès une attaque totale d’Israël et n’a fait que se renforcer depuis lors en développant considérablement ses armes et ses technologies.

Le Hezbollah a déclaré que le jour où les combats à Gaza cesseraient serait le jour où les combats dans le sud du Liban cesseraient, faisant référence à un éventuel cessez-le-feu.

Steven Sahiounie de MidEastDiscourse a interviewé Khalil Harb, journaliste indépendant basé à Beyrouth, ancien rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Safir, et a travaillé pour l'Associated Press et le journal libanais An-Nahar.

1. Steven Sahiounie (SS) : Les responsables israéliens menacent le Liban que cet été sera chaud, et ils signifient la guerre. À votre avis, l’armée israélienne peut-elle gérer une guerre avec le Liban et avec la guerre actuelle à Gaza ?

Khalil Harb (KH) : Ce n’est un secret pour personne qu’Israël dispose d’un énorme arsenal militaire et d’une capacité de destruction exceptionnelle, grâce au soutien continu de l’Occident depuis plus de 70 ans. Concernant la capacité de lancer une frappe majeure au Liban, cette possibilité n’est pas exclue, mais il est important de souligner que la capacité de lancer une frappe majeure ne signifie pas nécessairement avoir la capacité de mener une guerre majeure. Israël est littéralement pris dans un bourbier à Gaza, et il est difficile d’imaginer qu’il puisse mener une guerre sur un nouveau front, un front plus large, un front plus dangereux que Gaza. Au fil du temps, la résistance au Liban révèle une nouvelle arme qualitative. Ces derniers jours, elle a révélé avoir utilisé, pour la première fois, des missiles sol-air sur des avions militaires israéliens qui violaient le ciel du Liban.
Il est vrai que plusieurs drones israéliens avancés ont été abattus au cours des derniers mois, notamment l’Ormuz 450 et l’Ormuz 900, mais c’est la première fois que la « Résistance islamique au Liban » annonce le tir de missiles sol-air sur l'aviation israélienne, ce qui signifie qu'une nouvelle page s'est ouverte dans la confrontation, après qu'Israël se soit distingué par sa supériorité écrasante sur le Liban (et tous ses adversaires) grâce à son armée de l'air.

Jusqu’à présent, la résistance libanaise reste attachée à l’étendue géographique de sa réponse militaire au sein de l’entité israélienne, qui ne dépasse pas 15 kilomètres. Il n’est pas sûr qu’une guerre globale éclate, mais ce qui est certain, c’est que la résistance dispose des capacités de missiles nécessaires pour infliger des dégâts importants à l’intérieur d’Israël, dans ce qu’on appelle la zone du « Gush Dan », considérée comme la zone économique la plus importante, le nerf financier et la concentration humaine. La question est : Israël est-il prêt à risquer de telles éventualités ?

2. SS : Le Liban traverse une crise économique massive, à laquelle pourrait remédier un accord de paix régional. S’il existait un accord de paix entre Israël et les Palestiniens, comme la solution à deux États, le Liban serait-il inclus ?

KH : Je ne suis pas partisan de ceux qui disent que la « paix » avec Israël apporte la prospérité économique. Si la question concerne les gains économiques que le Liban pourrait tirer d’un accord de paix comme celui-ci, alors je préfère les décrire comme des miettes de bénéfices. Les promesses américaines répétées au Liban d’obtenir de l’électricité en organisant une coopération avec l’Égypte et la Jordanie dans ce contexte ont été entendues par les Libanais depuis des années… c’est-à-dire avant le 7 octobre 2023, et Washington fait obstacle depuis des années à toute coopération dans le domaine de l'énergie avec la Chine, l'Iran et d'autres. Maintenir le peuple libanais dans le besoin et les pénuries dans le domaine de l’électricité permet aux responsables des administrations américaines successives de faire de fausses promesses comme celles-ci, ou de les présenter comme s’il s’agissait de grands gains qui viendraient de la paix promise.

3. SS : L’Union européenne et les États-Unis exercent une pression massive sur le Liban à propos des réfugiés syriens. À votre avis, comment le Liban résoudra-t-il ce problème et cela affectera-t-il la crise politique au Liban ?

KH : La manière la meilleure, la plus simple et la plus logique de résoudre le problème des Syriens déplacés au Liban est la communication et la coordination directes entre les gouvernements de Beyrouth et de Damas. Il n’y a pas d’alternative à cela. Ce sont les deux pays directement concernés par ce dossier qui tourne au vinaigre dans une crise interne au Liban et accroît les tensions. Mais le problème est que Washington et certains pays de l’Union européenne veulent deux choses : premièrement, tenter de maintenir Damas isolé et empêcher la communication et la coopération avec elle dans son environnement géographique, et deuxièmement, continuer à exploiter la carte des Syriens déplacés pour affaiblir et aggraver la situation intérieure au Liban, mais sans la faire exploser, et aussi pour maintenir la Syrie et son régime sous l'apparence d'un État incertain et instable, empêchant ainsi le retour des déplacés dans leur pays d'origine.

4. SS : Le Liban est sans président depuis plus de deux ans. Selon vous, que faudra-t-il pour que les différents partis politiques libanais élisent un président, et quel est le rôle de l’Occident dans ce processus ?

KH : De loin, la meilleure façon de résoudre la question du vide présidentiel au Liban est d’empêcher que les Américains et leurs valets arabes, comme l’Arabie Saoudite, imposent leurs « conditions » au Liban pour déterminer les critères du nouveau mandat présidentiel. La crainte de certains dirigeants libanais de provoquer la colère des Américains et des Saoudiens, qui jouissent d'une influence humiliante au Liban, empêche tout progrès sur cette question. Le prétexte est toujours « l’épouvantail iranien ». Certains à Washington, Riyad et Beyrouth parient sur un président qui sera hostile au Hezbollah, ou peut-être moins amical avec le parti.

5. SS : Il y a une pression croissante sur le groupe de résistance libanais Hezbollah au niveau international et national, en raison de ses opérations contre les Israéliens. Quel regard portez-vous sur la situation sur le terrain et que pourrait-il se passer plus tard ?

KH : Tant qu’Israël mènera sa guerre de génocide à Gaza et contre les Palestiniens en général, le front sur lequel combat le Hezbollah ne se calmera pas. C’est du moins ce que dit ce parti. Le Hezbollah est convaincu que la victoire d’Israël dans la guerre à Gaza signifie que la région entière entrera dans une phase plus dangereuse et plus sanglante. Ce parti considère que son entrée dans cette bataille pour soulager autant que possible la pression sur Gaza est pratiquement une défense du Liban lui-même. Cette conviction n’a pas changé depuis 8 mois, et je n’imagine pas qu’elle changera de sitôt.
Avec le fou furieux Netanyahou au pouvoir en Israël, il n’y a aucun espoir de bonté ou de paix. Quant à la situation intérieure au Liban, le Hezbollah est conscient, comme beaucoup, qu’aucune résistance à travers l’histoire n’a bénéficié d’un consensus populaire à son sujet. Regardez à quel point certaines sociétés européennes étaient divisées, même face à l’occupation nazie de l’Europe. À travers les expériences du Hezbollah et des factions de résistance qui l’ont précédé au Liban, les Libanais n’ont jamais été unis autour de la résistance. Le Hezbollah en est également conscient et je pense donc que le Liban n’a pas le choix.
La théorie de la « neutralité suisse » ne s’applique pas ici et n’est pas applicable. Nous sommes à côté du dernier État occupant dangereux au monde, dirigé par des extrémistes qui veulent « exterminer » les Palestiniens et les Arabes en général et les considèrent avec un racisme évident. Regardez leur discours politique et idéologique dans les mots de leurs hauts fonctionnaires, théoriciens et chefs religieux.
Le dilemme auquel Israël est confronté aujourd’hui, à mon avis, est qu’il réalise que déclencher une guerre majeure dans la région signifie que ce sera la guerre de Cent Ans.

12 juin 2024

Par Steven Sahiounie , journaliste et commentateur politique

Source : The Duran