Philippe de Saint Robert |
Emmanuel Macron aurait dû lire le poète Pouchkine qui mettait en garde en 1832 ceux qui voulaient se mêler des querelles entre Slaves. Nous ne saurons pas quels ont pu être les échanges téléphoniques qu’il entretint un temps avec Poutine. Ils avaient tous deux une conception erronée du jeu possible de l’Europe, qui consistait à rechercher d’abord le moyen de déterminer un arbitrage des États-Unis. Lesquels – et c’était facile à appréhender – n’avaient qu’un but, d’ailleurs absurde, qui était de faire la guerre à la Russie aux frais des Européens.
La Librairie Fayard a publié en 1994 un opuscule d’Alexandre Soljénitsyne intitulé Le « problème russe » à la fin du XXe siècle, dont on peut espérer qu’il soit encore disponible. Soljénitsyne renvoie les malheurs de la Russie à la capitulation des bolchéviks à Brest-Litovsk en 1917. Il avait déjà tout vu : « La défaite de la Russie provoquée par les bolchéviks était fort avantageuse pour les alliés : elle leur évitait d’avoir à partager les fruits de la victoire. Telle est la langue réaliste des relations internationales. »
Qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident soit entré dans une guerre idéologique avec une Russie érigeant le communisme à vocation internationale en un empire menaçant, cela est compréhensible, surtout après les erreurs de Roosevelt à Yalta. En revanche, après la chute du Mur de Berlin, et la dissolution de l’URSS et du Pacte de Varsovie, il est incompréhensible que l’Europe n’ait pas saisi ce bouleversement pour rassembler les intérêts européens de l’Atlantique à l’Oural comme le général de Gaulle l’avait appelé de ses vœux, notamment lors de son voyage en Russie en 1966. On peut relire avec profit le discours qu’il prononça à Kiev à cette occasion.
Nous sommes donc en 1994 lorsque Soljénitsyne écrit : « Il est hors de doute que nombre d’hommes politiques occidentaux ne voient que des avantages à la faiblesse de la Russie et à la poursuite de son morcellement. (…) Mais je le dis avec assurance : ces gens-là distinguent mal les lointaines perspectives du XXIe siècle. Ce siècle nous réserve des situations où l’ensemble de l’Europe et les États-Unis auront besoin, et grand besoin, de la Russie pour alliée. » Il est permis de penser à une menace chinoise d’une tout autre nature que la gêne que nous éprouvons de la Russie.
Soljénitsyne ajoutait : « La deuxième conséquence de l’effondrement du communisme devait être, comme on l’a déclaré dans l’ardeur des journées d’août 91, l’avènement immédiat de la démocratie. Mais quelle démocratie peut pousser tout de suite sur un terrain soumis pendant soixante-dix ans au totalitarisme ? Ce qui a poussé dans les républiques périphériques nous ne le voyons que trop bien. En Russie ? Seul un esprit de dérision fielleuse peut donner au pouvoir qui s’exerce chez nous depuis 1991 le nom de démocratie, c'est-à-dire de pouvoir du peuple. » On peut noter que loin d’aider la Russie nouvelle sur le chemin de la démocratie, les puissances occidentales n’ont cessé, en suscitant un désordre économique, de pousser le Kremlin vers une pratique du pouvoir qui ne remonte pas seulement au communisme, mais aussi à l’empire.
Soljénitsyne évoquait aussi le cas de l’Ukraine : « Sans parler de ses
dirigeants communistes vite reconvertis, ses nationalistes, qui avaient
pourtant combattu si fermement le communisme et semblaient maudire
Lénine dans toutes ses œuvres, se sont laissé séduire par son cadeau
empoisonné : ils ont accepté avec joie les frontières
erronées tracées jadis par lui (en y ajoutant même la Crimée, cadeau de
ce satrape de Khrouchtchov). Le nouvel État ukrainien a immédiatement
pris (comme le Kazakhstan) le mauvais chemin de l’impérialisme. »
Soljénitsyne rappelle qu’il avait proposé en 1990 « que tous les
problèmes nationaux, économiques et culturels soient réglés au sein
d’une Union des peuples slaves de l’Est ». Il considère toujours cette
solution comme la meilleure car il ne voit pas « comment justifier que
l’on tranche par des frontières entre États des millions de liens
familiaux et amicaux. » Soljénitsyne s’empressait d’ajouter que, selon
lui, « nul n’avait le droit de tenter d’empêcher par la force le peuple
ukrainien de prendre son indépendance, à condition toutefois que les
droits des minorités soient totalement préservés. » C’est cette dernière
réserve que voulait protéger et mettre en œuvre le fameux « format
Normandie », concrétisé par les accords de Minsk. Or Angela Merkel nous a
appris que dans l’esprit des Ukrainiens, tout comme des Allemands et
des Français, ces accords ne devaient avoir d’autre objet que celui de
gagner du temps au péril de la guerre. Cette duperie est évidemment la
clef de la guerre qui s’ensuivit et qu’on mettrait à tort à la charge
exclusive de la Russie. La clef de la paix dépend désormais bien
davantage de l’arrêt de l’ingérence américaine en Europe que des
protagonistes sur le terrain. La France pourrait retrouver un rôle à cet
escient pour autant qu’Emmanuel Macron s’affranchisse de ses préjugés
et de ses dépendances intellectuelles et politiques.
Par Philippe de Saint Robert (19 février 2024)
Philippe de Saint Robert est écrivain, ancien Commissaire général à la langue française (1984-1987).
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- L’impasse de la politique française au Proche-Orient
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Source : https://www.france-irak-actualite.com/2024/02/russie-ukraine-la-parole-a-soljenitsyne.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail
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