L’alliance mosaïque entre Israël et son dieu se résume ainsi : « Si tu obéis vraiment à la voix de Yahvé ton Dieu, en gardant et pratiquant tous ces commandements que je te prescris aujourd’hui, Yahvé ton dieu t’élèvera au-dessus de toutes les nations de la terre. » (Deutéronome 28,1). L’endogamie absolue est la clé du contrat. À titre d’illustration, dans le Livre des Nombres, chapitre 31, Moïse ordonne le massacre des Madianites (hommes, femmes, enfants, à l’exception de 32.000 jeunes vierges) parce qu’ils ont encouragé les Israélites à se marier avec les Moabites. Jusque-là, les Madianites semblent faire partie de l’alliance, car Moïse a épousé la fille d’un prêtre madianite, et c’est en faisant paître les chèvres de ce dernier qu’il a découvert Yahvé. Mais plus loin, au chapitre 25, les Madianites sont sortis de l’alliance et c’est pour avoir tué un Israélite marié à une Madianite que Phinéas, petit-fils d’Aaron, gagne le sacerdoce éternel, et les félicitations de Yahvé pour avoir « le même zèle que moi ».
Mais à côté de cette alliance mosaïque, dont l’endogamie est le nœud, il y a l’alliance abrahamique qui ne comprend qu’un seul commandement : brit milah, « l’alliance de la coupure ».
« Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération. [...] Mon alliance sera marquée dans votre chair comme une alliance perpétuelle. L’incirconcis, le mâle dont on n’aura pas coupé la chair du prépuce, cette vie-là sera retranchée de sa parenté : il a violé mon alliance. » (Genèse 17:9-14)
L’alliance abrahamique est présentée dans la Bible comme antérieure à l’alliance mosaïque, mais les historiens de la Bible pensent qu’elle est historiquement postérieure. Le personnage d’Abraham lui-même semble inconnu des prophètes pré-exiliques et son périple depuis la Mésopotamie jusqu’en Palestine sous la guidance de Yahvé (« pour te donner cette terre en possession » Genèse 15,7), semble écrit pour préfigurer la (re)conquête de la Palestine par les exilés à Babylone [1].
La circoncision était alors inconnue en Mésopotamie, mais elle était pratiquée en Égypte sur des garçons de quatorze ans, ainsi qu’en Syrie, mais pas de manière uniforme : les Philistins, peuple indo-européen issu du monde égéen, qui ont donné leur nom à la Palestine, sont désignés dans la Bible comme « les incirconcis ». Dans un épisode pittoresque où s’exprime toute la spiritualité hébraïque, David massacre deux cents Philistins pour offrir leurs prépuces à Saül dont il veut épouser la fille (1 Samuel 18). Le texte ne dit pas si Saül s’en fit un collier. Dans un autre épisode tout aussi représentatif, les Israélites acceptent de se marier avec des Amorites, si tous leurs mâles se font circoncire. « Alors nous vous donnerons nos filles et nous prendrons les vôtres pour nous, nous demeurerons avec vous et formerons un seul peuple. » En réalité, commente l’auteur du récit, les Israélites « parlaient avec ruse », et profitèrent de la convalescence des Amorites après la circoncision pour les exterminer et « ravir tous leurs biens, tous les enfants et leurs femmes » (Genèse 34,1-29).
Dans ces récits, et jusqu’au livre de Josué, la circoncision semble pratiquée sur les garçons pubères. Pourquoi, alors, avoir par la suite institué le rite à l’âge de huit jours ? Notons tout de suite une différence fondamentale : la circoncision d’un garçon possède une dimension initiatique, dans la mesure où le garçon peut symboliser, la circoncision d’un nourrisson n’est pour lui rien d’autre qu’une agression et un traumatisme.
L’origine de la particularité de la circoncision juive peut être facilement déduite de la Bible elle-même. Dans l’Exode, nous apprenons que chaque premier-né mâle, humain ou animal, était à l’origine sacrifié le huitième jour après sa naissance : « Le premier-né de tes fils, tu me le donneras. Tu feras de même pour ton gros et ton petit bétail : pendant sept jours ils restera avec sa mère, le huitième jour tu me le donneras. » (Exode 22,28-29) Puisque les animaux étaient offerts à Yahweh en holocauste depuis des temps immémoriaux, on doit comprendre que le fils aîné de chaque famille juive subissait le même sort. Cette tradition prit fin durant l’Exil, et son abolition est représentée narrativement par l’histoire d’Isaac. Mais le prophète Ézéchiel indique clairement qu’elle a fait partie, dans un passé pas si lointain, des commandements de Yahvé : « Et j’allai jusqu’à leur donner des lois qui n’étaient pas bonnes et des coutumes dont ils ne pouvaient pas vivre, et je les souillai par leurs offrandes, en leur faisant sacrifier tout premier-né, pour les frapper d’horreur, afin qu’ils sachent que je suis Yahvé. » (Ézéchiel 20,25)
Dans le livre de Jérémie, Yahvé se défend au contraire d’avoir jamais ordonné les sacrifices d’enfants : « Les fils de Juda ont fait ce qui me déplaît– oracle de Yahvé. Ils ont installé leurs Horreurs dans le Temple qui porte mon nom, pour le souiller ; ils ont construit les hauts lieux de Tophèt dans la vallée de Ben-Hinnom [sud de Jérusalem], pour brûler leurs fils et leurs filles en l’honneur de Molek – ce que je n’avais point ordonné, ce à quoi je n’avais jamais songé. » (Jérémie 7,30-31)
L’interdiction est également stipulée dans le Lévitique : « Tu ne livreras pas de tes enfants à faire passer à Molek, et tu ne profaneras pas ainsi le nom de ton Dieu. Je suis Yahvé. » (Lévitique 18,21) L’interdit est répété dans les versets 20:2-5 du même Lévitique, qui décrètent la mise à mort de quiconque « livre de ses fils à Molek », car « il aura souillé mon sanctuaire et profané mon saint nom ».
Notons d’abord que, du point de vue de l’historien, l’interdit prouve la pratique, c’est-à-dire que l’holocauste d’enfants devait être pratiqué à l’époque où furent écrits le Lévitique et le Livre de Jérémie. Plusieurs rois d’Israël et de Judée offrent d’ailleurs leurs fils en holocauste (1 Rois 16,34 ; 2 Rois 16,3 ; 2 Rois 21,6).
Ce qui est troublant, c’est que, dans le Lévitique et Jérémie, les sacrifices d’enfants sont offerts à Molek, mais sont faits au nom de Yahvé et dans son temple. Ce paradoxe apparent est résolu par des historiens de la Bible comme Thomas Römer : Molech n’était à l’origine autre que Yahvé lui-même. L’un des arguments est que le nom mlk, vocalisé en Molek dans le texte massorétique (le Tanakh du IXe siècle qui a introduit les voyelles dans l’écriture hébraïque), mais Melek dans la Septante grecque, est identique au mot hébreu pour « roi », melek ou melech (mêlêk en arabe), appliqué plus de cinquante fois à Yahweh. L’expression Yahvé Melech se retrouve par exemple dans le Psaume 10 et est toujours utilisée dans les chants religieux juifs [2].
Ces données sont suffisantes, selon Römer, pour conclure que des sacrifices d’enfants étaient offerts à Yhwh-Mèlek avant l’Exil à Babylone. « À l’époque perse, les sacrifices humains deviennent tabous et l’on essaie de les dissocier du culte de Yhwh. Dans la même perspective, les massorètes changeront plus tard Mèlek en Molek. » Autrement dit, il y a un dédoublement du même dieu en un mauvais dieu (qui exigeait des holocaustes d’enfants) et un bon dieu (qui maintenant interdit ces mêmes holocaustes humains). C’était bien le même dieu, comme en témoigne encore Ézéchiel, mais sa version archaïque est dissociée et diabolisée.
Selon le récit biblique, c’est le roi Josias (640-609 av. J.-C.) qui abolit les sacrifices d’enfants, « afin que personne ne puisse faire passer son fils ou sa fille par le feu du sacrifice à Molek » (2 Rois 23,10). Mais selon Römer, ce n’est qu’à l’époque perse que les sacrifices humains sont devenus tabous. Ils sont alors remplacés par des offrandes d’animaux, comme nous l’apprenons de l’Exode et du Lévitique. « Tout être sorti le premier du sein maternel est à moi : tout mâle, tout premier-né de ton petit ou de ton gros bétail. Les premiers ânons mis bas, tu les rachèteras par une tête de petit bétail et si tu ne les rachètes pas, tu leur briseras la nuque. Tous les premiers-nés de tes fils, tu les rachèteras, et l’on ne se présenteras pas devant moi les mains vides. » (Exode 34:19, aussi Exode 13:11-13 et Lévitique 27:26). Cela signifie que le premier fils de tout couple n’est plus sacrifié, mais racheté (ou rédimé), c’est-à-dire remplacé par une autre offrande, comme dans le cas d’Isaac.
Comme dans un palimpseste, nous lisons dans tous ces textes deux couches distinctes : dans le yahvisme pré-exilique, les premiers-nés des hommes et des bêtes étaient sacrifiés à Yahvé huit jours après leur naissance, tandis que dans le yahvisme post-exilique, certains peuvent être « rachetés » par une offrande de substitution, et les enfants mâles le sont obligatoirement.
Cependant, le sacrifice du premier fils au huitième jour a subi une autre transformation en fusionnant avec la circoncision. En effet, que la circoncision soit opérée le huitième jour est un indice certain qu’elle remplace l’ancien rite du sacrifice au huitième jour : le sacrifice a été réduit à une simple ablation du prépuce, et étendu à tous les mâles. Dans le yahwisme pré-exilique, le premier fils devait être offert à Yahweh le huitième jour de sa vie (Exode 22:28-29), et dans le judaïsme post-exilique, tous les fils doivent être circoncis le huitième jour de leur vie.
Toute réforme religieuse présente ses innovations comme la restauration de pratiques anciennes et oubliées. C’est pourquoi les Lévites introduisirent leur nouveau rite, la circoncision des nourrissons et non plus des garçons pubères, comme un commandement ancien, antérieur à l’alliance mosaïque qui était déjà codifiée avant l’Exil.
Il est facile de comprendre pourquoi les Lévites qui légiféraient sur la communauté juive en Mésopotamie ont accordé à la circoncision la valeur d’un marqueur d’identité ethnique, dans un pays où personne d’autre ne le pratiquait. Mais circoncire les nouveau-nés plutôt que les garçons pubères avait, en plus de la continuité avec l’ancien rite du sacrifice du premier-né, l’intérêt de réduire le pourcentage de juifs qui choisiraient de s’assimiler à la culture babylonienne ou persane. Forcer les parents à faire circoncire leurs enfants mâles au huitième jour était un moyen d’endiguer la tendance assimilationniste, un moyen de marquer la judéité dans la chair le plus tôt possible. Dans la chair, mais aussi dans la couche la plus inaccessible du subconscient, à travers une castration symbolique accompagnée d’une douleur insoutenable. La circoncision au huitième jour est, en effet, un traumatisme rituel dont l’impact psychologique est intense et irréparable.
Laurent Guyénot
Notes
[1] Mario Liverani, La Bible et l’Invention de
l’histoire, 2008, Gallimard, « Folio/histoire », 2012,
p. 354-355.
[2] Thomas Römer, L’Invention de Dieu, Points, 2017,
p. 181-183.
Offrir des biens est divin; mais les accepter est moins qu'humain.
RépondreSupprimerCet article, d'essence matérialiste athée, contient beaucoup de vérités, bien que déjà connues.
RépondreSupprimerCependant, en ces temps d'ignorance universelle de ce qui est vital, je précise que la thèse du "Dieu d'Israël" qui ne serait pas Dieu r
Suite :
RépondreSupprimerréside dans une interprétation matérialiste personnelle de l'auteur, qui ignore ou feint d'ignorer, que l'Église (au sens technique précis du terme), en possède seule la légitimité.
CETTE THÈSE N'EST PAS COMPATIBLE AVEC LA DOCTRINE CATHOLIQUE LA PLUS ORTHODOXE ET LA PLUS TRADITIONNELLE.
Je suggère à l'auteur de commencer par étudier un catéchisme traditionnel.
En toute bienveillance
préconisation absolument pertinente mais l'auteur est un pur rationaliste comme d'aucuns ; les cornichons, à force d'être dans le bocal, finissent par prendre le vinaigre.
SupprimerLe judaïsme est une maladie mentale, proche du gauchisme.
RépondreSupprimerNOTRE HISTOIRE N EST QUE MENSONGES SUR D AUTRES MENSONGES ET CE SONT CES GENS ET LEURS SCRIBES QUI VOUS PROMÈNENT DEPUIS LA NUIT DES TEMPS SOUS L IMNFLUENCE DÉMONIAQUE
RépondreSupprimerLa descendance d'Abraham est double, par Ismaël cela a donné le peuple Arabe et par Isaac cela a donné le peuple Juif.
RépondreSupprimerIsmaël s'est fait circoncire à l'âge de 13/14ans et Isaac l'a fait au huitième jour.
La différence entre les deux est la cicatrisation qui comprend deux facteurs.
La coagulation (caillot de sang) et la prothrombine (protéine de la coagulation).
Entre le septième et le neuvième jour après la naissance le taux de prothrombine peut dépasser les 100 % et c'est le SEUL jour d'une vie humaine où cela est possible.