lundi 5 juin 2017

Daech et la puanteur de la mort en Occident

Quand Daech ajoute des victimes à sa tragique litanie d’attaques par des « loups solitaires » et/ou des « réseaux » – à Manchester, Paris, Londres, Nice, Berlin – l’Occident fulmine contre ces « perdants maléfiques » (copyright Donald Trump).
Quand la formidable machine militaire de l’Occident ajoute des victimes à sa tragique litanie de « dommages collatéraux » – à travers la Libye, le Yémen, la Somalie, les zones tribales du Pakistan – le silence règne. Pas de nom de victimes musulmanes à la Une.
Quand les forces par procuration de l’OTAN-CCG ajoutent des victimes à leur litanie de massacres prémédités – à travers la Syrie, l’Irak – les responsables sont excusés, parce que ce sont « nos » rebelles « modérés » et des « combattants de la liberté ».
Cette logique perverse, inexorable, ne changera pas. Au contraire, s’y est ajouté un déni de réalité supplémentaire, quand le président Trump a déclaré à un monde effaré, via son rédacteur de discours, l’islamophobe Stephen Miller, que tout est de la faute de l’Iran.
Trump a émis cette profession de foi en prêtant serment sur un globe terrestre lumineux niché à Riyad, la matrice de toutes les formes de terrorisme wahhabite ou salafiste.
Et il a émis cette profession de foi juste après avoir vendu un nouveau stock d’armes, pour plusieurs milliards de dollars, à la clinquante maison théocratique totalitaire des Saoud.
Ces armes seront utilisées par la maison des Saoud pour effacer le Yémen de la carte ; aggraver une guerre fratricide entre sunnites et chiites sur tous les fronts possibles, et donner un pouvoir de nuisance accru aux « combattants de la liberté » en Syrie.
Il n’est jamais superflu de répéter, encore et encore, que Daech et la maison des Saoud sont les deux faces cadavériques de la même pièce, frappée de la même tête de gorgone ; une théocratie totalitaire à imposer nolens volens, y compris par le djihad.
Les « élites » et l’État profond des USA, aussi bien que du Royaume-Uni, ne l’admettront jamais. Tant de contrats de ventes d’armes, en si peu de temps.
Et qui, dans le monde occidental, paie au prix du sang la dépravation de ce cercle vicieux ?
Des jeunes filles à Manchester. Pour citer tristement Morissey et Marr, des Smiths, au sommet de leur gloire : « Des landes fraîchement fleuries de lilas/ne peuvent pas cacher la puanteur de la mort ».

Le califat déterritorialisé

Les stratèges de Daech se moquent éperdument du globe terrestre lumineux – le centre de contre-information – de Riyad (et la maison des Saoud aussi, au passage). Terrés dans une salle d’attente du désert du « Syrak », impatients de recevoir leur tout nouveau matériel américain – appelons ça le tunnel clandestin saoudien – ils ont imaginé de nouvelles tactiques.
Que ce soit à Mossoul ou Raqqa, Daech n’est pas resté oisif à attendre son extermination. Protégés par des tribus locales loyales et pieuses, des ingénieurs expérimentés et des techniciens ont été envoyés au milieu de nulle part, dans le désert qui s’étend à travers le « Syrak ».
La stratégie a été mise au point à Sirte, en Libye, dans les montagnes du Sinaï, et aujourd’hui dans le « Syrak ». Parce que le champ de bataille privilégié, aujourd’hui, est la terre infidèle d’Europe.
Sur le front occidental, Daech peut compter sur des myriades de résidents de l’UE prêts à se muer en djihadistes, radicalisés sur Internet, et à travers un réseau de mosquées et de madrassas financées par les habituels riches et généreux donateurs du Conseil de coopération du Golfe.
L’auteur de l’attentat de Manchester présente un sacré profil : né au Royaume-Uni, d’ascendance libyenne, avec une connexion indirecte (des supposés voyages secrets en Libye) avec l’acheminement clandestin du Takfiristan Libye-Syrie approuvé en son temps par Hillary Clinton. La connexion implique un passage d’al-Qaïda à Daech, parce que la route clandestine originelle était le fait du Groupe islamique combattant en Libye (GICL), une entité affiliée à al-Qaïda et totalement soutenue par Washington et Londres [1].

Et ensuite, Daech peut compter sur les spécialistes qui dirigent en arrière-plan.

Toutes les agences de renseignements occidentales avaient prévu qu’il y aurait quelque chose comme un total de 6.000 djihadistes tués en Libye à cette étape. En fait, pas vraiment ; seulement quelques centaines. C’est la conséquence d’une retraite organisée – qui a libéré Daech et lui a permis de mener des missions de recherche et de destruction ciblées ; de la guérilla du désert. À mesure de l’avancée de la guerre civile en Libye, Daech trouvera des moyens sûrs de transférer de nouvelles vagues de djihadistes expérimentés à travers la Méditerranée.
Ceux qui ont été abandonnés à leur sort à Mossoul posent un problème différent. Des documents trouvés dans l’université de Mossoul détaillent un programme artisanal de production d’armes chimiques, développé sur place, y compris avec des expériences sur des prisonniers. Pour conduire de telles expériences, il faut des spécialistes – dont nombre peuvent être occidentaux. Où sont-ils ? Ils ont été transférés vers le milieu de nulle part, dans le désert du « Syrak », entre Deir ez-Zor et al-Qaïm. [2]
La propagande reste omniprésente. La dernière vidéo de Daech, sortie la semaine dernière, montre des djihadistes occidentaux, y compris un Américain, Abou Hamza al-Amriki. Ils en appellent à la vengeance après que des « femmes et des enfants aient été tués par des bombardements sauvages américains ». Ainsi, selon leur logique, il est « juste » de tuer des civils occidentaux – y compris des filles de Manchester.
La vidéo montre aussi du nouveau matériel artisanal de Daech fabriqué dans la région de Mossoul – depuis les drones jusqu’à des lance-roquettes faits maison.
Ainsi, stratégiquement, Daech s’adapte vite à un nouveau champ de bataille ; tout est dorénavant une question de combattre les missiles et les bombes au phosphore des « croisés », par des vagues de plus en plus importantes d’attentats-suicides menés par des terroristes isolés.
Daech peut bien avoir été expulsé, ou être en voie d’expulsion, de Falloujah, Sirte, Mossoul et Raqqa. Arrive le califat déterritorialisé ; des cellules fantômes dans des zones désertiques au long de l’Euphrate, dans le désert libyen, dans les montagnes du Sinaï.
Cela va beaucoup plus loin qu’une bataille de Mossoul ou qu’une bataille à Raqqa.
Cela va beaucoup plus loin qu’une politique de Flingues-contre-Dollars menée par l’administration Trump au profit d’un complexe militaro-industriel avide de dollars.
Cela va beaucoup plus loin qu’un Trump ignare à un point létal, qui croit qu’un « OTAN arabe » sunnite composé de despotes du pétrodollar obsédés par la destruction de l’Iran chiite – et de leurs alliés – est destiné à ouvrir la voie à la « paix » entre les Arabes et Israël. [3]
 
Daech se moque de toutes ces nuances géopolitiques. Les fils prodigues du djihadisme salafiste-wahhabite sont aujourd’hui des morts-vivants déterritorialisés. Pour une habile répartition des tâches, c’est une habile répartition des tâches ; pendant que leurs progéniteurs se goinfrent d’armes américaines, leur mission d’extension de la puanteur de la mort se développe à travers l’Occident.
Pepe Escobar
Traduction entelekheia.fr