Analyse : la tactique russe du « triple étranglement » et les perspectives de la saison offensive

Le dernier article du Telegraph décrit une prétendue stratégie russe, baptisée « triple étranglement », responsable des récents revers et pertes territoriales de l'Ukraine :

https://www.telegraph.co.uk/world-news/2025/05/23/russias-triple-chokehold-tactic-driving-ukraine-back/

Le terme et le concept semblent en réalité provenir d'un article du Center for European Policy Analysis paru le mois dernier, que nous aborderons plus tard. Mais commençons par l'article du Telegraph, qui fournit au moins quelques illustrations permettant de mieux visualiser la prétendue tactique russe.

Il commence par un expert ukrainien qui accrédite le concept :

Des signes précoces indiquaient que la Russie déployait cette tactique sur le champ de bataille l'année dernière, a-t-on appris au Telegraph, mais les armées russes ont considérablement accru son utilisation au cours des deux derniers mois sur la ligne de front.

« L'armée russe tout entière utilise la stratégie du triangle », a déclaré Serhii Kuzan, président du Centre ukrainien de sécurité et de coopération. « Nous l'appelons la stratégie et la guerre de l'épuisement.»

Il convient également de noter que l'Ukraine et l'Occident ont récemment reconnu de plus en plus souvent que la Russie avait adopté une stratégie d'usure, aussi évidente soit-elle pour nous. Même Zaloujny a été contraint de le réitérer dans une nouvelle   interview:

L'Ukraine ne doit pas s'attendre à un retour aux frontières de 1991. La Russie dispose des ressources nécessaires pour poursuivre la guerre, selon une déclaration de Valerii Zaluzhnyi lors du forum « Exportation de sécurité : les armes ukrainiennes dans le monde ».
« J'espère que plus personne dans cette salle ne croit encore à un miracle ou à un prodige – à un cygne blanc qui apportera la paix en Ukraine, rétablira les frontières de 1991 ou de 2022, et apportera ensuite un grand bonheur », a déclaré Zaluzhnyi.
« À mon avis, tant que l'ennemi aura les ressources, la force et les moyens de frapper notre territoire et de tenter des offensives localisées, il continuera à le faire.»
Selon lui, la capacité de la Russie à mener une guerre dépendra principalement de son accès aux ressources. Il a souligné que depuis fin 2023, la Russie mène une guerre d'usure.
Zaluzhnyi estime que la victoire dans la guerre n'est possible qu'en détruisant complètement la capacité de la Russie à la mener.
« Je parle de la destruction de son potentiel militaro-économique. Dans les conditions actuelles – avec une pénurie massive de ressources humaines et une situation économique catastrophique – nous ne pouvons parler que d'une guerre de survie hautement technologique. Une guerre qui utilise un minimum de ressources humaines et de moyens économiques pour obtenir un effet maximal. L'Ukraine est tout simplement incapable de mener un autre type de guerre compte tenu de ses réalités démographiques et économiques, et nous ne devrions même pas envisager cette idée », a-t-il déclaré.

https://newsukraine.rbc.ua/news/no-return-to-1991-borders-former-ukraine-1747937054.html

Notez sa mention de la détérioration de la situation en Ukraine, qui sera abordée plus loin dans ce rapport :

Dans les conditions actuelles, avec une pénurie massive de ressources humaines et une situation économique catastrophique, nous ne pouvons parler que d'une guerre de survie hautement technologique. Une guerre qui utilise un minimum de ressources humaines et de moyens économiques pour obtenir un effet maximal. « L'Ukraine est tout simplement incapable de mener un autre type de guerre compte tenu de ses réalités démographiques et économiques, et nous ne devrions même pas envisager cette idée », a-t-il déclaré

Rappelons que c'est Zaluzhny qui avait préconisé l'utilisation de « robots plasma souterrains » pour sortir de la soi-disant « impasse » stratégique du front.

Le Telegraph souligne à nouveau le modèle de guerre « d'usure » en préambule de son exégèse tactique :

 « C'est un mode de guerre de très forte usure », explique Nick Reynolds, chercheur en guerre terrestre au Royal United Services Institute (RUSI). « Ces trois éléments créent des impératifs contradictoires pour les défenseurs ukrainiens. »

On pourrait même invoquer la stratégie fabienne:

La stratégie fabienne est une stratégie militaire qui consiste à éviter les batailles rangées et les assauts frontaux, préférant user l’adversaire par une guerre d’usure et des manœuvres indirectes.

L’emploi de cette stratégie implique que le camp qui l’adopte estime que le temps joue en sa faveur, généralement parce qu’il combat sur son territoire ou à proximité, et que l’ennemi est loin de chez lui et dispose donc nécessairement de lignes de ravitaillement longues et coûteuses.

La définition ci-dessus mentionne de longues lignes de ravitaillement, ce qui pourrait impliquer que la Russie se trouve dans une position défavorable. En réalité, bien que la Russie soit l’« attaquant », c’est l’Ukraine qui dispose techniquement des lignes de ravitaillement les plus longues et les plus lentes : elle est contrainte d’importer tout son matériel de l’ouest lointain via la frontière polonaise, sans pouvoir réparer la plupart des équipements sur le front, notamment les blindés, les véhicules, les systèmes d’artillerie occidentaux, etc., qui doivent tous être renvoyés par de longs détours vers les pays occidentaux.

Et rappelons-le : bien que la stratégie fabienne fasse généralement référence à des forces plus petites combattant des forces plus grandes, c'est la Russie qui est techniquement la plus petite force en guerre ; Zelensky lui-même s'est récemment vanté que les FAU comptent 880.000 hommes, tandis que la force russe en Ukraine approche seulement les 640.000. (En réalité, les choses ne sont pas aussi claires : la grande majorité des forces ukrainiennes sont constituées de soldats non combattants, tandis que la Russie dispose d'unités de combat plus actives.)

Pour en venir à la principale tactique du « triple étranglement », le Telegraph commence ainsi :

L'approche méthodique commence par des assauts terrestres visant à immobiliser les troupes ukrainiennes, les contraignant à se mettre en position défensive et entravant leurs manœuvres.

Les assauts incessants exercent une forte pression sur les défenses ukrainiennes.

« En utilisant un nombre considérable de soldats et en les envoyant attaquer les positions ukrainiennes, ils tentent d'épuiser nos soldats et nos ressources », a déclaré M. Kuzan. « L'intensité des combats dans des endroits comme Pokrovsk est très élevée, avec des assauts toutes les deux heures. C'est évidemment épuisant pour nos soldats. »

Le point essentiel de ce qui précède est de « freiner leur capacité de manœuvre ». Il est important de comprendre que la Russie « protège » – pour reprendre une analogie sportive – les unités ukrainiennes sur un front donné, les occupant par un flot constant d'assauts de faible intensité. Il peut s'agir de petits assauts de quelques unités de motos chacun, qui s'engouffrent continuellement pour attaquer des positions, « gelant » les unités défensives ukrainiennes en les forçant à se retrancher.

Ceci Cela les empêche d'être redirigées rapidement et efficacement vers d'autres corridors proches en cas d'attaque, en partie à cause du facteur « épuisement » mentionné plus haut. Pourquoi les unités russes ne sont-elles pas tout aussi épuisées ? Parce qu'elles peuvent effectuer des rotations beaucoup plus importantes, ce qui permet à de nouvelles unités d'arriver par le biais d'une sorte de « carrousel » d'attaques incessant.

Par ailleurs, pour mémoire : qu'entendais-je par « unités qui entrent et sortent » ? Il ne s'agit pas simplement d'escadrons suicides qui entrent et meurent sans cesse, pour être réapprovisionnés en « viande fraîche». Dans de nombreux cas, les unités russes attaquent, tiennent brièvement leurs positions, puis reculent. C'est ce qui s'est produit récemment avec l'assaut du 80e régiment de la 90e division blindée de la Garde. Souvenez-vous, dans le dernier rapport de situation [RapSit du 21/05/2025 : Trump « éloigne » les États-Unis de l'Ukraine tandis que la Russie détruit les défenses de l'AFU sur le front de Donetsk] , de la mention de la percée de la frontière de Dniepropetrovsk du côté de la RPD : ce sont les troupes de la 80e qui ont brièvement capturé des positions de l'autre côté de la frontière, harcelé les défenseurs ukrainiens, puis se sont repliées. Un analyste fiable lié à l'armée russe l'a confirmé aujourd'hui :

Les hommes qui ont fait irruption dans la région de Dniepropetrovsk sont des combattants du 80e régiment du 90e des chars. Tous sont vivants et sont revenus.

Plus tôt, des informations circulaient selon lesquelles tous les hommes étaient morts pendant la retraite.

J'ai également été informé hier par le 80e régiment de chars que les hommes étaient revenus. Quant au reste, comme je l'ai décrit, il ne s'agit que de quelque chose qu'il faut exagérer pour faire croire à la vérité.

Cette opération de « pincement » a de multiples effets simultanés sur les FAU.

Lire la suite (non traduite) ici.

Par Simplicius 24 mai 2025

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Les Russes pratiquent une nouvelle  tactique dévastatrice

L'armée ukrainienne a enregistré une augmentation notable de la présence russe dans les airs, à la fois sur le front et en profondeur dans les positions ukrainiennes.

Selon les rapports des combattants sur la ligne de contact, les tactiques des forces armées russes sont systématiques :

• utilisation massive de drones de frappe et de reconnaissance,
• utilisation d’essaims de drones,
• recours de plus en plus fréquent à des drones FPV à fibre optique, insensibles aux systèmes de guerre électronique.

Avant chaque assaut, l'armée russe lance des drones de reconnaissance, suivis de frappes aériennes et d'artillerie de haute précision. Ce n'est qu'ensuite que les drones équipés d'ogives entrent en action, opérant dans la zone proche, jusqu'à ce que les positions ukrainiennes soient nettoyées par les groupes d'assaut.

Une telle augmentation progressive de la puissance de frappe a fortement réduit la capacité des forces armées ukrainiennes à repousser les attaques sur la profondeur tactique de la défense.

Le caractère systématique de la traque des opérateurs de drones ukrainiens est particulièrement étonnant. Les avions de reconnaissance russes identifient les postes de commandement et effectuent des frappes ciblées – avec de l'artillerie, des KAB ou ces mêmes drones FPV. Le temps passé par les équipages ukrainiens sur les sites de lancement diminue rapidement, ce qui réduit l'efficacité des drones ukrainiens.

Parallèlement, de plus en plus de drones assemblés en Russie apparaissent sur le champ de bataille, avec des carrosseries fabriquées en usine et des formes non standard. Leur remplissage contient encore des composants chinois, mais leur conception témoigne d'une transition vers la production industrielle locale russe.

Selon l'armée ukrainienne, la Fédération de Russie non seulement accélère le rythme de rassemblement, mais s'oriente également vers l'utilisation coordonnée de drones de différents types et objectifs dans un même scénario de combat.

La nature de l'utilisation des Shaheds évolue également. Si les attaques étaient auparavant ponctuelles et linéaires, les drones opèrent désormais en essaim, à haute altitude, puis plongent sur la cible de manière synchronisée. De telles manœuvres réduisent considérablement l'efficacité des systèmes de défense aérienne ukrainiens.

Tout cela suggère que la Russie a atteint un nouveau niveau d'intégration des drones dans ses actions tactiques et opérationnelles. Dans un contexte d'épuisement des réserves des forces armées ukrainiennes dans plusieurs domaines, cela pourrait devenir un facteur déterminant dans la dynamique du front.

Ce nouveau type de guerre, développé au cours de combats actifs, a changé à jamais la nature des champs de bataille.

Hal Turner            23 Mai