mardi 16 février 2016

PSG. Pourquoi il faut dire merci à Serge Aurier





En taclant son coach et ses coéquipiers, le latéral droit du PSG a trahi la langue de bois qui sévit dans le football moderne, spécialement chez les grands clubs, les plus attachés à leur image.
La vidéo de 45 minutes (il en existe une version courte) de Serge Aurier, filmée via l'application Periscope en compagnie d'un ami du centre de formation du RC Lens, Mamadou Doucouré, est du pain béni pour deux types de personnes. D'abord, ceux qui pensent qu'il n'y a, dans le milieu du football, que des racailles millionnaires fumant la chicha en tenant des propos en roue libre.
Très rapidement, les caricatures ont d'ailleurs fleuri sur Internet, alimentées en grande partie par des journalistes viscéralement attachés à la morale publique: «Serge Aurier avait confié récemment, dans une interview, que le "quartier" était plus important que tout dans sa vie. Et hier, dans une vidéo sur un réseau social, il a montré ce qu’était "sa culture"», analysait par exemple Daniel Riolo, journaliste à RMC.
Ou encore Pascal Praud, d'iTélé, qui réagissait ainsi dans Le Point:
«Aurier, comme d'autres, ne comprend rien à rien des us et coutumes du monde d'hier (sic). Pourquoi s'autocensurer? On dit ce que l'on pense, voilà tout. Il est même possible qu'il voie dans cette sortie un acte de bravoure, de courage, d'audace, à la façon dont Nicolas Anelka avait injurié Raymond Domenech en 2010. On est rebelle chez ces gens-là.»
Ensuite, cette vidéo est du pain bénit pour ceux qui étaient, jusque là, cantonnés au banc de touche par le latéral droit du PSG, qui apparaissait jusqu'à aujourd'hui comme l'un des meilleurs joueurs de l'effectif après un début de saison remarquable. Mardi, face à Chelsea, en huitième de finale de la Ligue des champions, c'est Grégory Van der Wiel ou Marquinhos qui débuteront à droite de la défense. Et les deux joueurs peuvent déjà remercier Periscope...

«Je suis en plein délire»

Mais que reproche-t-on, au fond, à Serge Aurier?
De tailler ses camarades de vestiaire, son coach ou encore de clasher un peu vulgairement les supporters marseillais? Sur le gardien Salvatore Sirigu, Aurier déclame: «Il est “guez"», cramé. Son coach Laurent Blanc? «C'est une fiotte!», lâche le joueur, employant un vocabulaire on ne peut plus malheureux et homophobe. Et à la question de savoir si Zlatan lui met des coups de pression, il ironise, en bon gars des cités qui bande les muscles mais joue clairement un jeu: «Quand tu regardes ma gueule mon frère, tu penses qu'il peut me mettre un coup de pression? T'inquiète pas, il vient de jsais pas où mais nous, on vient de Sevran frère. Zlatan, c’est une bête mais t’inquiète pas qu’avec nous, il fait pas le relou, c’est une gentille bête.»
Il n'a pas pris conscience, lui, le joueur professionnel de 23 ans, que ses propos pourraient provoquer un tel scandale
Pris dans une bourrasque médiatique, Serge Aurier s'est vite excusé après avoir tenté de nier la véracité de la vidéo, notamment auprès du journaliste Pierre Ménès: «Si vous regardez bien dans la vidéo, je suis en plein délire», a-t-il admis, tout penaud, survêtement du PSG sur le dos. «Ce sont des questions auxquelles je ne fais même pas attention quand je réponds parce que c’est une application où il y a du monde, et c’est pour rigoler. Après aujourd’hui, je me rends compte que c’était vraiment une grosse connerie parce que c’est quelque chose de gros.»
En vérité, son attitude est incompréhensible, mais là n'est pas la question. Il n'a pas pris conscience, lui, le joueur professionnel de 23 ans, que ses propos pourraient provoquer un tel scandale à quelques heures d'un match capital pour le PSG, qui a tout misé sur la Ligue des champions depuis le rachat des Qataris en 2011. Sa franchise l'a trahie. Qu'il ait fait preuve de «bêtise», comme certains commentateurs l'ont affirmé, ou d'un mélange de «légèreté» et d'amateurisme, au fond peu importe. Certes, il y aurait à redire sur ces joueurs infantilisés qui sortent complètement des cadres une fois leurs agents partis en vacances – le chaperon fourni à Aurier par Stéphane Courbis, qui gère ses intérêts, était en Thaïlande à ce moment-là, comme le révèle Libération– mais là encore, la question n'est pas là.

Une gestion rationnelle de la marque PSG

Car le plus frappant dans cette histoire, c'est la réaction du PSG et des commentateurs à un discours naturel et volontairement chambreur, tel qu'on peut l'entendre parfois dans les vestiaires chaque dimanche; et qui fait fi de toute langue de bois, dans un milieu professionnel où, au contraire, chaque parole est soupesée, discutée avec le club, les agents...
Depuis cinq ans, le PSG fait partie des meilleurs clubs d'Europe, avec un budget de près de 520 millions d'euros par an. Si les Qataris ont injecté des millions dans le PSG et se sont débarrassés d'une partie de leurs supporters, c'est pour remporter des titres et défendre l'image d'un pays, le Qatar, à l'international. Le leitmotiv des proriétaires: orchestrer de façon rationnelle un spectacle qui rapporte de l'argent et attire des consommateurs. Rien à voir avec la passion qui anime des ultras ou même tout supporter en général.
Autant dire que du côté de Doha, ceux-là n'ont certainement pas goûté le verbe de leur défenseur, qui ruine leur stratégie de soft power. Ils ont donc mis à pied leur joueur, quelle que soit sa valeur sur le terrain, «à titre conservatoire» et, surtout, en attendant mieux, car on imagine mal comment l'affaire pourrait en rester là quand on connaît la volonté des dirigeants de préserver leur entreprise. D'ores et déjà, on peut imaginer que l'avenir de Serge Aurier au PSG s'écrit en pointillés car la réaction du président du club, Nasser Al-Khelaïfi, ne fait aucune doute sur sa volonté: «Le Paris Saint-Germain est une institution forte à laquelle personne ne peut toucher», a-t-il rappelé. Le message est clair: comme dans certains clubs européens –Barcelone, Bayern Munich, Manchester United...–, le club fait bloc face à son joueur, accusé de dénigrer la «marque».
«C’est quelque chose qui ne doit pas arriver à un moment important de la saison. On a un match qu’on a préparé depuis des mois. Aujourd’hui, je ne veux pas plomber cette concentration, je veux juste que tout le monde se concentre sur ce match très important pour nous», a d'ailleurs déclaré le joueur, prenant l'entière reponsabilité de cette folie pour préserver le collectif et l'image du PSG: «Le problème aujourd’hui, c’est moi, j’espère vraiment que ça ne plombera pas l’ambiance de l’équipe.»
Malgré ces excuses, l'ancien entraîneur d'Auxerre, Guy Roux, est allé encore plus loin: «Il devrait aller en prison!» Quant à la façon dont lui-même aurait réagi s'il avait été à la place de Laurent Blanc, attaqué dans la vidéo, le technicien rétorque:
«J'aurais massacré Aurier. Et j'aurais réfléchi à quelle sanction nous pouvons prendre. Je suis révolté. […] Le PSG est notre porte-drapeau, le club a une chance de gagner la Ligue des champions et travaille beaucoup. Tous ces gens-là, trois jours avant un match décisif, sont trahis.»
Comme si, par quelques vannes, Serge Aurier avait mis en péril la qualité sportive des joueurs du PSG! Comme si des joueurs comme Cavani ou Ibrahimovic pouvaient être bouleversés par quelques blagues lancées sur les réseaux sociaux, alors qu'ils ont joué dans les plus grands clubs européens, qu'ils s'entraînent tous les jours et profitent d'installations ultra-sophistiqués pour parfaire leur condition physique. Soit ces joueurs sont fragiles psychologiquement, et se laissent déstabiliser par cette ambiance autour du club, soit Guy Roux a complètement dérapé...

Aurier explose la langue de bois

Comme si des joueurs comme Cavani ou Ibrahimovic pouvaient être bouleversés par quelques blagues lancées sur les réseaux sociaux!
En réalité, c'est bien son image que le club veut défendre. Et c'est la raison pour laquelle, tout au long de la saison, il tient à museler ses joueurs pour éviter, justement, ce genre de folies. J'ai déjà raconté comment l'ambiance qui régnait dans la tribune presse du Parc des Princes était à l'image de cet hyper-contrôle exercé par le PSG, qui ne laisse rien fuiter et donne le moins de marge de manœuvre possible aux journalistes pour traiter l'actualité du club. Tout est encadré, vérifié, jusqu'à l'extrême, si bien que les seules infos qui sortent sont celles que le PSG a décidé de sortir. Mais il y a pire: les émissions de télévision –comme celles diffusées sur France Télévisions, par exemple– peinent à inviter les joueurs, qui demandent nécessairement l'autorisation du club pour communiquer, tandis qu'ils sont tenus, selon leur contrat, de répondre à BeInSports, considérée comme une chaîne «officielle» du Paris Saint-Germain.
François Pinet, journaliste à iTélé, rappelait d'ailleurs cette sorte d'omerta qui règne dans le football professionnel, dont les enjeux financiers colossaux obligent les joueurs à se protéger d'eux-mêmes.
Dans sa vidéo, Aurier apparaît au calme, posé sur une chaise devant un ordinateur, tantôt dans le cadre, tantôt à côté. Il improvise un rap et chambre les internautes. Il est tel qu'il est à Sevran (Seine-Saint-Denis), là où il a débarqué, depuis sa Côte d'Ivoire natale, à l'âge de 11 ans, ou avec ses amis, sans filtre, sans protection. Et c'est ce qui le rend sincère mais pas forcément authentique pour autant: dans cette vidéo, il joue un rôle, et il faudrait être aveugle ou particulièrement malhonnête pour ne pas le voir. Pour le comprendre, il faut s'imaginer le décalage entre le milieu d'origine de Serge Aurier et le self-control qui règne dans le milieu du football professionnel, où les intérêts prennent le pas sur la passion. «Aurier, pour moi, c’est avant tout une question d’entourage», explique ainsi un agent africain à Libé. «Comme les mecs qui viennent du bled, tu ne dois pas les lâcher d’un pouce et leur donner un cadre. Et quand tu évolues au Paris-SG, alors là, c’est zéro dérapage compris dans le menu.»

Robinet d'eau tiède

Les journalistes sont les premiers à se plaindre du robinet d'eau tiède qui pourrit les interview d'après-match, régale les humoristes du Petit Journal et empêche toute information réelle. Seule bouffée d'oxygène, les réseaux sociaux permettent d'ouvrir un peu les vannes, de grappiller quelques infos, de court-circuiter la communication officielle. Et c'est exactement ce qu'a fait Serge Aurier en disant tout haut et de manière extrêmement maladroite ce que certains pensaient tout bas: oui, dans un club comme le PSG, l'entraîneur n'a guère le choix que de contenter les stars de son vestiaire. Leur obéir, en quelque sorte, comme Laurent Blanc, qui ne prendra jamais le risque de contredire Zlatan Ibrahimovic, véritable incarnation du projet sportif et financier du PSG, ou a dû récemment voir un de ses joueurs, David Luiz, refuser de sortir du terrain face à Marseille.
Ce n'est pas la première fois que Serge Aurier se fait attraper de la sorte, même si cette fois, les proportions prises par l'affaire sont démesurées. L'an dernier, il avait insulté un arbitre après l'expulsion de Zlatan Ibrahimovic en Ligue des champions, déjà face à Chelsea. L'affaire se passait dans une vidéo diffusée sur Facebook. Ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui, les clubs mettent en place des formations pour faire comprendre aux joueurs le danger des réseaux sociaux: danger pour eux-mêmes et la suite de leur carrière, mais surtout danger pour ces entreprises, qui ne peuvent pas maîtriser toutes les paroles qui circulent sur elles. Est-ce aux clubs de faire la morale? Est-ce une attitude normale d'un employeur vis-à-vis de ses salariés qui, comme tous les autres, ont des droits mais aussi des devoirs (tel celui, comme nombre de travailleurs, de ne pas dénigrer leur entreprise en public)? C'est la quadrature du cercle dans laquelle Serge Aurier a été piégé ce week-end.
Finalement, cette affaire rappelle qu'un joueur, bien que millionnaire, n'en reste pas moins un homme de son âge, qui traîne à minuit devant Twitter et balance des vannes avec son pote d'enfance. On peut trouver puéril et adolescent, on peut aussi trouver ça très marrant et sans grande conséquence sportive. Et c'est-être ce qui captive le plus dans cette histoire: celle d'un gars normal, qui vanne ses coéquipiers sans imaginer ce qui peut arriver le lendemain. Comme une bulle d'air dans ce foot-business qui ne parle que de statistiques avant le «choc» des titans entre Chelsea et le PSG.
Article mis à jour le 15 février 2016 à 14h40: ce n'est pas l'agent de Serge Aurier Stéphane Courbis qui était en Thaïlande, comme nous l'avons écrit dans un premier temps, mais le chaperon qu'il lui avait fourni.

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