Sur le plan militaire
Alors qu’en 2022 l’armée russe, forte d’environ 950.000 hommes
dans toutes ses composantes (terre, air, mer) ne pouvait aligner au
mieux que 300.000 hommes pour l’armée de terre, grâce à sa politique de
recrutement et à sa mobilisation partielle, est en mesure aujourd’hui
d’aligner sur l’ensemble du front entre 7 et 800.000 hommes ce qui
représente un quintuplement des effectifs par rapport à la phase
initiale de février 2022 où la Russie, pour prévenir l’assaut imminent
des troupes de Kiev contre le Donbass, avait lancé une action préemptive
avec moins de 150.000 hommes. A cette date, les
effectifs estimés de l’armée de terre ukrainienne tournaient autour de
300.000 soldats, majoritairement positionnés dans l’est ukrainien. Après
être montées à un niveau record de 900.000 hommes sur le terrain en
2023, les troupes de Kiev opérationnelles aujourd’hui doivent tourner
autour de 500.000 au maximum, en notant que les 3/4 (trois quarts) au moins sont des unités de la territoriale et disposant d’une
aptitude assez médiocre au combat. A cela s’ajoutent des difficultés
extrêmes de recrutement où les auxiliaires de Zelensky peinent à
rassembler – souvent par la violence – environ 20.000 hommes
supplémentaires chaque mois, ce qui équivaut à peine à ses pertes
réelles mensuelles sur le front.
Certaines sources donnent un ratio de
pertes définitives (morts et disparus) entre les forces russes et
ukrainiennes qui serait compris entre 1 à 3 et 1 à 5. Ce différentiel
s’explique par plusieurs facteurs, d’une part la supériorité aérienne de
l’armée russe qui utilise cet avantage pour éliminer les concentrations
de troupes ennemies à l’aide de bombes glissantes de type FAB de 250 kg
à 3 t. et qui sont particulièrement meurtrières, d’autre part par la
domination des Russes dans le domaine de l’artillerie (canons, obusiers
et missiles) qui là encore, confère un avantage indéniable à Moscou dans
sa guerre contre l’OTAN et son supplétif ukrainien.
Dans le domaine de la guerre des drones en revanche, après une
relative domination des Ukrainiens durant l’année 2023, nous observons
aujourd’hui une relative parité entre les deux camps, certaines sources
ukrainiennes faisant même état d’une supériorité russe, notamment avec
les drones à fibre optique, sur certains secteurs du front. Pour mesurer
à quel point l’arrivée des drones avait changé la nature de ce conflit,
il faut se rappeler que 70 à 75% des pertes sont dues à ces engins volants
contre 25 à 30% pour l’ensemble des autres armes employées sur le
terrain. Il est à noter que l’armée russe vient d’officialiser cette
semaine la création d’une nouvelle branche de ses forces armées avec les
forces de systèmes sans pilote.
Outre l’irruption des drones dans cette guerre du 3ème millénaire, il faut bien comprendre aujourd’hui que la notion de « brouillard de guerre» a quasiment disparu et que les grandes concentrations de troupes avant une offensive « surprise» sont
aujourd’hui absolument impossibles. Cela revient à peu près, pour les
deux camps, à jouer au poker avec les cartes ouvertes car les données
satellites conjuguées à l’observation en temps réel par les drones,
pratiquement 24/24, de la ligne de front et de l’arrière opérationnel,
permet une anticipation des mouvements qui, pour ce conflit-là tout du
moins, empêche toute offensive d’envergure dans un sens ou dans l’autre.
Je dis bien «pour ce conflit-là tout du moins», car il est évident que pour les stratèges de l’OTAN, comme pour ceux de la Fédération de Russie, la future guerre «en direct» aura
vu préalablement une guerre dans l’espace où chacun des protagonistes
aura tenté d’aveugler l’autre en détruisant ses satellites
d’observation. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Pour l’instant, nous en sommes encore dans cette guerre hybride
où les deux adversaires jouent encore avec une main attachée dans le
dos et se gardent bien, l’un comme l’autre, de montrer toutes leurs
capacités et toutes leurs technologies dans l’attente de la bataille
ultime.
Dans ce contexte, la Russie a montré depuis le début de l’Opération Militaire Spéciale,
et contrairement aux espoirs d’effondrement économique ou militaire que
claironnaient les Bruno Lemaire et autres Xavier Tytelman, que non
seulement elle était capable de résister mais qu’elle était même en
mesure de l’emporter. En effet, depuis l’échec patent de la
contre-offensive de l’été 2023 qui s’est brisée sur la ligne
Sourovikine, et surtout depuis l’opération ratée de Koursk
en août 2024, où l’OTAN a brûlé ses dernières cartouches et ses
meilleures brigades pour tenter de l’emporter, la stratégie des «1000 coupures» employée
par l’armée russe montre son efficacité et les dernières forteresses du
Donbass encore tenues par le régime de Kiev tombent les unes après les
autres offrant ainsi un boulevard pour atteindre le Dniepr dans les
prochains mois.
Et encore une fois, j’insiste bien, il ne s’agissait pas
d’une guerre entre l’Ukraine et la Russie, mais du préambule de la
guerre entre la Russie et l’OTAN, dans laquelle cette dernière a
montré ses limites et au final, sera contrainte de reconnaître sa
défaite. Tout l’art de la diplomatie russe sera de faire avaler cette
couleuvre à l’Occident sans trop l’humilier, sachant bien évidemment que
tant que ce dernier n’aura pas été vaincu, nous en serons quittes pour
attendre la prochaine guerre qui enflammera alors toute l’Europe ou ce
qui en restera.
Sur le plan économique
Malgré les 300 milliards d’actifs russes gelés en occident depuis mars 2022, l’économie russe a montré une capacité de résistance étonnante face aux sanctions
de l’Occident (avec pourtant près de 27 000 sanctions appliquées contre
la Russie depuis 2014). Plusieurs raisons à cela : Tout d’abord la
Russie est un pays immensément riche et dont le PIB d’environ 2 400 milliards de $ (équivalant à celui de l’Espagne comme disent les crétins) ne représente absolument pas la réalité. En février 2022, la dette publique russe s’élevait à 278 milliards USD, soit 18% du ratio dette/PIB. A comparer avec les 3 400 milliards d’euros (115% du PIB
en 2025) de dettes de la France et de ses Mozart de la finance que le
monde entier nous envie. De plus, 80% de la dette russe était interne et
donc libellée en roubles, réduisant sa vulnérabilité aux fluctuations
des devises. Le système était conçu pour résister aux chocs, avec en
outre la mise en place d’un fonds souverain estimé à 175 milliards USD
en 2022.
En résumé, en février 2022, la dette russe était basse et bien gérée,
avec l’accent mis sur la stabilité. La politique de sanctions
occidentales qui a partiellement isolé la Russie financièrement,
notamment à travers l’exclusion quasi complète du système Swift, a réussi à augmenter la dette à environ 290 milliards USD en fin 2024.
En fait la productivité russe (tous secteurs d’activité confondus)
fonctionne peut-être à 50% de ses capacités maximales théoriques et son industrie est parfaitement autarcique
dans le domaine de la production militaire, sauf peut-être pour
certains composants électroniques où l’appui chinois, et de quelques
autres pays, est le bienvenu. En pratique, contrairement à l’Occident
qui pour des raisons purement mercantiles avait délibérément sabordé son
complexe militaro-industriel dès les années 70 en délocalisant la
production à outrance dans les pays à bas coûts salariaux, la Fédération
de Russie, y compris sous Eltsine, avait malgré tout réussi – malgré le
saccage et la spoliation – à préserver l’outil de production militaire
soviétique, notamment dans les domaines-clé de la production d’obus, de
missiles et de blindés, ce qui a fortement étonné les « stratèges » de plateaux télé européens convaincus de l’effondrement de l’économie de guerre russe dès les premiers mois du conflit.
Pour ceux qui restent accros aux chiffres du PIB, voilà les dernières
données connues (sources russes et occidentales) pour la période
2022-2025:
- 2022 : -2,1 % (récession due aux sanctions initiales et à la chute des exportations d’énergie).
- 2023 : +3,6 % (rebond grâce à la réorientation vers l’Asie, la
hausse des dépenses militaires et des prix du pétrole et à la création
de la «flotte fantôme»).
- 2024 : +4,1 % (croissance soutenue par l’industrie de défense et les investissements publics + montée en puissance de la « flotte fantôme » avec plus de 1000 tankers et super tankers sillonnant les océans du globe).
- 2025 : +0,6 % (estimation du FMI pour l’année complète, avec un
ralentissement observé : +1,4 % au T1 et +1,1 % au T2, dû à l’inflation,
à la baisse du prix du pétrole, aux sanctions renforcées et à une
croissance mondiale molle ; des projections comme celles du ministère
russe de l’économie révisent à 1,0 %, tandis que la Banque centrale de
Russie l’estime entre 0,5-1,5 %).
Pour un pays en quasi état de guerre avec
l’OTAN depuis près de 4 ans, ce sont des chiffres plutôt satisfaisants
dont peu de pays européens pourraient se vanter.
Concrètement les sanctions occidentales ont conduit la Russie à
accélérer le processus de démondialisation et à augmenter son degré
d’autonomie dans un nombre croissant de secteurs-clé comme
l’agro-alimentaire, les machines-outils, la robotique, les alliages
spéciaux et bien d’autres. Certes, le pays n’est pas encore en situation
d’autarcie complète, mais il est probablement l’un de ceux qui en est
le plus proche, disposant sur son territoire de toutes les matières
premières nécessaires (dont les terres rares) à une économie post industrielle du XXIème siècle.
Sur le plan sociétal
Dans ce domaine, le contraste le plus frappant réside dans
l’observation de la vie de tous les jours en Russie en dehors des zones
de front. Que ce soit dans les grandes villes de l’ouest, dans l’Oural
ou jusqu’en Sibérie et dans l’extrême-orient, il serait impossible pour
un voyageur d’imaginer que ce pays est en guerre. Les magasins regorgent
de marchandises, les services publics fonctionnent, la sécurité des
habitants est assurée et nulle part on ne sent l’oppression d’un pays
sous la contrainte.
Les familles sortent au restaurant, vont au cinéma, visitent les
parcs ou les musées et tout se passe comme si le pays vivait
normalement. Et c’est là que réside ce paradoxe le plus étonnant, chaque
jour sur le front meurent des dizaines de soldats russes pour
réinstaurer la paix sur les marches de l’Empire et faire reculer l’OTAN
sur les frontières de 1994 et cette guerre doit passer comme si elle
n’atteignait pas la société civile, parce que la guerre aujourd’hui
n’est pas uniquement la conquête de territoires, c’est aussi et avant
tout la conquête des esprits, surtout à l’heure où le numérique a envahi
nos vies.
Vladimir Poutine et les stratèges du Kremlin ont parfaitement retenu
les leçons de 1917 et ne veulent à aucun prix revivre les années sombres
du siècle dernier. Ils savent pertinemment que la victoire sur le
terrain peut parfaitement leur être volée par le travail de sape de la
5ème colonne et de leurs commanditaires occidentaux et c’est la raison
pour laquelle ils veillent avec une attention toute particulière sur le
moral de l’arrière et le bien-être de la population.
Cela posé, il serait ridicule d’affirmer que les sanctions n’ont pas
d’impact sur la société russe. Les frappes de l’OTAN répétées contre les
raffineries russes et les menaces de sanctions contre les pays qui
continuent à acheter du pétrole et du gaz russes produisent des effets.
Le tout conjugué avec le prix du pétrole (Brent) aux environs de 60$ le
baril, a provoqué une hausse substantielle du coût de l’énergie pour les
foyers en Russie mais sans aucune restriction réelle dans la
distribution des carburants. Le pays « station-service » dispose de suffisamment de réserves pour faire face à ses besoins basiques sans avoir à piocher dans ses stocks stratégiques.
L’inflation élevée (entre 5,9 et 13,75% entre 2022 et 2025
selon les statistiques de ROSSTAT) avec une moyenne annuelle globale de
8 à 10% contribue également à un impact négatif sur le panier de la
ménagère même si les banques russes rétribuent les comptes bancaires
pour limiter la baisse du pouvoir d’achat. Pour contrer les risques
inflationnistes et défendre le rouble, la Banque Centrale de Russie a
dès 2022, mis en place une politique très agressive de taux d’intérêts
dont le pic a été atteint en octobre 2024 avec un taux de 21% que nombre
d’analystes russes ont qualifié de politique suicidaire pour l’économie
russe. Depuis les taux sont redescendus en novembre 2025 à un seuil de 16,5%, clairement insuffisant selon l’économiste Serguey Glaziev pour relancer une dynamique productive en Fédération de Russie.
Maintenant, il y a également une donnée qui échappe complètement aux
analystes occidentaux et qui est la formidable capacité d’adaptation du
peuple russe à des conditions de vie difficiles. Habitués depuis des
millénaires à vivre dans un environnement climatique particulièrement
rude, les Russes ont développé une capacité de survie aux conditions
extrêmes qu’aucun Européen n’atteindra jamais et qui leur permettra sans
nul doute de résister à tous les paquets de sanctions que les Macron,
Starmer, Merz et autres von der Leyen ne pourront jamais imaginer.
Contrairement à l’Europe qui se
transforme sous nos yeux à vitesse grand V en une nouvelle URSS où les
libertés s’effondrent les unes après les autres, la Fédération de Russie
en 2025 reste un havre de liberté où la vie est douce et agréable pour
qui sait en profiter. Aujourd’hui avec 1000€ vous obtiendrez 93.600
roubles dans une banque russe, de quoi passer une semaine agréable à
Moscou ou à Saint-Petersbourg (hôtels, restaurants, musées…) et avec la
même somme, vous pouvez vivre confortablement dans l’Oural ou dans le
Caucase pour 2 ou 3 semaines. Dépêchez-vous d’en profiter, car au rythme
où vont les choses, l’UE va nous rebâtir un rideau de fer dont il sera
de plus en plus difficile de s’échapper.
Emmanuel Leroy
10 novembre 2025