La
réponse officielle de l’Occident depuis 2001 a été de jeter de l’huile
sur le feu. Ça a été le cas après le 11 septembre, quand George Bush a
lancé sa guerre contre le terrorisme, dévastant des pays entiers et
répandant la terreur dans le monde. Ça a été le cas en 2005, après les
bombes de Londres, quand Tony Blair a réduit les libertés publiques et
envoyé des milliers de soldats anglais en mission impossible en
Afghanistan. Et ça a été le cas, la semaine dernière, après les horribles massacres à Charlie Hebdo et dans un supermarché juif de Paris.
Une
marche supposée défendre la liberté d’expression était menée par un rang serré de va-t-en guerre et d’autocrates |
En
écho à la rhétorique de Bush, la réaction de l’ancien président
français, Nicolas Sarkozy, aux attaques contre “nos libertés” a été de
déclarer une “guerre des civilisations”. Au lieu d’être simplement là
avec les victimes – et, aussi, par exemple, avec le grand nombre de
victimes de Boko Haram au Nigéria –
on a élevé le magazine satirique, et sa manière de représenter le
prophète Mouhammad, au rang de symbole sacré de la liberté occidentale.
La sortie, mercredi, d’une édition de Charlie Hebdo sponsorisée par
l’état est devenu le dernier test en date du “qui n’est pas avec nous
est contre nous” dans l’engagement à “nos valeurs”, tout cela pendant
que les députés français votaient, par 488 votes pour et un seul contre,
la poursuite de la campagne militaire en Irak. Si l’on en juge par le
bilan des 13 dernières années, cela se révélera être une décision
dangereuse, et pas seulement pour la France.
Absolument rien ne justifie l’assaut meurtrier des journalistes de Charlie Hebdo,
et encore moins celui des victimes juives sélectionnées sur le seul
critère de leur identité religieuse et ethnique. Ce qui est devenu
terriblement évident la semaine dernière, en revanche, c’est le fossé
qui sépare la manière dont est perçue la position officielle de l’état
français en matière de politique intérieure dans le pays et à l’étranger
ainsi que par de nombreux citoyens musulmans du pays. Cela est vrai de
l’Angleterre aussi bien sûr. Mais ce qui est salué par la France blanche
comme une laïcité dénuée de tout préjugé racial, garantissant l’égalité
à tous, est vécu par de nombreux Musulmans comme de la discrimination
et comme un déni de leurs liberté fondamentales.
Dans un pays où les femmes sont embarquées dans des cars de police à cause de la manière dont elles s’habillent, la
liberté d’expression peut aussi donner l’impression d’être à sens
unique. Charlie Hebdo prétend pratiquer “l’offense égalitaire”, en
insultant toutes les religions. Mais la réalité, comme un de ses anciens journalistes l’a souligné,
était que le journal souffrait d’une “névrose islamophobe” et que son
fonds de commerce était l’attaque raciste de la minorité la plus
marginalisée de la population. Il ne s’agissait pas simplement de
“représentations ” du prophète, mais d’humiliations pornographiques à répétition.
Malgré
tous les beaux discours sur le fait que la liberté d’expression est un
droit non négociable en France, la négation de l’Holocauste y est
illégale et les spectacles du comédien noir antisémite Dieudonné y ont
été interdits. Mais c’est avec le même aveuglement dont les milieux
progressistes français ont fait preuve en ne se rendant pas compte que
l’idéologie laïque, qui servait autrefois à lutter contre le pouvoir des
puissants, servait aujourd’hui à contrôler le segment le plus faible de
la population, que le droit de cibler une religion et de l’insulter à
qui mieux mieux a été élevé au statut de valeur libérale fondamentale.
Tout
le monde a pu constater l’absurdité de la situation à la manifestation
“Je suis Charlie”, à Paris, dimanche. Une marche supposée défendre la
liberté d’expression était menée par des rangs serrés de va-t-en guerre et d’autocrates :
des leaders de l’OTAN et de celui d’Israël, Binyamin Netanyahou, au roi
Abdullah de Jordanie et au ministre des Affaires Etrangères égyptien
qui, tous autant qu’ils sont, ont harcelé, jeté en prison et assassiné
des pléthores de journalistes tout en commettant des massacres et en
lançant des interventions armées qui ont fait des centaines de milliers
de morts, bombardant, en chemin, les stations de TV de la Serbie jusqu’à
l’Afghanistan.
La
scène était d’un ridicule achevé. Mais elle mettait aussi en lumière le
rôle central de la guerre contre le terrorisme dans les atrocités
commises à Paris, et la manière dont les rangs serrés de meneurs de la
manif, sont en train de la récupérer pour faire avancer leur agenda
personnel. Bien sûr, le cocktail de causes et de motivations qui a présidé aux attaques est complexe : il va de l’héritage de la sauvage brutalité coloniale en Algérie, à l’idéologie takfiri djihadiste, en passant par la pauvreté, le racisme, la criminalité.
Mais
ces attaques n’auraient certainement pas eu lieu si les puissances
occidentales, dont la France, n’avaient pas attaqué le monde arabe et
musulman pour le mettre au pas et le réoccuper. Cette guerre contre le
terrorisme dure depuis 13 ans – même s’il y a eu de tentatives bien
antérieures de contrôler la région – et sème massivement la destruction
et la terreur.
......
La
France est célèbre pour avoir refusé de prendre part à l’agression
étasuno-anglaise contre l’Irak. Mais depuis, elle a rattrapé le temps
perdu en envoyant des troupes en Afghanistan, en intervenant dans un
pays africain après l’autre : de la Libye et du Mali à la Côte d’Ivoire
et à la République centrafricaine, en bombardant l’Irak et en soutenant
les rebelles syriens. Comme l’Angleterre, la France a armé les
autocrates du Golfe et basé des troupes chez eux, et dernièrement, le
président français a déclaré qu’il était “prêt ” à bombarder à nouveau la Syrie.
L’ancien
premier ministre français, Dominique de Villepin, chef de file du camp
opposé à la guerre en Irak, a dit, cette semaine, qu’Isis était
“l’enfant monstrueux” de la politique occidentale. Les guerres
occidentales dans le monde musulman “nourrissent toujours de nouvelles
guerres” et “elles nourrissent le terrorisme chez nous”, a-t-il écrit, pendant que “nous simplifions » ces conflits “en ne regardant que le symptôme islamiste ”.
Il
a raison – mais il ne fait pas partie des leaders qui ont mené la
marche en rangs serrés et qui vont utiliser ces attaques pour justifier
d’autres interventions militaires. Étant donné les événements de la
dernière décade, les Européens ont de la chance d’avoir eu si peu
d’attentats terroristes. Mais le prix à payer est la perte des libertés,
la montée de l’antisémitisme et l’islamophobie rampante. Plus nous
laissons cette guerre s’éterniser, plus la menace s’alourdit. Dans un
monde globalisé, il n’y a pals moyen de s’isoler. Ce qui arrive là-bas,
finit par arriver ici aussi.
Seumas Milne, The Guardian le 15 janvier 2015
Charlie et le “retour” de Greenwald
Nous
parlons d’un “retour” de Glenn Greenwald, le héros avec Poitras et
Snowden de la crise NSA/Snowden parce que, depuis à peu près un an, ce
polémiste et homme de communication qui a été la cheville ouvrière de
cette énorme crise n’est plus dans nos préoccupations, ni dans le
domaine des informations qui nous importent, – que nous jugeons, pour
notre compte, d’une importance suffisante pour suivre l’évolution de la
crise générale d’effondrement du Système. Il y a eu deux raisons à
l’effacement de Greenwald pendant ce laps de temps. (Nous écartons
l’hypothèse toujours présente dans le soupçon permanent d’un montage
général, d’un “complot” qui auraient constitué le matériel de
“fabrication” d’une crise-bidon NSA/Snowden. Nous jugeons l’hypothèse
décidément d’aucun intérêt pour notre propos, – inconnaissance regnante, – à partir du moment où les effets réels, gigantesques de la crise NSA/Snowden, ont effectivement eu lieu.)
• La
première raison de “l’effacement de Greenwald” est que la crise majeure
et fondamentale de l’Ukraine, avec ses multiples ramifications qui en
font la crise haute centrale de notre évolution, a éclaté justement il y
a près d’un an. Elle a pris le pas sur tout le reste, notamment sur la
crise NSA/Snowden, et cela d’autant plus que le financier des nouvelles
publications confiées au groupe Snowden/Poitras, Pierre Omidyar, se
trouve dans une position très singulière dans la crise ukrainienne où il
a financé certains groupes anti-russes qui ont participé au Maidan.
• Justement, la deuxième raison se trouve dans certaines difficultés rencontrées par le groupe Greenwald/Poitra s dans la constitution des sites divers du groupe FirstLook.org,
dans la mesure de la position politique très ambiguë de Omidyar (un
milliardaire à l’image excentrique et exotique d’anti-Système, et qui
l’est en partie, mais toujours avec un pied solidement campé dans le
Système, jusqu’au copinage avec Soros). Quoi qu’il soit de ces
péripéties, Greenwald-Poitra s, qui constituent pour Omidyar un
énorme investissement en termes d’influence et de communication, ont
obtenu gain de cause pour le site The Intercept, pour ce qui est d’une complète liberté éditoriale et d’un financement sérieux.
…
Et puis, voici que Greenwald réapparaît sur notre écran-radar
(c’est-à-dire dans le champ de la communication que nous jugeons
essentiel, pour suivre l’évolution de notre grande Crise Générale). Il
s’agit bien entendu de la crise 1/7, ou l’“ouragan-Charlie”
à partir de France. On comprend ce retour. Au centre du débat
conceptuel de 1/7 se trouve la notion sacrée de “liberté d’expression”,
brandie comme étendard de la grande manifestation de dimanche dernier à
Paris, et cette notion est la raison d’être du chroniqueur, commentateur
et guerrier de la communication qu’est Greenwald. Dans ce champ,
Greenwald est quasiment de façon constante un agent anti-Système. C’est
dans ce sens, et en prenant une position en flèche anti-Charlie, qu’il publie sur son site The Intercept deux
artistes extrêmement incisifs, documentés, puissants, qui nous font
penser qu’il est entré dans la bagarre et qu’il entend y tenir sa place.
• Le 9 janvier 2015, il publie «En solidarité avec une presse libre : quelques caricatures plus blasphématoires». Greenwald attaque principalement Charlie-Hebdo, et au-delà la thèse-Système selon laquelle Charlie représente
un parangon de vertu de “liberté d’expression” en arguant que cet
hebdomadaire a suivi en réalité une ligne politique spécifique. La
critique est classique et largement substantivée, qui va, pour les plus
extrêmes, jusqu’à faire de Charlie-Hebdo tel
qu’il est devenu depuis 9/11, avec une équipe où certains étaient
conscients de la chose et d’autres moins sinon pas du tout, un
représentant dissimulé de la tendance neocon-à-la-française. Greenwald met le doigt sur le principal argument de cette position : puisque Charlie s’est voulu un représentant radical de l’anti-religion (anti-cléricalis me),
– ce qui implique toutes les religions, – pourquoi cette absence de
caricatures antijuives à côté de la pléthore de matériels antimusulmans
(et éventuellement anticatholiques) ?
«Défendre
la liberté d’expression et les droits de la presse libre, ce qui
signifie défendre le droit de diffuser les idées mêmes que la société
trouve particulièrement nauséabondes, a été ma passion tout au long de
ces 20 dernières années : du temps où j’étais un homme de loi comme
depuis que je suis journaliste. Aussi c’est pour moi gratifiant de voir
des foules revendiquer cette liberté à pleine voix, comme on a pu le
voir pendant les 48h qui ont suivi l’attaque épouvantable contre Charlie
Hebdo à Paris.
En
ce qui concerne la liberté d’expression, il a toujours été nécessaire
de faire la différence entre défendre le droit de diffuser l’idée X et
le fait d‘être d’accord avec l’idée X, une distinction que tout le
monde peut comprendre à quelques exceptions près. Il s’agit de défendre
le droit d’exprimer des idées qui nous révoltent tout en condamnant
l’idée elle-même. Il n’y a pas là de contradiction : l’ACLU (Union
Américaine des Libertés Civiles) défendait vigoureusement le droit des
néo-nazis de manifester au cœur d’une communauté comportant de nombreux
survivants de l’Holocauste à Skokie, Illinois, mais ils ne se joignaient
pas à la marche ; au contraire, ils condamnaient de toutes leurs forces
ces idées révoltantes tout en défendant le droit de les exprimer.
»Mais
la défense de la libre expression de cette semaine a été si
enthousiaste qu’elle a donné naissance à un tout nouveau principe :
défendre la liberté d’expression, ce n’est pas seulement défendre le
droit d’exprimer une idée mais c’est adhérer à cette idée. De nombreux
écrivains ont alors dit que pour manifester sa “solidarité” avec les
caricaturistes assassinés il fallait non seulement condamner les
attaques et défendre le droit des caricaturistes à publier leurs
caricatures mais il fallait aussi diffuser et encenser ces caricatures.
“La meilleure réponse à l’attaque contre Charlie Hebdo,” a déclaré le
rédacteur en chef de Slate, Jacob Weisberg, “c’est de faire des
caricatures encore plus blasphématoires. ” […]
»Quand
nous avons discuté de l’article qu’il faudrait publier pour illustrer
cette position, notre intention originelle était de demander à deux ou
trois caricaturistes de faire des dessins qui ridiculiseraient le
Judaïsme et diffameraient des figures sacrées pour les Juifs, comme
Charlie Hebdo le faisait pour les Musulmans. Mais nous n’avons pas pu le
faire car aucun dessinateur occidental connu n’osait signer une
caricature anti-juive même si elle était faite dans un but satirique,
parce que le faire, détruirait instantanément et irrémédiablement sa
carrière, sinon pire. Les organes de presse occidentaux regorgent de
commentaires (et de dessins) anti-Islam et anti-musulmans ; mais à
l’inverse, les images et les paroles anti-juives sont absolument tabou.
Pourquoi Douthat, Chait, Yglesias et les autres croisés de la libre
expression n’exigent-ils pas la publication d’écrits ou de dessins
antisémites par solidarité, ou pour lutter contre cette répression? Oui,
il est vrai qu’un journal comme le New York Times publie, assez
rarement, ce genre de matériel mais c’est uniquement dans le but de
condamner l’ignoble fanatisme qui le sous-tend, à partir d’exemples
concrets – pas de tout de le publier par “solidarité” ou parce qu’il
mérite l’attention respectueuse du public. […]
…
Pour vous rendre compte à quel point cela est vrai, rappelez-vous
seulement que Charlie Hebdo – pourfendeur et défenseur “égalitaire” de
toutes les formes possibles de propos offensants, – a licencié un de ses
journalistes [Siné, NdT] en 2009 pour une phrase qualifiée par certains
d’antisémite (ce journaliste a été accusé de crime de haine et le
magazine a été condamné pour licenciement abusif). Alors, à votre avis,
Charlie Hebdo offense-t-il tout le monde “égalitairement” ?»
• Deuxième intervention, le 14 janvier 2015, cette fois pour attaquer la décision des mesures légales prises contre l’humoriste Dieudonné, assimilé de facto dans ce cas à un “terroriste”, ou “collabo” des assassins de Charlie selon le terme élégant employé par Pascal Bruckner pour d’autres que Dieudonné. «La
France arrête un comédien pour un commentaire sur Facebook révélant
ainsi l’imposture de la “célébration de la liberté d’expression”
occidentale», titre
de l’article de Greenwald dont nous donnons quelques citations, y
compris un paragraphe dont on ne peut se priver, qui représente le
jugement de Greenwald sur BHL. (Un peu moins habile cette fois à tenir
la première place qu’il a l’habitude de réclamer dans cette sorte
d’occasion, – BHL commencerait peut-être, dans le dispositif-Systè me,
à gêner ou à agacer par sa pétulance exceptionnelle à se considérer
comme hors du commun terrestre, et puis l’âge est là n’est-ce pas. BHL
s’avérerait-il finalement n’être pas l’être métaphysique que l’on
croyait ?)
«Quarante-huit
heures après avoir organisé une immense marche en faveur de la liberté
d’expression, la France a ouvert une enquête criminelle contre un
comédien français controversé pour avoir posté sur Facebook un
commentaire sur l’attaque de Charlie Hebdo, et ce matin ils l’ont arrêté
pour ce post et ils le poursuivent pour ’“apologie du terrorisme”. Le
comédien, Dieudonné, s’est précédemment présenté aux élections sur une
liste “anti-sioniste”, a vu son spectacle interdit par de nombreux
officiels gouvernementaux dans plusieurs villes de France et a été
poursuivi en justice à de nombreuses reprises pour avoir exprimé des
idées bannies dans ce pays.
Le
point de vue apparemment criminel qu’il a exprimé sur Facebook était le
suivant: “Ce soir, en ce qui me concerne, je me sens Charlie
Coulibaly.” Les enquêteurs ont conclu qu’il voulait se moquer du slogan
“Je Suis Charlie” et exprimer son soutien à celui qui avait commis les
meurtres du supermarché parisien (dont le nom de famille était
“Coulibaly”). Exprimer cette opinion est de toute évidence un crime dans
la République de la Liberté*, qui se flatte d’avoir enfanté, au 20ième
siècle, toute une série d’intellectuels – de Sartre et Genet à Foucault
et Derrida – dont la marque distinctive était de s’attaquer à toutes
les orthodoxies et tous les principes, même les plus sacrés.
Depuis
cette glorieuse marche en faveur de la “liberté d’expression”, la
France aurait ouvert 54 enquêtes criminelles pour “apologie du
terrorisme.” Selon l’agence de presse AP ce matin, “la France a ordonné
aux procureurs de tout le pays de prendre des mesures fermes contre tous
ceux qui se rendent coupables de paroles de haine, d’antisémitisme et
d’apologie du terrorisme”… […]
… Le personnage le plus intellectuelleme nt
corrompu peut-être dans ce domaine, et qui est aussi, sans surprise,
l’intellectuel le plus célébré de France (et sans doute une des
personnes les plus surestimées au monde) est le « philosophe »
Bernard-Henri Lévy. Il réclame l’éradication du moindre soupçon
d’opinion anti-juive (il a appelé à l’interdiction des spectacles de
Dieudonné en disant : “Je ne comprends pas pourquoi il faudrait un débat
à ce sujet,” et soutenu le licenciement en 2009 du journaliste de
Charlie Hebdo [Siné, NdT] pour avoir commis une remarque offensante pour
les Juifs), tout en se faisant effrontément passer, la semaine
dernière, pour un champion Churchillien de la liberté d’expression,
quand il s’agit de caricatures anti-musulmanes.»
Une
fois de plus, nous dirons que nous ne sommes pas là, selon les propres
règles que nous nous donnons, pour prendre une position politique sur
les problèmes concrets et brûlants qui sont exposés à leur stade actuel,
qui restent nécessairement polémiques et donc sujets à des
fluctuations. Notre engagement concerne ce qui est, – fondamentalement , accessoirement, accidentellement ,
paradoxalement, etc., – anti-Système et, par opposition naturelle, pour
identifier la ligne-Système qui est interprétée par ses opérateurs, tout
cela évoluant d’une façon le plus souvent fluctuante. Or, cette
fluctuation justement, n’a jamais été aussi forte que dans cette crise-Charlie,
notamment à cause de l’énorme potentiel d’ambiguïté et de contradiction
interne entre la nécessaire “liberté d’expression” quasiment
sacralisée, et la non moins nécessaire “lutte contre l’obscurantisme”
qui a une forme extrême dans le terrorisme que tout le monde condamne
mais qui a aussi et surtout des formes beaucoup plus imprécises, elles
aussi ambiguës et paradoxales (lorsque la “lutte contre l’obscurantisme”
peut être perçue par certains comme de l’islamophobie, par exemple
absolument évident). Les interventions de Greenwald confirment que cet
ensemble de constats qui forme la crise-Charlie à
la fois de communication et de symbolisme a une dimension
internationale considérable, et donc que la France occupe désormais une
place privilégiée et significative dans la bataille Système versus anti-Système.
Plus encore, l’intervention de Greenwald donne également une caution internationale au constat encore plus important que la crise-Charlie déchire
directement une classe occupant une place fondamentale dans la
bataille, – la classe réunissant le monde intellectuel, le complexe
médiatique avec presse-Système et réseaux anti-Système, le showbiz et
ses diverses ramifications. Tout ce monde d’influence, très puissant
dans l’entité anglo-saxonne globalisée mais également dans l’ensemble
parisien-françai s où il dispose d’une réputation immémoriale, s’est
déjà trouvé face aux contradictions classiques (“liberté d’expression”,
“lutte contre l’obscurantisme” , attitudes vis—à-vis de
l’immigration notamment musulmane et de l’islamisme extrémiste, etc.).
Cette fois il y est confronté directement, au cœur même de ses débats
quotidiens, de ses intérêts, de ses privilèges, de l’exercice de son
influence, comme s’il devenait lui-même la ligne de front alors qu’il
était jusque-là cantonné “à l’arrière” pour discutailler sans trop de
risques. Lorsqu’un Pascal Bruckner traite de “collabos” des tueurs de Charlie un
Guy Bedos ou un Luc Ferry, lorsque nombre de juifs français se montrent
de plus en plus favorables aux thèses d’un Zemmour ou à l’orientation
du Front National, on comprend que cette puissance caste d’influence sur
laquelle s’appuie le Système est effectivement et désormais déchirée
selon des lignes de fluctuation insaisissables et très mobiles, qui font
passer en un clin d’œil, l’un ou l’autre d’une position-Système à une
position anti-Système, sans qu’il l’ait voulu délibérément, sans même
qu’il s’en rende compte nécessairement.. . Nous nous trouvons alors dans une situation, – les choses vont tellement vite, – où le désordre créé par la crise-Charlie menace
de se transformer à tout moment, pour un moment rapide ou plus
durablement c’est selon et c’est fluctuant, en hyper-désordre, basculant
ainsi d’une position-Système à une position anti-Sys tème (désordre devenant hyper-désordre : voir par exemple notre texte du 17 décembre 2014, où les deux notions sont explicitées).
…
Et l’intervention de Greenwald, grande figure internationale de
l’anti Système pour ses thèmes jusqu’alors cantonnés aux domaines
anglo-saxons comme source de réflexion et de commentaire de ses
intervention, montre que le cas français est devenu avec la crise-Charlie une
référence incontournable. En même temps, il renforce l’impression que
la puissante caste d’influence identifiée plus haut (intellectuels,
médias, showbiz)
est entrée dans une situation de crise interne, d’“affrontement
fratricide”, qui lui fait courir le risque gravissime pour elle, mais
pour le Système également, de perdre sa capacité d’influence directe.
Jusqu’ici, ses contradictions internes restaient contrôlables
puisqu’elle portait sur des thèmes extérieurs ou des situations
intérieures très précisément identifiées ; jusqu’ici, elle restait
fractionnée entre ses divers “provincialismes ” (anglosaxons, “parti
des salonnards” parisien, etc.) qui sont la marque paradoxale de
l’adhésion à la globalisation. Tout cela est en train de voler en éclat
et si le rythme de 1/7 se maintient comme cela paraît inéluctable, la
crise de cette caste d’influence sera ouverte comme une plaie
sanguinolente, et deviendra incontrôlable. Ce sera un réel problème pour
le Système parce qu’alors s’imposera le risque qu’à tout moment, par un
parti ou l’autre, une voix célèbre ou l’autre, pour tel outil intérêt
particulier, l’une ou l’autre de ses narrative (celles du Système) soit dénoncée comme telle d’une façon tonitruante.
Note du traducteur : *Liberté : en Français dans le texte
Par Philippe Grasset, Dédefensa
Traduction des extraits en anglais : Dominique Muselet,
Traduction des extraits en anglais : Dominique Muselet,