« Nous
sommes pris au piège de la dynamique perverse d’une civilisation qui ne
fonctionne pas si elle ne croît pas et qui, avec sa croissance, détruit les
ressources naturelles qui la rendent possible. (…) Une civilisation se termine
et nous devons en bâtir une nouvelle. » Et
vite ! Il y a peu en Espagne, le manifeste « Le dernier
appel » a été lancé par plus de 250 chercheur-e-s, militant-e-s,
syndicalistes, politiques de différents partis, etc., afin d’alerter sur
l’effondrement écologique et social à venir si rien n’est fait pour y remédier.
En peu de jours, ce manifeste a reçu plus de six mille signatures et a été
diffusé largement au travers des réseaux sociaux et de la presse en Espagne et
bien au-delà, en anglais, en portugais, en italien, en grec, en espéranto… Le
voici en français.
Les citoyennes et citoyens
européens, dans leur grande majorité, pensent que la société de consommation
actuelle peut « s’améliorer » dans le futur (et qu’elle
devrait le faire). En même temps, une bonne partie des habitants de la planète
espère se rapprocher petit à petit de nos niveaux de bien-être matériel.
Néanmoins,
ces niveaux de production et de consommation ont été atteints au prix de
l’épuisement des ressources naturelles et énergétiques et d’une rupture des
équilibres écologiques de la Terre.
Vers un effondrement de civilisation
Rien de tout cela n’est nouveau. Les chercheur/ses et scientifiques
les plus lucides tirent la sonnette d’alarme depuis le début des années
1970 : si les tendances de croissance actuelles (économique,
démographique, d’utilisation des ressources, de génération de pollution
et d’augmentation des inégalités) se poursuivent, le résultat le plus
probable sera l’effondrement de la civilisation.
Aujourd’hui, les nouvelles indiquant que la voie de la croissance est
un génocide au ralenti s’accumulent. La baisse de la disponibilité
d’énergie bon marché, les scénarios catastrophiques du changement
climatique et les tensions géopolitiques pour les ressources montrent
que les tendances de progrès du passé s’écroulent.
Face à ce défi, ni le mantra superficiel au sujet du développement
durable ni le simple fait d’adopter les technologies éco-efficaces ou
ladite « économie verte »
— qui dissimule la marchandisation généralisée des ressources
naturelles et des services écosystémiques — ne suffisent. Les solutions
technologiques censées lutter contre les nombreuses crises
environnementales ou contre le déclin énergétique ne suffisent pas non
plus.
De plus, la crise écologique n’est pas quelque incident isolé. Elle
est essentielle et affecte bien des aspects de la société :
alimentation, transport, industrie, urbanisation, conflits militaires…
En fin de compte, elle concerne le fondement de notre économie et de nos
vies.
L’impasse
Pollution au-dessus de New-York - |
Nous sommes pris au piège de la dynamique perverse d’une civilisation
qui ne fonctionne pas si elle ne croît pas et qui, avec sa croissance,
détruit les ressources naturelles qui la rendent possible. Notre
culture, qui idolâtre la technologie et le marché, oublie que nous
sommes, fondamentalement, dépendants des écosystèmes et interdépendants.
La planète ne peut pas soutenir la société productiviste et
consumériste. Nous avons besoin de bâtir une nouvelle civilisation
capable d’assurer une vie dans la dignité pour une énorme population
humaine (aujourd’hui, plus de 7,2 milliards de personnes), en constante
croissance, qui habite un monde dont les ressources sont en déclin. Ce
but ne peut être atteint que si nous changeons radicalement de mode de
vie, de formes de production, de conception des villes et d’aménagement
du territoire.
Et, plus que tout, il ne peut être atteint qu’au moyen de changements
radicaux dans les valeurs qui orientent ces notions. Nous avons besoin
d’une société axée sur la récupération de l’équilibre avec la biosphère
et pour qui la recherche, la technologie, la culture, l’économie et la
politique sont des moyens pour avancer vers cet objectif.
Pour y arriver, toutefois, nous aurons besoin de toute l’imagination
politique, de toute la générosité morale et de toute la créativité
technique dont nous disposons.
- Dessin de El Roto : « La solution à la crise est très simple : il faut juste consommer plus pour relancer l’économie et consommer moins pour ne pas bousiller la planète. » - |
Une profonde rupture politique avec l’hégémonie en vigueur
Mais, pareille Grande Transformation se heurte à deux obstacles
titanesques : l’inertie du mode de vie capitaliste et les intérêts des
groupes privilégiés. Afin d’éviter le chaos et la barbarie vers lesquels
nous nous dirigeons actuellement, nous avons besoin d’une profonde
rupture politique avec l’hégémonie en vigueur et d’une économie qui soit
destinée à satisfaire les besoins sociaux dans les limites imposées par
la biosphère, et non pas l’augmentation du bénéfice privé.
Aujourd’hui en Espagne, l’éveil de la dignité et de la démocratie qu’a signifié le « Mouvement indigné »
du 15M (depuis le printemps 2011) est en train de jeter les bases d’un
processus constitutionnel qui ouvre des possibilités à d’autres formes
d’organisation sociale.
Cependant, il est essentiel que les divers projets alternatifs
prennent conscience des implications associées aux limites de la
croissance. Ainsi, doivent-ils proposer des changements beaucoup plus
audacieux. La crise de régime et la crise économique ne pourront être
surmontées qu’en même temps que le sera la crise écologique.
Dans ce sens, les anciennes politiques fondées sur les recettes du
capitalisme keynésien sont loin d’être suffisantes. Ces politiques nous
ont amenés, dans les décennies qui suivirent la 2e guerre mondiale, à un cycle d’expansion qui nous a conduits au bord des limites de notre planète.
Un nouveau cycle d’expansion n’est pas envisageable : il n’existe ni
la base matérielle, ni l’espace écologique, ni les ressources naturelles
qui le permettraient.
Le siècle le plus déterminant de l’histoire de l’Humanité
Le 21e siècle sera le siècle le
plus déterminant de l’histoire de l’Humanité. Il sera une épreuve
remarquable pour toutes les cultures et les sociétés, voire, pour
l’espèce dans son ensemble. Une épreuve qui décidera de la continuité de
notre présence sur la terre et de la possibilité de qualifier d’« humaine » la vie que nous organiserons à l’avenir.
Nous sommes confrontés au défi d’une transformation dont le calibre
est analogue aux grands événements historiques tels que la révolution
néolithique ou la révolution industrielle.
Mais, attention : la fenêtre d’opportunité est en train de se
refermer. Certes, il existe dans le monde entier de nombreux mouvements
de résistance qui poursuivent la justice environnementale
(l’organisation « Global Witness »
a enregistré près d’un millier d’écologistes morts au cours des dix
dernières années, au cours de leur lutte contre des projets miniers ou
pétroliers, alors qu’ils défendaient leurs terres et leurs eaux).
Une civilisation se termine et nous devons en bâtir une nouvelle
Logo de Ultima Llamada (le dernier appel) |
Mais nous disposons de cinq ans tout au plus pour établir un débat
large et transversal sur les limites de la croissance et pour bâtir
démocratiquement des alternatives écologiques et énergétiques qui soient
tout à la fois rigoureuses et viables. Nous devrions être en mesure de
convaincre de grandes majorités en faveur d’un changement de modèle
économique, énergétique, social et culturel.
Outre la lutte contre les injustices causées par l’exercice de la
domination et de l’accumulation de la richesse, nous parlons d’un modèle
qui prenne en compte la réalité, qui fasse la paix avec la nature et
qui rende possible le « vivre bien » dans les limites écologiques de la Terre.
Une civilisation se termine et nous devons en bâtir une nouvelle. Ne
rien faire ou en faire trop peu nous mènera directement à l’effondrement
social, économique et écologique. Mais si nous commençons aujourd’hui,
nous pouvons encore être les protagonistes d’une société solidaire,
démocratique et en paix avec la planète.
Source : Le Dernier Appel (Ultima Llamada)
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