En effet, à
partir de vingt et un ans, tous les quatre ans (c’est-à-dire une fois en 1460
ou 1461 jours), l’électeur vote (c’est-à-dire essaie d’opprimer ceux qui
pensent autrement que lui). L’autorité, elle, fonctionne tous les jours, à tous
les instants.
Suffrage
universel signifie donc : 1 jour de droit à l’intrigue, 1459 ou 1460 jours
d’abdication.
Dans un pays
où existe le régime parlementaire, les hommes déterminent les actes ordonnés,
permis et défendus, c’est-à-dire la loi,de la façon suivante :
1°
Nomination de délégués (députés, sénateurs, conseillers, etc.) Cette nomination
équivaut à l’abdication totale de l’activité individuelle entre les mains des
politiciens ;
2° Assemblée
des politiciens qui émettent des appréciations et établissent des textes en
votant sur ces appréciations ;
3°
Imposition par la force de ces votes.
S’il y a
véritablement des actes que les hommes doivent ordonner, permettre et défendre,
il serait intéressant de déterminer ces actes par la logique. S’il n’y en a
pas, les politiciens ne sont pas plus qualifiés que les autres hommes pour les
déterminer.
Comment
établit-on la vérité ?
Comment
détermine-t-on la science ?
Nomme-t-on à
cet effet des délégués ? — Non. Celui qui dégage la vérité n’a été délégué par
personne. Souvent il n’a ni diplôme ni dignité.
Vote-t-on en
matière scientifique ? — Non. Le vote ne prouve rien. Galilée était seul à dire
que la terre tourne. Minorité, il avait pourtant raison contre la majorité.
Impose-t-on
la science par la force ? — Non. On dit aux hommes : «La voici. Voilà les
preuves. Vous vous imposerez à vous-mêmes ce que vous aurez reconnu juste.»
Au point de
vue scientifique, la raison des
hommes est parfaite. Personne ne s’insurge contre la science, pas même les
ignorants, parce que ces derniers savent qu’elle est vérifiée par ceux qui en
sont capables et qu’eux-mêmes, s’ils s’en rendaient capables, pourraient la
vérifier.
Au point de
vue légal, la déraison des
hommes est parfaite. La loi déterminée d’une façon absurde, peut être inepte,
vexatoire. Elle n’en est pas moins LA LOI, du moment qu’elle aura été votée et
promulguée selon les règles absurdes admises.
Voilà le système politique. Étranger à la raison, il
ne peut donner de résultats raisonnables. La politique, méthode illogique, ne peut servir à
l’établissement de règles de conduite logiques.
C’est le
fait de fous de vouloir, si ces règles existent, les déterminer et les imposer
aux gens sensés autrement que par une méthode rationnelle.
La loi est le droit du plus fort
Tout
individu, arrêté à l’âge de raison, se trouve en présence d’une quantité
innombrable de lois.
S’il dit : «Ces
lois faites sans moi, contre moi, me déplaisent.»,
on lui
répond : «Observe-les d’abord ; tu pourras ensuite, quand l’occasion s’en
présentera, user de tes droits de citoyen pour changer l’ordre social».
S’il
remarque : «Je suis pressé»,
on lui
réplique : «Il ne faut pas être pressé. Ceux qui fabriquent les lois sont
chargés par toi ou par tes adversaires d’agir en tes lieu et place. Fais de la politique.»
Or la
politique aboutit à la confection de la loi et la loi n’est pas autre chose que
l’acceptation par certains hommes (majorité) d’appréciations que contestent
d’autres hommes (minorité).
Imposer des
appréciations par la force, c’est tyranniser. La loi est l’oppression suprême,
l’oppression légale, le droit du plus fort.
Les droits
d’un homme ne peuvent dépendre de l’appréciation plus ou moins désintéressée
d’autres hommes. Ces droits sont ou ne sont pas. S’ils sont, il convient de les
déterminer par la logique et de les exercer au besoin, malgré la loi.
Tout électeur est conservateur
Puisque la
politique aboutit à la confection de la loi, il est bon de montrer que la loi
est vaine.
A la vérité
il n’y a pas de loi, il ne peut y avoir de loi, la loi ne compte pas, ou
plutôt, il n’y a qu’une
seule loi, inscrite implicitement dans tous les codes : «Ne te fais pas pincer».
En effet, la Société ne
punit pas ceux qui violent la loi, elle punit ceux qui se font pincer
en violant la loi, ce qui n’est pas la même chose. Il n’est pas possible que
celui qui viole la loi sans se faire pincer puisse être puni.
On est donc
en droit de dire que la loi est une prime aux fourbes, qu’elle dit aux hommes :
«Inutiles d’être loyaux, soyez malins. Tout aux
retors, rien aux faibles, rien aux simples qui n’ont ni l’intelligence, ni la
canaillerie nécessaires pour utiliser la loi à leur profit.»
Cela est si
vrai qu’il y a des gens (avocats et magistrats) dont le métier officiel est
d’essayer soit de tourner, soit de faire appliquer la loi, suivant les besoins
de la cause.
En effet,
toutes les fois que les hommes sont appelés à voter, cet appel peut être
considéré comme la demande d’une signature pour la prolongation du prétendu
contrat social. Le votant est un homme qui vient le jour où on le sonne comme
un larbin, le jour où on le siffle comme un chien dressé à obéir, qui vient ce
jour-là seulement, et pas les autres jours, cet homme qui vient quand
l’autorité dit : «Le moment
est arrivé de sanctionner une fois de plus et de faire marcher un système
établi par d’autres et pour d’autres que toi. Le moment est arrivé de choisir
ceux qui feront partie de ce système avec ou sans intention de le modifier, de
choisir ceux, qui, pour contribuer au fonctionnement de la machine à broyer le
faible, seront payés en argent, en influences, en privilèges, en honneurs. Le
moment est arrivé d’écarter une fois de plus l’idée de révolte contre
l’organisation qui t’exploite et d’obéir à l’autorité. Le moment est arrivé de
voter, c’est-à-dire de faire un acte dont la signification est : «JE RECONNAIS
LES LOIS».
Ne voit-on
pas que la première signification de l’abstention électorale est celle-ci :
«JE NE
RECONNAIS PAS LES LOIS. Je ne veux pas du régime que l’on m’impose et que
l’on veut continuer à m’imposer.»
Il suit de
là que tout électeur (qu’il se dise à juste titre monarchiste, ou à tort
socialiste-révolutionnaire), est un conservateur, puisque le résultat de son
vote est de contribuer à faire fonctionner le système en vigueur.
Tout abstentionniste conscient est un révolutionnaire
Nous avons
montré que la politique est un moyen puissant pour les privilégiés d’endormir
l’activité des non-privilégiés. On dit aux hommes : «Mettez votre cervelle dans
votre poche, vous l’en sortirez une fois de loin en loin pour voter,
c’est-à-dire pour consolider l’autorité. Pendant que vous abdiquerez,
l’autorité fonctionnera sans arrêt.»
Et l’on
s’étonne que la révolution ne se fasse pas ! Il y aurait lieu de s’étonner que
la révolution se fît avec un pareil système, avec un système
antirévolutionnaire, avec un système conservateur.
La révolution se fera quand les hommes cesseront
d’abdiquer leur activité.
La révolution se fera quand les hommes cesseront de
déléguer leurs pouvoirs, quand ils cesseront de se nommer des maîtres, quand
ils cesseront de permettre à des gens pareils à eux de dire : «Vous m’avez
donné le droit d’agir pour vous».
L’autorité tombera le jour où les hommes cesseront de
se l’imposer à eux-mêmes, le jour où ils cesseront de créer des catégories de
privilégiés, de gouvernants, d’oppresseurs.
La révolution commencera au moment précis où les
hommes abandonneront la politique.
Toutes les révolutions ont été des moments où les
hommes ont abandonné la politique, où ils se sont occupés eux-mêmes de leur
sort.
Tout homme qui abandonne la politique commence la
révolution, car il reprend son activité abdiquée jusque là.
Quelles seraient les conséquences de la grève électorale?
Ces
conséquences seraient les suivantes :
Déclaration
de guerre au système établi et commencement des hostilités avec certitude de
réussir à renverser ce régime.
En effet,
refuser de voter dans les conditions indiquées plus haut, n’est pas un acte
d’inertie, mais un acte de révolte. Les gouvernants comprendront que
l’abstentionniste conscient n’est pas un indifférent, mais un révolté et que ce
révolté ne peut pas ne pas agir.
En outre,
l’abstention généralisée rendrait difficile l’exercice du gouvernement.
Quelle
autorité aurait un individu élu par une petite portion des électeurs ? Quelle
autorité aurait des assemblées d’individus délégués par des minorités ? Quelle
autorité aurait le pouvoir exécutif élu par ces assemblées ?
Du moment
que l’autorité pour fonctionner, éprouve le besoin de se faire justifier par le
vote, on peut conclure qu’il y a une limitede suffrages au-dessous de
laquelle L’AUTORITÉ EST DISQUALIFIÉE.
Et, tandis
que l’on disqualifierait l’autorité, la masse prendrait conscience de sa force.
Revenons à
notre point de départ. S’il est vrai que la Société actuelle dure parce que les
non-privilégiés, les prolétaires se résignent, il importe que ceux-ci cessent
de se résigner, il importe qu’ils se mettent en état de révolte, il importe
que chacun de ceux qui veulent renverser la société se mette en état de révolte
pour son propre compte et, comme les prolétaires sont de beaucoup les plus
nombreux, la révolte généralisée rendrait le renversement CERTAIN.
Ce qui précède
montre, je crois, l’importance de la grève électorale, prélude possible d’une
révolution dont la forme moderne paraît être la grève générale.
La grève
générale, ou, si l’on veut, la grève généralisée, apparaît comme une arme
tellement puissante qu’à notre sens certaines grèves partielles prenant de
l’extension (comme par exemple, la grève des contribuables et celle des
locataires) suffiraient pour amener le bouleversement social.
Un mouvement
de cette nature serait, non seulement étranger à la politique, mais encore
dirigé contre la politique, c’est-à-dire contre le système dont résulte
l’organisation autoritaire qui annule notre liberté.
Ajoutons que
le bouleversement social ne peut être que le mouvement précédant
l’établissement d’une société raisonnable. Il est facile de montrer que
celle-ci pourra être établie, dès que suffisamment d’hommes auront compris
qu’elle dépend uniquement du remplacement de la concurrence par la camaraderie.
Objection : Si les révolutionnaires ne votent pas, on abandonne le pouvoir aux non-révolutionnaires
Remarquons
que cette objection ne peut être faite par un révolutionnaire conscient, tout
individu au pouvoir, même temporairement, ne pouvant être un révolutionnaire.
En effet, le
but d’un révolutionnaire conscient est — non la conquête— mais la destruction
du pouvoir.
Peut-on
espérer détruire le pouvoir en continuant à la faire fonctionner, en faisant
acte de conservateur ?
L’électeur,
avons-nous dit, est conservateur parce qu’il fabrique un rouage de l’autorité,
le rouage essentiel sans lequel point d’autorité.
L’élu, qui
est ce rouage, est nécessairement conservateur, étant portion agissante de
l’autorité, étant l’autorité.
Même en
supposant électeurs et élus désireux de détruire le pouvoir, le fait qu’il y
ait des élus contribue — non à détruire le pouvoir — mais à la justifier.
En outre,
vouloir imposer la liberté par l’autorité, paraît bizarre. La liberté et
l’autorité, on l’a dit bien souvent, sont incompatibles à tel point que l’une
augmente à mesure que l’autre diminue et réciproquement.
Jusqu’à
présent toutes les sociétés ont été établies sur le principe d’autorité. Même
ce qu’on dénomme à tort socialismeest une forme de ce principe. Déléguer
ces pouvoirs à quelques-uns chargés de tout répartir au mieux de la collectivité
(collectivisme),équivaut à l’abandon de ses droits. Les camarades
répartiteurs seront des privilégiés, des gouvernants, des oppresseurs ; les
autres seront des gouvernés, des exploités, des opprimés.
Nul ne
pouvant admettre qu’on l’opprime, ne peut s’autoriser à opprimer autrui.
L’individu logique arrive nécessairement à la conception du communisme
libertaire,qu’on pourrait ainsi dénommer camaraderie intégrale.
Le vote,
conduisant à l’autorité, il convient de lutter contre le vote et non d’y
participer.
Résumé
— Le
suffrage universel est à tort appelé universel. Il n’est pas et ne peut
être universel. Il ne peut donner satisfaction à personne.
— Le
suffrage dit «universel» est le moyen puissant d’endormir l’activité humaine.
Le peuple, «prétendu souverain», est un esclave qu’on saoule avec des mots.
L’électeur est un homme qui abdique et se donne des maîtres.
— Le système
politique est absurde. Procédant contrairement à toutes les règles de la
logique, il ne peut donner des résultats raisonnables.
— Ce système
ne peut aboutir :
Qu’à
l’oppression d’une certaine quantité d’hommes par d’autres hommes et non à la
plus grande somme de liberté pour tous ;
Qu’à
l’organisation de la fourberie.
— Tout
électeur est un conservateur, puisque son vote fabrique l’autorité.
— Tout
abstentionniste conscient est un révolutionnaire puisque si personne ne votait,
il n’y aurait pas d’autorité.
— En votant,
on ne peut espérer mettre des révolutionnaires au pouvoir, puisque le pouvoir
ne peut être autre chose que conservateur. Il y a lieu, non de le conquérir,
mais de détruire le pouvoir.
— Il importe
donc, pour tous ceux qui reconnaissent la société mal faite et désirent la
changer :
1° De se
débarrasser des préjugés qui, comme le préjugé politique, font d’un homme,
malgré lui, un conservateur ;
2° D’étudier
avec ceux qui croiront les connaître, les principes d’une société raisonnable,
afin de devenir des révolutionnaires conscients ;
3° De ne pas
se contenter d’être théoriquement des révolutionnaires conscients, mais de
mettre en toute occasion leurs actes d’accord avec leurs idées.
Par
Paraf-Javal - La Brochure Mensuelle, 1924
Source : https://resistance71.wordpress.com/2012/01/04/illusion-democratique-le-suffrage-universel-comme-soporifique-social/