Les premières fractures apparaissent
au grand jour en Israël, non seulement sur la manière dont son offensive est
menée à Gaza, mais aussi sur la nécessité de la poursuivre. Elles se
manifestent jusqu’à l’intérieur du cabinet de guerre mis en place par le
premier ministre, Benyamin Netanyahou. De notoriété publique, l’ambiance en son
sein est glaciale. La principale dissension porte sur le sort des otages civils
et des soldats détenus par le Hamas depuis le 7 octobre à Gaza. Elle
oppose Netanyahou et ses soutiens à deux ex-chefs d’État-major, Benny Gantz et
Gadi Eisenkot. Pour les premiers, la « libération des otages » ne peut advenir qu’une fois la « victoire » assurée, c’est-à-dire l’« éradication » du Hamas. Pour les seconds, comme l’a déclaré Eisenkot
sur la chaîne de télévision numéro 12, aucune victoire n’est envisageable
sans une libération préalable des otages. Traduction : sans passer par une
négociation avec le Hamas qui, pour les restituer, exige un cessez-le-feu
durable et la libération de tous les Palestiniens détenus en Israël – ce que Netanyahou
récuse.
Le 18 janvier, en conférence de
presse, le général Eisenkot a déjà « reconnu que les dirigeants
israéliens ne disent pas toute la vérité sur la guerre. Il a refusé de répondre
à une question quant à sa confiance en Netanyahou et promu le sujet d’une
rapide libération des otages, même si le prix est élevé. Enfin, il a proposé
[la tenue] d’élections dans quelques mois »1 . En d’autres termes, une stratégie
inverse à celle prônée par Netanyahou, avec en prime son éviction de la scène
politique une fois la guerre terminée. On comprend que l’ambiance soit
frisquette. Le thermomètre est encore descendu de plusieurs degrés le
22 janvier, après la mort de 21 soldats israéliens (tous des
réservistes entre 25 et 40 ans) dans une attaque à la roquette de
miliciens du Hamas. Survenue après trois mois et demi d’une guerre où Israël
dispose d’un avantage militaire démesuré, cette attaque dans le camp de
réfugiés palestiniens de Maghazi, à 600 mètres seulement de la frontière
israélienne, a accentué le sentiment d’échec qui domine les Juifs israéliens
depuis le 7 octobre, malgré les communiqués de victoire quotidiens de
l’armée. Elle a également ramené à la lumière une question récurrente en dépit
des réticences : cette guerre est-elle « ingagnable » ?
Aucun objectif atteint
Brusquement, quelques données sont
venues battre en brèche l’idée jusque-là largement dominante en Israël d’en
finir une fois pour toutes avec le Hamas. Comment se fait-il qu’après plus de
trois mois de bombardements aériens inouïs sur Gaza qui ont fait jusque-là près
de 27.000 morts, le déplacement de près de 2 millions de personnes,
une destruction tout aussi gigantesque des infrastructures et de l’habitat des
Gazaouis, le Hamas soit encore en mesure de porter des coups aussi durs ? Des langues se délient.
On apprend que le « plan » initial de l’armée israélienne prévoyait un « contrôle opérationnel » total des trois grandes villes de
la bande (Gaza city, Khan Younès et Rafah) avant la fin décembre. Le délai est
dépassé d’un mois et l’objectif n’est pas atteint. On apprend aussi que le
réseau de tunnels des forces armées du Hamas était beaucoup plus étendu qu’on
ne le croyait, et que s’en emparer via des opérations terrestres provoquerait
beaucoup plus de victimes que prévu. Surtout, le Wall Street Journal
révèle que seuls 20 % des tunnels auraient été détruits
en plus de trois mois.
Autre
révélation : pour des motifs économiques, l’armée doit se défaire d’une
partie importante de ses réservistes engagés à Gaza. Enfin, 117 jours
après le carnage dans les kibboutz, le chef politique du Hamas à Gaza, Yahya
Sinwar, et les deux chefs de sa branche armée, Mohammed Deif et Marwan Issa,
sont toujours introuvables.
Dénoncer les « capitulards » et les « ennemis du
peuple »
Le paradoxe est que celui qui mène
la bataille pour sortir rapidement de la guerre et éviter un enlisement, en
négociant une restitution des otages civils et des soldats israéliens captifs,
soit précisément celui qui a « inventé » la doctrine militaire ayant
conduit Israël aux crimes terribles commis à Gaza. Gadi Eisenkot est en effet
l’ex-chef d’État-major qui a conçu la doctrine Dahiya2 selon laquelle, dans les « guerres asymétriques »
entre un État et un ennemi non-étatique, le seul moyen de vaincre consiste à
imposer aux populations civiles qui abritent les « terroristes » le pire sort possible. Cette
vision a été officiellement insérée en 2008 dans l’arsenal stratégique de
l’armée israélienne.
Est-ce parce qu’il vient de perdre
un fils de 25 ans et un neveu qui en avait 23, tous deux engagés à Gaza ? Toujours est-il que le général
Eisenkot appelle aujourd’hui à négocier a minima une trêve avec le Hamas.
Soudain, Chuck Freilich, un ancien numéro deux du Conseil de sécurité
israélien, baisse la garde : « Il ne semble pas, déclare-t-il, que nous soyons en
état d’atteindre nos objectifs » 3 .
Expert du King’s College de Londres, Andreas Krieg estime qu’Israël est
militairement « dans une impasse »4 .
Ce sentiment de l’échec, si peu
familier, si insupportable pour une grande partie des Juifs israéliens, a aussi
des conséquences internes. Les membres de l’extrême droite coloniale, alliés de
Netanyahou, se raidissent. Jusqu’ici, c’était les partisans d’une négociation
avec le Hamas qu’ils dénonçaient comme des « capitulards ». Désormais, les familles de
soldats morts à Gaza qui se joignent aux manifestants pour négocier une sortie
de crise font eux aussi office d’« ennemis
du peuple ». Les directives du gouvernement
sont de « réprimer d’une main de fer » les voix israéliennes qui
s’élèvent contre cette guerre. Celles-ci restent marginales, mais leurs
manifestations vont croissant, tout comme croît la désillusion dans l’opinion
publique.
« Le roi d’Israël » veut gagner du temps
Netanyahou tente de rétablir son
autorité en jouant sur le temps. Jusqu’ici, il n’y parvient pas. La presse fait
état de contestation au sein de son gouvernement. Haaretz cite les
confidences (anonymes) d’un de ses membres.
Cette guerre n’a ni objectif ni
avenir, ce n’est qu’un moyen pour Netanyahou de repousser le moment de
s’attaquer à la question de sa responsabilité. (…) Dans chaque réunion
(gouvernementale), il répète que la guerre va durer longtemps. Je pense qu’il
sait lui-même que la probabilité est faible qu’il parvienne à atteindre ses
objectifs. Il cherche juste à gagner du temps. […] Quant à abattre le Hamas,
les succès réalisés au nord de la bande de Gaza sont déjà en train de s’éroder.
La guerre n’est pas encore finie
que, sans attendre les commissions d’enquête qui suivront et le mettront
forcément en position difficile, le « roi
d’Israël » du dernier quart de siècle
réunirait seulement 16 % des électeurs autour de son nom,
selon un récent sondage. Quant à son parti, le Likoud qui jouit d’une majorité
relative au parlement avec 32 sièges sur 120, il tomberait à 16 seulement
si des élections avaient lieu demain. La seule stratégie de Netanyahou, estime
Mairav Zonszein, analyste israélienne de l’International Crisis Group, c’est « la guerre sans fin » 5 .
Mais cette stratégie bénéficie davantage à la droite coloniale radicale, plus
conséquente que lui sur ce plan. Résultat : Netanyahou apparait prisonnier
de ses alliés, et mu davantage par ses intérêts personnels que par le bien
public.
Pour
Netanyahou, la menace tient d’abord dans la possibilité d’un « lâchage » par Joe Biden. Ce risque-là paraît
peu crédible, si l’on se fie à l’attitude du président américain depuis le
début de cette guerre. Mais la position de ce dernier s’érode de jour en jour
dans son propre camp. Le 18 janvier, 60 élus démocrates – soit un
tiers de leurs représentants à la Chambre - se déclaraient dans une lettre au
secrétaire d’État Antony Blinken « très préoccupés par la rhétorique extrémiste de
certains responsables israéliens »,
en particulier leurs appels à l’épuration ethnique des Gazaouis. Jamais
pétition anti-israélienne n’a réuni un tel nombre d’élus au parti démocrate,
historiquement favorable à Tel-Aviv. De plus, la réaction du premier ministre
israélien à l’appel public du président états-unien d’ouvrir la voie vers un
État palestinien une fois la guerre terminée a rendu furieux les membres
démocrates du Congrès. « Jamais,
avait répondu le premier ministre israélien, je ne ferai de compromis sur le
contrôle total de la sécurité entre le Jourdain et la mer. »
Le 19 juillet, un sondage
montrait que les trois-quarts des démocrates âgés entre 18 et 29 ans
étaient hostiles au soutien inconditionnel de la Maison Blanche à Israël. Bref,
si l’on n’entrevoit pas encore de fossé entre Israël et les États-Unis, la
faille s’approfondit au sein du parti présidentiel, et Biden a besoin d’un
succès politique spectaculaire pour être réélu. Une rumeur tenace aux
États-Unis veut que le président Biden ait soutenu la guerre israélienne telle
qu’elle a été menée précisément dans l’idée de parvenir, après son achèvement,
à un accord politique entre Israéliens et Palestiniens pouvant mener à la « solution à deux États ». Y croira qui veut. En attendant,
une cour californienne a jugé recevable une plainte déposée par le Centre pour
les droits constitutionnels, une importante association juridique américaine
qui accuse Joe Biden, son secrétaire d’État Antony Blinken et son secrétaire à
la défense Lloyd Austin de « complicité
de génocide ».
Une cour « partiale » et « antisémite »
Mais le choc le plus important en
Israël est celui qui a suivi, le 26 janvier, l’ordonnance de la Cour
internationale de justice (CIJ ) concernant la plainte
de l’Afrique du Sud qualifiant de « génocide » la guerre menée à Gaza par Israël.
Quoique
la Cour n’ait pas exigé l’arrêt des combats , ce que Netanyahou a
immédiatement utilisé pour clamer victoire, le verdict n’a été perçu comme un
succès par personne d’autre en Israël. Ceux qui ont fait l’effort de lire la
décision ont compris que la cessation des combats de facto s’y
inscrivait en creux. Comme l’a dit Naledi Pandor, le ministre sud-africain des
affaires étrangères : « Comment fournir de l’aide et de l’eau sans
cessez-le-feu ? Si vous lisez la décision de la
Cour, elle signifie qu’un cessez-le-feu doit être prononcé ». Sans surprise, l’extrême droite mais aussi nombre
d’autres commentateurs ont immédiatement vilipendé une cour « partiale », décrétée « antisémite ».
Surtout, en exigeant de l’État juif
de « tout faire pour prévenir un génocide », la Cour suggère soit qu’un début d’action en ce sens
est déjà enclenché, soit qu’un génocide à venir est une réalité potentielle.
Son argument le plus fort sur l’intentionnalité d’un génocide consiste en une
longue liste de propos tenus publiquement par divers dirigeants israéliens,
politiques ou militaires, qui profèrent des souhaits ou des intentions sans
conteste génocidaires. Le lendemain de l’adoption de l’ordonnance, un
porte-parole a déclaré que « l’armée israélienne, après l’arrêt de la CIJ , allait renforcer la surveillance des vidéos et des
publications dans lesquels on entend des appels à l’établissement de colonies
dans la bande de Gaza, et des propos incitant à la violence contre les
Palestiniens ».
Mais le 29 janvier, la droite
israélienne organisait dans une salle de 3000 places à Jérusalem une « Conférence pour la victoire d’Israël ». C’était clairement une réponse à
l’ordonnance de la CIJ . Le « transfert » des Palestiniens hors Gaza en a
été le thème principal. Un avocat, Aviad Visoli, a plaidé qu’ « une Nakba 2 est entièrement
justifiée par les lois de la guerre ».
Père d’un soldat détenu par le Hamas, le colon Eliahou Libman a lancé : « Ceux qui ne sont pas tués doivent
être expulsés, il n’y a pas d’innocents ». Plus modéré, le ministre de la police, Itamar
Ben Gvir a prôné une « émigration volontaire » des Gazaouis. Quinze membres de l’actuel gouvernement Netanyahou
issus de l’extrême-droite, du Likoud et même – une nouveauté – au parti
religieux orthodoxe Unité de la Torah étaient à la tribune.
Diable ! Si on ne peut plus maintenant montrer sa joie en
chantant et en dansant sur les gravats des maisons et au milieu des corps
déchiquetés et enfouis des civils palestiniens, que les officiers de cette même
armée avaient présentés comme autant d’« animaux humains », c’est à ne plus rien y comprendre, s’interroge le
brave petit soldat israélien jusqu’ici convaincu d’être dans son bon droit.
Par Sylvain Cypel
A été membre de la rédaction en chef
du Monde, et auparavant directeur de la rédaction du Courrier
international. Il est l’auteur de Les emmurés. La société israélienne
dans l’impasse (La Découverte, 2006) et de L’État d’Israël contre les
Juifs (La Découverte, 2020).
Cette engeance de malheur se condamne elle-même à la gémonie, à la déstestation la plus absolue comme étant la lie infâme de toute l'humanité...
RépondreSupprimerQui peut encore justifier ce que représente un juif... sinon le mensonge, la haine, le massacre, le détournement financier des autres peuples de notre terre commune... ???
c'est toute la juiverie qui se fait vomir !!
netacaca va etre éliminé et son corps déchiqueté en 2024
RépondreSupprimerC'est ce type d'article qui leurs permet de gagner du temps. "Aucuns objectifs atteints" ils nous refont le coup de "la fiole d'antrax" avec de faux objectifs et nous les laissons tranquillement désintégrer la bande de gaza.
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