En taclant son coach et ses coéquipiers, le
latéral droit du PSG a trahi la langue de bois qui sévit dans le
football moderne, spécialement chez les grands clubs, les plus attachés à
leur image.
La vidéo de 45 minutes (il en existe une version courte)
de Serge Aurier, filmée via l'application Periscope en compagnie d'un
ami du centre de formation du RC Lens, Mamadou Doucouré, est du pain
béni pour deux types de personnes. D'abord, ceux qui pensent qu'il n'y
a, dans le milieu du football, que des racailles millionnaires
fumant la chicha en tenant des propos en roue libre.
Très rapidement,
les caricatures ont d'ailleurs fleuri sur Internet, alimentées en grande
partie par des journalistes viscéralement attachés à la morale
publique: «Serge Aurier avait confié récemment, dans une interview,
que le "quartier" était plus important que tout dans sa vie. Et hier,
dans une vidéo sur un réseau social, il a montré ce qu’était "sa
culture"», analysait par exemple Daniel Riolo, journaliste à RMC.
Ou encore Pascal Praud, d'iTélé, qui réagissait ainsi dans Le Point:
«Aurier, comme d'autres, ne comprend rien à rien des us et coutumes du monde d'hier (sic). Pourquoi s'autocensurer? On dit ce que l'on pense, voilà tout. Il est même possible qu'il voie dans cette sortie un acte de bravoure, de courage, d'audace, à la façon dont Nicolas Anelka avait injurié Raymond Domenech en 2010. On est rebelle chez ces gens-là.»
Ensuite, cette vidéo est du pain bénit pour ceux qui étaient, jusque
là, cantonnés au banc de touche par le latéral droit du PSG, qui
apparaissait jusqu'à aujourd'hui comme l'un des meilleurs joueurs de
l'effectif après un début de saison remarquable. Mardi, face à Chelsea,
en huitième de finale de la Ligue des champions, c'est Grégory Van der
Wiel ou Marquinhos qui débuteront à droite de la défense. Et les deux
joueurs peuvent déjà remercier Periscope...
«Je suis en plein délire»
Mais que reproche-t-on, au fond, à Serge Aurier?
De tailler ses camarades de vestiaire, son coach ou encore de clasher
un peu vulgairement les supporters marseillais? Sur le gardien
Salvatore Sirigu, Aurier déclame: «Il est “guez"», cramé. Son coach Laurent Blanc? «C'est une fiotte!», lâche le joueur, employant un vocabulaire on ne peut plus malheureux et homophobe.
Et à la question de savoir si Zlatan lui met des coups de pression, il
ironise, en bon gars des cités qui bande les muscles mais joue
clairement un jeu: «Quand tu regardes ma gueule mon frère, tu penses
qu'il peut me mettre un coup de pression? T'inquiète pas, il vient de
jsais pas où mais nous, on vient de Sevran frère. Zlatan, c’est une bête
mais t’inquiète pas qu’avec nous, il fait pas le relou, c’est une
gentille bête.»
Il n'a pas pris conscience, lui, le joueur professionnel de 23 ans, que ses propos pourraient provoquer un tel scandale
Pris dans une bourrasque médiatique, Serge Aurier s'est vite excusé
après avoir tenté de nier la véracité de la vidéo, notamment auprès du
journaliste Pierre Ménès: «Si vous regardez bien dans la vidéo, je suis en plein délire», a-t-il admis, tout penaud, survêtement du PSG sur le dos. «Ce
sont des questions auxquelles je ne fais même pas attention quand je
réponds parce que c’est une application où il y a du monde, et c’est
pour rigoler. Après aujourd’hui, je me rends compte que c’était vraiment
une grosse connerie parce que c’est quelque chose de gros.»
En vérité, son attitude est incompréhensible, mais là n'est pas la
question. Il n'a pas pris conscience, lui, le joueur professionnel de 23
ans, que ses propos pourraient provoquer un tel scandale à quelques
heures d'un match capital pour le PSG, qui a tout misé sur la Ligue des
champions depuis le rachat des Qataris en 2011. Sa franchise l'a trahie.
Qu'il ait fait preuve de «bêtise», comme certains commentateurs l'ont
affirmé, ou d'un mélange de «légèreté» et d'amateurisme, au fond peu
importe. Certes, il y aurait à redire sur ces joueurs infantilisés qui
sortent complètement des cadres une fois leurs agents partis en vacances
– le chaperon fourni à Aurier par Stéphane Courbis, qui gère ses
intérêts, était en Thaïlande à ce moment-là, comme le révèle Libération– mais là encore, la question n'est pas là.
Une gestion rationnelle de la marque PSG
Car le plus frappant dans cette histoire, c'est la réaction du PSG et
des commentateurs à un discours naturel et volontairement chambreur,
tel qu'on peut l'entendre parfois dans les vestiaires chaque dimanche;
et qui fait fi de toute langue de bois, dans un milieu professionnel où,
au contraire, chaque parole est soupesée, discutée avec le club, les
agents...
Depuis cinq ans, le PSG fait partie des meilleurs clubs d'Europe, avec un budget de près de 520 millions d'euros par an.
Si les Qataris ont injecté des millions dans le PSG et se sont
débarrassés d'une partie de leurs supporters, c'est pour remporter des
titres et défendre l'image d'un pays, le Qatar, à l'international. Le
leitmotiv des proriétaires: orchestrer de façon rationnelle un spectacle
qui rapporte de l'argent et attire des consommateurs. Rien à voir avec
la passion qui anime des ultras ou même tout supporter en général.
Autant dire que du côté de Doha, ceux-là n'ont certainement pas goûté
le verbe de leur défenseur, qui ruine leur stratégie de soft power. Ils
ont donc mis à pied leur joueur, quelle que soit sa valeur sur le
terrain, «à titre conservatoire» et, surtout, en attendant
mieux, car on imagine mal comment l'affaire pourrait en rester là quand
on connaît la volonté des dirigeants de préserver leur entreprise.
D'ores et déjà, on peut imaginer que l'avenir de Serge Aurier au PSG s'écrit en pointillés car la réaction du président du club, Nasser Al-Khelaïfi, ne fait aucune doute sur sa volonté: «Le Paris Saint-Germain est une institution forte à laquelle personne ne peut toucher», a-t-il
rappelé. Le message est clair: comme dans certains clubs européens
–Barcelone, Bayern Munich, Manchester United...–, le club fait bloc face
à son joueur, accusé de dénigrer la «marque».
«C’est quelque chose qui ne doit pas arriver à un moment
important de la saison. On a un match qu’on a préparé depuis des mois.
Aujourd’hui, je ne veux pas plomber cette concentration, je veux juste
que tout le monde se concentre sur ce match très important pour nous», a d'ailleurs déclaré le joueur, prenant l'entière reponsabilité de cette folie pour préserver le collectif et l'image du PSG: «Le problème aujourd’hui, c’est moi, j’espère vraiment que ça ne plombera pas l’ambiance de l’équipe.»
Malgré ces excuses, l'ancien entraîneur d'Auxerre, Guy Roux, est allé encore plus loin: «Il devrait aller en prison!» Quant
à la façon dont lui-même aurait réagi s'il avait été à la place de
Laurent Blanc, attaqué dans la vidéo, le technicien rétorque:
«J'aurais massacré Aurier. Et j'aurais réfléchi à quelle sanction nous pouvons prendre. Je suis révolté. […] Le PSG est notre porte-drapeau, le club a une chance de gagner la Ligue des champions et travaille beaucoup. Tous ces gens-là, trois jours avant un match décisif, sont trahis.»
Comme si, par quelques vannes, Serge Aurier avait mis en péril la
qualité sportive des joueurs du PSG! Comme si des joueurs comme Cavani
ou Ibrahimovic pouvaient être bouleversés par quelques blagues lancées
sur les réseaux sociaux, alors qu'ils ont joué dans les plus grands
clubs européens, qu'ils s'entraînent tous les jours et profitent
d'installations ultra-sophistiqués pour parfaire leur condition
physique. Soit ces joueurs sont fragiles psychologiquement, et se
laissent déstabiliser par cette ambiance autour du club, soit Guy Roux a
complètement dérapé...
Aurier explose la langue de bois
Comme
si des joueurs comme Cavani ou Ibrahimovic pouvaient être bouleversés
par quelques blagues lancées sur les réseaux sociaux!
En réalité, c'est bien son image que le club veut défendre. Et c'est
la raison pour laquelle, tout au long de la saison, il tient à museler
ses joueurs pour éviter, justement, ce genre de folies. J'ai déjà
raconté comment l'ambiance qui régnait dans la tribune presse du Parc des Princes
était à l'image de cet hyper-contrôle exercé par le PSG, qui ne laisse
rien fuiter et donne le moins de marge de manœuvre possible aux
journalistes pour traiter l'actualité du club. Tout est encadré,
vérifié, jusqu'à l'extrême, si bien que les seules infos qui sortent
sont celles que le PSG a décidé de sortir. Mais il y a pire: les
émissions de télévision –comme celles diffusées sur France Télévisions,
par exemple– peinent à inviter les joueurs, qui demandent nécessairement
l'autorisation du club pour communiquer, tandis qu'ils sont tenus,
selon leur contrat, de répondre à BeInSports, considérée comme une
chaîne «officielle» du Paris Saint-Germain.
François Pinet, journaliste à iTélé, rappelait d'ailleurs cette sorte
d'omerta qui règne dans le football professionnel, dont les enjeux
financiers colossaux obligent les joueurs à se protéger d'eux-mêmes.
Dans sa vidéo, Aurier apparaît au calme, posé sur une chaise devant
un ordinateur, tantôt dans le cadre, tantôt à côté. Il improvise un rap
et chambre les internautes. Il est tel qu'il est à Sevran (Seine-Saint-Denis), là où il a débarqué, depuis sa Côte d'Ivoire natale, à l'âge de 11 ans,
ou avec ses amis, sans filtre, sans protection. Et c'est ce qui le rend
sincère mais pas forcément authentique pour autant: dans cette vidéo,
il joue un rôle, et il faudrait être aveugle ou particulièrement
malhonnête pour ne pas le voir. Pour le comprendre, il faut s'imaginer
le décalage entre le milieu d'origine de Serge Aurier et le self-control
qui règne dans le milieu du football professionnel, où les intérêts
prennent le pas sur la passion. «Aurier, pour moi, c’est avant tout une question d’entourage», explique ainsi un agent africain à Libé. «Comme
les mecs qui viennent du bled, tu ne dois pas les lâcher d’un pouce et
leur donner un cadre. Et quand tu évolues au Paris-SG, alors là, c’est
zéro dérapage compris dans le menu.»
Robinet d'eau tiède
Les journalistes sont les premiers à se plaindre du robinet d'eau tiède qui pourrit les interview d'après-match, régale les humoristes du Petit Journal
et empêche toute information réelle. Seule bouffée d'oxygène, les
réseaux sociaux permettent d'ouvrir un peu les vannes, de grappiller
quelques infos, de court-circuiter la communication officielle. Et c'est
exactement ce qu'a fait Serge Aurier en disant tout haut et de manière
extrêmement maladroite ce que certains pensaient tout bas:
oui, dans un club comme le PSG, l'entraîneur n'a guère le choix que de
contenter les stars de son vestiaire. Leur obéir, en quelque sorte,
comme Laurent Blanc, qui ne prendra jamais le risque de contredire Zlatan Ibrahimovic, véritable incarnation du projet sportif et financier du PSG, ou a dû récemment voir un de ses joueurs, David Luiz, refuser de sortir du terrain face à Marseille.
Ce n'est pas la première fois que Serge Aurier se fait attraper de la
sorte, même si cette fois, les proportions prises par l'affaire sont
démesurées. L'an dernier, il avait insulté un arbitre après l'expulsion de Zlatan Ibrahimovic
en Ligue des champions, déjà face à Chelsea. L'affaire se passait dans
une vidéo diffusée sur Facebook. Ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui,
les clubs mettent en place des formations pour faire comprendre aux
joueurs le danger des réseaux sociaux:
danger pour eux-mêmes et la suite de leur carrière, mais surtout danger
pour ces entreprises, qui ne peuvent pas maîtriser toutes les paroles
qui circulent sur elles. Est-ce aux clubs de faire la morale? Est-ce une
attitude normale d'un employeur vis-à-vis de ses salariés qui, comme
tous les autres, ont des droits mais aussi des devoirs (tel celui, comme
nombre de travailleurs, de ne pas dénigrer leur entreprise en public)?
C'est la quadrature du cercle dans laquelle Serge Aurier a été piégé ce
week-end.
Finalement, cette affaire rappelle qu'un joueur, bien que
millionnaire, n'en reste pas moins un homme de son âge, qui traîne à
minuit devant Twitter et balance des vannes avec son pote d'enfance. On
peut trouver puéril et adolescent, on peut aussi trouver ça très marrant
et sans grande conséquence sportive. Et c'est-être ce qui captive le
plus dans cette histoire: celle d'un gars normal,
qui vanne ses coéquipiers sans imaginer ce qui peut arriver le
lendemain. Comme une bulle d'air dans ce foot-business qui ne parle que
de statistiques avant le «choc» des titans entre Chelsea et le PSG.
Article mis à jour le 15 février 2016 à 14h40: ce n'est pas l'agent
de Serge Aurier Stéphane Courbis qui était en Thaïlande, comme nous
l'avons écrit dans un premier temps, mais le chaperon qu'il lui avait
fourni.
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