L’une des ambitions essentielles du journalisme est de répondre à la
question « pourquoi ». C’est le devoir des médias d’expliquer
« pourquoi » un événement s’est produit, afin que le lecteur puisse
réellement comprendre ce qu’il lit. Si l’on évacue le « pourquoi », la
page se remplit des suppositions et des stéréotypes que ne manquent pas
de dispenser les politiciens, dont les réponses ridicules ne sont jamais
contestées par les médias dominants. Le véritable « pourquoi » du massacre de Charlie Hebdo étant resté
sans réponse, un coupable – de toute évidence, faux – a été trouvé, ce
qui a déclenché une discussion nationale complètement débile dans les
médias U.S. pour savoir si l’Islam était « intrinsèquement » violent.
Le simple fait que les médias posent cette question prouve soit une
méconnaissance crasse du Moyen-Orient et de l’Islam, soit une volonté
délibérée de manipuler les émotions du public en donnant la parole
uniquement aux prétendus experts qui croient en de telles absurdités.
Les médias devraient savoir que jusque dans les années 1980, le
fondamentalisme islamique était pratiquement imperceptible au
Moyen-Orient – excepté dans l’Arabie Saoudite dictatoriale, soutenue par
les U.S.A et dont la monarchie régnante ne survit que grâce au soutien
états-unien. La religion officielle de l’Arabie Saoudite est une version
unique et fondamentaliste de l’Islam, qui constitue, avec la dynastie
royale, le socle du pouvoir gouvernemental saoudien.
Avant les années 1980, l’idéologie dominante au Moyen-Orient était le
socialisme panarabe, une idéologie laïque qui considérait le
fondamentalisme islamique comme rétrograde, tant d’un point de vue
social qu’économique. Les fondamentalistes islamiques ourdissaient des
attentats terroristes contre les gouvernements « socialistes panarabes »
d’Égypte, Syrie, Libye, Irak et d’autres gouvernements qui se sont
rapprochés de cette idéologie à différentes époques.
Le fondamentalisme islamique avait virtuellement disparu entre 1950
et 1980, excepté en Arabie Saoudite et plus tard au Qatar qui
constituent les derniers bastions et les bases d’accueil des
fondamentalistes bannis des pays laïques. Cette dynamique s’est
renforcée pendant la guerre froide, quand les U.S.A. se sont rapprochés
du fondamentalisme islamique – Arabie Saoudite et États du Golfe –
tandis que l’Union Soviétique devenait l’alliée des nations laïques se
définissant comme « socialistes ».
En 1978, quand la révolution de Saur en Afghanistan installa un
gouvernement d’inspiration socialiste de plus, les États-Unis
ripostèrent en s’associant à l’Arabie Saoudite pour fournir quantités
d’armes, d’entraînement et de financement aux jihadistes du mouvement
fondamentaliste alors à l’état embryonnaire, transformant ce dernier en
une force sociale régionale qui allait bientôt devenir les Taliban et
al-Qaïda.
Le jihad afghan, épaulé par les États-Unis, représente la
naissance du mouvement fondamentaliste islamique moderne. Le jihad a
attiré et organisé les fondamentalistes de toute la région, tandis que
les alliés des U.S.A. dans les dictatures des États du Golfe se
servaient de la religion d’État pour le promouvoir. Les combattants qui
partaient se battre en Afghanistan rentraient ensuite dans leur pays,
riches d’un entraînement militaire et d’un statut de héros qui
suscitaient d’autres vocations.
Plus tard, les États-Unis ont aidé à nouveau les fondamentalistes en
envahissant l’Afghanistan puis l’Irak, en détruisant la Libye et en
menant une impitoyable guerre par procuration en Syrie. Les
fondamentalistes ont présenté ces invasions et la destruction de nations
jadis prestigieuses qui s’en était suivie comme autant de preuves que
l’Occident était en guerre contre l’Islam.
Le fondamentalisme islamique n’a cessé de prendre de l’ampleur
pendant cette période, avant de connaître un essor colossal à partir de
la guerre par procuration épaulée par les États-Unis contre le
gouvernement syrien, fortifiant considérablement en particulier le jihad
afghan.
Une fois de plus, le gouvernement états-unien s’est allié aux
fondamentalistes islamiques, lesquels constituent les principaux groupes
qui se battent contre le gouvernement syrien depuis 2012. Pour rallier
les milliers de combattants étrangers nécessaires, l’Arabie Saoudite, le
Qatar et d’autres États du Golfe ont promu le jihad à travers les
médias d’État, les personnalités religieuses et les mécènes du pétrole.
Tandis que le mouvement du jihad s’épanouissait en Syrie, les
politiciens et les médias états-uniens gardaient le silence, même devant
la croissance exponentielle de groupes comme al-Qaïda et l’ISIS
alimentés par les énormes quantités d’armes et d’argent fournies par les
États du Golfe. Tout cela fut virtuellement ignoré par le gouvernement
d’Obama jusqu’en 2014, lorsque l’invasion de l’Irak par l’ISIS a atteint
la région kurde parrainée par les États-Unis.
En bref, les guerres états-uniennes en Afghanistan, Irak, Libye et
Syrie ont détruit quatre civilisations parmi l’ensemble des nations à
majorité musulmane. Des peuples jadis prestigieux ont été anéantis par
la guerre – leurs citoyens tués, blessés, réfugiés ou étranglés par le
chômage de masse et les privations. Des conditions idéales pour que
s’épanouisse le fondamentalisme islamique dans le style saoudien, fort
des promesses de dignité et de grandeur que ce dernier fait
résonner chez ceux qui en ont été privés.
Un autre échec des médias états-uniens à propos de Charlie Hebdo est
la manière dont ils ont débattu de la « satire », saluant les actions du
magazine comme l’expression la plus haute des principes de liberté de
la presse et de liberté d’expression.
Il est important de savoir ce qu’est la satire politique et ce
qu’elle n’est pas. Bien que la définition varie, la satire politique est
généralement comprise comme dirigée contre des gouvernements ou des
personnages puissants. C’est une forme redoutable de critique politique
et d’analyse, et elle mérite la protection la plus stricte au nom de la
liberté d’expression.
Cependant, lorsque ce même humour cinglant est dirigé contre des
minorités opprimées, comme les musulmans le sont en France, le terme de
satire cesse de s’appliquer et il devient un instrument d’oppression, de
discrimination et de racisme.
La discrimination à laquelle les musulmans français sont confrontés a
considérablement augmenté au fil des années ; l’exemple le plus
notoire, abondamment relayé dans le débat politique et médiatique, ayant
été l’interdiction prononcée en 2010 de se « couvrir le visage », une
mesure expressément dirigée contre le port du voile par les femmes
musulmanes.
Cette discrimination s’est encore accentuée quand la classe ouvrière
française a été soumise à la pression de l’austérité. Depuis la
récession généralisée de 2008, cette dynamique s’est accélérée, et du
coup les politiciens appliquent de plus en plus la politique du bouc
émissaire contre les musulmans, les Africains et tous ceux qui
pourraient être perçus comme des immigrés.
C’est dans ce contexte que les caricatures visant à blesser les
musulmans en ridiculisant leur prophète Mahomet – un acte spécialement
offensant pour l’Islam – sont extrêmement insultantes et devraient être
considérées comme une incitation à la haine raciale en France, pays où
les Arabes et les Nord-Africains sont particulièrement visés par les
attaques de l’extrême droite contre les immigrés.
Le fait que les gens clament leur solidarité avec Charlie Hebdo,
journal qui a produit quelques-unes des caricatures les plus racistes et
incendiaires contre les musulmans, les Arabes et les Africains du Nord,
est un signe clair de la déchéance politique dans laquelle la France
est tombée. Cela a participé à la culture de la haine, et s’est traduit
par des attaques antimusulmanes après le massacre à Charlie Hebdo. C’est
exactement cette dynamique, cette politique du bouc émissaire qui a
conduit à la persécution raciste des juifs par Hitler.
Peut-être le racisme en France a-t-il dépassé celui des États-Unis, car
si jamais le Ku Klux Klan était attaqué en raison de propos haineux
envers les Mexicains, il serait impensable que l’opinion publique
étatsunienne se mette à proclamer : « Je suis le KKK ».
Charlie Hebdo n’est évidemment pas un journal d’extrême droite. Mais
ses attaques incessantes contre les musulmans et les Africains montrent à
quel point il s’est intégré à l’establishment politique français. Un
establishment qui s’appuie de plus en plus sur la persécution des
minorités pour rester au pouvoir, afin d’éviter que les grandes sociétés
et les plus riches soient accusés d’être responsables des conditions
déplorables de la classe ouvrière française. Mieux vaut critiquer les
syndicats et les minorités pour expliquer le triste état de l’économie
française dominée par les multinationales.
La seule manière de combattre la politique du bouc émissaire est de
dénoncer les forces sociales responsables de la crise économique, et de
les faire payer pour les solutions qu’elles voudraient faire financer à
la classe ouvrière, à travers des mesures d’austérité et les baisses de
salaire.
Par Shamus Cooke | 15 janvier 2015
Shamus Cooke est travailleur social, syndicaliste et journaliste à Workers Action (www.workerscompass.org).Article original : http://www.counterpunch.org/2015/01/14/the-spectacular-media-failure-on-charlie-hebdo/
Traduit par Diane Gilliard, Chris, Christophe pour Arrêt sur Info et il Fatto quotidiano
URL de cet article : http://arretsurinfo.ch/le-spectaculaire-echec-mediatique-a-propos-de-charlie-hebdo/
Liberté d’expression ? 35 000 euros d’amende requis contre le club de Foot de Bastia pour la banderole « Le Qatar finance le PSG… et le terrorisme »
Comment définir la liberté
d’expression en France ? C’est ce qui nous permet à nous de nous
exprimer librement et aux autres de la fermer, surtout si leurs idées
sont contraires aux nôtres (donc dangereuses !). Il est, toutefois, plus
prudent de ne pas user de son droit à la liberté d’expression, ne
sachant pas à l’avance dans quel camp l’on peut être placé. Bientôt une
seule formule prévaudra : « vous avez le droit de garder le silence,
etc.. »
***
<< Comme tous les jeudis, la Commission de discipline de la Ligue de football professionnelle s’est réunie pour examiner différents cas.
Était notamment à l’ordre du jour le dossier sur le « comportement des supporters du SC Bastia : usage de nombreux engins pyrotechniques et déploiement de trois banderoles », dont une déployée à l’occasion de la venue du Paris Saint-Germain à Furiani et sur laquelle était inscrit : « Le Qatar finance le PSG… et le terrorisme ».
Après avoir auditionné les dirigeants du club corse, la Commission n’a
pas été des plus tendres, puisqu’elle a décidé de sanctionner celui-ci
d’une amende de 35 000 euros. >>
http://www.999spiritus.org/2015/02/14/liberte-dexpression-35-000-euros-damende-requis-contre-le-club-de-foot-de-bastia-pour-la-banderole-le-qatar-finance-le-psg-et-le-terrorisme/