Originaire des Ardennes, je suis issu d'un milieu très
pauvre. Je suis un ouvrier, un autodidacte. Je n'ai pour tout bagage qu'un
modeste Certificat d'Etude Primaire.
En 1958, j'avais 17 ans, j'étais opposé et déterminé à
lutter contre la guerre qui sévissait en Algérie. C'est tout naturellement
que j'ai adhéré au Parti Communiste Français. C'était avant le retour de De
Gaulle aux affaires du pays. Avec des camarades de mon âge, en 1959, nous avons
créé un cercle de l'Union des Jeunesses Communistes de France dont je fus le
Secrétaire.
Nous luttions sans relâche contre la guerre coloniale
menée par la France en Algérie. Mon modeste témoignage est celui
d'un ex-jeune appelé communiste, celui d'un anticolonialiste qui ne
voulait pas tuer de pauvres gens.
Originaire des Ardennes, je suis issu d'un milieu très
pauvre. Je suis un ouvrier, un autodidacte. Je n'ai pour tout bagage qu'un
modeste Certificat d'Études Primaire.
En 1958, j'avais 17 ans, j'étais opposé et déterminé à
lutter contre la guerre qui sévissait en Algérie. C'est tout naturellement
que j'ai adhéré au Parti Communiste Français. C'était avant le retour de De
Gaulle aux affaires du pays. Avec des camarades de mon âge, en 1959, nous avons
créé un cercle de l'Union des Jeunesses Communistes de France dont je fus le
Secrétaire.
Nous luttions sans relâche contre la guerre coloniale
menée par la France en Algérie. Mon modeste témoignage est celui
d'un ex-jeune appelé communiste, celui d'un anticolonialiste qui ne
voulait pas tuer de pauvres gens.
Pour marquer mon opposition à cette guerre coloniale,
à deux reprises, j'ai refusé de me présenter aux Conseils de révision les
14 mars et 30 juin 1960. Peu de temps après mon second refus, les
gendarmes sont venus me trouver sur mon lieu de travail.
Ils m'ont menacé, traité de "forte
tête" avec promesse d'une incorporation directe en Algérie en unités
disciplinaires. Selon eux, "j'allais me faire dresser, mater à coups
de poings dans la gueule et à coups de pieds."
Le 16 septembre 1960, les deux mêmes gendarmes sont
venus me chercher et m'ont emmené, menotté et tenu en laisse comme un chien.
J'ai traversé la ville jusqu'à la gare
pour aller faire mes 3 jours à Commercy (55).
Ma lettre était prête pour De Gaulle. Je lui écrivais
mon refus de participer à cette guerre. Je ne voulais pas combattre le peuple
algérien. J'ai écrit à un de mes oncles pour lui en faire part. Mon oncle
qui était cheminot, militait au PCF. Il m'a de suite répondu et
déconseillé d'écrire à De Gaulle. Il disait que les sanctions étaient très
fortes, que le travail des jeunes communistes était de militer au sein de
leur unité contre la guerre. J'ai gardé la lettre de mon oncle, datée du 4 août
1960. Mon oncle avait raison. La plupart des appelés n'étaient pas politisés.
Il fallait donc essayer d'entrainer un maximum de jeunes soldats dans l'action
contre la guerre pour aider à leur prise de conscience sur la nature de cette
guerre coloniale, imbécile et sans issue.
Le travail a fini par payer puisque lors du putsch des
généraux félons, en avril 1961, les bidasses n'ont pas suivi les
généraux factieux dans leur folle aventure.
Après mûres réflexions, j'ai fini par suivre les
conseils de mon oncle que je vénérais.
J'ai été incorporé direct à Oued-Smar,
en février 1961, dans une compagnie disciplinaire pour y effectuer le
Centre d'Instruction (CI). Ce fut très dur. Ce camp était une annexe de la BA 149, à Maison-Blanche.
A l'intérieur du camp, il y avait une prison
interarmes, plus exactement un bagne militaire, commandée par une brute,
l'adjudant BIRR de la BA 149. C'était un colosse qui tabassait les soldats
internés.
Le commandant de notre compagnie était le lieutenant
de carrière Merviel qui a également commandé la BRCS de
Maison-Blanche.
J'étais dès mon arrivée à Oued-Smar dans le
collimateur des chefs. Nous avions des lits à étage avec un écriteau à notre
nom. Je dormais à l'étage et mon voisin du dessous était l'acteur de cinéma
Samy Frey. Il n'est jamais venu.
Lors de ce CI, les conditions de vie des appelés
étaient très dures, répressives et brutales.
Le lieutenant Merviel, commandant du CI nous a averti
que nous étions dans une compagnie disciplinaire. Les "fortes têtes"
seront matées.
Dans ma section, un sergent de carrière corse, un
abruti, nous en faisait baver.
Les classes étaient très physiques, beaucoup de gus atterrissaient
à l'infirmerie.
Les marches de 15, 30, 45, voire 60 kms étaient
au programme.
Des camions nous embarquaient et nous lâchaient
loin du camp avec une boussole qu'il ne fallait surtout pas perdre sous peine
de sévères représailles et ce, dans un pays où sévissait la guerre. Des
gars étaient épuisés. Des camions les ramassaient des heures après, perdus
et hagards, certains quatre jours après le lâchage dans la nature. J'avais
tellement d'ampoules à force de marcher avec les godillots à clous, que je n'ai
pas pu faire la marche des 45 kms mais j'ai fait les deux autres amuse-gueule
précédents de 15 et 30 kms.
La marche des 60 kms a été annulée tant celle des 45
kms avait fait de dégâts dans les organismes des gars.
La partie physique était agrémentée de conférences
assénées par un commandant de l'armée de l'air qui tenait des propos menaçants
et virulents à l'encontre des soldats qui seraient membres du PCA et du PCF.
Des poings se serraient sous les tables.
Un autre aspect des joies du camp de Oued-Smar : « les travaux d'intérêt commun » qui avaient toujours lieu après les exercices
harassants de la journée, le soir de préférence.
J'étais toujours dans le lot. Nous étions morts de
fatigue mais la serpette Corse prenait plaisir à s'acharner sur nous pour nous
humilier. Cet abruti désignait toujours les six ou huit plus grands et plus
petits de la compagnie qui étaient toujours les mêmes.
A l'aide d'une masse et d'une pioche, on cassait
d'énormes pierres pour ensuite les charger dans une brouette en bois dont la
roue munie d'un cerceau était déformée, ce qui rendait le transport cahoteux
plus difficile. Les brouettées de pierres étaient destinées à la
prison-bagne commandée par l'adjudant BIRR. Je portais toujours la
brouette de cailloux que je renversais souvent, ce qui m'attirait les foudres
du sergent Corse. Quand je n'en pouvais plus, un autre prenait le
relais et ainsi de suite.
Vient ensuite l'autre amuse-gueule qui précède
le "séjour" chez BIRR, appelé pompeusement "Tenue de campagne". C'était la
"pelote", une punition très brutale. La serpette Corse se régalait
après les repas du midi et du soir. Il sévissait de préférence le soir. Les
"fusillés pour l'exemple", 1/2/3/4 gus à la fois
subissaient les crises de ce sadique. Le Corse haïssait les appelés.
J'ai fait une "tenue de campagne" avec le Corse pour des
"pompes" mal faites. L'abruti, sifflet à la main ou dans sa gueule de
sadique, la cravache dans l'autre main, hurlait et humiliait sur le macadam de
la place du drapeau. Le pauvre trouffion portait la capote d'hiver, les casques
lourds et légers, la MAT49 et ses huit chargeurs de 32
cartouches et le paquetage de 40 kg. Avec tout ce barda, il fallait
courir, se coucher, ramper sur le côté, puis sur l'autre et rebelote, le
tout rythmé à coups de sifflet, de coups de lattes dans les côtes et de
vociférations de l'énergumène. On ne pouvait tenir la cadence imposée.
Nous avons eu de la chance. Ce fut encore
plus dur pour la classe précédente puisque l'enfoiré qui sévissait
tirait au pistolet, à balles réelles à quelques centimètres du
"coupable".
Officiellement, aucune jeune recrue du CI ne devait
être internée chez BIRR et pourtant, je suis quasi certain que deux
appelés séminaristes qui militaient à visage découvert contre la guerre, ont
été internés chez BIRR. Ils n'ont pas fait une semaine de classes.
Hélas, le sadique Corse n'était pas le seul à faire
subir des "tenues de campagne" aux appelés. Un caporal-chef appelé du
contingent, m'a infligé une seconde "tenue de campagne". Le
motif : il n'aimait pas les petits. J'ai refusé de subir une seconde fois le
supplice mais l'ordure a fait "mieux" puisque après les repas du
soir, des appelés en armes m'emmenaient chez BIRR à la "VILLA". C'était
début avril 1961. Retour au CI le lendemain matin, très tôt, avec les détenus
qui effectuaient le réveil musculaire cadencé au sifflet, en courant les mains
croisées sur la tête, en chantant des chants nazis. Certains compagnons de
misère portaient des traces de sévices infligés par BIRR et son chien de
garde, à coups de manches de pioche. La seule évocation des noms de BIRR
et de la "VILLA" terrifiaient les bidasses. Plusieurs
fois par jour était effectué sous les coups de ceinturon, côté boucle, le
ramping sous les barbelés, déchirant les fringues.
Pour un défaut de cravate, BIRR ramassait les gars et
les internait. Si un soldat trop amoché était conduit à l'infirmerie, il
était toujours accompagné d'un appelé en arme.
Le tortionnaire BIRR était secondé par un sergent
de carrière, un colosse, son chien de garde qui s'est retrouvé chef de taule
pour avoir réussi à mettre une raclée à BIRR dont le sadisme allait jusqu'à
obliger des détenus appelés du contingent de droit commun, à tabasser l'un des
leurs. Les coups de manche de pioche étaient assénés par le chien de garde
selon son humeur. BIRR était surnommé le SS sur la BA149.
Les nuits étaient fraiches. BIRR aimait faire
irruption en pleine nuit. Le tyran obligeait les détenus à rester dehors, nus,
humiliés, leur linge plié sur les bras. BIRR choisissait un homme au hasard et
jetait son linge à terre puis l'obligeait à le ramasser. Le linge était
forcément sale. Le pervers entrait alors dans une violente colère et infligeait
au pauvre bougre, devant ses camarades d'infortune une terrible raclée.
Certains détenus blessés devaient consulter le médecin à l'infirmerie.
A ma connaissance, jamais un médecin militaire de la
BA149 n'est intervenu pour protester et dénoncer les sévices
perpétrés à la sinistre prison-bagne de Oued-Smar, qui était pourtant partie
intégrante de l'immense BA149.
Le colonel Langlois, commandant de la BA149 ne
pouvait ignorer le calvaire subi par les gus internés. Ce colonel
a eu une attitude douteuse lors du putsch des généraux félons, en avril 1961.
La jeunesse d'aujourd'hui n'a pas connaissance des
pratiques avilissantes et dégradantes subies par des soldats, la plupart
des appelés, infligées par des brutes gradées portant l'uniforme de l'armée
française.
Avec le recul des ans, je me demande parfois comment
un peuple qui a tant souffert de la barbarie nazie peut avoir des
fils qui revendiquent cette violence fasciste?
ATTITUDE
DES SOLDATS DU CI DE OUED-SMAR LORS DU PUTSCH DES GÉNÉRAUX FÉLONS EN AVRIL 1961
Je précise que notre CI était disciplinaire. Je
n'avais pas 20 ans.
Le putsch s'est déclenché dans la
nuit du vendredi 21 au samedi 22 avril 1961.
Bien qu'habitués au réveil matinal, nous avons
brusquement été réveillés par des bruits insolites de véhicules
chenillés. Notre camp était investi de blindés légers de la légion
étrangère, les fantassins au béret vert, armés jusqu'aux dents, étaient
déployés en tirailleurs. Nous ne comprenions pas ce qui se passait. L'écoute de
radio Alger sur les transistors ne nous donnait à entendre que de la musique
militaire.
Les treize pied-noirs de notre compagnie ne cachaient
pas leur joie alors que nous les métropolitains, nous ne partagions pas
leur exubérance. On se méfiait donc des treize pied-noirs que nous savions
acquis aux généraux putschistes.
Curieusement, du lieutenant MERVIEL à la serpette
Corse, les engagés s'étaient tous volatilisés. Nous n'avions plus de chefs.
Entre appelés, les discussions étaient incessantes et animées. Nous étions tous
d'accord et refusions de suivre les généraux félons mais, que faire? Comment
procéder pour marquer notre opposition à ces traitres. Le travail au corps
des militants des jeunesses communistes, en direction des appelés moins politisés,
fut intense. Sur toute la compagnie, à l'exception des treize pieds-noirs,
seul un métropolitain qui professait des idées extrémistes favorables aux
séditieux, tentait d'entrainer les gars avec les factieux. Nous l'avons isolé.
Nous les appelés, nous étions tous favorables au refus
de tout travail et de tout ordre des chefs. La situation était
incontrôlable et dangereuse puisque nous ne savions pas ce qui se
passait dans les autres unités, les factieux s'étant rendus maitre de tous
les médias. Les mercenaires au béret vert de la légion étrangère
trainaient alentours. J'ajoute que les bérets noirs des commandos de l'air
parachutistes étaient avec le 1er REP le fer de lance des putschistes.
Dans l'après-midi de ce 22 avril
1961, trois anciens de la
BA149 sont venus dans nos piaules pour discuter avec nous de la situation sur
la base. Ils nous ont dit que tous les appelés de la BA149 et tous les marins
de l'aéronavale étaient en grève. Les trois anciens nous ont demandé de nous
joindre à eux. Sans aucune hésitation, nous avons accepté.
En fin d'après-midi de ce samedi 22
avril 1961, le colonel LANGLOIS,
commandant la BA149 est venu dans nos baraques, flanqué de la serpette
Corse, la cravache à la main. Le Corse a gueulé : "A vos rangs,
fixe!". Personne n'a bougé. Le faux-cul de colonel LANGLOIS, a essayé
de bredouiller qu'il ne fallait pas suivre les anciens alors que nous
refusions tout travail et obéissance à nos supérieurs. Un camarade soldat a
demandé à LANGLOIS de se positionner contre les factieux. LANGLOIS ne l'a
pas fait et n'a pas condamné les félons. LANGLOIS et son chien de garde
Corse ont piteusement rebroussé chemin.
Dimanche 23 avril 1961 au soir :
De Gaulle s'est exprimé à la télévision.
Il a demandé de mettre les généraux félons en échec.
Je précise pour l'avoir moi-même vécu,
que nous n'avons pas attendu après De Gaulle pour nous opposer par le refus
d'obéissance aux généraux putschistes.
Lundi 24 avril 1961 : Les
soldats des bases aériennes de Maison-Blanche et de Blida manifestent leur
opposition aux factieux par une vive résistance. A Maison-Blanche, l'Internationale est
chantée par les soldats. Toujours à Maison-Blanche, les soldats de
l'aéronavale et de l'aviation sont toujours en grève. Les mécaniciens
avions " sabotent " volontairement les appareils en enlevant
une pièce maitresse par crainte que les factieux ne forcent les
pilotes à utiliser les avions à des fins séditieuses. Les personnels
navigants (P.N.) ont capté la longueur d'onde des véhicules de la légion étrangère.
Ils ont émis un faux message, leur ordonnant de se diriger sur Alger. Ce
subterfuge, pour éloigner la légion, leur faisait croire à un débarquement de
fusiliers-marins, en provenance d'Hyères-Palivestre et qui devait les
encercler.
Mardi 25 avril 1961 : Des
Nordatlas 2501 décollent de pistes différentes pour la métropole, bondés
de bidasses. Grâce à cette action habile, les pilotes ont privé
les putschistes d'un important moyen de transport aérien. L'un des avions s'est
" crashé " en bout de piste sans gravité pour les gus,
qui étaient nombreux pour un baptême de l'air improvisé. Nous étions sur la
base où nous y avons vu des scènes incroyables, telle cette jeep qui
roulait à l'aveuglette car une grappe humaine y était accrochée. Il y avait
même des bidasses sur le capot. Il s'agissait de malades et
de blessés légers en pyjamas, qui étaient sortis d'eux-mêmes de l'infirmerie.
Ils brandissaient et agitaient des drapeaux tricolores. Des sous-officiers
sillonnaient la base en voitures civiles, avec des drapeaux à croix de
Lorraine, en criant ' Vive De Gaulle !".
Autre fait marquant de ce mardi 25 avril
1961 : Les bérets verts de la légion étrangère
rappliquent pour boucler le parking sur lequel nous nous trouvions. Les
officiers furieux hurlaient leurs ordres en allemand. Parmi ces allemands, il y
avait d'anciens S.S. Je revois encore ces pilotes de l'armée
de l'air, regardant comme nous, la scène. Un capitaine pilote s'est écrié :
" Nous sommes " faits aux pattes ", alors qu'en
même temps les légionnaires, ces mercenaires se ruaient sur les pilotes, sans
ménagements, à coups de crosses dans les côtes. Cela se passait à
quelques pas de nous. Les carottes étaient déjà cuites pour les factieux.
Si ma mémoire ne me trahit pas, c'est le matin du mardi 25 avril 1961 que
le lieutenant Merviel est revenu parmi nous. Il a rassemblé la compagnie sur la
place du drapeau. Il venait faire ses adieux aux gus du CI.
Visiblement très ému et fier de ses bleus, il nous a demandé s'il
pouvait compter sur nous. " Que les volontaires sortent du rang en
avançant d'un pas !". Toute la compagnie a avancé, à l'exception de
l'extrémiste de droite métropolitain. Le lieutenant Merviel avait les larmes
aux yeux. Nous aussi. Il nous a remerciés individuellement en passant dans les
rangs pour serrer la main et dire quelques mots de sympathie à chacun d'entre
nous. Lorsqu'il est arrivé près de moi, la main franchement tendue, j'ai
vu dans ses yeux une intense émotion. Il m'a dit : " Toi aussi, petit
Tourtaux, tu es volontaire "? Il a ajouté : " Nous nous
reverrons". Je ne l'ai jamais revu.
Communiste, j'étais fiché. Il savait que j'étais
marqué à l'encre rouge.
En contribuant à la mise en échec des généraux
factieux, nous avons fait notre devoir, voilà tout. Ce fut la seule fois où je
fus volontaire en Algérie.
Le mercredi 26 avril 1961, le
C.I. étant terminé, c'est dans l'après-midi qu'avec une petite quinzaine
de gus, je suis muté dans notre nouvelle
affectation, l'ETR805, à Mouzaïaville.
Parmi les occupants du GMC, trois ou quatre pied-noirs
qui ont soutenu les généraux factieux.
Mouzaïaville est située dans la Mitidja, près de
Blida et des gorges de La Chiffa, un des hauts lieux de la Résistance
algérienne à l'occupation coloniale française.
Notre GMC s'est arrêté à une intersection de routes
pour laisser passer une importante colonne militaire qui n'était autre que le
1er REP (Régiment étranger parachutiste), fer de lance des séditieux. Les
mercenaires du 1er REP qui étaient en fuite chantaient la chanson d'Edith
Piaf " Non, rien de rien, non, je ne regrette rien ".
Lors du passage du dernier véhicule de
cette troupe d'élite, fer de lance des généraux putschistes, les mercenaires au
béret vert ont tiré plusieurs rafales de MAT49 dans notre
direction. Personne ne fut touché dans le GMC.
Ainsi, les généraux félons Salan,
Challe, Jouhaux et Zeller, des officiers de haut rang, parmi les plus décorés
de l'armée française, ont tourné leurs armes contre la République qu'ils
avaient pour mission de défendre. Des mercenaires légionnaires, portant
l'uniforme de l'armée française ont tiré sur des soldats de conscription,
portant aussi l'uniforme de l'armée française.
C'est l'action des appelés qui a fait
échouer le plan des ultras colonialistes.
Mouzaïaville (Mitidja) : En fin d'après-midi du 26 avril 1961, arrivée à la Base Ecole de Transmissions, l'ETR805, à Mouzaïaville.
Mouzaïaville (Mitidja) : En fin d'après-midi du 26 avril 1961, arrivée à la Base Ecole de Transmissions, l'ETR805, à Mouzaïaville.
Les quelques appelés en provenance de Oued-Smar sont
mis à l'écart. A l'appel de mon nom, un gradé m'a isolé des autres soldats puis
emmené au bureau. L'accueil du gratte-papier fut glacial, il me dit :
"tu es repéré comme communiste, t'as intérêt à ne pas faire le
malin".
L'insécurité était permanente à Mouzaïaville.
Des gus pas rassurés partaient en patrouille la MAT49
armée. A plusieurs reprises, des rafales sont parties, semant la
panique au sein des patrouilles. Par chance, pas de blessés à déplorer
mais la répression était terrible contre les fautifs.
Des sous-officiers de carrière cherchaient à
choper l'arme de bidasses de garde endormis pendant
leur faction dans le mirador.
Lors des multiples sorties où je ne voulais pas
tuer de pauvres gens, j'ai toujours eu la baraka. Je redoutais surtout la SIR
(Section d’Intervention Rapide) où nous allions en renfort à la S.P.,
l'équivalent à Mouzaïa d'un commando de chasse, une section de tueurs, ais-je
appris des années après.
Lors des gardes-fermes uniquement de nuit, nous
n'étions que sept soldats avec un FM à la ferme Féréol, une ordure qui
n'aimais pas les appelés, qui a failli me faire retourner chez BIRR, à
Oued-Smar parce que j'avais pris une noix sur l'arbre. Cette ordure
aurait été butée par l'ALN.
Nous n'étions que trois pauvres bougres à la
ferme Cleyne, ce pied-noir nous fichait la paix.
Les fermes étaient souvent harcelées mais on ne tirait
jamais la fusée rouge pour que la S.P sorte et risque
de tomber en embuscade. Par contre, très souvent, dans les fermes
alentours gardées par des biffins, beaucoup plus nombreux que
nous dans les fermes, les gars lançaient la fusée rouge faisant courir le
risque à d'autres soldats d'être pris en embuscade.
Dans ce secteur chaud où l'ALN était très active, il
n'y avait pas de planqués à l'ETR805. Il n'y avait pas assez de bonhommes, d'où
la fréquence rapprochée des sorties et garde-fermes qui revenaient au mieux
tous les trois jours.
A Mouzaïa, lorsqu'un gars de la S.P. passait
libérable, c'est-à dire à 100 jours de la"quille", systématiquement,
il refusait de sortir en mission. Ces gars qui avaient de longs mois
durant crapahuté, ne voulaient pas se faire tuer à si peu " au
jus ".
Dans ce secteur, quasiment tous les
jours, ça accrochait dans les gorges de La Chiffa, confirmé par mon camarade
Henri Alleg, dans son ouvrage, " Prisonniers de guerre ", page 17.
Près de notre camp, il y avait un
sinistre et miséreux Camp de regroupement.
Quelques dates :
Nuit du 13/14 juillet 1961 : De
garde avec deux camarades à la ferme Cleyne, je me suis assoupi pendant ma
faction. C'est l'escorte de la S.P qui était très en retard, à cause de
poteaux téléphoniques abattus sur la route, qui nous a réveillés. Ce jour-là,
j'ai encore eu la baraka. Si l'escorte avait été commandée par un pied-noir, j'étais
bon pour retourner au bagne de Oued-Smar ou à Tinfouchi.
30 juillet 1961 : Mon
seul quartier libre à Mouzaïaville est gravé dans ma mémoire. Avec deux
camarades, nous attendions le train pour Blida où nous voulions aller.
Il n'est pas arrivé. Il avait sauté sur un 105 piégé. Nous avons pris un
vieux bus dont les voyageurs nous étaient visiblement hostiles
puis, arrivée à Blida, où les ennuis ont commencé. Nous avons failli
nous faire tuer à coups de pierres.
6 septembre 1961 : Un
commando de l'ALN tue deux pied-noirs. Le fils blessé réussit à alerter la S.P.
où j'étais de S.I.R. ce jour-là. Six soldats commandés par un pied-noir
sont sortis avec le half-track, équipé d'une mitrailleuse 12,7.
Trois hommes couraient. L'un d'eux fut tué sur le
coup par un tireur d'élite au MAS49 et les deux autres blessés, ont
été achevés par le pied-noir et trois ou quatre appelés. Pour le retour au
camp du half-track, une des victimes était juchée sur la 12,7 et les deux
autres dans le half-track. Lors de la traversée de la rue principale, ovation
des pied-noirs exubérants criant " bravo l'aviation !".
A l'arrivée au camp, des gendarmes attendaient, en
treillis de combat encore dans les plis, qui n'avaient visiblement jamais
servi. Tels des conquérants, ils ont ouvert l'arrière du
half-track en vociférant après les gars qui ne déscendaient pas assez
vite alors que des jeunes gens gisaient sans vie dans le half-track.
Tels des sauvages, les gendarmes tiraient les corps des victimes par les
cheveux, les jetant à terre. L'un des gendarmes a perdu de sa superbe. Il
venait de mettre sa main dans la cervelle éclatée d'une des victimes qui furent
jetées dans une baraque appelée l'abattoir. Les trois algériens avaient environ
notre âge.
7 septembre 1961 : 80
personnes de la population mâle, comme disaient les chefs, ont été raflés et
emmenés de force à la baraque où ils ont été contraints de passer lentement
devant les trois victimes. Parmi les 80 raflés, 14 (?)personnes, dont de
jeunes garçons de 13/14 ans, n'avaient pas de pièce d'identité.
Jusque très tard dans la nuit, de notre baraque, nous
avons entendu des cris inaudibles, comme des bêtes que l'on égorge. C'était
insoutenable. Nous n'avons pas vu mais nous avons compris que les sans-papiers,
dont les enfants ont été torturés à mort.
Après quelques jours d'exposition à l'abattoir, les
trois corps des jeunes gens abattus par la S.P. auraient été jetés dans la
benne à ordures et conduits à la décharge publique. Selon des anciens, cette
pratique était fréquente à Mouzaïa.
12 septembre 1961 : - 22h - En
patrouille dans Mouzaïaville, explosion due à un plasticage de l'O.A.S. Trois
algériens sont grièvement blessés. L'un d'eux agonise, la poitrine transpercée
par un morceau de bois. Lors de l'explosion, j'ai reçu un choc à la tête.
L'arcade sourcilière était ouverte et saignait abondamment. J'ai « tourné
de l'œil » et "atterri" à l'infirmerie où j'ai été recousu et
renvoyé à ma piaule.
A Mouzaïaville, avec deux autres appelés communistes, nous avions
fait le choix de militer clandestinement au
sein de notre unité contre la guerre. Choix très dangereux d'autant que dans ce
secteur, l'A.L.N. était très active. Nous faisions de petits papillons
" Paix en Algérie ". On se planquait derrière les moustiquaires
des fillods pendant l'appel du courrier par le vaguemestre. Mon voisin de
chambrée à qui nous n'avions rien dit, a répondu "présent" à notre
place et a ramené le courrier. Ne voulant pas lui faire courir de
risques, il n'était pas au courant mais se doutait, nous avons fait nos
papillons un jour sur deux, puis sur trois. Pas vu, pas pris. Nous avons décidé
d'écrire de petits textes sur nos papillons, tels que : " Paix en Algérie
- NON à cette guerre imbécile et sans issue - que l'on signait : Des
appelés communistes ! (le tout écrit en script).
Tout a une fin - J'ai été dénoncé et immédiatement
embarqué en GMC et conduit en avion sous escorte en armes, vers une destination
inconnue.
Vu mes antécédants, refus à deux reprises de me
présenter aux conseils de révision, j'étais déjà dans le collimateur des chefs
avant mon départ pour le service militaire. A Mouzaïaville, où le peloton
de caporal était obligatoire et durait un mois, j'ai été éjecté au bout de 15
jours. Un gradé m'a dit que l'armée ne savait plus où me mettre. J'ai réalisé
soudain les risques encourus. Reclassé " sans spécialité ", donc
" bon à rien ", les risques étaient accrus pour moi.
Une anecdote sur Mouzaïaville qui m'a
marquée et dont je souhaiterais retrouver la ou des personnes présentes lors
des faits.
C'était pendant l'été 1961. Nous étions au réfectoire
qui ne l'était que de nom. Des ouvriers algériens qui travaillaient à la
construction d'un mur, étaient commandés par un pied-noir qui les traitait plus
bas que terre. Je bouillais intérieurement. Lorsque je suis
arrivé avec mon plateau près d'un homme plus très jeune en burnous, je lui
ai dit à l'oreille : " Vous ne pouvez pas le descendre?". Deux ou
trois jours plus tard, les ouvriers algériens étaient toujours là mais pas le
chef pied-noir qui les insultait. L'algérien qui m'avait reconnu, s'est
approché et m'a dit à l'oreille : " L'A.L.N. l'a tué ".
A Mouzaïaville, j'étais souvent désigné
" volontaire d'office ". J'ai en mémoire l'Aller-Retour
Mouzaïaville-El Affroun. Ce jour-là, j'ai vraiment craint pour ma vie.
SMU de
la BAO 211 de TELERGMA (CONSTANTINOIS)
Vers la mi-septembre 1961, suite à dénonciation, j'ai
été embarqué en avion pour une nouvelle affectation, la SMU44/211, commandée
par le capitaine Nantille, un caractériel qui piquait de sacrées colères
et qui était bègue. L'homme était un baroudeur. Légion d'honneur au
feu, en Indochine. Nantille était secondé par l'adjudant-chef Jeanjacquot,
médaille militaire au feu, en Indochine. C'était un ivrogne, plus
bête que méchant.
J'étais la bête noire de Nantille. J'étais son sale
communiste. La SMU (soute à munitions) était réputée être la section
disciplinaire de la base tant les tâches étaient pénibles et dangereuses.
J'insiste sur un point : jamais l'armée n'a admise ni
reconnue l'existence d'unités disciplinaires et de bagnes militaires.
A deux reprises, Nantille m'a envoyé à l'infirmerie
d'où je suis ressorti "certifié artificier", m'a-t-on dit alors que
je n'y connaissais rien. En réalité, l'armée s'est empressée de
"régulariser" , via le médical, de se dédouaner d'un
éventuel accident de santé.
Le travail en soute consistait à charger et décharger
à longueurs de journées des caisses de munitions et à manipuler des roquettes
et des bombes pesant de 100 à 1000 livres. Nous redoutions les bombes
anglaises striées, à fragmentation de 220 livres qui pouvaient
exploser au moindre petit choc.
Nous devions souvent trimer de longues
journées avant d'avoir un repos.
Nous fabriquions le terrifiant napalm, camouflé sous l'appellation "bidons spéciaux".
Nantille me faisait participer aux dangereux exercices
de tir avions avec d'ex-commandos de l'air dissous parce qu'ils avaient
activement participé au putsch des généraux félons, en avril 1961. Les
avions de chasse T28 et les Corsairs de l'aéronavale s'exerçaient au tir
sur des cibles que nous avions fixées sur de rochers dans le djebel. Après
chaque passage de vagues d'avions, on courrait coller des macarons sur les
impacts de balles. Il ne fallait pas lambiner, les avions revenaient vite et
pouvaient nous descendre. On se planquait derrière des rochers. Des éclats
giclaient tous azimuts.
Autre exemple de répression feutrée à
l'armée
A quatre reprises dont une de nuit, j'ai sciemment été
envoyé en patrouilles sans munitions. A nos protestations, un gradé vociférait
: "c'est ça ou le rabiot à la "quille"; y a pas de risques, le
Cessez-le-Feu est proche".
Il faut avoir vécu de tels moments pour savoir ce
qu'est la peur. A chacune de ces patrouilles, j'ai craint directement pour ma
vie.
Autre exemple de brimade déguisée
Après d'harassantes journées en SMU, je
retournais en soute pour tenir seul et de nuit des permanences en vue
de démarrer le groupe électrogène en cas de grève des électriciens
ordonnées par la criminelle O.A.S. J'étais un briseur de grèves qui n'était pas
mécontent de casser celle de la terroriste O.A.S. J'insiste sur le fait que
j’ai tenu ces permanences SEUL, de nuit, avec une mitraillette
MAT49, durant de nombreuses nuits, avant et après le Cessez-le-Feu.
Un attentat O.A.S. déjoué le vendredi 13
avril 1962
Alors qu'avec deux camarades de la SMU,
nous allions chercher une bombe de 1000 livres pour la faire rouler
dans un wagon dont le chargement était destiné à la métropole, nous
avons découvert un pain de plastic posé sur une bombe. A la vue du plastic, les
visages sont devenus livides avec d'énormes gouttes de sueur. La peur était
indescriptible. Le colonel, une peau de vache qui n'aimait pas les appelés,
nous a convoqués dans son bureau, nous a félicité et c'est tout. Nous ne
saurons jamais s'il a été honoré grâce aux trois pauvres bougres qui ont évité
un carnage car les bombes qui étaient stockées sur un quai et les wagons en attente
de chargement, se trouvaient en plein coeur de la base où stationnaient des
centaines de soldats.
15 août 1962, journée de repos mémorable
à Philippeville. Du jamais vu pour moi en 18 mois d'armée.
Les "Centres de repos"
En octobre 1962, la guerre était finie. L'Algérie, au
prix du sang de ses filles et fils du peuple, venait d'arracher son
Indépendance.
J'ai été "choisi" pour aller en "Centre
de repos" ainsi que d'autres soldats, nous étions une
douzaine d'appelés, parmi les plus anciens, ayant vécus de durs moments durant
de longs mois, tous affectés dans le Constantinois.
Nous avons pensé que les autorités militaires
espéraient ainsi gommer, camoufler les incontestables réalités vécues par les
12 bidasses. Pourquoi cette douceur soudaine?
Cette "tendresse" à notre égard, ne m'a pas
fait oublier ma condition de soldat rebelle brimé.
LES
TERRIBLES SEQUELLES ENGENDREES PAR LA GUERRE D'ALGERIE NOTAMMENT SUR LES
SOLDATS REBELLES QUI SOUTENAIENT A LEUR MANIERE LA LUTTE DU PEUPLE ALGERIEN
Je voudrais en quelques mots attirer l'attention sur
un sujet encore tabou pour les autorités françaises concernant les soldats qui
ne voulaient pas être complices ou tuer de pauvres gens. Je veux brièvement
évoquer le sujet douloureux des traumatismes de guerres.
Les successifs gouvernements de la France refusent de
reconnaitre leur responsabilité dans cette guerre. Tous s'esquivent en niant
les souffrances physiques et morales subies par les centaines de milliers
d'appelés qu'ils ont jetés dans la guerre.
La négation des souffrances endurées
lors de cette guerre est un facteur démultiplicateur et aggravant, provocant de
nouvelles souffrances encore aiguës chez la victime.
Les sévices infligés et subis en
Algérie pendant la guerre qui constituent des violations massives,
particulièrement graves et illégales des droits fondamentaux pendant
cette période ne peuvent être considérées comme des conditions
"normales" ou comme procédant "des conditions générales"
d'un conflit armé.
Il est établi que j'ai été comme
tel, victime de mauvais traitements et sévices spécifiques, ayant
présenté des témoignages précis et circonstanciés qui établissent sans
contexte la véracité de mes dires.
Ces faits constituent, contrairement à
ce que soutiennent le Conseil d'Etat et la Cour Régionale, des
circonstances particulières dont je me suis trouvé personnellement atteint,
comme victime directe ou comme témoin. Il convient d'estimer que par leur refus
de reconnaitre les traumatismes subis, les autorités françaises semblent
souhaiter toujours me faire payer mon opposition résolue à la Guerre d'Algérie.
Il est tout à fait vraisemblable que les
responsables de la tenue des JMO (Journaux de Marche et Opérations), n'aient pas
consigné les sévices, tortures, exécutions, violences envers les appelés et
autres actions totalement illégales qui ont été perpétrées à cette
époque.