La campagne de propagande américaine
contre l’Iran tente d’établir un lien entre ce pays et al-Qaïda, en partie par
l’exploitation d’un document récemment publié, mais une lecture attentive de
celui-ci montre une histoire très différente, estime Gareth Porter de l’American Conservative.
Depuis de nombreuses années, d’importantes institutions américaines, du
Pentagone jusqu’à la Commission sur les attentats du 11 septembre, cherchent à
imposer une histoire selon laquelle l’Iran a secrètement coopéré avec al-Qaïda,
avant et après ces attentats terroristes. Mais les preuves de ces allégations
sont restées secrètes ou incomplètes, et toujours très discutables.
Début novembre, les médias grand public ont toutefois prétendu avoir dégoté
leur « pièce à conviction » un document de la CIA rédigé par
un responsable non identifié d’al-Qaïda, rendu public avec 47.000 documents
inédits saisis chez Oussama ben Laden à Abbottabad, au Pakistan.
L’Associated
Press a
annoncé que le document d’al-Qaïda « semble confirmer les
affirmations des États-Unis selon lesquelles l’Iran a soutenu le réseau
extrémiste avant les attentats terroristes du 11 septembre ». Selon le Wall Street Journal, le document « fournit
de nouvelles informations sur les relations d’al-Qaïda avec l’Iran, suggérant
une alliance pragmatique née de leur haine commune pour les États-Unis et
l’Arabie saoudite ».
NBC News écrit que le document révèle « qu’à
divers moments de la relation (…) l’Iran a offert à al-Qaïda une aide sous
forme d’argent, d’armes et de formation dans les camps du Hezbollah, au Liban,
en échange d’attaques contre des intérêts américains dans le Golfe »,
ce qui semble impliquer qu’al-Qaïda a décliné l’offre.
L’ancien
porte-parole du Conseil national de sécurité d’Obama, Ned Price, écrivant pour The
Atlantic, va encore plus loin, en affirmant que le document comprend un compte rendu « d’accord
avec les autorités iraniennes pour accueillir et former des membres saoudiens
d’al-Qaïda aussi longtemps qu’ils acceptaient de comploter contre leur ennemi
commun, les intérêts américains dans la région du Golfe ».
Mais aucun
de ces articles n’est basé sur une lecture attentive du contenu du document. Ce
document de 19 pages, rédigé en arabe, a été entièrement traduit pour The
American Conservative, et ne corrobore pas du tout le récit des médias sur
une coopération Iran–al-Qaida, que ce soit avant ou après le 11 septembre.
Il ne
fournit aucune preuve d’assistance matérielle iranienne à al-Qaïda. Au
contraire, il confirme des suspicions antérieures selon lesquelles les
autorités iraniennes avaient rapidement arrêté les agents d’al-Qaïda vivant
dans le pays, pendant qu’elles étaient encore en mesure de les retrouver, et
les ont maintenus à l’isolement pour empêcher tout contact ultérieur avec des
unités d’al-Qaïda hors d’Iran.
Pris par surprise
Ce que
montre ce document, c’est que les agents d’al-Qaïda ont été amenés à croire que
l’Iran était favorable à leur cause et ont été tout à fait surpris lorsqu’ils
ont été arrêtés, en deux vagues successives, fin 2002. Il suggère que l’Iran
les a manipulés en cherchant à gagner leur confiance pour mieux recueillir des
renseignements sur la présence d’al-Qaïda en Iran.
Néanmoins,
ce compte rendu, qui semble avoir été écrit en 2007 par un cadre d’al-Qaïda de
niveau intermédiaire, semble étayer un récit sur les affaires internes du
groupe terroriste disant que celui-ci avait rejeté les flatteries iraniennes et
était méfiant à l’égard de ce qu’il considérait comme un manque de fiabilité de
la part des Iraniens. L’auteur affirme que les Iraniens ont offert, aux membres
saoudiens d’al-Qaïda qui étaient entrés dans le pays, « de l’argent et
des armes, tout ce dont ils avaient besoin, et de la formation avec le
Hezbollah en échange d’attaques contre les intérêts américains en Arabie
saoudite et dans le Golfe ».
Mais en
réalité, on ne sait pas si des armes ou de l’argent iraniens ont été remis aux
combattants d’al-Qaïda. Et l’auteur reconnaît que les Saoudiens en question
faisaient partie de ceux qui ont été expulsés lors des arrestations à grande
échelle, ce qui met en doute l’existence d’un accord.
L’auteur
suggère qu’al-Qaïda rejette l’aide iranienne par principe. « On
n’en a pas besoin, insiste-t-il. Grâce à Dieu, nous pouvons nous en
passer, et rien que du mal peut venir d’eux. »
Ce thème est
évidemment important pour maintenir l’identité et le moral organisationnels.
Mais plus loin dans le document, l’auteur exprime une profonde amertume au
sujet du double jeu iranien en 2002 et 2003.
« Ils
sont toujours prêts à jouer la comédie, écrit-il au sujet des Iraniens. Leur religion est
le mensonge et le silence. Et ils montrent souvent le contraire de ce qu’ils
ont en tête… C’est héréditaire chez eux, au plus profond de leur
caractère. »
L’auteur
rappelle que des agents d’al-Qaïda ont reçu l’ordre de se rendre en Iran en
mars 2002, trois mois après avoir quitté l’Afghanistan pour le Waziristan ou le
Pakistan (le document, soit dit en passant, ne fait état d’aucune activité en
Iran avant le 11 septembre). Il reconnaît que la plupart de ses cadres sont
entrés illégalement en Iran, bien que certains d’entre eux aient pu obtenir des
visas du consulat iranien à Karachi.
Parmi eux
figurait Abu Hafs al Mauritani, un érudit islamique qui avait reçu l’ordre des
dirigeants de la shûra pakistanaise d’obtenir la permission iranienne pour
que les combattants et les familles d’al-Qaïda puissent traverser l’Iran ou y
séjourner pour une période prolongée. Il était accompagné de cadres
intermédiaires et subalternes, dont certains travaillaient pour Abu Musab al
Zarqawi. Le récit suggère clairement que Zarqawi lui-même était resté caché
après être entré illégalement en Iran.
Sous strictes conditions
Abu Hafs al
Mauratani est parvenu à un accord avec l’Iran, selon le compte rendu
d’al-Qaïda, mais cela n’avait rien à voir avec une fourniture d’armes ou
d’argent. C’est un accord qui lui permettait de rester pendant un certain temps
ou de traverser le pays, mais seulement à la condition qu’il respecte des
conditions de sécurité très strictes : pas de réunion, pas d’utilisation
de téléphones cellulaires, pas de mouvement qui attirerait l’attention. Le
compte rendu attribue ces restrictions aux craintes iraniennes de représailles
américaines – ce qui est sans aucun doute en partie le cas. Mais il est clair
que l’Iran considérait également al-Qaïda et son extrémisme salafiste comme une
menace pour sa propre sécurité.
Ce récit
anonyme par un agent d’al-Qaïda est une information cruciale face à
l’insistance des néoconservateurs à dire que l’Iran a pleinement coopéré avec
al-Qaïda. Le document révèle que c’était bien plus compliqué que cela.
Si les
autorités iraniennes avaient refusé de recevoir le groupe d’Abu Hafs, il aurait
été beaucoup plus difficile de recueillir des renseignements sur les agents
d’al-Qaïda qu’elles savaient être déjà entrés illégalement et qui se cachaient.
Grâce à la surveillance des visiteurs d’al-Qaïda, ils ont pu identifier,
localiser et, en fin de compte, encercler les agents d’al-Qaïda en cavale.
Selon le
document, la plupart des visiteurs d’al-Qaïda se sont installés à Zahedan,
capitale de la province du Sistan et au Baloutchistan, où la majorité de la
population est sunnite et parle le baloutchi. Ils ont généralement violé les
restrictions de sécurité imposées par les Iraniens. Ils ont établi des liens
avec les Baloutches – qui, note-t-il, étaient également salafistes – et ont
commencé à tenir des réunions. Certains d’entre eux ont même été en contact
direct par téléphone avec des militants salafistes en Tchétchénie, où un
conflit était en train de prendre des proportions incontrôlables. Saif al-Adel,
l’un des chefs de file d’al-Qaïda en Iran à l’époque, a par la suite révélé que
le contingent combattant d’al-Qaïda sous le commandement d’Abu Musab al Zarqawi
avait immédiatement commencé à se réorganiser pour retourner en Afghanistan.
Des vagues d’arrestations
La première
campagne iranienne visant à rafler les agents d’al-Qaïda, dont l’auteur des
documents affirme qu’elle visait Zahedan, a eu lieu en mai ou juin 2002, soit
trois mois au plus tard après leur entrée en Iran. Les personnes arrêtées ont
été incarcérées ou expulsées vers leur pays d’origine. Le ministre saoudien des
Affaires étrangères a félicité l’Iran en août pour avoir extradé 16 suspects
d’al-Qaïda vers l’Arabie saoudite, en juin.
En février
2003, les services de sécurité iraniens ont lancé une nouvelle vague
d’arrestations. Cette fois-ci, ils ont capturé trois grands groupes de membres
d’al-Qaïda à Téhéran et à Mashad, dont Zarqawi et d’autres dirigeants, selon le
document. Saif al Adel a révélé plus tard, dans un
article publié sur un site Web pro-al-Qaida en 2005 (rapporté dans le
journal saoudien Asharq al-Awsat), que les Iraniens avaient réussi à capturer 80%
du groupe associé à Zarqawi, et que cela avait « causé l’échec de 75%
de notre plan ».
L’auteur
anonyme écrit que la politique iranienne initiale consistait à expulser les
personnes arrêtées et que Zarqawi avait été autorisé à se rendre en Irak (où il
avait comploté des attaques contre les forces chiites et de la coalition
jusqu’à sa mort en 2006). Mais ensuite, dit-il, la politique a soudainement
changé et les Iraniens ont cessé les expulsions, optant plutôt pour garder les
hauts dirigeants d’al-Qaïda sous séquestre, vraisemblablement comme monnaie
d’échange.
Eh oui,
l’Iran a expulsé 225 suspects d’al-Qaïda vers d’autres pays, dont l’Arabie
saoudite, en 2003. Mais les dirigeants d’al-Qaïda ont été détenus en Iran, non
pas comme monnaie d’échange, mais dans des conditions de sécurité rigoureuses
pour les empêcher de communiquer avec les autres réseaux d’al-Qaïda de la
région, ce que les responsables de l’administration Bush ont fini par reconnaître.
Après les
arrestations et l’emprisonnement de hauts responsables d’al-Qaïda, les
dirigeants du groupe se sont mis en colère contre l’Iran. En novembre 2008, des
inconnus armés ont enlevé un fonctionnaire consulaire iranien à Peshawar
(Pakistan) et, en juillet 2013, des agents d’al-Qaïda au Yémen ont enlevé un
diplomate iranien. En mars 2015, l’Iran aurait relâché cinq des hauts responsables d’al-Qaïda
emprisonnés, dont Said al-Adel, en échange de la libération du diplomate au
Yémen.
Dans un document tiré de l’enceinte d’Abbottabad et publié par
le Centre antiterroriste de West Point en 2012, un haut responsable d’al-Qaïda
y écrit : « Nous pensons que nos efforts, dont
une campagne politique et médiatique, des menaces que nous avons proférées,
l’enlèvement de leur ami le conseiller commercial du consulat iranien à
Peshawar, et d’autres raisons qui les ont effrayés après ce qu’ils ont vu (ce
dont nous sommes capables), font partie des raisons qui les ont poussés à
accélérer (la libération des prisonniers). »
Il fut un
temps où l’Iran voyait al-Qaïda comme un allié. C’était pendant et
immédiatement après la guerre des moudjahidines contre les troupes soviétiques
en Afghanistan. C’était bien sûr l’époque où la CIA appuyait également les
efforts de ben Laden. Mais après la prise du pouvoir par les talibans à Kaboul
en 1996 – et surtout après que les troupes talibanes ont tué 11 diplomates
iraniens à Mazar-i-Sharif en 1998 – la vision iranienne d’al-Qaïda a
fondamentalement changé. Depuis lors, l’Iran la considère clairement comme une
organisation terroriste sectaire extrême et son ennemi juré. Ce qui n’a pas
changé, c’est la détermination de l’État américain et des partisans d’Israël à
maintenir le mythe d’un soutien iranien indéfectible à al-Qaïda.
Par Gareth Porter,
un journaliste indépendant– Le 23 novembre 2017 – The American Conservative
un journaliste indépendant– Le 23 novembre 2017 – The American Conservative
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker
Francophone.
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